Torpillage de l’Athos – 2e partie

Par Sandy-Hook (1879-1960) – hommage au bisaïeul

On peut s’étonner de la trajectoire très à l’est du sous-marin allemand, jusqu’au sud-est du Péloponnèse en sachant que la courbure de la terre ne lui permettait pas de voir au-delà d’une trentaine de kilomètres (des jumelles ne changeant rien) et le sonar n’existait pas encore. 
Trajet AR (en rouge) du sous-marin U-65 au départ de Cattaro, de l’Athos (en bleu) à partir de sa jonction avec ses navires d’escorte au nord de La Canée et la route commerciale (en jaune) qu’aurait du suivre le paquebot jusqu’à Marseille (Atlas universel de Géographie par M. Drioux et Ch. Leroy. Belin Frères Paris 1892).

En outre, à supposer qu’un espion (?) à Port Saïd ait pu communiquer le trajet de l’Athos (ce qui semble peu probable eu égard aux moyens de communications de l’époque), il eut été plus simple d’attendre le paquebot au sud de la Sicile conformément à la feuille de route initiale de l’U65 en sachant que le paquebot avait 5 heures de retard sur l’horaire prévu de telle sorte qu’il aurait du se trouver environ 150 km plus à l’ouest. 

Il faut cependant souligner que ce type de sous-marin avait une remarquable autonomie pour l’époque, de l’ordre de 9 850 miles soit quasi 16 000 km (!) incitant à privilégier l’hypothèse que « sa route est simplement due à une maraude dans un type de chasse à la billebaude » (Bertrand Valton). 

Un total de 45 navires coulés

En procédant de la sorte, tout en ne dérogeant pas à sa mission en direction du golfe de Gênes, il rejoignait la route maritime commerciale au sud de la Grèce puis en la suivant le plus longtemps possible vers le ponant, le capitaine du sous-marin augmentait d’autant la probabilité de rencontrer des convois et c’est ainsi qu’il est tombé sur l’Athos. 

Du 4 décembre 1916 au 4 juillet 1918, aux commandes de l’U-65, Hermann von Fischel totalisera 44 navires coulés (71 936 tonnes dont l’Athos est l’un des plus gros) et 2 navires endommagés (6 493 tonnes). En Méditerranée 240 000 tonnes de navires marchands sont allés au fond durant le 1er trimestre 1917 et 210 000 tonnes pour le seul mois d’avril. [5] Lors de l’effondrement de l’Empire Austro-Hongrois, l’U-65 fut sabordé dans le chantier naval de Pola (28 octobre 1918).

L’Athos avait quitté Marseille pour Yokohama atteint après deux mois de navigation et d’où il repart le 26 décembre 1916 suivie d’une escale à Hong-Kong où il embarque 950 coolies chinois en tant que main d’œuvre destinée à soutenir l’effort de guerre (e) et à Djibouti où il embarque 850 tirailleurs sénégalais. Le 14 février 1917, il quitte Port Saïd avec une escorte anglaise qui l’abandonne ensuite compte tenu du mauvais temps qui le retarde d’environ 5 heures de telle sorte que c’est vers 16h00 qu’il rejoint au nord de la Crête ses deux navires d’escorte français (f)le Mameluck et le contre torpilleur Enseigne-Henry, à 5 miles au nord du cap Drépano près du port de La Sude à La Canée. 

Le torpillage de l’Athos par Sandy-Hook (1879-1960) [Aquarelle de Sandy Hook].

Les trois navires se dirigent ensuite vers l’ouest en sachant que nous disposons d’un témoin oculaire de premier plan, à savoir le commandant Marcel Traub (1878-1954), qui fera ensuite une belle carrière en terminant vice-amiral et préfet maritime. Il était commandant de l’Enseigne-Henry depuis décembre 1915 et il fera impression à deux reprises par la qualité de ses manœuvres durant les torpillages du Nea-Genea et de l’Athos ; il convient donc de s’en tenir aux événements relatés dans son rapport. L’Enseigne-Henry « se poste à bâbord de l’Athos, à 700 mètres » et c’est à 12h27 qu’est perçue « une explosion assez forte et un peu sourde » et « ayant immédiatement regardé l’Athos, je vis l’eau provenant de la gerbe due à l’explosion de la torpille s’écouler en nappe le long du bord. L’Athos venait d’être torpillé par bâbord arrière sous les poulaines de l’équipage, à une vingtaine de mètres de l’arrière. » Le commandant Traub met immédiatement « la barre toute à gauche » et se dirige « à toute vitesse sur le point probable où se trouvait le sous-marin, prêt à mettre en action tous mes moyens effectifs : torpilles, grenades et canon » mais « Je ne vis absolument rien. Après avoir couru pendant quelques minutes sur différents sillages dus probablement à l’Athos et à l’Enseigne-Henry, j’abandonnai la chasse et commençai les opérations de sauvetage. »

Il rapportera la déduction suivante : « il semble résulté que la torpille lancée à 1 000 ou 1 200 mètres a frappé sous une inclinaison d’environ 45° sur l’arrière du travers. S’il en est ainsi, en admettant 35 nœuds comme vitesse de la torpille, celle-ci aurait été lancée à 450 mètres environ sur l’arrière de l’Enseigne-Henry. Son sillage n’a été vu par personne à mon bord. Je n’ai à aucun moment vu le sous-marin. » (g) Ainsi, dans sa manœuvre d’approche, il est probable que le sous-marin en immersion périscopique s’était caché dans le sillage de l’Enseigne-Henry de telle sorte que personne ne le vit. 

Les rescapés de l’Athos furent recueillis par les navires d’escorte. Parmi les centaines de victimes, parfois totalement anonymes, du naufrage de l’Athos figurent le commandant Eugène Dorise qui « a donné un superbe exemple de courage et de dévouement (…) et ne s’est jeté à l’eau qu’au dernier moment et est mort quelques instants après, à bord d’un torpilleur », mais aussi le commissaire Ramel et le chef-mécanicien Donzel qui, compte tenu de leur attitude héroïque, seront non seulement cités à l’ordre de l’Armée et décorés de la Légion d’Honneur à titre posthume mais donneront ensuite leur nom à des navires des Messageries Maritimes. 

En effet, l’officier mécanicien de quart Donzel et le premier chauffeur Cipriani qui auraient eu le temps de se sauver, se précipitèrent dans la chaufferie arrière pour stopper les machines pouvant exploser mais ils y furent bloqués par la porte d’issue définitivement fermée et furent engloutis, peut-être aux côtés de mon bisaïeul Gabriel Valton qui avait 56 ans et qui sera cité, comme Cipriani, à l’ordre de l’Armée et décoré à titre posthume de la Médaille militaire. 

Gabriel Valton était le fils légitime d’André Valton, chauffeur aux forges du Creusot, et de Jeanne Coudant. Le 25 janvier 1884 naît son fils André dit Louis Valton (1884-1958), mon grand père maternel. Gabriel était alors âgé de 22 ans et deviendra un ajusteur puis un mécanicien de marine /chauffeur apprécié. C’est à ce titre qu’il travailla sur plusieurs paquebots de compagnies diverses incluant les Messageries Maritimes, en particulier sur le Paul Lecat de février à mai 1915 et sur L’Himalaya de décembre 1915 à avril 1916 avant sa dernière et malheureuse affectation sur l’Athos. 

Nombre de passagers et des bien plus jeunes furent alors engloutis, notamment le commandant du 77e bataillon Colonna d’Istria (1867-1917) et ses 109 tirailleurs sénégalais qui avaient du faire le coup de feu pour permettre la mise à l’eau des radeaux et des canots de sauvetage alors que les coolies chinois essayaient de piller les compartiments des premières. [2]

Au début 1918, le Premier ministre britannique Lloyd George (1863-1945) dira « Nous coulons plus de sous-marins que les Allemands ne peuvent en construire. Nous construisons plus de navires que les Allemands n’en coulent. La guerre sous-marine est encore une menace, elle n’est plus un danger ». Cependant, le bilan final sera lourd. Pour l’ensemble de la guerre – à laquelle ont pris part 345 U-Boote – 6 394 navires marchands et une centaine de bâtiments militaires auront été détruits par les Allemands, pour un total dépassant les 13 millions de tonneaux. Pour parvenir à ce résultat, les Allemands auront perdu 229 sous-marins, dont 178 en opération et sur 13 000 marins embarqués, 515 officiers et 4 849 matelots auront trouvé la mort, soit plus d’un tiers des effectifs.

Louis-François Garnier

Remerciements à mon cousin Bertrand Valton, arrière petit-fils de Gabriel Valton, pour sa documentation, avec toutes mes félicitations pour son travail de mémoire et à Stéphane Esnaud pour son amicale expertise tout en rendant hommage à feu mon beau-père Yves Esnaud (1938-2006) ajusteur mécanicien sévèrement irradié à l’âge de 34 ans en travaillant sur un tube lance-missile d’un sous-marin nucléaire.

Georges Taboureau (1879-1960) a pu être considéré comme étant « le plus mystérieux des peintres de la marine » [7] avec son pseudonyme de Sandy-Hook, choisi dès 1901 à l’âge de 22 ans et inspiré d’une anse sablonneuse visible peu avant d’entrer dans le port de New-York. Le talent du jeune Georges est indéniablement précoce comme l’atteste des dessins et croquis [7] fait entre 11 et 15 ans, avant de devenir un peintre parisien autodidacte et un affichiste et illustrateur réputé mais aussi, en tant que « portraitiste de navires », d’acquérir le statut de Peintre de la Marine (1917). On lui doit de nombreuses affiches pour des compagnies maritimes et il a même participé aux études de camouflage pour la Marine Nationale. Il s’agissait, en peignant des formes géométriques de couleur noire ou grise voire même en dessinant les contours d’un pseudo navire sur la coque d’un bâtiment, de brouiller la vision des infrastructures des bateaux de guerre, en quelque sorte d’éblouir (dazzle) les observateurs hostiles afin de protéger les navires des sous-marins allemands, les redoutables U-Boote. Au sein d’une activité importante, Sandy-Hook a été amené à représenté le torpillage de paquebots tels que l’Athos [8] qui a fait les frais de la guerre maritime « totale » décrétée par la Kaiserliche Marine durant la Première Guerre mondiale. A la faveur d’une étude circonstanciée on comprend mieux les conditions dramatiques qui aboutirent au plus grave naufrage qu’ait connu la Compagnie française des Messageries Maritimes avec des comportements héroïques mais aussi la disparition d’humbles membres de l’équipage tels que les mécaniciens qui travaillaient dans une chaufferie aux conditions éprouvantes et qui n’eurent pas d’échappatoire ; un hommage posthume fut rendu à certains ; il reste à s’en souvenir.

[1] Berneron-Gouvenhes M-F. Les Messageries Maritimes. L’essor d’une grande compagnie de navigation française. 1851-1894 PUPS 2007

[2] Ramona Ph. Paquebots vers l’Orient. Ed. Alan Sutton 2018

[3] Brezet F-E. La guerre sous-marine allemande 1914-1945 Perrin 

[4] Chack P. « Marins à la bataille » Sur mer… et dessous. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France. Paris 1938

[5] Chack P. « Marins à la bataille » Héros de l’Adriatique. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France Paris 1941

[6] L’Album de la guerre 1914-1918. L’Illustration Paris 1925

[7] Hillion D. Sandy-Hook Le plus mystérieux des peintres de la marine. Maîtres du Vent Editions Babouji 2008

[8] Dufeil Y., Le Bel F., Terraillon M. Navires de la Grande Guerre. Navire ATHOS ; mise à jour le 16/03/2008 – navires 14-18.com 

RÉFÉRENCES

e) Plus de 45000 travailleurs chinois ou annamites seront acheminés par la compagnie pour remplacer les Poilus partis au front. [2]
f) Dès le 6 août 1914, une convention précisait les rôles respectifs dans la surveillance des routes maritimes par la marine anglaise (au-delà de Suez) et française (en Méditerranée). A partir de mai 1917 plus aucun navire de commerce ne s’aventura sans escorte en Méditerranée. [2]
g) La portée idéale est 300 mètres car plus loin l’adversaire a le temps de voir le sillage de l’engin et de l’éviter et trop près la torpille peut passer dessous la cible car elle plonge d’abord assez profondément pour ensuite reprendre progressivement le plan d’immersion pour laquelle elle a été réglée. L’émersion périscopique doit être très brève, de l’ordre d’une dizaine de secondes toutes les quatre ou cinq minutes pour éviter de se faire repérer. [5]