Une tête de caractère de Franz-Xavier Messerschmidt

345 – Christian Ziccarelli – Franz-Xavier Messerschmidt (1736-1783) _ Il naît en 1736 dans un milieu modeste d’artisans, à Wiesensteig (Jura Souabe). Il reçoit une première formation à Munich, dans l’atelier de son oncle Johann-Baptist Staub, sculpteur à la cour. Le 4 novembre 1755, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, où il acquiert une grande maîtrise de la sculpture. Après la réalisation des portraits sculptés de la famille régnante (dont celui de l’impératrice Marie-Thérèse), il gagne Rome au début de l’année 1765, où il partage son temps entre l’étude des antiques et l’anatomie. Suite à la mort inattendue de l’empereur François 1er, il est rappelé à Vienne pour exécuter son effigie. C’est alors une période faste, sculptant des oeuvres religieuses, les premiers bustes des ses amis et ceux de personnalités influentes. Une rupture se produit dans sa vie à partir de 1771, il n’a plus aucune commande, sa situation financière devient rapidement intenable. Souffrant de troubles mentaux, il ne sera pas nommé à la tête de l’Académie. De retour dans sa ville natale (1777), il retrouve un certain crédit auprès de ses contemporains et réalise plusieurs portraits en buste. Toutefois son entourage le considère comme un « drôle d’homme ». Il meurt d’une pneumonie en 1783, à l’âge de 47 ans.

Les « Kopfstücke » _ Dès 1771, il commence à sculpter ces « têtes » mystérieuses et expressives qui fascinent et interpellent l’observateur. Ni signées, ni datées, elles ne sont pas destinées à être vendues. Une lithographie sur papier, insérée dans le journal « Der Adler » a joué un rôle fondamental pour la reconstitution de cet ensemble. Des quarante-neuf têtes brièvement décrites, trente-huit sont aujourd’hui répertoriées. L’éditeur et homme de lettres berlinois, Freidrich Nicolai (1733- 1811) relate sa rencontre avec Messerschmidt : « Toutes ses têtes étaient des autoportraits. Il regardait toutes les trente secondes dans le miroir et faisait, avec la plus grande précision, la grimace dont il avait besoin… ». L’artiste les aurait conçues comme des effigies effrayantes capables de tenir à distance les esprits qui le persécutaient moralement et physiquement. En fait le mystère de ces visages convulsés reste entier. « C’est moins un panorama des passions, où un hémicycle de la bêtise humaine comme les bustes de Daumier, qu’une répétition, une variation sur un type unique de visages contractés, aux yeux clos, aux bouches effacées ou transformées en becs tendus, vers un objet de convoitise, têtes enfoncées sur leur torse ou juchées sur des cous aux tendons crispés »( Les stupéfiantes têtes de Messerschmidt. Jean-Louis GAILLEMIN. Grande Galerie, le Journal du Louvre n°14, déc./Janv./fév. 2010-2011). Ces têtes sont uniques. Regardées comme des spécimens de foire, elles ont été vendues aux enchères et dispersées en 1889. Leur redécouverte ne date que du début du XXe siècle. Celles qui sont restées à Vienne ont fasciné les artistes de la Sécession et les psychanalystes. Exécutées en métal (alliage à base d’étain et de plomb) ou en albâtre tacheté assez grossier, ces têtes, exclusivement masculines et correspondant à différents âges, sont strictement frontales et surmontent l’amorce d’un simple buste.

L’Homme qui bâille (1771-1781) (Franz-Xavier Messerschmidt (1736-1783). Catalogue de l’exposition du musée du Louvre. Janvier 2011 : 162-167.) _ Freidrich Nicolai vit cette tête chez Messerschmidt en juin 1781. Considéré comme un autoportrait bâillant, c’est une oeuvre en étain portant le n°5. Elle fait partie d’un ensemble constitué de têtes de vieillard grassouillettes ayant des caractéristiques voisines. Il s’agit d’une grosse tête rasée. La bouche, grande ouverte, laisse apparaître l’insertion de la langue et les dents, avec un grand soin dans les détails. On ne voit du cou que de grandes rides. Le nez est froncé, les paupières sont fermées, le coin des yeux est formé de plis descendant jusqu’aux joues.

Certains critiques ont vu dans cette représentation plutôt une réaction à une souffrance extrême, comme un cri. Messerschmidt avait certainement eu connaissance des travaux sur l’expression des passions, base de l’enseignement académique. « Toute une série de représentations similaires sont empruntées à l’histoire de l’art et la rapproche en outre de modèles figurant dans les traités de physiognomonie de Parsons et de Le Brun. »( Franz-Xavier Messerschmidt (1736-1783). Catalogue de l’exposition du musée du Louvre. Janvier 2011 : 162-167.) ■(gallery)

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