Urgences de nuit : le projet francilien qui fait peur

«Un seul bloc devrait être ouvert pendant vingt-quatre heures dans chaque département ». La révélation par Le Parisien début septembre du projet de l’ARS d’Ile-de- France de réduire drastiquement les services chirurgicaux d’urgence la nuit, les week-ends et les jours fériés dans les hôpitaux de la région parisienne (hors les vingt et un établissement de Paris intra-muros) a fait l’effet d’une bombe. Chez les hospitaliers, les réactions ont été immédiates. Non que la nécessité d’une réorganisation ne s’impose à eux, mais le projet francilien semble pour le moins excessif, puisqu’on passerait de six à onze hôpitaux par département assurant actuellement les urgences chirurgicales de nuit à un seul ! Pour la Coordination médicale hospitalière, il s’agit là d’un projet « impensable » et « potentiellement dangereux » pour les malades. La CMH déplore notamment que le projet englobe la période 18h00-minuit « pendant laquelle la vie continue et où les patients arrivent en masse à l’hôpital, et la période après minuit où l’activité est quasi nulle », selon son président François Aubart.

« Nous ne sommes pas là pour répondre à des objectifs de productivité, a répliqué l’Association des Médecins Urgentistes de France, nous sommes présents pour répondre à l’inattendu et à l’imprévisible, pour répondre à ce qui n’est pas programmable. » Et l’AMUF d’ironiser : « Est-il envisageable de supprimer des centres de secours des pompiers au motif qu’il n’y a pas assez de feux la nuit ? » Estimant que la concrétisation d’un tel projet mettrait la sécurité des patients en péril, l’AMUF souligne par ailleurs que cela accroîtrait le travail des SAMU qui devront « répondre en urgence à des demandes de transferts pour déplacer des patients vers l’unique hôpital départemental appelé “tête de pont”, qui sera débordé ».

Le directeur de l’ARS d’Ile-de-France, Claude Evin, a tenté d’apaiser les esprits en expliquant qu’il ne s’agissait que d’un simple « document de travail » et que la concertation était en cours. « Si, effectivement, la concertation conclut au fait que c’est nécessaire de maintenir un service entre 18h30 et minuit, on le maintiendra. Je pense qu’on arrivera à un consensus. »

Un mauvais souvenir pour les cardiologues du Nord

Selon Le Parisien, l’ARS d’Île-de-France n’est pas la seule à réfléchir à une « rationalisation » de la permanence des soins hospitaliers, et des projets analogues seraient à l’étude dans d’autres régions. Où l’on n’a pas attendu la création des ARS pour avoir ce genre de réflexion, les ARH les ayant devancées dans cette démarche. Ainsi, le Dr Vincent Guillot, cardiologue à Lens et président du syndicat des cardiologues libéraux Nord-Picardie, se souvient d’un projet relatif à « l’organisation du réseau des urgences pour la région Nord-Pas-de-Calais » qui, en 2008, faillit aboutir à l’interdiction pure et simple de la pratique en urgence des angioplasties coronaires la nuit (de 18 h à 8 h), le dimanche et les jours fériés dans tous les établissements privés de la région. « Le point commun avec le projet de l’ARS d’Île-de-France c’est qu’il se présentait aussi comme une restructuration du secteur public, explique Vincent Guillot. Concrètement, les établissements privés étaient évincés, il n’y avait plus que les établissements publics autorisés à pratiquer des angioplasties en urgence la nuit, dont certains en pratiquaient très rarement. » C’est la mobilisation de la majorité des cardiologues libéraux de la région, mais aussi de certains cardiologues hospitaliers, la mobilisation des élus locaux, l’action syndicale régionale mais aussi nationale, qui a permis l’abandon du projet, en tout cas pour le volet cardiologie interventionnelle. « Tout n’est pas fini, et il nous faudra rester vigilants puisque l’organisation des urgences d’angioplasties coronaires sera réétudiée ultérieurement », écrivait alors Vincent Guillot dans une lettre à ces confrères cardiologues. Les ARS ont remplacé les ARH, et le vent de restructuration souffle de plus belle : la vigilance s’impose, effectivement. ■(gallery)