URPS : chance ou piège pour la médecine libérale ?

332 – CardioNews – Chronologiquement le premier acte est la création des ARS. Leur mise en place effective depuis le 1er avril 2010 n’est pas un simple remodelage du Meccano administratif de la santé mais bien la naissance d’une nouvelle administration. Que l’on en juge : disparition du paysage de 8 administrations dont les DDASS, DRASS, URCAM, CRAM, refondation de tous les organigrammes, cohabitation d’agents de culture et statuts différents auxquels sont confiés de nouvelles missions. Il suffit de fréquenter (un peu) les nouveaux locaux pour saisir l’ampleur du changement.

Le deuxième acte sera la constitution des URPS, en remplacement des URML. Créées à l’initiative de la CSMF, les URML ont été conçues comme un outil technique au service de la profession. Certes pour bon nombre de médecins ces Unions sont restées un peu nébuleuses mais il faut dire que le législateur n’a rien fait pour les aider. Ainsi il aura fallu attendre 13 ans pour voir sortir le décret sur la télétransmission des données des Caisses, aucun moyen ne leur a été attribué pour mener l’EPP des médecins libéraux dont elles étaient un des acteurs désignés. Pourtant elles ont su, petit à petit, s’imposer comme un interlocuteur incontournable au niveau régional, s’emparer de dossiers comme ceux de la démographie médicale et de la PDS, s’investir dans des réseaux communicants entre médecins, etc.

Les URPS, tout comme les URML, seront composées de médecins élus au terme d’un scrutin professionnel dont la date est fixée au 29 septembre prochain. Ces élections ont en elles-mêmes un fort enjeu puisqu’elles contribueront à établir la représentation de chaque syndicat. En outre leur résultat ne manquera pas non plus d’être interprété par le Gouvernement, comme l’a été celui des récentes élections régionales, comme un message d’encouragement ou de défiance selon le score qu’obtiendront les syndicats qui, soit, ont soutenu la loi HPST (MG France, FMF), soit l’ont combattu (CSMF, SML). Elles influenceront également directement les futures négociations conventionnelles fixées après leur déroulement.

Les nouvelles URPS auront des missions élargies. En effet elles participeront : – à l’élaboration du schéma régional d’organisation des soins – à l’organisation de l’exercice professionnel, de la PDS, de la continuité des soins et des nouveaux modes d’exercice – à l’amélioration de l’offre de soins et l’accès aux soins des patients – à l’éducation thérapeutique, la gestion des crises sanitaires et à la veille sanitaire – à la mise en œuvre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des services de santé et – à celles des contrats sur la qualité et la coordination des soins – au déploiement des systèmes de communication et d information partagées – au DPC – à l’analyse des données du système national interrégime de l’Assurance Maladie – à la représentation des professionnels auprès de l’ARS. _ L’objectif affiché est celui d’une large concertation au niveau régional entre professionnels de santé, clairement identifiés et légitimés par des élections (toutes les professions de santé médicales et paramédicales auront leurs propres URPS), et une ARS, recouvrant tout le champ du médical (hospitalier et ambulatoire) et médico-social. _ Mais on est aussi en droit de s’interroger si ne se cache pas un piège pour la profession, le Gouvernement et le législateur ayant (volontairement ?) laissé des zones d’ombre : – quel sera le degré d’autonomie régionale de l’ARS quand on sait que son Directeur est nommé en Conseil des ministres, qu’il est lui-même sous la coupe du Préfet de région et qu’une agence nationale coiffera toutes les ARS ? – ne s’agit-il pas plus d’une « déconcentralisation » que d’une réelle régionalisation ? – n’a-t-on pas sciemment voulu paralyser les URPS en les divisant en 3 collèges : généralistes, spécialistes et chirurgiens-anesthésistes-obstétriciens ? – et par là-même balkaliniser la profession pour mieux l’amoindrir ? – les URPS et les ARS ne sont-elles pas un moyen de contourner les Syndicats pour mieux les affaiblir, ce qui ne manquerait d’ailleurs pas de soulever un problème de droit, par exemple en leur permettant de conclure des accords régionaux type CAPI hors du champ conventionnel ? – quel sort sera réservé à la médecine libérale de spécialité, grande oubliée des débats depuis des années comme si on voulait la voir disparaître pour cantonner les spécialistes en établissement de santé ?

Une page vierge s’ouvre qu’il revient aux URPS et ARS d’écrire. Pour un syndicaliste l’enjeu est évidemment passionnant. L’avenir dira sans doute vite si cet enjeu est de trouver des voies d’amélioration de l’exercice de la médecine, avec un partenaire loyal à l’écoute d’une profession qu’il connaît mal, ou résister à une étatisation de la médecine libérale dont la loi HPST porte les gènes. Dans tous les cas il conviendra d’être vigilant, de respecter une cohérence syndicale.

C’est pourquoi il est important que les cardiologues, appuyés par une structure syndicale forte que bien d’autres spécialités leur envient, s’engagent dans ces élections pour porter la voie de la cardiologie libérale. Cet engagement est d’autant plus important que notre spécialité, du fait de l’implication en termes de santé publique des maladies cardiovasculaires, ne manquera pas d’être concernée par les programmes des ARS.

L’enjeu est de taille. Du vote des médecins vers des syndicats monocatégoriels ou démagogues ou vers des syndicats responsables et transversaux seuls capables de défendre l’ensemble de la profession, de la faculté d’entente des élus et du degré d’écoute des ARS découlera la capacité de transformer un piège en une chance pour la médecine libérale.

Jean-Pierre Binon