XXIe siècle : siècle des lumières du numérique ?

Par Marc Villacèque.
Président du Syndicat national des cardiologues.

La révolution numérique change notre monde bien plus que nous le pensons : internet et les réseaux sociaux participent à façonner indirectement notre pensée. Facebook priorise les contenus avec l’émoticône colère plutôt que « like » et la logique algorithmique de Youtube est basée sur le nombre de vues et non la pertinence des propos, favorisant par exemple les visions climatosceptiques…

L’objectif est d’attirer et de maintenir l’attention pour nous proposer de la publicité, quitte à privilégier de fausses informations uniquement pour maintenir leur rentabilité financière.

En perte d’esprit critique

Face à cette désinformation généralisée, le rapport « Les Lumières à l’ère numérique » a été rédigé par un groupe indépendant suite à la demande du président de la République. Même si les 30 propositions changeraient difficilement les choses, le constat est édifiant, limpide et argumenté : nous sommes en train de perdre notre esprit critique.

Effectivement, nous sommes aujourd’hui confrontés à un volume inédit d’informations disponibles avec une multitude de points de vue, dont le seul but est de faire de l’audience. Cette saturation d’informations, parfois cachées dans des programmes de divertissement, met à rude épreuve nos capacités de vigilance cognitive et nous rend par conséquent davantage perméables aux fausses informations.

Ces fausses nouvelles sont susceptibles d’influencer nos attitudes, nos comportements, et notre représentation du monde environnant, au risque de faire émerger des réalités parallèles et disparaître l’espace commun nécessaire à l’expression et la confrontation des opinions, pour débattre et échanger. Ce socle commun qui était essentiellement basé sur la science, l’esprit critique et la confiance au sachant est maintenant attaqué par des croyances, des pensées paresseuses synthèses de raisonnements rapides et faussement intuitifs. Tout ceci fait que même si nous appartenons tous à la même société, nous ne vivons pas tous dans le même monde.

Un exemple concernant le monde médical est celui des personnes antivax ; elles n’ont pour la plupart aucune mauvaise intention, et veulent même le bien de notre société et de leurs concitoyens, mais elles imaginent que les statistiques sont truquées, que les scientifiques sont achetés, et que les journalistes ne sont pas indépendants… Ainsi, nous n’avons plus de bases communes, ni de référentiel ou de langage commun nous permettant d’échanger ou de partager des opinions différentes.

Chacun reste figé sur sa position, refusant la controverse, croyant dur comme fer à son monde et à sa Vérité, chaque argument contraire faisant violence à son cerveau, provoquant des émotions difficilement maîtrisables et rendant le débat impossible. Heureusement, ou malheureusement, chaque « adversaire » confortera son point de vue grâce à internet.

Médecins, nous devons écouter et essayer de comprendre tous nos patients, mais nous devons aussi rester lucides et  vigilants. Comme disait l’homme politique et médecin Georges Clémenceau « La vérité d’aujourd’hui peut avoir été l’erreur d’hier et peut devenir, par l’accroissement des connaissances l’erreur de demain ».

Soyons critiques de tout, même de nous-mêmes.