10 milliards d’économie – L’addition coup de bambou

Médecin généraliste - Consultation
Les libéraux ont sous-réalisé pour la troisième année consécutive l’objectif qui leur était fixé. © JPC-PROD

Depuis qu’ils ont appris que la santé participerait à hauteur de 20 % au plan d’économies de 50 milliards d’euros annoncé par le Gouvernement, les professionnels de santé savent qu’ils ne vont pas vers des lendemains qui chantent… Ils tendent le dos, d’autant qu’on ne connaît toujours pas dans le détail l’ordonnance qui va être prescrite au monde de la santé pour réaliser 10 milliards d’euros d’économie d’ici à 2017. Les gouvernements successifs de ces dernières décennies ne nous ayant pas habitués à de grandes originalités en la matière, les quelques précisions données par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, n’ont pas surpris.

Comme l’on pouvait s’y attendre, l’ONDAM fixé cette année à 2,4 %, baissera à 2,1 % l’année prochaine puis à 2 % en 2016 pour s’établir à 1,9 % en 2017. « Un effort sans précédent », commente la ministre. Les libéraux, qui pour la troisième année consécutive, ont sous-réalisé l’objectif qui leur était fixé, vont bientôt crier « grâce », d’autant qu’ils ne voient pour l’instant aucun « retour sur investissement ». « Il n’y a plus de marge d’économie possible sur la médecine de ville, il n’y a plus de gras, on attaque l’os », déclare le président de la CSMF, Jean-Paul Ortiz (voir entretien ci-contre).

L’hôpital sera mis à contribution à hauteur de 2 milliards d’euros. Selon Marisol Touraine, cela devrait être possible grâce à une meilleure gestion et à la mutualisation des achats ainsi qu’à la résorbsion du recours excessif aux médecins intérimaires, les « médecins mercenaires » dont le surcoût annuel représenterait 500 millions d’euros pour les hôpitaux.

La chasse aux « actes inutiles ou redondants » et à « la consommation de médicaments inadaptés » devrait rapporter 2,5 milliards d’euros. « Des mesures seront prises pour y remédier » a précisé la ministre, sans plus de détail. Par contre, Marisol Touraine a précisé que, pour « faciliter la qualité de la prescription », des listes de médicaments recommandés pour chaque spécialité seront instituées, reprenant ainsi une recommandation du rapport du Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective (CGSP).

Une réaction immédiate des syndicats

Inutile de dire que les syndicats ont réagi immédiatement à ce qu’ils considèrent comme une atteinte à leur liberté de prescription. Plus généralement d’ailleurs, ils n’apprécient guère le plan tel qu’il se dessine. La CSMF a fait ses comptes et « constate que la médecine de ville devra supporter 2,5 milliards d’euros pour la maîtrise via l’encadrement des prescriptions et l’hôpital public seulement 2 milliards d’euros ». On peut objecter qu’il est aussi demandé à l’hôpital de développer les interventions en ambulatoire de façon à économiser 1,5 milliard d’euros sur trois ans, dont près de 1 milliard pour la chirurgie ambulatoire, ce qui signifie qu’en 2016, une opération sur deux devrait avoir lieu en ambulatoire. D’accord, répondent les libéraux, qui se demandent cependant, à l’instar de la CSMF « où sont les moyens donnés à la médecine libérale pour assumer ce transfert d’activité des hôpitaux publics ».

Sans trop de surprise non plus, l’industrie pharmaceutique se voit mis à contribution : 3,5 milliards d’euros devront être économisés en trois ans «  en baissant le prix des médicaments et en favorisant les génériques », puisque « nous consommons trop de médicaments, trop de médicaments de marque et trop de médicaments chers », selon Marisol Touraine, qui cite dans le texte le rapport du CGSP (voir Le Cardiologue 371).

Sur les seuls génériques, le Gouvernement attend 1 milliard d’euros d’économies, ce qui sera possible à condition qu’ils représentent un quart du marché français en 2017. L’industrie pharmaceutique s’étrangle et dénonce « un plan de facilité, profondément inadapté aux enjeux, qui fait encore une fois porter tout l’effort sur le médicament » qui ne représente que 15 % des dépenses d’Assurance Maladie. Pour le Leem , ce plan est « un désaveu cinglant de la stratégie industrielle soutenue au plus haut niveau de l’Etat » et le Gouvernement « prend le risque d’assécher définitivement les considérables effets d’entraînement économique de ce secteur sur l’ensemble de l’économie du pays ».

Enfin, pour parvenir aux 10 milliards d’euros attendus, « le Gouvernement prendra des mesures de lutte contre la fraude » qu’il évalue apparemment à 1 milliard d’euros. Réfutant l’idée d’un système de santé « low cost », Marisol Touraine affirme que « les patients ne seront ni moins bien soignés ni moins bien remboursés ». Ce sont donc les professionnels seuls qui paieront la facture.