Les caisses de Sécurité Sociale doivent justifier leurs décisions

281 – Jugement du 3 décembre 2004 du tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Valenciennes :

« Attendu que ce mécanisme de centralisation, s’il a pour objet de rationaliser les paiements informatiques des régimes d’assurance-maladie, ne dispense pas la caisse de la justification de l’indu, sollicitée, en l’espèce, à plusieurs reprises par le demandeur, ni de son obligation générale d’information ; qu’il est regrettable que le demandeur n’ait pu obtenir cette information qu’après avoir saisi le tribunal ; attendu, en revanche, que s’il ne justifie pas du harcèlement moral invoqué, Il est cependant fondé à solliciter une indemnité au titre des frais non répétitibles qu’il s’est trouvé contraint d’exposer et pour laquelle la caisse lui paiera la somme de 150 €en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ».

Textes en vigueur

L’obligation pour les caisses de fournir des explications à leurs décisions est prévue par les textes :

– art. L. 115-3 du Code de la Sécurité Sociale : « Sont fixées par la loi n° 79- 587 du 11 juillet 1979 les conditions dans lesquelles les organismes de Sécurité Sociale doivent faire connaître les motifs de leurs décisions individuelles » ;

– loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent ».

Jurisprudence

Un cardiologue avait déjà pu obtenir une décision similaire: – … Attendu que la décision du 4 avril 1995 de la commission de recours amiable ne contient aucune motivation ; qu’elle mentionne seulement « considérant que les dispositions de la nomenclature générale des actes professionnels s’imposent », – … Attendu que la loi de 1979 est applicable aux organismes de Sécurité Sociale, – … Par ces motifs le tribunal annule pour défaut de motivation la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie de M. » (TASS de Besançon le 7 octobre 1994). La jurisprudence comporte d’autres jugements concernant des chirurgiens qui avaient pu également obtenir une condamnation des caisses : – T.A.S.S. de l’Eure du 13 avril 1994, confirmé par un arrêt du 20 avril 1995 de la Cour d’Appel de Rouen ; – T.A.S.S. de Clermont-Ferrand du 1er février 1995.

L’un des objectifs assignés à son personnel par le directeur général de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie dans le cadre de l’amélioration des relations avec ce que l’on appelle maintenant la « clientèle » est que le téléphone soit décroché au maximum 30 secondes après la première sonnerie. Espérons que cette célérité concernera également les rapports avec les médecins et qu’il ne sera plus nécessaire d’aller devant un tribunal pour obtenir des informations.




Partage de responsabilité entre praticiens en clinique

281 – Les médecins libéraux vivent souvent leur exercice en clinique comme la continuation de leur expérience de l’hôpital public, profondément marquée par une dilution des responsabilités. Or, si le praticien hospitalier voit rarement sa responsabilité personnelle engagée, puisque agissant pour le compte du service public, il n’en est pas de même pour le praticien libéral qui doit assumer directement sa responsabilité civile professionnelle (indemnisation des victimes), en plus des responsabilités pénales (amendes ou prison) ou ordinales.

1 – Principes juridiques du partage de responsabilité entre praticiens libéraux

Outre les devoirs classiques des médecins (obligation de moyens et d’information, soins consciencieux…), un certain nombre d’articles du code de déontologie illustrent parfaitement l’esprit avec lequel sont réglés juridiquement les litiges, où un partage de responsabilité est envisagé :

– art. 5 : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » ;

– art. 32 : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » ; – art. 69 : « L’exercice de la médecine est personnel ; chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes » ;

– art. 64 : « Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l’information du malade. Chacun des médecins peut librement refuser de prêter son concours, ou le retirer, à condition de ne pas nuire au malade et d’en avertir ses confrères ».

En clinique privée, les patients sont habituellement adressés nominativement à un médecin référent, dont le rôle est de coordonner les soins du patient, l’orientant vers tel ou tel spécialiste après s’être assuré de l’accord du patient. Ce médecin doit être consulté pour la prise de décision d’explorations ou de traitements.

Dans la pratique, force est de constater que la grande majorité des complications faisant retenir la responsabilité des praticiens en clinique est le résultat d’un défaut de coordination, plus qu’une difficulté proprement médicale. Faute de discussion ou d’établissement de protocoles d’organisation de service, personne ne connaît clairement les limites de sa propre responsabilité, se reposant à tort sur ses confrères.

2 – Situations à risque médico-légal en cardiologie

a) Consultations pré-opératoires : trop souvent, les cardiologues sont consultés la veille d’une intervention non cardiologique, les mettant dans une situation délicate s’ils découvrent une anomalie. Sous la pression combinée du chirurgien, de l’anesthésiste et parfois du patient, ils donneront leur accord, alors qu’à froid ils auraient demandé un complément d’investigation.

b) Les avis « entre deux portes » sont à proscrire, car ils engagent régulièrement la responsabilité des deux praticiens. Le solliciteur applique maladroitement une mesure dont il ne contrôle pas les subtilités, mais se couvrira en notant le nom du spécialiste consulté. Celui consulté donne une consigne, qui peut s’avérer délétère par une connaissance imparfaite du terrain.

c) Le relais des anticoagulants est une cause récurrente de litiges. Chez les patients sous AVK, se pose la question de l’opportunité du traitement substitutif par héparine, de la dose prescrite et du type d’héparine. De nombreux médecins ont été condamnés pour un manque de coordination. Un cardiologue s’est vu reprocher d’avoir donné son accord à une substitution par HBPM en vue d’une intervention de cataracte chez une patiente obèse porteuse d’une valve de Starr mitrale, en AC/FA, ayant déjà fait des accidents ischémiques transitoires, qui se compliquera d’un accident vasculaire massif. Outre le fait de ne pas avoir informé du risque élevé d’AVC que comportaient ces manipulations thérapeutiques, le choix de l’HBPM sur ce terrain et l’absence de vérification de l’anti Xa lui seront reprochés. La coordination entre cardiologues, anesthésistes et chirurgiens fait trop souvent défaut, aboutissant à des accidents au décours de l’intervention soit par interruption de l’héparine avant que les AVK soient à nouveau efficaces, soit par l’utilisation de doses insuffisantes par crainte de saignements. Un ophtalmologue se verra condamné pour avoir repoussé d’un mois son intervention, sans avoir demandé à son patient de reprendre un traitement anticoagulant efficace ou de ne pas l’avoir orienté vers son cardiologue, provoquant une hémiplégie.

d) La prescription d’actes invasifs engage à la fois le prescripteur et celui qui le réalise, que ce soit sur l’indication, l’information et la préparation du patient, selon le degré de compétence de chacun.

e) La surveillance post-interventionnelle est un autre domaine de responsabilité conjointe. L’opérateur se doit de donner des consignes claires (écrites) de surveillance et de traitement et de faire part des difficultés rencontrées pendant l’intervention. De façon corollaire, les médecins chargés de la surveillance doivent avertir l’opérateur, en cas de complications, pour qu’il puisse donner les orientations les plus pertinentes ou reprendre le patient. f) Gestion de la sortie : faisant la transition entre une surveillance hospitalière étroite et le retour à la vie « civile », la sortie est une période délicate qui engendre trop souvent de nombreuses réclamations. Outre la justification de la sortie, ce sont surtout les modalités de sortie qui sont contestées. Pour des questions d’organisation, les comptes rendus et les ordonnances sont habituellement dictés la veille de la sortie. Malheureusement, l’examen du patient ou l’analyse des examens (biologie, ECG…) le matin même du départ font parfois défaut, alors que l’état du patient s’est dégradé pendant la nuit ou que le traitement devait être réajusté. Le tribunal s’intéressera à savoir qui est le prescripteur et qui est celui qui était chargé de voir le patient le jour de la sortie, et se réfèrera au planning (liste d’astreinte). En cas de traitement anticoagulant, la surveillance biologique a t-elle été prescrite, avec consigne de revoir rapidement le médecin traitant avec les résultats ?

Lors d’une hospitalisation pour une stimulation ventriculaire, une radiographie pulmonaire a été prescrite systématiquement par le cardiologue à l’admission. Ã la sortie, cette radiographie qui présentait une lésion cancéreuse n’a été vue ni par le prescripteur, ni par le cardiologue autorisant la sortie et le radiologue n’aura pas sensibilisé les cardiologues à cette lésion suspecte. Les trois praticiens se verront condamnés pour avoir par leur négligence entraîné un retard diagnostique et thérapeutique. La règle est donc de prescrire à bon escient en s’assurant de la récupération du résultat ou à défaut de s’abstenir de prescrire un examen inutile !

Mesures préventives et conclusions

Elles reposent avant tout sur la concertation des différents acteurs médicaux et paramédicaux, afin d’établir un mode de fonctionnement en commun. La formalisation de protocoles permettra de préciser les rôles de chacun : prescription, surveillance, recueil d’examens, sortie…

Seule une traçabilité rigoureuse permettra de prévenir un certain nombre d’accidents par défaut d’organisation, mais également d’établir avec précision les responsabilités de chacun : observations détaillées, allergies et contre-indications clairement signalées, identification des prescripteurs, consignes de surveillance, listes de gardes réactualisées.

Enfin, à chaque fois qu’un praticien pense que sa mission se termine, il doit impérativement s’assurer que le relais va être pris par un de ses confrères, auquel il fera des transmissions pertinentes garantes de la continuité des soins.

I N F O F L A S H

|L’accès au dossier médical par le patient ou ses ayants droit a été simplifié par la Loi KOUCHNER (loi n° 2002- 303 du 4 mars 2002 : article L1111-7). Il peut désormais se faire directement, sans passer par un médecin. La demande doit être satisfaite dans les huit jours (deux mois pour les informations de plus de cinq ans). La consultation est gratuite sur place. La copie et l’envoi sont à la charge du patient. Seuls les documents formalisés sont transmis : comptes rendus, prescriptions et courriers échangés.|




Convention : pourquoi il faut s’opposer à la “Double peine”

281 – Le parcours de soins instauré par la loi du 13 août 2004 et mis en place avec la convention 2005 a reçu, faut-il le rappeler, le soutien unanime de notre syndicat.

Nous sommes notamment favorables :
à la notion de médecin traitant, médecin de premier recours et responsable de la coordination des soins ;
à la généralisation d’un Dossier Médical Personnel (DMP) à condition qu’il soit simple d’emploi et réellement exhaustif
et à l’octroi d’une majoration tarifaire pour soins coordonnés.

En revanche, nous sommes formellement hostiles au principe de la « double peine » qui frapperait les patients consultant un spécialiste en accès direct.

Cette double peine consiste, on le sait, à plafonner le remboursement par les assurances complémentaires du dépassement tarifaire autorisé (DA) et à diminuer celui du tarif opposable des actes réalisés dans ce cadre.

Plusieurs raisons nous incitent à combattre ces deux pénalités : -# le DA a été accordé par le Ministre pour calmer les spécialistes de secteur 1, exaspérés par des années de blocage d’honoraires, sans coût supplémentaire pour l’assurance maladie. Encore faut-il que les patients, déjà pénalisés par la hausse du forfait hospitalier et le déremboursement de nombreux médicaments, continuent à fréquenter nos cabinets. _ Rappelons que deux profils d’activité coexistent en cardiologie (Livre Blanc 2001), l’un axé sur l’adressage quasi exclusif, l’autre plutôt centré sur l’accès direct, le choix n’étant bien sûr pas délibéré (médecine des beaux quartiers), mais dicté par la démographie médicale ; -# la limitation ou l’interdiction du remboursement des dépassements par les complémentaires est contraire à la logique de marché et surtout très insolite par rapport aux dépassements tarifaires du secteur 2 qui sont eux à juste titre généralement pris en charge ; -# on peut craindre, sans démagogie, que cette double peine ne pénalise surtout les patients à revenus modestes et génèrent l’instauration d’une médecine à deux vitesses à laquelle le gouvernement est pourtant si radicalement opposé.

Les trois centrales syndicales signataires de la convention ont adopté sur le sujet une position plutôt ambiguë.

En son temps, la CSMF nous avait assuré de son soutien ; certains élus de la majorité en avaient fait de même.

Souhaitons que, pour une fois, le bon sens l’emporte sur l’idéologie.

Docteur Christian AVIÉRINOS, 10 mai 2005