ARS : un rendez-vous à ne pas manquer pour les cardiologues

330 – En préambule à son assemblée générale, le SNSMCV a tenu un séminaire sur les « Impacts de la loi HPST dans l’exercice quotidien de la cardiologie ». Deux tables rondes ont permis de préciser le cadre de la nouvelle organisation instaurée par la loi HPST et d’envisager la démarche que les cardiologues libéraux doivent adopter pour s’inscrire dans ce nouveau schéma sanitaire.

Il est évident que la forte déconcentration des pouvoirs de l’Etat en régions, avec la création des agences régionales de la santé (ARS) va remodeler l’exercice de la médecine libérale, omnipraticienne ou spécialiste. Et l’action syndicale ne peut échapper à ce remodelage. Comme l’a souligné Jean-François Thébaut en ouverture du séminaire, « les syndicats régionaux vont avoir à faire face à des responsabilités déconcentrées de plus en plus importantes, que ce soit dans le cadre de la démarche qualité, de la contractualisation en régions ou des nouveaux SROS ambulatoires ».

La première table ronde interrogeait la pertinence d’un contrat qualité en cardiologie. Pour l’ancien directeur de la HAS, Alain Coulomb, la nécessité d’un contrat qualité s’impose aujourd’hui comme une évidence. En revanche, bien des questions demeurent auxquelles les médecins doivent répondre : « Tout le monde est pour la qualité, mais avec quels instruments, quel levier ? La démarche qualité doit-elle être individuelle ou collective ? Avec quels indicateurs ? Et enfin, quelle peut en être la contrepartie pour les médecins ? »

Président de l’UFCV, Christian Ziccarelli a exprimé les réserves que peuvent susciter des expériences présentées aujourd’hui par les tutelles comme des modèles à suivre, le CAPI et les groupes de qualité. « Cette démarche qualité doit-elle obligatoirement avoir pour corollaire le paiement à la performance ? », questionne-t-il. Surtout si performance rime avec observance d’indicateurs strictement médico-économiques, comme s’est le cas, selon lui, des groupes de qualité qui ont vu le jour en 2001 en Bretagne avant d’essaimer dans une dizaine de régions depuis, à l’initiative des URML et des URCAM. « Je veux bien que cette démarche soit effectivement efficace sur le plan médico-économique, mais sur le plan des connaissances et de l’amélioration des pratiques, je me pose tout de même un certain nombre de questions. » Pour Christian Ziccarelli, l’engagement des cardiologues dans la démarche qualité nécessite interrogations et propositions : « Doit-on s’orienter vers ce type de groupes de qualité ? Qu’est-ce que nous, cardiologues, pourrions proposer comme document initiateur pour essayer d’améliorer la qualité et de rentrer dans le jeu ? »

Pour la directrice de la CPAM de Paris, Marie Babel, les cardiologues ont déjà fait un bon bout de chemin dans leur réflexion vers un contrat qualité en cardiologie. Indiquant que la variabilité des pratiques, et ses conséquences en termes de perte ou gain de chance pour le patient, et sur l’efficience du système de santé, est la première justification à la recherche de la qualité, elle cite le Livre Blanc de la cardiologie de 2008 : « Il ne fait guère de doute que les nouvelles exigences de la qualité en médecine passent par une réduction de cette variabilité des pratiques ». Avant de souligner que ce même Livre blanc fait deux propositions qui «  sont ni plus ni moins la mise en place de la préconisation de contrats régionaux de qualité », contenue dans la loi HPST. Ainsi un « observatoire de la qualité en cardiologie », programme de recherches cliniques pour développer et valider des indicateurs de mesure de performance qualité des soins cardiologiques, pourrait selon elle « objectiver les bases d’une véritable rémunération à la performance ». De même, le « secteur optionnel qualité + » préconisé par le Livre blanc, et qui prévoit une contractualisation entre professionnels de santé et régimes obligatoires et complémentaires d’Assurance Maladie, ressemble-t-il fort, selon Marie Babel, au CAPI. « Dans les éléments clés de ce contrat, je retrouve tout ce que je vois écrit sur les CAPI, et que mes collaborateurs expliquent aux médecins : renforcement de l’engagement dans les objectifs de santé publique, consolidation des engagements d’efficience économique, engagement dans le suivi des malades chroniques ». Pour Marie Babel, la loi HPST contient « une palette élargie » de solutions dans laquelle les cardiologues devraient pouvoir trouver matière à développer leurs contrats qualité. Une opinion partagée et développée par Jean-Michel Chabot, de la HAS.

« Maintenant, c’est à nous, médecins, de nous approprier la loi HPST et de donner des réponses », déclare, comme en écho, Patrick Gasser, médecin généraliste et président de l’URML Pays de la Loire. Défendant les groupes de qualité dans lesquels sa région est engagée depuis maintenant deux ans, il souligne que ces groupes sortent les praticiens de l’isolement où ils sont trop souvent et esquissent « un projet professionnel territorial » bienvenu. Que la contractualisation régionale avec les médecins ne se réduise pas à des engagements « d’efficience purement économique », cela va de soi, et Patrick Gasser estime que les « clauses éthiques » sont nécessaires, et que « probablement les collèges de toutes les disciplines auront à réfléchir dans ce domaine ». De même juge-t-il nécessaire « une structuration régionale de la profession, qui n’existe pas aujourd’hui, pour répondre aux besoins de contractualisation sur le terrain avec les ARS ».

Cette représentation de toutes les composantes professionnelles, elle existe au sein du Conseil National Professionnel de Cardiologie, que le Pr Pascal Guéret (SFC) pense être « un point de non-retour dont on peut se féliciter ». Faudra-t-il que cette unité nationale se réplique dans les régions ? Sans doute cela répondrait-il aux « non-choix » de la loi HPST, selon l’expression d’Alain Coulomb, qui fait remarquer que cette loi « globalement corsète, étatise, et déconcentre avec une forte pression nationale », tout en contenant « des ferments pour ancrer sur les territoires de santé des éléments structurant ».

Ces « éléments structurants », aux médecins de s’en emparer pour les faire évoluer, insiste Marie Babel. Le CAPI y compris ! « La loi HPST donne l’occasion aux professionnels de santé de se réapproprier cet outil à travers, pas simplement des contrats nationaux, mais également des contrats régionaux calés sur des problématiques régionales, des intérêts professionnels régionaux, et qui peuvent être construits selon une démarche de professionnels de santé. » Libre aux médecins notamment de reprendre la main pour ce qui concerne la définition des critères et indicateurs retenus pour ces contrats. Ceux du CAPI, trop fortement imprégnés par une logique d’efficience économique au goût des médecins, outre qu’ils restreignent leur liberté de prescription, pourraient avoir de fâcheuses répercussions sur l’innovation thérapeutique, comme le souligne Pascal Michon (sanofi-aventis). « Y a-t-il encore un besoin de progrès sur les classes thérapeutiques listées par le CAPI ?  interroge-t-il. Pour l’industriel, la crainte est clairement celle d’un frein à l’innovation et, au-delà, de l’arrêt de la recherche et du développement dans certains domaines. Nous suivons l’EBM, et nous souhaitons que dans le cadre des objectifs médico-économiques, l’aspect médical, et donc la pertinence des critères scientifiques et des indicateurs soient réellement au rendez-vous et donc construits et validés par des experts et des professionnels de santé ».

Dans ce vaste chantier ouvert par la loi HPST et qui attend les professionnels de santé sur le terrain, il importe qu’ils s’engagent les yeux grand ouverts et en connaissant bien leurs interlocuteurs, les directeurs d’ARS en premier lieu ! Se prêtant au jeu de « si vous étiez un préfigurateur d’ARS, que feriez-vous ? », Alain Coulomb a imaginé quels critères il retiendrait pour déterminer une action qui le rendrait « rapidement visible ». Dans le contexte actuel, privilégier « les domaines dans lesquels il existe un enjeu économique important », se préoccuper « de ce qui coûte », lui semble être un impératif majeur. Parmi « le gisements de productivité identifiés », sélectionner les sujets « documentés » sur lesquels un consensus existe, sans études préalables ou expérimentions préalables à mener, serait sa seconde priorité. Un « retour sur investissement rapide » serait son troisième critère dans le choix des thèmes de prédilection. Plutôt que de chercher à modifier ce qui fonctionne déjà de façon plus ou moins satisfaisante, se « polariser sur une approche innovante » – les nouveaux modes de rémunération, par exemple – lui semblerait plus judicieux. Enfin, faire en sorte que son action soit « politiquement acceptable » est essentiel pour réussir. A cet égard, le futur directeur d’ARS aura tout intérêt à nouer des relations avec les élus et à « profiter du mouvement de prise en compte des politiques que la santé structure leur territoire pour surfer sur cette vague », estime Alain Coulomb.

Un avis qu’Elisabeth Hubert a réitéré dans son intervention à la seconde table ronde (« Quelle représentation politique professionnelle en région ? »). Forte de sa connaissance des méandres et détours de l’administration sanitaire française, l’ancienne ministre de la Santé et actuelle présidente de la FNEHAD (Fédération Nationale des Etablissements d’Hospitalisation à Domicile) a en effet livré quelques « conseils » aux cardiologues pour réussir dans leur futur dialogue avec les ARS. Dans ce dialogue, les libéraux qu’ils sont auront un handicap de taille à surmonter : si les futurs directeurs d’ARS connaissent bien, selon leur appartenance passée, le secteur hospitalier, celui de la santé publique ou le domaine médico-social, ils connaissent peu – voire pas du tout – le secteur de la médecine ambulatoire. « Vous allez être face à un univers qui ne connaît pas bien votre problématique et est mû par une obligation de résultat à court terme », prévient Elisabeth Hubert. Et pour faire connaître leur problématique, les libéraux n’ont pas le choix : « Il faut que vous vous impliquiez ! » Pas forcément simple pour des libéraux qui perdent de l’argent chaque fois qu’ils assistent à une réunion, mais « ce n’est pas négociable, vous ne pourrez pas faire porter vos problématique, vos demandes, par d’autres que vous-mêmes ». Ce qui n’interdit pas d’avoir des alliés, au contraire, c’est indispensable : « Il ne suffit pas d’être le syndicat des cardiologues, tous seuls, vous ne représentez rien, prévient Elisabeth Hubert. Soyez pragmatique dans le choix de vos alliés qui ne seront pas nécessairement les mêmes selon le cas ». Enfin, la réussite de cette réforme implique « la nécessité pour les directeurs d’ARS de se présenter au niveau national avec des projets et des expérimentations réussis. Donc, soyez porteurs de projets ! Et soyez-le vite ! » lance Elisabeth Hubert aux cardiologues, indiquant que sur le terrain, préjugeant des crédits dont disposeront les ARS, d’aucuns ont déjà fourbi des projets qu’ils sont prêts à présenter le moment venu. « Professionnalisme, alliés, projets : ce sont trois messages empreints de bon sens et qu’il faut que vous ayez en tête. »

Parmi les alliés, l’industrie pharmaceutique a anticipé l’application de la loi HPST. « Pendant la discussion de la loi, nous nous sommes dit qu’il nous fallait anticiper le changement à venir », explique Philippe Tcheng (sanofi-aventis). Un « chantier de changement colossal » a abouti à « la création sur le terrain d’équipes organisées selon la logique des territoires régionaux de santé administratifs ». En parallèle, le groupe a mis en place « des équipes dédiées dont la seule mission est de créer des partenariats et des stratégies d’alliance, pour identifier des besoins – la télémédecine en cardiologie, par exemple – et accompagner des projets dans la durée ».

Décidément, les médecins ne peuvent pas rester à la traîne. Mais nul doute que le SNSMCV a devancé les conseils d’Elisabeth Hubert et ne sera pas « fort dépourvu » quand les ARS seront venues…

 

Exercer en 2010

Par Jean-Michel Chabot (*)

En étant reçu en consultation, le service dont bénéficie un malade est le plus souvent digne d’éloges ; cependant, on voit bien que le mode d’exercice traditionnel de la médecine, individuel et le cas échéant isolé, est de plus en plus remis en question.
Ce constat, que chacun peut faire sans parti pris, vient de surcroît d’être mis en lumière dans l’actualité professionnelle et sur la scène médiatique. 

Il y a d’abord les alarmes du Conseil National de l’Ordre des médecins, qui, sur les données de l’année 2008, a observé l’effondrement des installations des jeunes médecins sous statut libéral.
Simultanément le nombre de remplaçants – en réalité des exercices réguliers multisites et bénéficiant de modes de rémunération mixtes – est en considérable augmentation depuis le début des années 2000 pour atteindre près de 15 % des médecins libéraux en activité.

Il y a ensuite les déclarations répétées des leaders des jeunes générations et des étudiants en fin de formation, qui se prononcent avec enthousiasme pour des conditions d’installation et d’exercice redéfinies, afin que les contraintes soient mieux maîtrisées, ce qui passe souvent par un exercice davantage organisé et, le cas échéant, en équipe pluriprofessionnelle.
Il y a surtout des initiatives éventuellement portées par les professionnels eux-mêmes et le cas échéant reprises par la HAS dans le cadre de ses missions de promotion de la qualité des soins.
Nombre de ces initiatives (réunion de concertation pluridisciplinaire en cancérologie ; exploitation de registres d’activités cliniques dédiés, selon les cas à des finalités de bonnes pratiques ou bien de safety patient ; mise en œuvre d’une check-list dans les blocs opératoires ; généralisation des RMM ; organisation de formes variées de groupes de pairs en médecine générale ; développement des maisons de santé ; etc.) impliquent des organisations de travail résolument collaboratives, où les professionnels analysent volontiers leurs résultats cliniques et se référent aisément à des recommandations de bonnes pratiques.

Ces évolutions ont été bien perçues par nos institutions et le Président de la République vient de charger Michel Legmann – entouré d’un groupe de travail – de « définir un nouveau modèle de la médecine libérale ».
Ce modèle de la médecine libérale en instance de redéfinition pourrait prendre en compte que les modalités de rémunération des médecins sont en train d’évoluer d’une manière qui pourrait s’avérer déterminante. Cette évolution a été explicitement évoquée dans une réunion publique récente (*) tenue à l’initiative d’un économiste, par ailleurs membre du groupe de travail évoqué supra. Il y a été dit que, sans remettre en cause la prééminence du paiement à l’acte, les médecins libéraux étaient maintenant engagés dans une diversification de leur mode de rémunération, à la fois sur un mode forfaitaire et en intégrant également la notion de « paiement à la performance » inspiré du P4P cher aux Anglo-Saxons.
Sur ce dernier point, il est exact que les 15 000 signatures enregistrées pour le CAPI ont – quoi qu’on en pense – fait « bouger les lignes ».

Il est également exact que les expérimentations désormais effectives (en application de l’article 44 de la LFSS 2008) financent dans les maisons de santé libérales, des temps et des activités de coordination ou d’organisation, qui jusque là manquaient cruellement aux médecins libéraux. Ces alternatives au paiement à l’acte, permettant d’échapper pour partie à la nécessité de produire ces actes, pourraient ouvrir des perspectives nouvelles aux professionnels de santé libéraux. Ainsi, l’élaboration de « programmes » de bonnes pratiques – qui jusque là résultaient presque exclusivement des dispositifs dédiés de FMC ou d’EPP – pourrait constituer une nouvelle composante (à part entière) du néomodèle de la médecine libérale. Se trouverait alors accomplie l’une des évolutions du métier médical projetées par certains visionnaires [1,2,3] appelant les médecins à, certes, prendre en charge leurs malades et à, de plus, être constamment impliqués dans l’amélioration de l’organisation de ces prises en charge.
Cette explicitation de « l’amélioration continue des pratiques » comme valeur médicale professionnelle, s’accommoderait d’ailleurs fort bien du contrat d’objectifs et de moyens, présenté comme mode de relation privilégié entre médecins et payeurs, au titre IV de la loi HPST.

Finalement, deux conditions, au moins, pourraient contribuer à cette évolution, dont on perçoit bien les prémices dans la plupart des pays de l’OCDE. La première est déjà acquise. C’est la constitution du Conseil professionnel (regroupant tous les modes d’exercice par spécialité) dédié à l’organisation des bonnes pratiques. C’est en effet à ce Conseil d’exercer le leadership professionnel, en particulier vis-à-vis des pouvoirs publics et de l’Assurance Maladie, pour ce qui concerne la définition des bonnes pratiques.
La seconde condition est davantage technique : elle vise à ce que les médecins aient enfin à leur disposition, un système d’information – nécessairement informatisé – et qui leur permette d’avoir aisément accès à toutes sortes de données et d’analyses afin d’objectiver leur activité clinique. A l’évidence, ce n’est pas encore le cas.

(*) Professeur de santé publique
(**) Mercredi 3 février 2010 – Salle Raymond Aron, Université Paris Dauphine. « Faut-il réinventer la médecine libérale ? »

 

Références

[1] Edwards N, Kornacki MJ, Silversin J. Unhappy doctors: what are the causes and what can be done ? BMJ 2002; 324: 835-8
[2] UK medical schools: undervalued and undermined. Lancet 2006; 367: 1023
[3] Batalden P, Davidoff F. teaching quAlity improvement. JAMA 2007; 298: 1059-61

 

Ces principes – issus de la Charte votée en 1927, sont aujourd’hui codifiés dans l’article L. 162-2 du code de la Sécurité Sociale dans les termes suivants :

Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi 71-525 du 3 juillet 1971.