Côtes d’Auxerre blanc Gondole 2018

Les Côtes d’Auxerre petit parent pauvre de la Bourgogne ? Certainement non ! Si, après avoir été au XIXe siècle l’un des principaux fournisseurs vinicoles de la capitale, le vignoble faillit disparaître après les ravages du phylloxéra et surtout les terribles gelées de 1957, puis de 1961, il renaquit grâce à une poignée de vignerons talentueux, dont Jean-Hugues Goisot fût le fer de lance, pour que le vignoble retrouve ses lettres de noblesse grâce à ses blancs de chardonnay qui possèdent une typicité et une qualité toutes particulières.

Le domaine familial Goisot, dont les premières traces datent du XIXe siècle, situé au cœur de la Bourgogne septentrionale, fut transmis en 1979 par Marie-Claude, elle-même petite-fille de vignerons, à ses enfants Jean-Hugues et Ghislaine qui très vite comprirent la nécessité de travailler différemment. En effet, quand Jean-Hugues prend les rennes du domaine, malgré le soin que ses parents prenaient de leurs vignes, les vins n’étaient pas, loin s’en faut, au niveau de ceux d’aujourd’hui, et il décide de remettre en cause beaucoup de choses.

Le travail commence par le remplacement des cépages peu qualitatifs, comme le sacy ou le gamay, par du chardonnay, du fié-gris (variété locale de sauvignon) et du pinot noir. Les nouvelles plantations auront une forte densité de 10 000 pieds/ha pour, afin de freiner leur vigueur, augmenter la concurrence entre les ceps les obligeant à chercher plus profondément leurs nutriments. Les baies sont plus petites, mais de meilleure maturité, et les vins plus minéraux. Le travail des sols et la suppression des produits phytosanitaires amènent tout naturellement le mode cultural biologique certifié en 2001.

Des ébourgeonnages sévères permettent de limiter la production de raisins, de minorer l’entassement de la végétation. L’effeuillage côté soleil levant garantit la qualité du raisin. Si un traitement s’impose, des produits naturels (poudres de roches, décoctions de plantes) sont utilisés. Pour stimuler la vie des sols, un épandage d’humus sur certaines parcelles, sans jamais d’engrais, est effectué.

UNE CULTURE EN BIODYNAMIE

En 2005, le fils Guilhem et son épouse Marie intègrent le domaine qui obtient la certification en biodynamie. Actuellement, l’exploitation de 30 ha s’étend sur les communes de Saint-Bris, Irancy et Chablis. Le vin qui nous intéresse, Gondonne, par Chardonnay est le plus structuré et épicé des cuvées parcellaires du domaine Goisot. Sur un sol du Jurassique supérieur étage kimméridgien, où alternent calcaires et marnes bleues, cette parcelle de 1,2 ha est plantée de vignes de chardonnay de plus de 40 ans. Comme l’ensemble du vignoble, elle est cultivée en biodynamie.

Fin septembre, les vendanges manuelles sont décidées en fonction de la maturité et du goût des raisins. Les grappes sont sévèrement triées, puis totalement éraflées. Le pressurage pneumatique est très lent, la fermentation alcoolique par levurage indigène est longue à une température de 25 ° dans sa première partie, pour bien garder la spécificité du terroir, suivie par la fermentation malolactique et d’un élevage sur lies fines. Vinification et élevage se déroulent en fûts de chêne de haute futaie. Le soufrage est réduit massivement.

Il faut souligner que la vinification est la plus naturelle possible avec le minimum d’interventions, les Goisot étant convaincus que le vin se fait avant tout à la vigne, afin de privilégier la typicité de chaque vin, son originalité, sa tonalité minérale.

AU NIVEAU DES GRANDS CRUS DE CHABLIS

Cette Gondonne 2018, habillée d’une robe jaune vif pailletée d’or, déploie au nez une intensité aromatique complexe de fleurs blanches : acacia, chèvrefeuille, de fruits jaunes bien mûrs : pêche, poire, ananas, d’agrumes type bergamote, des senteurs de zan, de cannelle, d’épices : muscade, poivre blanc. La richesse soyeuse de sa texture concourt à un équilibre remarquable tenu par une acidité impeccable qui jamais ne heurte mais trace le chemin à une bouche riche, ample, onctueuse qui offre des notes de grillé et de pépins de citron. Quant à sa longue finale savoureuse, elle se montre élégante et éclatante.

Ainsi, cette cuvée Gondonne, grâce à sa minéralité prégnante, se trouve, quoique différente, au niveau des grands crus de Chablis. Les chardonnays des Côtes d’Auxerre ont en commun avec les chablis voisins une acidité naturelle, si bien qu’après quelques années de garde, la Gondonne accompagne à merveille les poissons nobles de mer : filets de sole au beurre citronné, turbot sauce mousseuse, Saint-Pierre en croûte de laurier. Il est aussi judicieux de l’associer aux poissons d’eau douce comme la truite aux amandes, le filet de perche meunière et la quenelle de brochet sauce Nantua.

Les viandes blanches peuvent également être flattées par ce vin : blanquette de veau, volaille de bresse à la crème et aux champignons. Si vous êtes impatient de déguster plus jeune ce flacon, le registre bourguignon lui conviendra pleinement : jambon persillé, andouillette vin blanc, gratin de cardons, escargots au beurre aillé. Les fromages peu relevés, type Mont d’Or ou Beaufort d’été, s’harmoniseront parfaitement avec ce vin.

Ecoutons la tribu Goisot : « Depuis de nombreuses années, nous travaillons les vignes dans le respect des appellations, des consommateurs, des personnes qui travaillent pour le domaine et bien-sûr l’environnement avec un savoir-faire qui associe tradition et modernisme. Nous sommes fiers de produire un vin authentique, sain pour l’homme et la nature » et j’ajouterai… pour le porte-monnaie, car les tarifs de Gondonne (moins de 25 e) sont sans commune mesure avec ceux de Chablis

J. Helen


Domaine Guilhem et Jean-Hugues Goisot
89530 Saint-Bris-le-Vineux


L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

© Phovoir




Hackers – Les maîtres du monde


La santé est de plus en plus ciblée, les attaques en sécurité informatique ont explosé ces deux dernières années. Les failles sont nombreuses et les vulnérabilités des établissements de santé sont connus des pirates, mais les laboratoires, les centres de santé et les praticiens isolés sont aussi source d’inquiétude. Si ce risque par rebond est maintenant bien connu, il existe dorénavant le risque intégré avec le développement des objets connectés.

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 446 – Mai-juin 2022

A la suite d’une discussion avec un confrère, le Dr Cinécare a voulu installer un logiciel de prise en main à distance. Devant la pléthore de programmes, il a préféré essayer une version gratuite trouvée sur le net avant l’achat définitif d’une version payante.

Le Dr Cinécare clique sur les liens pour installer ce logiciel sans fournir bien sûr de numéro de carte ni de coordonnées bancaires. 

L’installation se passe tout à fait normalement.

Une fois la version gratuite enregistrée, plusieurs emails sont arrivés dans une langue étrangère pour confirmation. Normal, le logiciel gratuit est en langue anglaise. Pour la langue française, il devra s’acquitter de la version payante. 

Le programme d’installation lui demande d’éteindre sa machine et de la rallumer pour accéder au logiciel. Une fois fait et l’ordinateur rallumé, le Dr Cinécare transfère ses données dans le nouveau logiciel.

UNE PERTE DE CONTRÔLE

Subitement, l’ordinateur se met à ralentir sérieusement et certaines applications deviennent particulièrement difficiles à contrôler…

Le Dr Cinécare éteint une nouvelle fois sa machine puis la redémarre, pensant à un problème de connexion, comme cela lui arrive régulièrement. Mais l’ordinateur est toujours aussi difficile à gérer. Pire, le curseur de la souris se déplace tout seul et son PC se met à taper des lettres sans son intervention.

Le Dr Cinécare se rend subitement compte que sa machine a été piratée et est ainsi devenue un PC Zombie (botnet) [1]. Sans qu’il s’en aperçoive, ses mots de passe et toutes ses interventions vont pouvoir être lus et enregistrés. Le malware a introduit un trojan (2) qui ouvre la voie à d’autres programmes malveillants, prenant en otage l’ordinateur tout entier.

L’accès à ses logiciels devient impossible. Son agenda ne répond plus et, sans secrétaire extérieure informatisée, il ne sait pas quels patients ont pris rendez-vous et pour quels motifs. La série débute : Comment contacter les patients ? Comment annuler ou reporter les rendez-vous ? Quid des données et que vont-elles devenir si elles lui sont subtilisées ? Le malware prend également possession de son logiciel de messagerie et de ses mots de passe.

Le Dr Cinécar se sent soudain totalement perdu. Son informatique ne répond plus ; il n’a plus aucun moyen de récupérer sa comptabilité et donc aucune vue sur les versements perçus ou ceux en attente.

Heureusement, son informaticien (qu’il aurait dû contacter pour l’installation de ce logiciel… gratuit) lui avait installé un système de sauvegarde automatique avec deux disques durs en miroir. (3) Le but était d’en retirer un tous les soirs et de l’interchanger avec un autre le lendemain, mais cela n’avait pas été fait depuis trois mois. Les données de la sauvegarde ont donc été également cryptées, à l’exception du disque dur interchangeable qui était resté dans sa boîte. Il peut donc retrouver une sauvegarde, certes avec un délai de trois mois en arrière, mais qui a le mérite d’exister. Ensuite, le Dr Cinécare a tout perdu.

Comme un grand classique, le piratage est intervenu au moment de l’installation du logiciel avec une prise en main à distance. Le fichier d’installation a été récupéré sur un site frauduleux et un logiciel de ransomware (4) a donc été installé au lieu du logiciel souhaité. Ce type de piratage est de plus en plus sophistiqué, les hackers s’adaptant au système antivirus en adoptant des méthodes évitant ainsi d’être détectés.

Mais les malwares peuvent venir d’autres sources, tels les mails, même ceux de vos connaissances (subtilisation des adresses mail), les sites frauduleux (5), de votre portable subtilisé dans des réseaux publics (wifi), la liste est longue.

SE PROTÉGER DES VIRUS

Cela va de soi : le logiciel antivirus, votre première défense, à installer dans les plus brefs délais.

Il doit être également exécuté sur tous les appareils connectés au réseau. Il empêche les exécutables des logiciels malveillants de s’exécuter sur votre machine. Mais attention, il ne vous sauvera pas de toute attaque.

Les premiers gestes devant votre machine doivent devenir vos habitudes :

1. N’ouvrez jamais les pièces jointes insérées dans vos e-mails : de nombreuses attaques commencent ainsi.
2. Votre système d’exploitation doit toujours être à jour : les correctifs, outre les avancées techniques qu’ils procurent, corrigent les bugs et autres failles de sécurité découvertes.
3. Vous avez un doute sur un site : rebroussez chemin, vous éviterez les téléchargements par drive-by ou les redirections vers des sites hébergeant des logiciels malveillants qui ciblent la vulnérabilité spécifique de votre navigateur et/ou de ses plugins.
4. N’utilisez pas de logiciels piratés ou partagés. Tentants soient-ils, ils peuvent contenir des logiciels malveillants. En clair, téléchargez les logiciels uniquement à partir de source officielle.

NOUS SOMMES TOUS DES CIBLES

Nous sommes tous des cibles, mais la réponse immédiate de quiconque est « je suis trop petit, je n’intéresse personne et mes données n’ont pas de valeur », ce qui est globalement vrai, mais la première règle est de ne pas se trouver dans les filets du chalut. Parce que toute personne a des accès à des systèmes plus larges et est donc potentiellement intéressante.

A l’heure du Covid, par exemple, les médecins victimes de piratage ont été nombreux. Activer par exemple sa carte e-cps via un compte piraté est facile, c’est ce qui était arrivé à un professionnel de santé à la retraite venant en aide dans un centre de vaccination. En se rendant sur son compte, il a découvert qu’il avait vacciné un millier de personnes, alors que ce n’était absolument pas le cas.

Le hacker est tout d’abord un prédateur, et si vous avez un niveau de résilience faible, vous serez une cible facile. On connaît la volonté de l’attaquant : l’argent, le pouvoir, l’information, la désinformation, la capacité à nuire, l’ego. On se retrouve forcément dans un de ces cas

IL FAUT AGIR

Il ne faut pas sous-estimer ces incidents qui peuvent avoir des répercussions dramatiques. Mais ceux-ci ne sont par forcément de nature malveillante, ils peuvent également être dûs à des problèmes matériels ou informatiques (incidents dans les data centers, coupures récurrentes chez des opérateurs…).

Nous verrons dans notre prochain numéro comment se prémunir pour éviter le pire et – surtout – travailler sur l’anticipation, car la sécurité se passe tout d’abord en amont afin de garder une marche d’avance sur les hackers…

LES DIFFÉRENTES FAMILLES DE VIRUS

On peut considérer le virus informatique comme son cousin biologique qui s’attaque à un organisme pour le détruire. Il y aurait plus de 50 000 virus en circulation aujourd’hui, des plus inoffensifs aux plus virulents, capables d’effacer les données d’un disque dur.

Les trois grandes familles

1. Le virus de fichier capable de corrompre des fichiers exécutables (fichiers contenant un programme identifié par le système d’exploitation) tels les .exe, .com; .bin,…

2. Le virus de boot. Son secteur : détruire les données utilisées pour démarrer le disque dur.

3. Le macro-virus (près de 80 % des virus). Attaque les documents contenant des macros afin de casser l’automatisation des fonctions des logiciels.

Les virus sont capables de se répliquer, de se développer et de se propager vers d’autres ordinateurs en s’insérant dans d’autres programmes ou documents.

Les vers

Le vers (worm) est un logiciel malveillant capable de se dupliquer et de propager via les réseaux. C’est un fichier qui se multiplie à l’infini, via par exemple les courriers électroniques ( et épuisent ainsi l’espace de stockage). Il peut exploiter les carnets d’adresses et envoyer automatiquement à l’insu des propriétaires des fichiers word infectés.

Les chevaux de Troie

Le cheval de Troie (Trojan horse) transite également par courrier électronique et s’installe également à l’insu de l’utilisateur. Activé à distance, il permet le contrôle complet de la machine (système, configuration, mots de passe…)

Les maldocs

Le maldoc est un document informatique malveillant qui se partage deux mécanismes : la vulnérabilité  (exploite une vulnérabilité préexistante ou exécute une charge utile à l’ouverture) et la fonctionnalité (accès direct aux ressources du système).

(1) « Botnet » (contraction des termes « robot » et « network »). Les cybercriminels utilisent des chevaux de Troie particuliers pour violer la sécurité des ordinateurs de différents utilisateurs, et d’en prendre ainsi le contrôle à distance. 

(2) Le trojan (cheval de Troie en français) n’est pas un virus mais un programme malveillant.

(3) Le système plus connu sous le nom de RAID sécurise automatiquement vos données en les dupliquant sur deux disques identiques.

(4) Un ransonware est un logiciel qui chiffre des données personnelles puis demande à leur propriétaire d’envoyer de l’argent en échange de la clé qui permettra de les déchiffrer.

(5) Utilisez la page de Google Safe Browsing afin de savoir si Google a référencé un site comme douteux.

Source : kaspersky.fr

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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LES NFT, C’EST QUOI EXACTEMENT ?

Les jetons non fongibles (NFT) sont des certificats de propriété stockés sur une blockchain. Ces jetons numériques permettent de certifier l’authenticité d’un objet qui lui est associé en achetant un code (ou un certificat)

Contrairement à la monnaie telle qu’on la connaît (ou aux cryptomonnaies), chaque NFT est unique ou non fongible, c’est-à-dire qu’il ne peut être échangé contre quelque chose de valeur égale. 

Le marché de l’art est en pleine révolution grâce aux NFT. Mike Winkelmann (Beeple) a vendu une photo numérique pour plus de 69 millions de dollars chez Christie’s. Et pourtant, cette photo est consultable et téléchargeable sur internet, contrairement à un tableau « réel ». Alors, pourquoi acheter une telle œuvre de cette manière ? Et bien tout simplement parce que celle-ci a été vendue avec son NFT qui la rend unique et traçable. Ce certificat signe bien sûr l’œuvre de l’artiste et indique qui l’a vendue, qui l’a achetée et pour quelle somme et à quelle date. Cette œuvre « numérique » peut donc être cédée en enchère… et si la valeur de la cryptomonnaie qui a permis d’acquérir le certificat NFT augmente, la valeur de cette œuvre augmentera  pour le possesseur du NFT.




Château Pedesclaux 2014 Grand cru classé

Au château Pédesclaux, il y a un avant et un après l’année 2009. Avant, ce 5e grand cru de Pauillac connaissait un long et profond déclin par manque d’ambition et de moyens financiers des propriétaires, à tel point que le célèbre critique Robert Parker écrivait en 1999 : « les Pédesclaux ne m’ont jamais impressionné du fait de leur manque de profondeur et de leur caractère excessivement tannique ». 2009, c’est le début d’une résurrection avec l’arrivée de Jacky Lorenzetti, ex-propriétaire du groupe Foncia, dont la vente va lui permettre sa deuxième vie d’homme d’affaires : rachat du club de rugby du Racing rapidement propulsé en 1ère division, construction du magnifique stade couvert utilisé aussi comme salle de spectacle, le Paris Défense Aréna.

Diplômé d’une école hôtelière, époux d’une fille de viticulteur, amateur des grands crus médocains, c’est fort logiquement qu’il se lance dans l’industrie du vin par l’acquisition de plusieurs propriétés (Lilian Ladouys, 50 % d’Issan), dont le point d’orgue sera le moribond Pédesclaux. Tout ou presque doit être remis à plat. Il s’entoure d’une équipe hautement compétente dirigée par Emmanuel Cruse (son partenaire à Issan) et Vincent Bache-Gabrielsen, conseillée par l’œnologue Eric Boissenot. Une superbe parcelle (Château Behéré) au cœur de Pauillac est acquise et intégrée au vignoble qui passe de 26 ha à 48 ha actuellement.

UNE PROFONDE RESTRUCTURATION

Le vignoble fait l’objet d’une restructuration profonde : étude des sols, remplacement des ceps abîmés par des sélections massales, pratiques culturales respectueuses de l’environnement. En parallèle, les Lorenzetti confient à l’architecte Jean-Michel Wilmotte, la conception de nouvelles installations techniques, ainsi que la rénovation du château avec, pour ambition, d’en faire une œuvre d’art et un outil au service de l’excellence du vin. En 2014, sort de terre un nouveau chai 100 % gravitaire composé de cuves inox tronconiques à double étage, doté d’installation à la pointe de la technologie. Le château enchassé dans un écrin de verre s’organise autour d’un élément central qui abrite un cuvier transparent et le chai. Spectaculaire, le bâtiment séduit par la pureté et la modernité de ses lignes. Les matériaux nobles : le verre, l’acier et le bois ont été privilégiés. Le vignoble sis au cœur des terroirs d’excellence dominant Pauillac, dont les prestigieux voisins s’appellent Lafitte, Mouton-Rothschild, Pontet-Canet, est réparti sur un plateau de graves profondes sur socles calcaire et argileux en mosaïque. Les pratiques culturales minutieuses : taille des vignes en fenêtre, épamprage, effeuillage raisonné, vendanges vertes si nécessaire, favorisent une bonne répartition et une bonne aération des raisins. La sollicitation de la vie microbiologique par la mycorhization, la mise en place de compost ou d’engrais verts, l’alternance sols travaillés/sols enherbés participent à la qualité de la viticulture. Pour le millésime 2014, marquant la première utilisation du tout nouveau chai gravitaire, les vendanges guidées par les études de maturité débutèrent le 30 septembre. Les raisins ramassés manuellement et sélectivement en petites cagettes sont refroidis pour une macération préfermentaire, avant d’être acheminés par ascenseur jusqu’aux tables pour un tri sur grappe, puis sur baies. Les raisins posés sur des cuvons roulants sont acheminés dans les cuves inox, thermo-régulées, encuvées par gravité, sans foulage. L’élevage s’étend sur 16 mois en barrique (60 % neuves, 40 % de 1 vin). L’extraction est douce avec délestages et pigeages. Avant la mise en bouteilles, collage au blanc d’œuf.

UN ÉQUILIBRE REMARQUABLE

Ce millésime 2014 du château Pédesclaux, le meilleur produit jusqu’alors (mais les millésimes récents vont encore le surpasser), profita d’excellentes conditions climatiques et en particulier un été indien doux et très ensoleillé. Cette cuvée assemblant 53 % de cabernet sauvignon et 47 % de merlot, arbore une robe grenat intense, profonde aux notes violines qui introduit une vaste gamme aromatique de crème de cassis, de mûre écrasée, de noix de muscade, de café torréfié, accompagnée par un bouquet de cèdre et de boîte à cigares. L’attaque en bouche est grasse, gourmande, ample, les tanins soyeux sont bien mûrs et présentent un grain d’une grande finesse qui se conclut sur des notes de caramel au lait et de cacao soulignant sa longue finale. Le remarquable équilibre, la montée en puissance, l’escalade des curseurs signent un grand Pauillac.

Les Pauillac, comme je l’ai déjà souligné (Le Cardiologue n ° 320) sont les vins de l’agneau, de préférence du même terroir : selle entourée d’une croûte de chapelure qui exalte encore mieux le vin, accompagnée de pommes boulangères, gigot de 7 heures aux fèves, épaule, voire d’un plat mijoté tel un navarin. La viande de bœuf l’apprécie également fort, que ce soit un filet sauce bordelaise avec gratin dauphinois ou une côte bien épaisse cuite au four avec un plat de macaroni. De magnifiques accords entre ce vin fin et généreux peuvent être réalisés avec les gibiers à plume : colvert, poule faisane, perdreau, grouse pour les chanceux qui peuvent y accéder.

UNE RECONVERSION EN BIO

Actuellement, le château Pédesclaux relève un nouveau défit, celui du passage de l’ensemble du vignoble en agriculture biologique. Mais nous pouvons faire confiance à Jacky Lorenzetti et à sa dynamique équipe, pour mener à bien cette reconversion, comme ils l’ont fait jusque là en ressuscitant ce vin, pour lui permettre de devenir un des fleurons de Pauillac. Dernier point, mais pas le moindre : le château Pédesclaux affiche un rapport qualité/prix affriolant (moins de 50 euros) !

J. Helen

Jacky et Francoise Lorenzetti
33250 Pauillac

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Montaigne et La Boétie ou la quintessence de l’Amitié amoureuse – 1ère partie

– Par Louis-François Garnier


Accédez à la 2e partie

La précocité étonnante de certains écrivains ou artistes n’égale parfois que la brièveté de leur existence. Ce fût le cas d’Etienne de la Boétie (1530-1563) qui n’avait pas dix huit ans lorsqu’il traduisit Plutarque et Xénophon et rédigeât un pamphlet intitulé : Discours de la servitude volontaire. Il lui fallu une dispense du roi Henri II (1519-1559) pour exercer, avant l’âge légal de vingt cinq ans, la charge de conseiller au Parlement de Bordeaux.
Malheureusement « La Boétie courait plus vite que tout le monde jusqu’à sa mort » (1) prématurée, le 18 août 1563 après une agonie de neuf jours, à l’âge de « 32 ans, 9 mois et 17 jours » comme le relate Michel de Montaigne (1533-1592) qui l’assiste dans ses derniers instants.
Il s’agira plus tard pour Montaigne, qui se considère comme l’exécuteur testamentaire de La Boétie qu’il qualifiera de « plus grand homme, à mon advis, de nostre siecle » (15) de se porter garant de la mémoire de son ami et de mettre en exergue leur relation car une amitié hors du commun, voire même extrême (2) unissait ces deux hommes.

 

Que s’est-il passé ? Nous sommes au début des guerres de Religion (1562-1598), le lundi 9 août 1563, Michel de Montaigne a invité son ami à dîner mais celui-ci décline l’invitation car il se trouve « un peu mal » alors qu’il s’apprête à revenir vers le Médoc au retour d’une mission ayant pour but d’arrêter une troupe de Huguenots dans l’Agenais « tout empesté ». Il est vrai que pour Montaigne et ses contemporains, la peste était une « réalité douloureuse ». (15)

En fait, La Boétie présente tous les symptômes d’une dysenterie avec de violentes coliques, « des tranchées et un flux de ventre » de telle sorte que Montaigne va le convaincre de s’arrêter chez la sœur de Montaigne, Mme de Lestonnac, à Germignan devenu le quartier le plus ancien de la ville du Taillan-Médoc désormais au sein de Bordeaux Métropole. L’état de santé de La Boétie va rapidement se dégrader de telle sorte que Montaigne décide de rester au chevet de son ami et l’incite à ne pas laisser « ses affaires domestiques décousues ».

L’agonie de La Boétie est relatée par Michel de Montaigne qui décide de ne plus quitter son ami alors même que ce dernier le met en garde contre le risque de contagion et qu’il vaudrait mieux qu’il ne le visite que « par boutées ». Le malade, commençant à désespérer de sa guérison, partage ses biens entre son oncle et sa femme et se tourne alors vers son « frère d’alliance » en le suppliant de bien vouloir « être le successeur de ma bibliothèque et de mes livres (…) pour l’affection que vous avez aux lettres ». Finalement le malade a perdu tout espoir : « Mon frère, n’avez-vous pas compassion de tant de tourments que je souffre ? » avec cette phrase restée énigmatique par delà les siècles : « Mon frère !, mon frère !, me refusez-vous donc une place ? » et qu’on se gardera bien d’interpréter. (16)

La Boétie s’évanouit, on le ranime, il se confesse et reçoit les derniers sacrements dans le cadre d’une « mort socratique mais aussi chrétienne » (2). Il congédie sa femme en lui disant « Je m’en vais dormir, bonsoir ma femme, allez-vous-en » pour rester seul avec son ami « en donnant des tours dans son lit avec tout plein de violence » et en disant « il y a trois jours que j’ahane pour partir ».

Le moment ultime approche inexorablement dans une chambre « pleine de cris et de larmes » (2) : « Une heure après ou environ, me nommant une fois ou deux, et puis tirant à soi un grand soupir, il rendit l’âme. » mettant ainsi un point final à « l’implacable solitude du moribond » (3). Il ne reste plus à Montaigne qu’à rendre hommage à son ami « fabuleux » (16) et à faire bon usage de ses manuscrits et des livres qu’il lui a légués « la mort entre les dents ». (15)

Plus tard, il reconnaîtra qu’il n’aurait pas écrit les Essais (9) s’il avait conservé un ami à qui écrire des lettres ; « nous devons les Essais à La Boétie, à sa présence puis à son absence » (10). Montaigne à pu se consoler avec Sénèque (entre 4 av. J.-C. et 1 apr. J.-C. – 65 apr. J.-C.) quand celui-ci dit que « la mémoire de mes amis morts m’est douce et attrayante. Car je les ai possédés toujours comme si je devais un jour les perdre ; je les ai perdus et c’est comme si je les avais toujours ».

Les dernières paroles de La Boétie ont pu apparaître comme étant « l’expression la plus flagrante d’une attitude stoïque devant la mort » et on a pu voir « dans les paroles mises dans la bouche de La Boétie par Montaigne une preuve indiscutable d’influence sénéquéenne ». (15) (*)

L’enfance de Montaigne – l’éveil en musique par Pierre Nolasque Bergeret (1782-1863). Musée des Beaux-Arts de Libourne

Etienne de La Boétie, né à Sarlat dans une famille de magistrats cultivés, est « un produit typique de la vieille noblesse de robe » (3). Orphelin de bonne heure, il est élevé par son oncle ecclésiastique cultivé puis fait des études de droit à l’université d’Orléans où il passe son examen de licence en droit civil le 23 septembre 1553 qui est « la première date avérée » au sein d’une « brève existence qui demeure fort mal connue ». (15)

A cette occasion, il aura un maître éminent dénommé Anne du Bourg (1521-1559) magistrat protestant, conseiller au Parlement de Paris, et qui en juin 1559, au cours d’une séance plénière du parlement pourtant dénommée mercuriale car dévolue à exposer les dérives de l’administration de la justice, osa protester en présence du roi Henri II contre les excès de la répression contre « ceux que l’on nomme les hérétiques ». Le roi Henri II le fait arrêter sur le champ et embastiller. A cette époque il revient à un tribunal extraordinaire dénommé la Chambre ardente de prendre  la décision finale et c’est lui qui « envoie les protestants au bûcher ». (18)

Après un procès, au cours duquel Anne du Bourg utilisera tous les recours du droit et malgré la mort accidentelle du roi Henri II le 10 juillet 1559, le maître de La Boétie est pendu puis brûlé en place de Grève le 23 décembre 1559. Ce funeste événement a du être ressenti par La Boétie, alors âgé de 29 ans, comme étant un exemple affreux de la tyrannie qu’il abhorrait.

C’est cependant plus de dix ans au préalable que d’autres événements ont du inciter La Boétie à écrire, entre 1546 et 1548, le Discours de la servitude volontaire puisqu’il s’agit des répressions brutales des révoltes contre la gabelle à partir de 1542 et surtout en 1544-1546 lorsque fut imposé à la Guyenne le régime des greniers à sel (4). Le Discours de la servitude volontaire, qui s’apparente à un pamphlet contre la monarchie absolue, sera d’ailleurs dénommé plus tard le Contr’un, en l’occurrence le roi Charles IX (1550-1574),  en devenant alors « la référence des plus ardents calvinistes contre la couronne » et le « bréviaire des protestants ». (5-6)

A partir d’exemples issus de l’Antiquité, La Boétie se livre à un réquisitoire contre la tyrannie en posant la question de la légitimité de l’autorité et des mécanismes de soumission susceptibles d’expliquer qu’une population puisse accepter la servitude. Montaigne a pu prendre connaissance du manuscrit qui avait circulé sous le manteau.

En effet, au Parlement de Bordeaux, La Boétie avait succédé à Guillaume de Lur-Longa (mort en 1557) appelé au Parlement de Paris, et c’est celui-ci qui aurait remis le manuscrit, probablement en 1554, à Montaigne qui plus tard  l’aurait volontiers inséré dans ses Essais, mais les Réformés s’en étaient alors emparé de telle sorte que « désormais, le Contr’un était jeté dans la mêlée politique et religieuse » (7) particulièrement dangereuse à cette époque. (**)

Louis-François Garnier


 

(*) Montaigne a une « prédilection toute particulière » pour Sénèque de façon « diffuse et multiforme » voire « clandestine »(15) et fut même qualifié en son temps de « autre Sénèque en notre langue » par son contemporain, l’humaniste et homme d’état Etienne Pasquier (1529-1615). (16) Les emprunts à Sénèque s’appliquent au style léger et épistolaire et moins ostentatoire que celui de Cicéron ou Pline au point de parler du « sénéquisme de Montaigne » (15) avec un mode d’expression ayant pu faire considérer « Montaigne imitateur du style de Sénèque » (Hay, Bull. Société internationale des Amis de Montaigne, octobre 1940, IIe série : p66). En définitive, « Montaigne a été à la fois stoïcien, épicurien, sceptique, tout autant que socratique mais jamais platonicien » (5) en « modérant le plaisir pour ne pas souffrir de son absence ».  Montaigne prit ses distances à la fois vis-à-vis du dogmatisme stoïcien et de la philosophie épicurienne en optant pour « la voie du milieu » (in medio stat virtus) pour être « un peu plus, ou un peu mieux lui-même ». (16) En outre, Montaigne, adepte d’une religion révélée et bien qu’ayant « une certaine indulgence pour Sénèque », a pu considérer « l’orgueil stoïcien contraire à l’humilité chrétienne ». (15)  C’est ainsi que Sénèque est mort « en romain » tandis que Montaigne est mort dans un élan de foi en son dieu et « c’est à nostre foy Chrestienne, non à sa vertu Stoïque, de pretendre à cette divine et miraculeuse metamorphose ». (15)

(**) Le Discours de la servitude volontaire relate le fait qu’ « en consentant à abandonner leurs libertés politiques au souverain, les sujets ne renoncent pas seulement à leurs droits fondamentaux ; ils perdent sans le savoir toute possibilité de sociabilité future et pervertissent les rapports humains » (15) On peut s’interroger sur le fait que Montaigne s’est efforcé de faire considérer le texte de La Boétie comme une œuvre de jeunesse de moindre importance et non susceptible de heurter la susceptibilité du pouvoir en place, en des temps dangereux où un tel pamphlet potentiellement séditieux aurait pu valoir de sérieux ennuis ; il suffit de considérer que le texte publié sous un pseudonyme a été brûlé en place publique à Bordeaux en 1579. Le style de la Boétie lui est propre ne permettant pas d’émettre l’hypothèse que ce texte ait pu être rédigé bien plus tard, en 1560 en réaction à la mort d’Anne du Bourg et alors que les deux amis se connaissaient depuis 2 ans. Pour Montaigne, le texte de la Boétie incarne « l’idéal humain » reflétant « une période historique et politique limitée, la république romaine » » qu’il admire. (17)

 

Bibliographie

(1) La Boétie E. Discours de la servitude volontaire. Traduction en Français moderne et postface de Séverine Auffret. Ed. Mille et une nuits 2016
(2) Hennig J-L. De l’extrême amitié. Montaigne & La Boétie. nrf Gallimard 2015
(3) Lacouture J. Montaigne à cheval. Points Seuil 1998
(4) Gigon S.C. La Révolte de la gabelle en Guyenne (1548-1549). Paris, Champion,1906. In-8,IX-298 p. www.persee.fr
(5) Onfray M. Le luth de Montaigne (1533-1592). Le crocodile d’Aristote. Albin Michel 2019
(6) Album Montaigne. Iconographie choisie et commentée par Jean Lacouture. Bibliothèque de la Pléiade nrf Gallimard 2007
(7) Moreau P. Montaigne. Connaissance des Lettres Hatier 1967
(8) D’Ormesson J. Une autre histoire de la littérature française. Points-seuil 1999
(9) Montaigne. Les Essais. Edition établie et présentée par C. Pinganaud. Arléa 1996
(10) Compagnon A. Un été avec Montaigne. Equateurs parallèles 2013
(11) Sartre M. L’homosexualité dans la Grèce ancienne in La Grèce ancienne Ed. du Seuil Histoire 2008
(12) De Romilly J. Alcibiade  Le Livre de Poche.  Editions  de Fallois 1997
(13) Sénèque. Lettres à Lucilius. Traduction de Joseph Baillard annotée par Cyril Morana. Ed. Mille et une nuits 2017
(14) Onfray M. Sagesse. J’ai Lu Flammarion 2020
(15) Dictionnaire Montaigne. Ed. P. Desan, Honoré Champion/Classique Garnier 2007, réed. 2016
(16) Comte-Sponville A. Dictionnaire amoureux de Montaigne. Plon 2020
(17) Nakam G. montaigne et son temps. tel gallimard 1993
(18) Zweig S. Montaigne. Edition présentée par O. Philipponnat. Le Livre de Poche 2019

Remerciements au Dr Marcel Delaunay pour sa bienveillante attention et au Pr Brenton Hobart de l’American University of Paris, spécialiste de la littérature de la Renaissance, pour ses encouragements et ses conseils érudits.




Le monde tel qu’il est devenu et pourquoi il est devenu tel

A trois mois d’écart sont parus deux livres très différents mais très complémentaires. Le premier, qui a rapidement atteint les meilleures ventes, décrit la France telle qu’elle est aujourd’hui, mais aussi comment elle a changé en 40 ans, il s’agit de « La France sous nos yeux ».
Le deuxième décrit les causes économiques supposées de cet état des lieux, il s’agit de « Les guerres économiques sont des guerres des classes » dont le sous-titre est explicite : « Comment la montée des inégalités fausse l’économie mondiale et menace la paix internationale ». Souhaitons que cet ouvrage ne soit pas visionnaire et qu’il ne décrive pas le mécanisme à l’origine d’un futur conflit mondial.

LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

C’est un livre d’image que l’on feuillette en lisant « La France sous nos yeux », celui de la France telle qu’elle est en 2022 et celui de la façon dont elle s’est modifiée en 40 ans. Si l’analyse est géographique et économique, elle est surtout sociologique et nous avons tous vu cette évolution.

Il y a la désertification des centres-villes, les auteurs soulignant l’arrivée relativement récente du mot centre-ville dans le langage, comme si cela n’allait plus de soi. A cet égard, pour ceux qui connaissent la ville de Tonnerre, son exemple rapporté dans l’ouvrage est saisissant.

Il y a eu la diversification de l’offre commerciale vers, soit des produits pas chers (Kebab, Tacos, Gifi, Dacia, Hard-discount…), soit une élévation du prix de certains produits de base vers des offres « premium » telles les bières de brasseur ou les campings 5 étoiles par exemple.

Il y a eu l’installation des entrepôts Amazon à proximité des grands axes autoroutiers nord-sud…, reflet du basculement des métiers du primaire en déshérence vers le tertiaire, et essentiellement vers la logistique et… le tourisme. C’est-à-dire vers la désirabilité d’un passé réinventé sur fond de fausses traditions sublimées pour le tourisme interne et externe. Et bien d’autres choses encore… dont, notamment, l’influence des modes de vie sur le vote, que ce soit celui des centre-ville « boboïsés » ou des milieux ruraux.

Le constat que font les auteurs de l’image que donne la France aujourd’hui, s’il nous touche directement car il s’agit de notre histoire quotidienne, peut aussi être fait dans de très nombreux pays occidentaux, ceux dont l’économie a dominé le monde depuis 200 à 300 ans.

LES GUERRES ÉCONOMIQUES

Disons-le d’emblée, le livre de Matthew C. Klein (journaliste économique nord-américain) et de Michael Pettis (économiste et professeur de management à Pékin) parle d’économie et il est parfois difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas versés dans cette science multiparamétrique qui, dès lors, peut paraître complexe dans divers paragraphes.

Pourtant, il ne faut pas s’arrêter sur quelques termes et raisonnements parfois difficiles à comprendre car ce livre a deux grands mérites. 

Le premier est de raconter l’histoire économique de la Chine, de l’Allemagne et des Etats-Unis, et d’insérer rapidement ces histoires régionales dans l’histoire économique globale. Les chapitres concernant ces trois pays sont riches d’enseignements sur les interdépendances entre histoire, mentalités, flux économiques et évolutions de leurs sociétés puis évolution des autres pays. Tant l’Allemagne – qui pour certains fait figure de modèle – que la Chine, y sont décrites sévèrement mais probablement avec une vision proche de la réalité. 

Ainsi, pour l’Allemagne, « Une fois les impôts, les avantages sociaux et l’inflation déduits, le revenu moyen des ménages en 2013 était légèrement inférieur au revenu moyen des ménages en 1999 ». Ainsi, pour la Chine, pays se disant communiste « le système financier favorisait un transfert massif et soutenu des capitaux de la population vers les grands industriels, les entreprises spécialisées dans les travaux d’infrastructures, les promoteurs immobiliers ainsi que les autorités provinciales et communales ».

Le deuxième avantage est de montrer ce qu’est l’économie mondiale ou globale faisant que les décisions économiques prises dans un pays retentissent rapidement sur l’économie et les modes de vie des autres pays et influencent de ce fait leurs évolutions. Un exemple simple parmi d’autres : la diminution des revenus en Allemagne a contribué à augmenter le prix de l’immobilier en Espagne, et vous comprendrez pourquoi en lisant ce livre. En effet, pour ses auteurs « La répartition du pouvoir d’achat au sein d’une société a un impact sur les relations économiques de cette société avec le reste du monde ».

Afin de mieux comprendre l’économie mondiale, on trouve entre autre dans ce livre l’histoire des conteneurs ou plutôt comment ce progrès logistique qui a mis quelques décennies à s’imposer a littéralement modifié le monde, permettant un transport plus sûr et moins onéreux des marchandises et ouvrant vraiment la voie à la mondialisation. On y découvre aussi comment ce progrès a complètement modifié la structure des ports et leurs organisations, notamment en matière d’emploi. On y rappelle aussi les grands mécanismes de l’évasion fiscale et les conséquences que cela a sur les dettes nationales, l’histoire du crédit, les transferts d’actifs d’un pays à l’autre… Toutes notions essentielles pour comprendre le monde d’aujourd’hui

UNE THÈSE SUR L’ÉCONOMIE MONDIALE : L’ÉCONOMIE OUVERTE ET SES CONSÉQUENCES

Mais, la thèse principale du livre est – alors que le bon sens fait envisager qu’une guerre commerciale est un conflit entre plusieurs pays qui défendent certaines de leurs industries et l’emploi – de fait un conflit qui oppose banquiers et détenteurs d’actifs financiers à des ménages de la classe moyenne, c’est-à-dire, un conflit entre les très riches et les autres. 

Pour les auteurs, l’origine des guerres commerciales est une conséquence des décisions prises par les hommes politiques et les chefs d’entreprise, principalement en Chine, Europe et Etats-Unis, et ayant pour conséquences un accroissement des inégalités au profit des 0,1 % les plus riches et aux détriments des classes populaires et moyennes : en d’autres termes, les auteurs soutiennent la thèse que les conflits commerciaux actuels sont le fait des gouvernements, y compris chinois, qui défendent les intérêts des élites aux dépens des travailleurs.

Et l’histoire est principalement le fait que les États-Unis, dans une frénésie de consommation et d’investissements rentables, ont absorbé le surplus de production et d’épargne du reste du monde avec comme corollaire, la désindustrialisation et les crises financières. L’ouverture des Etats-Unis au commerce et à la finance internationales a ainsi permis aux riches d’Europe, de Chine et des autres grandes économies excédentaires de faire pression sur leurs travailleurs et leurs retraités dans la mesure où ils sont sûrs de pouvoir toujours vendre leurs marchandises, engranger des profits et investir leur épargne dans des actifs sécurisés.

Il en a résulté une montée des inégalités, un surplus de biens manufacturés, des pertes d’emplois et un accroissement de l’endettement. Et un risque notable de conflit qui ne sera pas que commercial.

EN SYNTHÈSE

« Les prix bas ? Les pauvres en ont besoin, les riches en raffolent… » c’est de fait la synthèse de ces deux ouvrages telle que fournie par l’adage rapporté dans « La France sous nos yeux » et qui est enseigné dans des écoles de commerce américaines, et dont l’explication est contenue dans « Les guerres économiques… ». En d’autres termes, peu importe la pauvreté car un pauvre peut et aime consommer, il suffit d’adapter le prix et l’offre à son niveau de vie (magasins discounts…). L’investissement en capital sera faible, le coût de production et de transport du produit sera faible, la qualité du produit sera faible, la marge sera faible, mais les ventes tellement nombreuses que l’investissement sera rentable, notamment si la solvabilité du pauvre est favorisée par les aides publiques, et qu’il reste possible de faire transiter les profits par des paradis fiscaux permettant d’échapper à l’impôt.

EN SAVOIR PLUS…

La France sous nos yeux

  • Auteurs : Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely
  • Éditeur : Seuil
  • Parution : octobre 2021
  • Pagination : 481 pages
  • Format broché : 23,00 euros
  • Format Kindle : 17,00 euros

Les guerres commerciales sont des guerres de classes

  • Auteur : Matthew C. Klein et Michael Pettis
  • Editeur : Dunod
  • Parution :  janvier 2022
  • Pagination : 288 pages
  • Format broché : 26,00 euros
  • Format Kindle : 18,00 euros




Vin des Palhàs Felines 2019 – Vin de pays du Comté Tolosan

Savez-vous que l’Auvergne fut l’une des premières régions viticoles de France à la fin du XIXe siècle quand les vignobles du Bordelais et du Languedoc étaient dévastés par le phylloxéra ? Las ! les cultures cantaliennes allaient être détruites vingt ans plus tard par l’insecte ravageur et ne furent quasi jamais replantées, car à cette époque (guerre de 1914), la région manquait cruellement de bras. Ainsi, le vignoble auvergnat s’effondra passant de 40 000 ha à 1 000 actuellement, limité aux petites AOC : Côtes d’Auvergne (420 ha) dans le Puy-de-Dôme et Saint-Pourçain dans l’Allier.

Depuis une vingtaine d’années, des initiatives locales tentent de ressusciter la viticulture arverne. C’est ainsi que la communauté de communes du pays de Massiac (Cantal) décida, dans les années 2000, de relancer le tourisme grâce à l’ancestrale culture de la vigne en palhàs (murets et terrasses en pierre sèche à plus de 600 m d’altitude). Le travail de réhabilitation fut entrepris : débroussaillage, dessouchage, remontage des murets et des escaliers d’accès, ce qui permit de restaurer quelque 3,5 ha sur les hauteurs de Molompize. Le spectacle est saisissant : les palhàs épousent parfaitement le relief sur des pentes particulièrement escarpées de 120 m.

Suite à l’appel d’offres de la COM-COM, Gilles Monier, géologue de formation qui avait repris la pomiculture familiale à Massiac, releva ce pari fou de faire renaître le vignoble oublié, car comme il le souligne : « Je n’avais aucune formation dans la culture et l’élevage du vin, j’ai appris en faisant… » aidé, il faut le dire, par un technicien et un œnologue de la chambre d’agriculture. Judicieusement il choisit de planter des cépages bien adaptés au terroir : gamay et pinot noir pour le rouge, chardonnay pour le blanc. Très vite rejoint dans l’aventure par Stephan Elzière, puis actuellement 2 autres producteurs, les vignerons de Massiac exploitent plus de 6 ha et sortent 10 à 14 000 bouteilles/an.

Malgré leur relief abrupt, complexifiant le travail, les palhàs de Molompize sur des coteaux ensoleillés bordant l’Alagnon, affluent de l’Allier, sont nées sous une bonne étoile, orientées plein sud, elles bénéficient d’influences montagnardes, mais aussi méditerranéennes et profitent des murets, pour capter un supplément de chaleur. Les ceps sont plantés sur des schistes et des gneiss, donnant un sol légèrement filtrant, qui apportent de la minéralité aux cuvées. La rudesse du climat entraîne une maturation lente. C’est un vin d’altitude (650 à 730 m), où les vendanges ont lieu mi ou fin octobre. Le raisin subit des écarts de température durant septembre et octobre impulsant la fraîcheur et la longueur aux arômes du vin.

Gilles Monier sur ses 2,5 ha à Molompize (plus 1,5 ha sur Massiac) travaille en viticulture raisonnée évitant les intrants chimiques en dehors du cuivre et du soufre à doses minimales. Les vignes sont taillées en guyot simple, tout produit phytosanitaire est proscrit. Les vendanges manuelles, triées sur place, sont transportées par de petites caissettes dans le vieux Massiac vers la cave héritée du grand-père, fort éloignée de la conception moderne…

VINIFIÉS À LA BOURGUIGNONNE

Les vins blancs sont vinifiés à la bourguignonne : raisins pressés, jus débourbés, fermentation après levurage dans des barriques neuves ou de 1 à 2 vins, bâtonnage pendant 6 mois pour remonter les lies, puis repos pour la malo-lactique de mai jusqu’à l’automne. Le soutirage a lieu au bout d’un an après une clarification par bentonite. La mise en bouteille sans filtration est effectuée à l’ancienne par gravité dans la petite cave vétuste.

L’administration pousse la loufoquerie jusqu’à jumeler le Cantal et la Haute-Garonne, puisque les vins de Palhàs reçoivent l’appellation « vin du pays du Comté Tolosan ».

Habillée d’une robe jaune pale limpide et brillante, cette cuvée Féline 2019 blanc des Palhàs, 100 % chardonnay exprime une typicité et des arômes singuliers associant une grande fraîcheur, une minéralité propres aux vignobles septentrionaux de montagne et des fruits mûrs plutôt méridionaux. Des senteurs de fruits à chair blanche : poire, pomme au four, écorces de pomelo, de fleurs blanches : tilleul, acacia jaillissent du verre, puis viennent la pâte d’amande, le pralin, une pointe de truffe. Gras, dense, ample, il régale le palais d’une sensation de brioche beurrée typique du chardonnay. Des amers minéraux et traçants, propulsés en vague saline sur une belle longueur, apportent la fraîcheur indispensable. Ce vin est remarquable d’équilibre et de maîtrise, mais dans la discrétion sans esbroufe.

Cette cuvé Féline 2019 se révèle remarquablement adaptée pour la grande gastronomie, mais aussi appètent vers la cuisine auvergnate. J’ai découvert ce vin au restaurant doublement étoilé de Serge Vieira à Chaudes-Aigues, et force me fut de reconnaître que les plats succulents du chef étaient magnifiquement accompagnés par cette cuvée : berlingots de gelée de tourteau à l’huile de géranium, omble chevalier comme un gravelax, filets de rouget lustré au beurre safrané, cèpes de la Margeride caramélisés au citron confit. Mais des plats plus modestes se marieront savoureusement avec cette Féline, poissons : truite aux amandes, crustacés : gambas à la diable, cassolette d’écrevisses, viandes blanches : sauté de porc aux pommes boulangères. 

Ce vin accompagnera logiquement les plats traditionnels auvergnats : chou farci, lou pounti (quiche de porc à la blette), petit salé aux lentilles, aligot truffé, gratin de crozets aux cèpes et cantal. N’omettez pas de garder un verre de ce chardonnay pour les savoureux fromages locaux : cantal et salers vieillis, saint-nectaire.

A l’image des habitants, les vins de Gilles Monier sont typiques de l’Auvergne : peu expansifs, mais chaleureux une fois apprivoisés, beaucoup plus complexes que ne le laisserait entendre ce terroir si longtemps délaissé. Il faut vraiment féliciter le viticulteur qui, avec trois autres courageux permet la renaissance des vins de Palhàs.

Vin du pays du Comte Tolosan
Gilles Monier – 15500 Massiac

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Joseph et la femme de Putiphar ou les infortunes de la tunique – 3e partie


Joseph a maintenant une trentaine d’année et pendant les dix premières années de sa vie dans le domaine de Putiphar, la femme de ce dernier l’a totalement ignoré et comment aurait-il pu en être autrement compte tenu de l’énorme différence de classe sociale, mais les temps ont changé ; Joseph est devenu l’homme de confiance de l’indolent Putiphar peu impliqué dans le gestion de son domaine et surtout intéressé par la chasse au gibier d’eau ou à l’hippopotame dans les marécages, (4) car, à cette époque, « la chasse occupait une place centrale dans la vie des plus aisés ». (6) Joseph était l’intendant de Putiphar, mais aussi son échanson et son lecteur attitré à la voix apaisante. 

Ainsi, ce n’est que depuis trois ans que, progressivement, l’attention de la femme de Putiphar a été attirée par ce bel homme aux yeux profonds  devenu très proche de son époux. Joseph est bien trop subtil pour ne pas se rendre compte de cette douce ambiguïté du regard qui prélude à l’attirance mutuelle, mais il reste sur une prudente réserve pour au moins trois bonnes raisons. 

En premier lieu il veut rester loyal vis-à-vis de Putiphar qui a tout pouvoir sur lui, mais il garde aussi  en mémoire le visage de son père Jacob qui abhorrait le « simiesque pays d’Egypte » et qui aurait fortement désapprouvé une telle liaison de telle sorte que « l’acte que voulait lui faire accomplir la sphinge du pays des morts, lui semblait une dénudation paternelle ». Joseph a en outre et surtout le pressentiment que Yahvé (YHWH), le Dieu des Hébreux lui réserve un destin grandiose et qu’il est « l’instrument d’une auguste prédilection » et « en aucun cas (…) il ne fallait que le Seigneur son Dieu eût le dessous » face à la puissance d’Amon. Cette « conviction ancrée dans l’âme du petit-fils d’Abraham » (10) l’incite à ne pas commettre le péché de chair : « Comment commettrais-je un si grand mal et pêcherais-je contre Dieu ? ». Cette notion du péché est totalement inconnue en Egypte à cette époque alors même qu’existent les sentiments de faute et de honte. Lorsque Joseph emploie le mot devant Putiphar, ce dernier rétorque : « Le péché ? Qu’est cela ? » et Joseph de lui répondre par la voix de Thomas Mann : (10) « C’est ce qu’on exige et qui pourtant est interdit, commandé, mais maudit. Nous sommes pour ainsi dire les seuls au monde à avoir la notion de péché » et à Putiphar qui lui demande si ceci n’est pas une « contradiction douloureuse », Joseph rétorque que « Dieu aussi souffre de nos péchés et nous souffrons avec lui. » 

Joseph, intendant des greniers du pharaon (1874) par Lawrence Alma-Tadema (1836-1912)Huile sur toile. Collection particulière.

On peut penser qu’il fut difficile à Putiphar de comprendre qu’un Dieu puisse ne pas se contenter d’être le juge suprême et qu’il puisse aussi souffrir des turpitudes de l’Homme. Quant à la femme de Putiphar, « quoique accessible au sentiment de l’honneur et de la honte (…) elle ignorait l’idée du péché, dont l’expression ne figurait même pas dans son vocabulaire ». Alors que ceci n’est nulle part relaté dans l’ancien Orient, c’est la Bible qui introduit une dimension morale inédite avec la notion de péché originel et de « Paradis perdu ». (14) 

Le monde païen restera d’ailleurs longtemps étranger à cette notion de péché à l’instar des Grecs dont la faute fondamentale était l’hybris ou le dépassement fautif de la mesure s’exposant au châtiment divin (némésis). Il en était de même avec les Romains dont l’art du loisir studieux (otium s’opposant aux affaires ou negotium) ignorait « le péché, la faute originelle, la trace infamante d’un forfait commis par le premier homme et la première femme ». (15) 

C’est ainsi que, pour la Bible, la destinée humaine est conditionnée par une faute initiale lié à une désobéissance envers la parole de Dieu alors qu’en Mésopotamie il s’agit de la conséquence naturelle d’un « fait d’origine » et en Egypte il s’agit d’une « dégradation de l’état de perfection originel sous l’effet du temps et des fautes », (14) d’où l’importance d’une conduite vertueuse et des rites incantatoires. « L’une des spécificités du péché par rapport à la faute est que la faute est réparable tandis que le péché est pardonnable, ce qui introduit l’idée de repentance » (14) et cette notion de rédemption ayant été développée par le Christianisme, il conviendrait de « préférer, dans ce contexte des civilisations du Proche-Orient ancien, l’usage du mot faute à celui de péché ». (14) 

Finalement, « il s’en fallut d’un cheveu que (Joseph) ne succombât à la tentation brûlante ». (10) Ce qui advint comporte en effet une intense connotation émotionnelle et érotique qui explique qu’elle ait pu inspirer nombre d’artistes depuis le Haut Moyen-Âge par le biais de sculptures, de fresques, de vitraux ou d’enluminures, mais aussi dans le domaine de la peinture lors d’époque plus récentes. L’épisode étant aussi décrit dans le Coran, il n’est pas surprenant  qu’il figure dans diverses miniatures persanes. 

La femme de Putiphar a fait en sorte de rencontrer Joseph alors que le personnel a déserté le domaine pour participer aux fêtes du premier jour de la crue du Nil qui correspondait au Nouvel An officiel en Egypte (3,9) et, ce jour là, la foule en liesse pouvait voir l’extraordinaire procession du Pharaon « étincelant comme le soleil levant » se diriger vers le sanctuaire du dieu Amon. La maison était donc quasi vide puisque « seuls les impotents et les moribonds restaient chez eux » ainsi que les parents très âgés du maître, car « certains vieillards vivent indéfiniment sans trouver la mort, n’ayant plus la force de mourir ». (10)

La femme de Putiphar avait réussi à se faire porter pâle et c’est lorsque Joseph revint avant les autres pour s’assurer que tout était en ordre qu’elle le saisit par son vêtement en disant « couche avec moi ! ». (1) Joseph « abandonna le vêtement entre ses mains, prit la fuite et sortit ». (1) Voyant s’éloigner l’objet de son désir insensé, la femme de Putiphar, cette femme fatale, (10) devient folle furieuse, déchire la tunique tout en la couvrant de baisers et surtout se met à crier au viol ! alors que le personnel arrive, la tunique servant de pièce à conviction ; Joseph est attrapé, jugé par le maître qui le fait mettre en prison, encore que « le concept de prison n’existait pas dans l’Egypte antique » (20) en lui disant de remercier son Dieu qui l’a empêché de « pousser les choses à l’extrême » ce qui aurait pu lui valoir au mieux une bastonnade et au pire l’ablation des oreilles et du nez (2) voire une mort atroce telle que d’être livré pieds et poings liés au crocodile du Nil. 

En réalité, la mort n’était alors que rarement appliquée avec, de façon tout à fait exceptionnelle lors de crimes d’une extrême gravité, la mort par le feu privant ainsi le condamné, jeté dans un brasier, de la vie dans l’au-delà. (20) Un nain fourbe et entremetteur aura la langue coupée et, du moins dans la version romancée de Thomas Mann (10) c’est après que Putiphar ait dit à sa femme : « Il n’y a pas de quoi me remercier, mon amie » que Mount va devoir participer, comme si de rien n’était, à la fastueuse réception prévue en l’honneur de Putiphar dont c’est « le jour de gloire » puisqu’il fait dorénavant partie des intimes du Pharaon. Le peintre napolitain orientaliste Domenico Morelli (1825-1901) nous montre que La femme de Putiphar (1861) (Pinacoteca dell’Accademia di Belle Arti – Naples) est devenue l’ombre d’elle-même en s’accrochant désespérément à la tunique de son amour perdu. (20) 

C’est ainsi que, « pour la seconde fois Joseph descendit dans la fosse et dans le puit » et « le lecteur doit à bon droit se demander comment Joseph va pouvoir sortir d’une situation apparemment sans issue », (21) mais c’est méconnaître le fait que « Yahvé assista Joseph ». (1) En effet à cette époque « Pharaon s’irrita contre ses deux eunuques, le grand échanson et le grand panetier » (1) qui furent mis en prison avec Joseph. 

Il s’avéra que tous deux eurent un songe prémonitoire que Joseph interpréta à leur demande de façon favorable pour le premier et funeste pour le second, ce qui se réalisa. Deux ans plus tard, le pharaon, qui reste tout aussi anonyme dans l’histoire de Joseph comme dans celle de Moïse, (19) eut à son tour deux songes (sept vaches grasses précédaient sept vaches maigres) que personne ne fut capable d’interpréter dans cette Egypte pourtant « pays des devins et des sages ». (21) Ayant entendu dire que Joseph interprétait fort bien les rêves prémonitoires, et en sachant que « l’importance des songes était grande en Egypte, et dans tout le Proche-Orient ancien », (21) le pharaon s’adressa à Joseph qui  lui dit que non seulement ceci laissait présager sept années d’abondance suivies de sept années de disette, mais en outre il lui indiqua les « mesure à prendre » (21) l’ incitant à prévoir des réserves par précaution. 

Ce faisant Joseph se singularisa en allant  au-delà de la seule interprétation et ceci explique que Pharaon lui ait alors dit : « Il n’y a personne d’intelligent et de sage comme toi. C’est toi qui seras mon maître du palais ». (1) C’est ainsi que Joseph sortit de prison et devint l’homme le plus puissant d’Egypte après Pharaon. Le peintre orientaliste Jean-Adrien Guignet (1816-1854) peindra en 1845 Joseph expliquant les rêves du pharaon (Musée des Beaux-Arts de Rouen). Dans sa représentation soucieuse de réalisme et de précision historique dénommée Joseph intendant des greniers du pharaon (1874 collection particulière) (18) le peintre Lawrence Alma-Tadema (1836-1912) montre Joseph assis sur un trône avec un scribe sur le sol près de lui. Joseph porte une perruque inspirée d’une vraie perruque de la XVIIIe dynastie correspondant ainsi à l’époque présumée de la scène et ceci est d’autant plus plausible que des fouilles récentes à Saqqara ont montré qu’un Sémite était parvenu au sommet de l’état sous le règne d’Amenhotep III. (19) 

Joseph fera venir sa tribu en Egypte en les sauvant ainsi de la famine, Pharaon les autorisant à habiter la terre de Goshen. Joseph reverra son père Jacob qui lui dira « Maintenant que je t’ai revu et que tu es encore vivant je peux partir » à l’instar, mais bien plus tard et dans un tout autre contexte, du grand-prêtre Siméon lorsqu’il verra l’enfant Jésus lors de la Présentation au Temple et qui dira alors « nunc dimittis » (maintenant je peux partir). Joseph épousera la fille d’un prêtre égyptien avec laquelle il aura deux fils Ephraïm et Manassé dont les descendants donneront deux des douze tribus d’Israël. 

Joseph eut la permission du Pharaon d’aller enterrer en grande pompe au pays de Canaan son père Jacob, resté dix sept ans en Egypte et mort à l’âge de cent quarante sept ans… et Joseph lui-même est mort à l’âge de cent dix ans, l’âge idéal d’après les textes égyptiens. (19) Il fut embaumé et mit dans un cercueil en Egypte, (1) mais, en toute logique, son eschatologie individuelle et son dieu unique le dispensèrent de se présenter devant le tribunal d’Osiris et de poser son cœur, c’est-à-dire son âme, sur la balance de Thot pour équilibrer la plume de Maât, la déesse de la justice, (3,4) mais, n’en doutons pas, même dans cette hypothèse et compte tenu de la légèreté de son cœur, la pesée de l’âme ou psychostasie (9) ne lui aurait pas été défavorable. 

Ainsi, Joseph n’aurait pas été englouti par le monstre hybride Ammit dont la fonction première était d’avaler les âmes impures et peut-être même que son énergie vitale (Ka) existe dans l’au-delà, dans ce lieu dénommé alors « le Champ des roseaux ». (3)

Louis-François Garnier


a) Canaan : terme apparu au XVe siècle av. J.-C. et correspondant à peu près à la zone actuelle incluant le Liban, Israël, la Palestine et le sud de la Syrie, c’est-à-dire la partie sud de ce que les Egyptiens appelaient Rétjénou ou Réténou. C’est vers 1850 av. J.-C. (?) que se situe la migration d’Abraham venant d’Our, qui était l’une des plus importantes villes de la Mésopotamie antique, dans l’actuel Irak, et alors située sur une des branches de l’Euphrate et proche du Golfe Persique.  Nous sommes de ce fait  à l’extrémité orientale du « croissant fertile » et la migration se fait vers le pays de Canaan suivie, vers 1700 av. J-C. (?), de l’installation en Egypte d’hébreux qui y resteront 430 ans d’après la tradition (22), c’est-à-dire  jusqu’à Moïse et l’Exode vers 1250 av. J.-C. sous le règne de Ramsès II. (v. 1304-v.1213 av. J.-C.) (1) (22) Ainsi, l’épisode de Joseph se situerait entre ces deux dates approximatives et ferait, en quelque sorte, le lien entre l’Exode et les patriarches qui, au sens strict, sont les trois pères fondateurs du peuple juif dans le Livre de la Genèse, à savoir Abraham, Isaac et Jacob. Les histoires de Joseph et de Moïse sont « complémentaires, deux versants d’un diptyque dans l’histoire des Hébreux, respectivement l’entrée et la sortie d’Egypte » (19) et l’histoire de Joseph est à rapprocher de l’installation d’Hébreux en Egypte selon deux modalités distinctes : « d’une part la déportation de serviteurs esclaves provenant de Canaan et d’autres part, la venue de bergers fuyant la sècheresse et la famine avec leurs troupeaux ». (22) Thomas Mann (10) relate que « Amenhotep III (régnait) dans les années où Joseph vécut sous le toit de Putiphar ». Ce pharaon dont le nom signifie « Amon est satisfait »  également dénommé en grec Aménophis III (v.1403 -. 1352 av. J.-C.) conduira l’Egypte à l’apogée de sa puissance. Joseph est supposé l’avoir vu avec la Grande Epouse royale, la reine Tiy, et le petit et futur Amenhotep IV (né entre 1371/1365 et mort vers 1338/1337 av. J.-C.). A l’époque qui nous intéresse (-1360) le jeune futur pharaon devait avoir entre 5 et 11 ans. C’est bien plus tard que la situation des Hébreux en Égypte va beaucoup se dégrader avec un nouveau Pharaon, « qui n’a pas connu Joseph » et qui réduisit  les enfants d’Israël en esclavage ;  ils n’auront pas d’autres alternative que de sortir d’Egypte d’où l’Exode du grec ex  « au-dehors » et hodos  « route ».

b) Madianites : descendants de Madian fils d’Abraham et installés à l’est du Jourdain entre Mer Morte et Sinaï et ce sont eux qui accueilleront Moïse lors de sa fuite d’Egypte. Les Ismaélites sont les descendants d’Ismaél, premier fils d’Abraham et étaient installés entre l’Euphrate et la Mer Rouge (Arabie actuelle). La gomme adragante est obtenue à partir de la sève d’arbrisseaux et était appréciée pour ses propriétés médicinales et le ladanum était une gomme-résine issue d’un ciste et utilisée en parfumerie, à ne pas confondre avec le laudanum à base d’opium.

c) Hyksôs : de heka khasout  (chefs des pays étrangers), dénomination d’un peuple venu d’Asie, au moins en partie d’origine sémitique et qui régnât sur la partie basse et moyenne de  l’Égypte à la fin de la Deuxième Période intermédiaire (1800-1500 av. J.-C.). Les dirigeants de Thèbes contribuèrent à répandre la réputation d’envahisseurs étrangers pour justifier la destruction et le pillage de la ville d’Avaris, leur capitale très prospère, victime de « la machine de guerre qui unifiera bientôt l’Egypte » (7)

d) Flabellifère : de flabellum désignant les grands éventails de cérémonie constitués de plumes d’autruches ou de paon au bout d’une longue perche afin d’éventer les hauts personnages, et en particulier le pharaon, lors de leurs déplacements, mais cette fonction a perdu de son importance au profit d’un rôle symbolique de manifestation du pouvoir, en particulier « à la droite du roi », ce qui était le cas de Putiphar.(10) 

e) Atoum Râ ou Atoum Rê est  l’antique dieu solaire qui est à la fois le soleil levant (Khépri : celui qui naît) symbolisé par le scarabée poussant le disque solaire, le soleil au zénith (Rê) puis le soleil couchant (Atoum) avec la dénomination plus générale de Rê-Horakhty (Rê comme étant Horus de l’horizon) et dont le principe visible est Aton, le disque solaire divinisé, dont le culte a été encouragé par Amenhotep III favorable au syncrétisme puis finalement imposé par son fils Amenhotep IV qui prendra le nom d’Akhénaton (Esprit vivant d’Aton) (3) qui, confronté à l’hostilité du clergé thébain devenu aussi riche que le roi (véritable état dans l’état), décidera d’abandonner le culte d’Amon le « dieu caché », dont Thèbes fut le principal lieu de culte sous le nom d’Amon-Rê le principal dieu du Nouvel Empire, (3)  au profit d’Aton, « le dieu visible » en construisant des temples à ciel ouvert, car « la place du soleil n’est pas à l’ombre » (2) dans sa nouvelle capitale Akhet-Aton ou L’horizon d’Aton (Tell el Amarna) à 300 km au nord de Thèbes. Aton était représenté sous la forme d’un disque solaire doté de long rayons terminés par des mains miniatures tenant le symbole de vie dénommé ankh. (3)  Après sa mort, Akhénaton fut considéré comme hérétique, sa ville fut détruite et ses représentations de même que celles de son épouse Néfertiti, qui lui survécut une dizaine d’années, furent mutilées. Les privilèges des prêtres d’Amon furent rétablis et Toutankhaton (l’image vivante d’Aton), le fils d’Akhénaton d’après la génétique moderne, changea son nom en Toutankhamon. (16)

Bibliographie

1) La Bible de Jérusalem cerf 2007.
2) Chedid A. Néfertiti et le rêve d’Akhénaton. Les Mémoires d’un scribe, Flammarion, 1974.
3) Tyldesley J. L’Egypte à la loupe. Larousse 2007.
4) L’Egypte et la Grèce antique. Gallimard-Larousse 1991.
5) Reboul Th. Les oculistes pharaoniques et leurs vases à collyres. L’Ophtalmologie des origines à nos jours. Tome 5 ; 5-17. Laboratoire H. Faure.
6) Tommasi M. Le régime du Nil nourrit les Egyptiens. Histoire & Civilisations N°66 : 14-19 novembre 2020.
7) Manley B. Atlas historique de l’Egypte ancienne. De Thèbes à Alexandrie : la tumultueuse épopée des pharaons. Autrement 1998.
8) Maruéjol F. L’Egypte et Canaan, les partenaires ennemis. L’Histoire de la Méditerranée. Le Monde Hors-série 2019.
9) Le musée égyptien de Turin. Federico Garolla Editore 1988.
10) Mann Th. Joseph et ses frères. Joseph en Egypte. L’Imaginaire Gallimard 1980.
11) Cevennit W. L’état pharaonique. Organisation politique de l’Egypte ancienne. Egypte ancienne N°36 2020.
12) Berlaine-Gues E. Hathor une déesse envoûtante. Egypte ancienne N°36 2020.
13) Mahfouz N. Akhénaton le Renégat. roman  Denoël 1998.
14) Agut D., Lafont B. Faute, culpabilité… en Egypte et en Mésopotamie. Qui a inventé le péché ? Le Monde de la Bible N°234 2020.
15) Onfray M. Sagesse. Ed. J’ai Lu 2020.
16) La grande histoire de l’Antiquité. Pharaons. Hors-série N°2 2020 Oracom.
17) Willaime V. Thèbes ; L’âme de l’Egypte pharaonique. Egypte ancienne N°36 2020.
18) Barrow R.J. Lawrence Alma-Tadema. Phaidon 2006.
19) Vernus P. Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique. Plon 2009.
20) Peltre Ch. Les Orientalistes. Hazan 2003.
21) Briend J. Joseph. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
22) Lemaire A. Les Hébreux en Egypte. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
23) Zivie A. Ramsès II et l’Exode : une idée reçue. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.

Remerciements au Docteur Philippe Frisé, ophtalmologiste à Ploërmel pour sa documentation.




Les données numériques de santé

Dorénavant, les données de santé sont pour la plupart numérisées et stockées sur des serveurs. En d’autres termes, elles peuvent être accessibles, partagées, analysées à grande échelle, commercialisées… Ce thème et ses implications ont fait l’objet de deux livres parus à un mois d’intervalle mais construits avec des tons et une profondeur très différents, un peu comme si tous deux parlaient d’histoire et que l’un aurait été écrit par Stéphane Bern et l’autre par Fernand Braudel.

DEUX NIVEAUX DE LECTURE

D’un côté, « Ma santé, mes données » est écrit par une journaliste qui fait œuvre de journaliste : lecture facile, phrases stéréotypées du type « Alors sommes-nous en train de signer un pacte avec le diable ?… », « Il est fort possible que vous n’ayez jamais entendu parler d’IQVIA. La firme, elle, a peut-être entendu parler de vous », etc.
De l’autre, « Le business de nos données médicales » est écrit par trois auteurs, l’un consultant en stratégie éditoriale et les deux autres philosophes, est d’un abord différent : nécessité de connaître le sens de certains mots (comme nudge) voire d’avoir déjà lu certains ouvrages (notamment « L’âge du capitalisme de surveillance), lecture facile mais plus technique et engageant presque à chaque phrase à réfléchir.
Le premier peut servir de mise en bouche, le deuxième est indispensable à qui veut cerner certains des enjeux majeurs du siècle numérique qui a débuté et de ce que cela implique pour les données de santé.

UNE MISE EN BOUCHE

Dire qu’un livre est une œuvre de journaliste ne signifie pas qu’il faut dénigrer ce type d’écriture et d’ouvrage, car il fait le point – comme le fond les hebdomadaires d’actualité – sur plusieurs des questions posées par la numérisation des données de santé et des services de soins.
Pour les services de soins, notamment les hôpitaux, la nécessité de disposer en temps réel des informations produites et transmises en fait une cible privilégiée des cyberattaques à base de rançongiciel.
Pour la numérisation, les bases de données de santé sont en passe de devenir un enjeu stratégique majeur à plusieurs titres. L’un d’eux est de développer des modèles prédictifs des maladies. Un autre est de générer des profits gigantesques faisant que cette voie est devenue un terrain de chasse des GAFAM.
Et ces GAFAM avancent à grands pas, le service national de santé anglais ayant confié à Amazon le stockage de ses données, et la France, à Microsoft, celles de son Health data Hub avec de nombreuses conséquences possibles.

DES RÉFLEXIONS

Le deuxième ouvrage, dont la lecture, pour qui s’intéresse au sujet paraît indispensable, part des mêmes prémices que le livre précédent, mais plutôt que de les décrire, développe une réflexion sur les enjeux sociétaux, politiques et philosophiques de la numérisation des données de santé. Et ce livre est d’une grande richesse en informations et pistes de réflexion, au point que, moi qui signale au crayon à papier les passages importants d’un livre lorsque je le lis, ait du crayonner presque une page sur deux…
Aussi, plutôt que de citer les passages qui m’ont paru majeurs, il paraît plus simple de citer les titres des grands chapitres de ce livre. Le premier chapitre intitulé « Les origines de la e-santé » décrit un chemin qui va de l’économie politique de la santé aux forums de santé, une aubaine pour les géants du numérique, en passant par les modes de rémunérations de médecins. Le deuxième, intitulé « Une manne pour les GAFAM », rend principalement compte de la conquête des données de santé européennes par le Big tech nord-américain, avec le danger que cela représente. Certes, ces Big tech peuvent passer des contrats indiquant que leur politique de gestion des données sera conforme au RGPD, mais comme cela est écrit au chapitre suivant intitulé « La perte de la souveraineté française et européenne sur les données », ces contrats comportent une clause qui permet « le transfert de données en dehors de l’Union européenne dans le cadre du fonctionnement courant de la plateforme, notamment pour les opérations de maintenance ou de résolution d’incidents ».
Une simple phrase et le tour est joué : pour certaines opérations, les données peuvent être rapatriées aux Etats-Unis et, dès lors, soumises à la loi américaine, notamment être exigibles par les services de sécurité américains… Et cela, en toute « légalité américaine » depuis que le Cloud Act américain a été établi en réponse au RGPD, Cloud Act décrit comme tel « Ce type de législation permet un accès unilatéral de la part du gouvernement américain aux données d’un pays tiers, le tout sans avoir à fournir de précision sur la nature du contenu extirpé. Par ricochet, le Cloud Act va bien plus loin puisqu’un prestataire français ou étranger, pourvu qu’il soit affilié à une entreprise américaine et que les autorités déterminent que la société mère exerce en cela un contrôle suffisant sur le partenaire, tombera sous le coup du Cloud Act ».
Les deux derniers chapitres sont plus philosophiques, l’un sur le mode de l’analyse politique « L’Etat plateforme et la disruption du droit », l’autre sur le plan métaphysique « L’humain réduit à des données et des statistiques ».

QUAND DOCTOLIB EN PREND POUR SON GRADE

Au passage, Doctolib, la licorne française, en prend pour son grade à divers passages du livre qui montrent qu’elle reproduit le modèle financier et prédateur des Big tech américaines. Ainsi, on apprend que Doctolib a pour prestataire en matière de stockage des données, Amazon Web Service avec les risques encourus cités plus haut. On apprend que Doctolib s’est vue décerner le prix « Big Brother » par la presse allemande pour avoir vendu les données de santé de ses utilisateurs (notamment les historiques de recherche) à Facebook et Outbrain (entreprise de collecte d’informations personnelles de portée internationale) dans le but de produire du ciblage publicitaire profilé.
On apprend que Doctolib « s’est greffé à l’annuaire de l’Ordre des médecins, violant par la même occasion le RGPD. De cette façon, même les recherches portant sur des médecins n’étant pas inscrits sur la plateforme ont des chances de déboucher sur une page Doctolib, captant ainsi l’attention potentielle d’un usager pour le réorienter vers un médecin officiellement référencé sur la plateforme, en plus de ne pas systématiquement déréférencer les médecins qui se désinscrivent de Doctolib ». On apprend que Doctolib s’est posé en intermédiaire systématique vis-à-vis des hôpitaux franciliens dans l’objectif « d’imposer l’inscription sur Doctolib afin de prendre rendez-vous à l’AP-HP pour les clients et l’accès à l’agenda numérique pour les professionnels, se retrouvant ainsi en position de monopole sur le marché d’un bout à l’autre de la chaîne médicale ». Et l’avenir ? Il y a un « risque d’accès de Doctolib à davantage de données de santé sensibles avec la dématérialisation des ordonnances auxquelles ils auront un accès indirect via leur nouveau logiciel de gestion du cabinet médical qui ‘’organise’’ les dossiers des patients ».

EN SYNTHÈSE

Deux ouvrages très différents donc, dont la lecture du deuxième est essentielle et dont la philosophie peut être résumée dans cette citation de la page 116 : « […] cette désacralisation de la donnée de santé, devenue une marchandise comme une autre, n’aboutit pas tant, dans les mains des plateformes numériques, à une valorisation en termes de démocratisation ou de gain scientifique, mais en termes de valorisation marchande ».

EN SAVOIR PLUS…

Ma santé, mes données

  • Auteurs : Coralie Lemke
  • Éditeur : Premier Parallèle
  • Parution : Septembre 2021
  • Pagination : 170 pages
  • Format broché : 17,00 euros
  • Format Kindle : 12,99 euros

Le business de nos données médicales

  • Auteur : Audrey Boulard, Eugène Favier-Baron et Simon Woillet
  • Editeur : FYP éditions
  • Parution : Octobre 2021
  • Pagination : 175 pages
  • Format broché : 22,00 euros




Métavers – Le Web 3.0 du futur


En offrant une nouvelle expérience aux utilisateurs de technologies digitales, le métavers va bousculer le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. S’il ne laisse pas indifférent. Il interroge, décontenance, rassemble, rejette… On peut même s’interroger jusqu’où ce monde numérique va révolutionner, voire changer, le monde « réel ». Et pour quelle destinée et quelle utilité ? Un premier tour d’horizon de ce monde parallère en pleine explosion…

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 445 – Mars-avril 2022

Que diriez vous d’une petite ballade loin de chez vous, bien allongé dans votre lit et enveloppé dans vos draps, chargé de votre casque de réalité virtuelle et de vos oreillettes bluetooth ? Bienvenue dans le nouveau monde parallèle du métavers.
Vous ne connaissiez pas ce mot il y a quelques mois ? Normal, le métavers est arrivé aux oreilles du grand public il y a peu de temps avec la création de Meta, le nouveau nom de la maison mère de Facebook. Et depuis, ce n’est pas la ruée vers l’or, mais un intérêt très marqué des internautes pour ce nouvel espace car l’idée est d’y mettre tout l’internet que l’on connaît aujourd’hui (et bine plus !), tels les réseaux sociaux, toutes les applications internet et, bien sûr, les jeux vidéo, dans un monde en trois dimensions.

LE CONCEPT DU MÉTAVERS

Le métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) est un ensemble de mondes virtuels en dehors du monde physique tel que nous le connaissons et perçus commet tel en réalité virtuelle (1) et réalité augmentée. (2) Il est décrit comme l’évolution d’internet, appelé web 3.0, en d’autres termes nous parlons de l’internet du futur où les espaces virtuels, persistants et partagés, sont accessibles via des interactions en 3D.
Il existe différents type de métavers, la majeure partie venant de la communauté du jeu où la 3D est déjà récurrente. On pourra accéder pêle-mêle aux réseaux sociaux, assister à des réunions professionnelles, participer à des soirées, acheter ou vendre tout ce qui se présente, et bien sûr jouer… Vous pourrez également construire vos propres espaces et communautés, ce qui ouvre des possibilités infinies en termes de lieux et d’activités.

LA RÉUNION DES DEUX MONDES

Ce qui frappe en premier lieu dans le métavers est la « présence » humaine, ce sentiment de présence dans l’espace lorsque l’on est en ligne dans des lieux pourtant numériques avec des avatars en guise de personnages. Et c’est bien là, étonnamment, que les mondes virtuel et réel ne font qu’un grâce à l’interaction naturelle d’un casque ou de lunettes.
Il n’y aura rien de plus facile que d’aller à un concert, faire un voyage, créer des œuvres d’art ou acheter des vêtements numériques… Le métavers pourrait également donner de nouvelles possibilités de travailler, et pas seulement dans un contexte à domicile : dans un environnement professionnel, les employés pourraient travailler dans leur bureau virtuel, des réunions pourraient se faire entre avatars ou bien des personnes présentes physiquement dans une salle de réunion pourraient être rejointes par des collègues présents virtuellement via le métavers. Les possibilités sont immenses.

LES ORIGINES DU TERME MÉTAVERS

« Méta » vient du grec qui signifie « au-delà » et de l’anglais « metaverse » qui est une contraction de meta universe (ou méta-univers).
Le terme est apparu la première fois en 1992 dans un roman de Neal Stephenson, « Le samouraï virtuel », ou l’histoire d’un magnat qui découvre le moyen de contrôler l’esprit humain en infectant un virus dans les cerveaux de la même manière que peut l’être un ordinateur afin d’accroître son pouvoir. Son ambition sera contrariée par un hacker au savoir illimité donné par le métavers, une anticipation du (futur) web sous la forme d’un univers virtuel.

LE CONCEPT

Pour pouvoir se connecter dans cet univers en ligne, il faudra bien sûr être équipé d’un casque de réalité virtuelle. Une fois à l’intérieur du métavers, l’utilisateur sera représenté par un avatar, une sorte de corps virtuel dont il sera possible de changer l’apparence.

Le métavers est divisé en deux mondes différents
1. Le premier, appelé blockchain (3), va permettre aux internautes d’acheter des parcelles de terrain virtuelles et de construire leur environnement grâce à de la cryptomonnaie et des jetons non fongibles (NFT) [voir encadré en bas de page]. (4)
2. Le second, comme celle de Facebook, peut utiliser le métavers pour créer un monde virtuel où les gens pourront se rencontrer pour leurs consultations commerciales.

LANCEZ-VOUS !

Il faudra tout d’abord vous créer un avatar qui sera votre réprésentation virtuelle. Il pourra être réaliste afin qu’il vous ressemble ou sera celui ou celle que vous aurez toujours rêvez d’être…

Comment y aller ?
Pour accéder au métavers, vous devrez choisir votre plateforme suivant vos besoins ou vos envies (social, achat ou vente sous forme de NFT, rencontres, spéculation…).
Pour explorer et vous immerger totalement dans l’expérience du métavers, vous devez envisager d’acheter un casque de réalité virtuelle ou des lunettes intelligentes de réalité augmentée. Ces dispositifs indispensables vous permettront de percevoir un véritable sentiment de présence dans cet environnement que vous ne trouverez pas si futuriste que cela.

Découvrir
Une fois votre avatar et votre équipement en place, vous pourrez explorer le monde virtuel que vous aurez choisi et vous y perdre en y découvrant des scènes, des paysages et des structures créés par d’autres membres. Vous pourrez également visiter des musées, jouer à des jeux, parier dans des casinos, faire des achats. Bref, la vraie vie quoi !

Communiquer
Il sera aussi facile de communiquer avec les membres d’une communauté par messages vocaux ou textes, comme aujourd’hui avec vos SMS ou autre WhatsApp, ce qui vous permettra de fonder de nouvelles relations ou de renforcer celles que vous avez déjà.
Pour certains, c’est « the place» où il faut être pour rassembler des communautés plus soudées et plus fidèles que dans le monde physique.

Créer
Vous pourrez créer votre propre univers dans le métavers. Vous aurez ainsi un contrôle total sur votre monde. Mais c’est également l’endroit idéal si vous êtes un artiste ou un créateur. Vous pourrez ainsi publier ou vendre vos œuvres.

Affairer
L’e-commerce sera l’une des utilisations les plus en pointe du métavers. Des entreprises importantes comme Nike – qui a récemment mis la main RTFKT et ses baskets virtuelles (oui, vous avez bien lu), qui habille les avatars dans le métavers – ou Amazon, s’y sont installés ! Mais vous pourrez plus simplement proposer vos services, développer des jeux, ouvrir un casino, organiser des concerts…
Le métavers est également le marketing du futur. Elle inventera de nouvelles stratégies publicitaires afin de promouvoir des marques.

Acheter ou vendre
De nombreux actifs digitaux attendent des acquéreurs. Ils vous permettront par exemple de personnaliser votre avatar, de meubler votre espace, etc.

Spéculer
Vous pouvez acheter et/ou louer une propriété ou un terrain ou construire une structure. L’immobilier virtuel, l’une des activités les plus populaires, est en plein essor, les terrains numériques ayant le vent en poupe (pour la création d’espaces de commerce ou d’organisation d’événements.

EN CONCLUSION

Pour certains experts, le métavers sera encore plus toxique qu’internet, allant même jusqu’à le qualifier de « Far West » numérique. Cette nouvelle expérience sera tout aussi excitante que dangereuse. Les effets négatifs tels que nous les connaissons sur l’internet d’aujourd’hui seraient amplifiés et engendreraient des problèmes d’addiction bien plus graves. Les interactions virtuelles plus réalistes et plus intenses y seront bien sûr pour beaucoup avec des pertes de patience, de concentration et de comportements toxiques… Restent à définir des lois qui, pour l’instant, n’existe pas.

LES NFT, C’EST QUOI EXACTEMENT ?

Les jetons non fongibles (NFT) sont des certificats de propriété stockés sur une blockchain. Ces jetons numériques permettent de certifier l’authenticité d’un objet qui lui est associé en achetant un code (ou un certificat)

Contrairement à la monnaie telle qu’on la connaît (ou aux cryptomonnaies), chaque NFT est unique ou non fongible, c’est-à-dire qu’il ne peut être échangé contre quelque chose de valeur égale. 

Le marché de l’art est en pleine révolution grâce aux NFT. Mike Winkelmann (Beeple) a vendu une photo numérique pour plus de 69 millions de dollars chez Christie’s. Et pourtant, cette photo est consultable et téléchargeable sur internet, contrairement à un tableau « réel ». Alors, pourquoi acheter une telle œuvre de cette manière ? Et bien tout simplement parce que celle-ci a été vendue avec son NFT qui la rend unique et traçable. Ce certificat signe bien sûr l’œuvre de l’artiste et indique qui l’a vendue, qui l’a achetée et pour quelle somme et à quelle date. Cette œuvre « numérique » peut donc être cédée en enchère… et si la valeur de la cryptomonnaie qui a permis d’acquérir le certificat NFT augmente, la valeur de cette œuvre augmentera  pour le possesseur du NFT.

(1) La réalité virtuelle permet de simuler numériquement un environnement.

(2) La réalité augmentée est la combinaison d’images de synthèses et d’ images du monde réel.

(3) Une blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations qui permet à ses utilisateurs – connectés en réseau – de partager des données sans intermédiaire.

(4) Un NFT est un certificat de propriété stocké sur une blockchain  généralement associé à un actif numérique : œuvres artistiques, vidéos, objets de collection… C’est un jeton unique ou « non fongible » qui ne peut pas être retiré ou contrefait.

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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Retour vers le futur – les prédictions médicale dans les années 1950

LES NFT, C’EST QUOI EXACTEMENT ?

Les jetons non fongibles (NFT) sont des certificats de propriété stockés sur une blockchain. Ces jetons numériques permettent de certifier l’authenticité d’un objet qui lui est associé en achetant un code (ou un certificat)

Contrairement à la monnaie telle qu’on la connaît (ou aux cryptomonnaies), chaque NFT est unique ou non fongible, c’est-à-dire qu’il ne peut être échangé contre quelque chose de valeur égale. 

Le marché de l’art est en pleine révolution grâce aux NFT. Mike Winkelmann (Beeple) a vendu une photo numérique pour plus de 69 millions de dollars chez Christie’s. Et pourtant, cette photo est consultable et téléchargeable sur internet, contrairement à un tableau « réel ». Alors, pourquoi acheter une telle œuvre de cette manière ? Et bien tout simplement parce que celle-ci a été vendue avec son NFT qui la rend unique et traçable. Ce certificat signe bien sûr l’œuvre de l’artiste et indique qui l’a vendue, qui l’a achetée et pour quelle somme et à quelle date. Cette œuvre « numérique » peut donc être cédée en enchère… et si la valeur de la cryptomonnaie qui a permis d’acquérir le certificat NFT augmente, la valeur de cette œuvre augmentera  pour le possesseur du NFT.




L’argent, la mort et les systèmes politiques

A un mois d’intervalle sont parus deux livres aux histoires très différentes mais aux thèmes principaux identiques : l’argent, la mort et les systèmes politiques. Et pour cause, le premier traite de la prise du pouvoir en Arabie Saoudite par Mohamed ben Salmane, alors que son père est roi et qu’il était le deuxième sur la liste des héritiers, et l’autre traite de la crise des opioïdes aux Etats-Unis et de la démarche d’un journaliste ayant contribué à la mettre en lumière et à faire en sorte que quelques-uns de ses responsables puissent passer en justice. 

Ces deux livres contrastent cependant car le premier est d’une lecture facile et prenante et l’histoire est assez binaire – sa simplicité soutient le regard que l’on pourrait avoir sur les dictatures – et le second est plus complexe puisqu’il relate les nombreuses procédures de plaignants mais aussi de journalistes, les conflits d’intérêts de procureurs qui, aux Etats-Unis, sont élus avec des soutiens financiers, l’utilisation des subtilités de la Loi par les cabinets d’avocats… et rend de ce fait bien compte que l’exercice de l’Etat de Droit est chose complexe.

DE LA SIMPLICITÉ DE LA DICTATURE…

Pour ceux qui regardent les parutions de l’éditeur «  Jardin des livres », il peut paraitre surprenant qu’il fasse côtoyer dans son catalogue des livres soutenant des thèses complotistes sur la Covid-19 ou sur l’origine des religions et un livre qui décrit sans concession l’ascension de Mohammed Ben Salmane, surnommé MBS, vers le pouvoir suprême en Arabie Saoudite et ce, alors que son père Salmane Ben Abdelaziz, fils d’Ibn Saoud, est encore roi. Toutefois, à rebours de la littérature complotiste, de dernier livre, écrit par deux journalistes du Wall Street Journal, est un condensé de géopolitique et l’illustration parfaite de ce qu’est une autocratie car, progressivement, MBS a su se mettre en position de prendre les décisions essentielles concernant la politique du royaume et écarter tant le prétendant au trône le devançant, Mohammed Ben Nayef, que l’essentiel de l’opposition. 

Côté clair, MBS affiche une volonté de transformer l’économie de rente pétrolière de son pays en une économie moderne, tournée vers les nouvelles technologies et le tourisme et pour cela, il crée de novo une zone urbaine dite intelligente (projet NEOM), tente de favoriser les investissements étrangers à grande échelle, fait acheter pour 450 millions de dollars le Salvador Mundi attribué à Léonard de Vinci, tente de créer pour 15 milliards de dollars une immense zone culturelle (projet AlUla)…

Côté gris, alors qu’il pense attirer les investissements, c’est son argent qui est recherché par les multiples sociétés et agents troubles qui gravitent dans son entourage au point de se rendre compte que la relation qu’il entretient avec les Etats-Unis n’est que transactionnelle, il ne peut faire entrer en bourse à New York, mais uniquement à Ryad, Aramco la compagnie pétrolière du royaume, car cela justifierait une tenue de ses comptes conforme aux règles internationales…

Côté obscur, sans concertation ou considération sur les équilibres régionaux, il décide des premiers bombardements sur le Yémen et séquestre pour le faire démissionner le premier ministre du Liban, Saad Hariri, libano-saoudien dont la famille a fait fortune en Arabie Saoudite. Il élimine ses principaux opposants en les emprisonnant en une nuit dans un hôtel de luxe afin qu’ils rendent l’argent prétendument issu de la corruption. Alors qu’il va prendre la décision de permettre aux femmes de conduire une voiture, il fait emprisonner une opposante dont c’était une revendication au prétexte qu’une telle décision doit venir d’en haut, du prince bienveillant vers ses sujets et non pas donner l’impression qu’elle est une réponse du prince à une protestation du peuple. Pour sa suite rapprochée de 10 personnes, il finance des vacances de luxe d’un mois à 50 millions de dollars en privatisant une île des Maldives et en faisant venir 150 « mannequins » dont on vérifie à l’arrivée qu’elles n’ont pas de maladies vénériennes, etc., sans oublier tous les détails sordides concernant l’assassinat à l’Ambassade d’Arabie Saoudite à Istanbul, du journaliste d’opposition Jamal Kashoggi qui finira découpé à la scie à os sur place… et bien d’autres choses encore.

Il est prince et avoue lui-même que son modèle est Machiavel et son livre « Le Prince ». Suite à l’assassinat de Kashoggi, certains ont modifié le sens de son acronyme MBS en Mister Bone Saw (Monsieur tronçonneuse) : est-ce à dire qu’il a su imposer l’image de son maître ?

… À LA COMPLEXITÉ DE LA DÉMOCRATIE

De façon un peu surprenante, la crise des opioïdes qui sévit aux Etats-Unis est assez mal connue en France. Pourtant, en dix ans, elle a été responsable de plus de 500 000 décès par surdose et a contribué à faire reculer l’espérance de vie. Sa raison ? La surconsommation de comprimés d’oxycodone et d’hydrocodone destinés à soulager les douleurs mais entrainant rapidement une dépendance telle qu’elle provoque une addiction majeure et ce, alors que le principal laboratoire commercialisant ces produits, Purdue Pharma, en a fait une promotion inverse, indiquant qu’il n’y avait pas de dépendance.

Outre les décès, des milliers de familles ont été brisées quand un de leurs membres est devenu dépendant, pour ne pas dire drogué, et notamment des familles des classes moyennes, car ce sont celles qui ont pu avoir accès à ces médicaments avant que la dépendance n’entraine chômage et délinquance.

Outre Purdue, au cœur du problème, il y a un réseau de médecins prescripteurs voire sur-prescripteurs, voire corrompus, délivrant des ordonnances contre argent liquide ou faveurs sexuelles, des pharmaciens peu regardants sur l’origine des prescriptions de même que ne l’étaient pas les grossistes-répartiteurs sur les quantités astronomiques de comprimés approvisionnant les pharmacies (780 millions de comprimés en 6 ans dans un Etat de 1,8 millions d’habitants par exemple), ou l’ordre des pharmaciens ou l’agence de régulation des produits pharmaceutiques.

En face, outre les familles touchées il y a la mise  mal des finances des Etats chargés de réparer les dégâts : traitement de la dépendance, soins médicaux, placements en famille d’accueil, administration pénitentiaire, enquêtes, poursuites pénales, transfert des corps suite aux surdoses, autopsies.

Progressivement se mettront en route les procédures de l’Etat de Droit, de la Justice, de le Presse qui dénoncera le scandale sanitaire et ses acteurs, les procès intentés par les familles ou les procureurs des Etats au nom de leurs populations et ce, contre les divers maillons de cette chaine que certains ont qualifié de cartel légal de la drogue aux Etats-Unis. Le livre du journaliste Eric Eyre nous fait découvrir les premières démarches – gagnantes mais au prix de quelles complexités juridiques – celles impliquant l’Etat de Virginie contre les grossistes-répartiteurs. Le livre fait toutefois l’impasse sur d’autres poursuites gagnantes, celles menées contre Purdue Pharma qui ont abouti à de nombreuses et phénoménales amendes et ont déclaré trois de ses dirigeants criminellement coupables, tout en permettant à la compagnie de continuer à commercialiser ses produits en en ayant adapté l’étiquetage.

Par contraste, lorsque les responsables de l’assassinant de Jamal Kashoggi seront connus et que MBS aura été envisagé comme étant son commanditaire, ce dernier après maints versions finira par reconnaître que des saoudiens aient pu faillir, puis il sera communiqué que ces saoudiens ont été jugé dans leur pays, sans qu’aucune donnée relative à ces procès et aux sanctions effectives ne soient connus. C’est simple, il suffit d’affirmer que cela a eu lieu pour que ceci apparaisse vrai.

EN SAVOIR PLUS…

Mohammed Ben Salmanedu pétrole et du sang

  • Auteurs : Bradley Hope et Justin Scheck
  • Éditeur : Jardin des Livres
  • Parution : Novembre 2021
  • Pagination : 408 pages
  • Format broché : 24,00 euros

Mort à Mud Lick

  • Auteur : Eric Eyre
  • Editeur : Globe
  • Parution : Octobre 2021
  • Pagination : 320 pages
  • Format broché : 22,00 euros




Joseph et la femme de Putiphar ou les infortunes de la tunique – 2e partie

C’est en terre de Goshen que s’étaient déjà installés les Hyksos (c), ces étrangers venus du nord-est et qui régnèrent pendant une centaine d’années avant d’en être chassés par Ahmôsis 1er (mort en –1525/24 av. J.-C.) le fondateur de la dix-huitième dynastie originaire de Thèbes et qui restaura ainsi la domination thébaine sur l’ensemble de l’Égypte. Pour l’instant, c’est justement à Thèbes, l’actuel Louxor, qu’est parvenue la caravane. La ville est devenue « le centre du monde » (2) après la longue hégémonie de Memphis, depuis qu’elle s’est imposée comme la capitale de l’empire qui s’étend de l’Euphrate à la Nubie. 

C’est donc non loin de Thèbes que Joseph, que Thomas Mann nomme par son nom égyptien Ousarsiph (10), est vendu comme esclave ou plutôt troqué, car à cette époque la monnaie n’existait pas (11) et c’est ainsi que Joseph devint la propriété de Putiphar (ou Potiphar) du nom égyptien Pa-di-pa-Rê (celui qu’a donné Phrê) (19) un haut dignitaire égyptien, eunuque et Chef des gardes (l’équivalent à la fois du Garde des Sceaux et du ministre de l’Intérieur) et Flabellifère (d) très proche du Pharaon. 

De simple esclave initialement dévolu aux travaux des champs et aux corvées, Joseph, grâce à son intelligence et à son sens de la répartie, va progressivement s’imposer jusqu’à devenir l’intendant et l’homme de confiance de son maître, mais c’était sans compter sur la femme de Putiphar.

La femme de Putiphar n’a pas de nom dans la Bible ni dans le Coran, bien qu’elle ait pu prendre le nom de Zouleïkha dans la tradition musulmane et Thomas Mann (10) la nomme Mout-em-enet (Mout-dans-la-vallée-du-désert)  ou plus simplement Mout (du nom de l’épouse du dieu Amon) avec le diminutif affectueux Eni. Cette femme n’est pas une gourgandine dévergondée par tempérament ni une hétaïre vivant au crochet des hommes riches et influents comme, bien plus tard, dans la Grèce classique et elle ne doit pas être considérée comme une grande hystérique nymphomane, car dans le récit qu’en fait Thomas Mann (10) elle est « la descendante d’une antique lignée de princes des nomes » (nomos : province/district) c’est-à-dire de ces divisions administratives de l’Egypte ancienne qui avaient leurs divinités propres. (9) 

Joseph et la femme de Putiphar (entre 1610 et 1615) pas Leonello Spada (1576-1622).
Peinture sur toile (194 x 144 cm). Musée des Beaux-Arts de Lille.

Joseph expliquant les rêves du pharaon  par Adrien Guignet (1816-1854).
Huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Rouen.

Elle fait partie de l’élite éduquée et reçoit régulièrement la visite du Grand-Prêtre d’Amon au sein d’une société où politique et religion sont inséparables (11) et l’épouse de ce « redoutable personnage » préside au « noble ordre de la déesse Hathor » sous le patronage de la Grande Epouse du Pharaon à l’instar de Néfertari, la future Grande Epouse royale de Ramsès II (v. 1304-v.1213 av. J.-C.) qui sera Divine adoratrice d’Amon dotée d’une grande autorité religieuse et incluant des rituels de purification très codifiés. Cependant, cette fonction très en vogue sous la reine Hatshepsout (v.1508-1457) avait été supprimé par Thouthmôsis III (mort en 1425 av. J.-C.) qui avait mal vécu la régence de cette reine-pharaon lorsqu’il était enfant et ce n’est que bien plus tard que cette fonction fut réhabilitée. 

L’épouse de Putiphar fait partie, avec les grandes dames de Thèbes, du Harem d’Amon avec un rôle social important encore que, dans ce contexte, « les soucis quotidiens des femmes l’emportent d’ordinaire sur les affaires d’état » (13). Hathor est la fille du dieu-soleil Rê, celle qui réjouit son père de sa musique et le protège et elle est la  déesse de l’amour, de la fécondité, de l’abondance, de la beauté, de la joie de la musique et de l’ivresse (3) lorsqu’elle est représentée sous la douce apparence d’une vache ou sous forme humaine avec une couronne où deux cornes encerclent le disque solaire. Cependant, elle peut adopter la forme plus inquiétante d’une chatte (Bastet) ou d’une femme à tête de chat, et surtout prendre l’apparence d’une lionne (Sekhmet, la puissante) « qui se complait dans les fleuves de sang » (2) et « la colère d’Hathor-Sekhmet est parfois interprétée comme le signe de sa sexualité indomptée ». (12)

La femme de Putiphar, très frustrée sexuellement, car son époux à été castré dans sa prime enfance, s’apparente de fait à cette déesse qui, comme elle, est « quotidiennement lavée, revêtue d’une nouvelle robe, ornée de bijoux et enduite de senteurs exquises » (12) et comme elle, elle va se transformer en furie lorsque son amour passion pour Joseph sera contrarié. 

C’est dire l’importance sociale de la femme de Putiphar qui est d’une grande beauté, hiératique, tout en finesse et qui consacre de longues heures à sa toilette où se succèdent bains parfumés, séances de maquillage avec ce khôl aux vertus thérapeutiques vis-à-vis des ophtalmies purulentes et autres trachome ou conjonctivites (5) dont les dégâts sont lents et insidieux. (2) 

Le khôl allonge ses beaux yeux, mais elle porte aussi des perruques comme les femme fortunées en portaient toujours (3) et des « vêtements pareils à des fleurs » incluant des robes à plis en lin très fin. (3) Tout le monde se prosterne lorsqu’elle passe dans sa litière d’or portée par des esclaves nubiens et peut-être jouait-elle au Senet qui s’apparente au backgammon actuel. (3) Elle tentera, en se faisant l’avocat du diable, mais en vain, de convaincre son époux d’éloigner Joseph loin de son désir inavouable. La confrontation amoureuse devient inévitable, car elle ne peut lutter contre « le souffle dévastateur du taureau de feu prêt à transformer les riantes prairies en un champ de cendres » comme Apis, le taureau sacré de Memphis. (9) La femme de Putiphar essaie de mettre de son côté une divinité plus conciliante, en l’occurrence Atoum-Râ, ce « dieu très antique et tolérant » (10) et bienveillant aux peuples étrangers, plutôt que « cet Amon rigide qui jusque là avait été son maître ». (e) 

La femme de Putiphar en arrive même à suggérer de tuer son époux afin qu’il ne soit plus un obstacle sur « le chemin de la volupté ». Bien évidemment Joseph ne peut que s’opposer à une telle méthode expéditive qui ferait d’elle « la mère du péché ». Enfin, et l’épisode figure dans le texte coranique, elle essaie de se concilier la compassion de ses amies, les femmes des dignitaires de Thèbes et de couper court à leurs commérages ; elle organise en ce sens une réunion festive ou chacune dispose de petits couteaux redoutablement aiguisés pour peler les fruits et couper les friandises à leur disposition. 

En réalité, et c’est délibéré de la part de la femme de Putiphar, ces dames vont se taillader les doigts par inadvertance lorsque « l’échanson entre en scène : c’était Joseph » et la femme de Putiphar leur dira alors : « Je vous l’ai montrée, la cause de ma mortelle langueur et de toute ma misère. Ayez donc des yeux pour moi aussi puisque vous étiez tout yeux pour lui ». Au bout du compte, le refus de Joseph est même apparu à ces dames comme étant une « scandaleuse rébellion cananéenne portant atteinte à l’honneur d’Amon », c’est-à-dire que l’idylle toute relative devenait un problème politique.

Louis-François Garnier

L’histoire singulière de Joseph et la femme de Putiphar nous a été transmise par la Bible hébraïque rédigée par des scribes-rédacteurs, c’est-à-dire un milieu élitiste partie prenante dans la narration, entre la fin du IIe millénaire et le Ier siècle avant notre ère, mais l’historicité des faits reste incertaine dans le cadre plus général de cette fascinante Egypte ancienne qui resta fidèle à ses divinités pendant trente siècles bien qu’en filigrane apparaît en l’occurrence l’hostilité croissante des prêtres d’Amon vis-à-vis de ce pharaon favorable au syncrétisme religieux que fut Amenhotep III et dont le fils Amenhotep IV dénommé ensuite Akhénaton imposera le culte d’Aton dans une vaine tentative de monothéisme qui en fera, post mortem, un pharaon renégat. (2)(13) 
Le Dieu unique des Hébreux apparaît aussi en demi-teinte en sus de la puissance de Thèbes devenu l’âme de l’Egypte pharaonique (17) et la capitale du royaume d’Egypte réunifiée sous l’autorité de la XVIIIe dynastie. Ce qui n’aurait pu être qu’une banale histoire d’adultère contrarié est apparu comme une situation digne d’intérêt compte tenu des protagonistes. 
D’un côté l’épouse d’un haut dignitaire égyptien, très proche du Pharaon garant de l’ordre du monde (Maât) et de l’autre un jeune hébreu dont la vertu, la loyauté à son maître, la piété filiale, mais aussi la foi fervente en son dieu unique le conduiront à ne pas succomber à la tentation de la chair et au péché, concept totalement étranger à la société égyptienne polythéiste de cette époque. 
Il nous faut savoir gré à Thomas Mann (1875-1955), prix Nobel de Littérature en 1929, de recréer sous la forme d’ « une fiction littéraire digne de ce nom », (23) l’atmosphère envoûtante de cette histoire hors du commun qui a inspiré nombre d’artistes.(10) C’est ainsi que les peintres ne manqueront pas d’illustrer l’érotisme de la situation en nous montrant, de façon plus ou moins dénudée, cette femme follement amoureuse qui arrache la tunique du beau jeune homme qui lui échappe. 
A l’instar de la déesse Hathor dont l’image de vache placide pouvait se transformer en lionne sanguinaire, la redoutable vengeance de la femme de Putiphar va être à la hauteur de son humiliation sous la forme d’une fallacieuse accusation de tentative de viol, la tunique devenant la pièce à conviction. 
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Joseph eut des déboires avec une tunique puisque celle qu’il avait reçue de son père Jacob avait exacerbé la jalousie de ses demi-frères et avait failli lui coûter la vie. De toutes ces épreuves, Joseph sortira vainqueur et sa force d’âme, cette fortitude qui est « la condition de toutes les vertus tout en étant l’une d’entre elles » (Thomas d’Aquin), force le respect  par delà les millénaires.

a) Canaan : terme apparu au XVe siècle av. J.-C. et correspondant à peu près à la zone actuelle incluant le Liban, Israël, la Palestine et le sud de la Syrie, c’est-à-dire la partie sud de ce que les Egyptiens appelaient Rétjénou ou Réténou. C’est vers 1850 av. J.-C. (?) que se situe la migration d’Abraham venant d’Our, qui était l’une des plus importantes villes de la Mésopotamie antique, dans l’actuel Irak, et alors située sur une des branches de l’Euphrate et proche du Golfe Persique.  Nous sommes de ce fait  à l’extrémité orientale du « croissant fertile » et la migration se fait vers le pays de Canaan suivie, vers 1700 av. J-C. (?), de l’installation en Egypte d’hébreux qui y resteront 430 ans d’après la tradition (22), c’est-à-dire  jusqu’à Moïse et l’Exode vers 1250 av. J.-C. sous le règne de Ramsès II. (v. 1304-v.1213 av. J.-C.) (1) (22) Ainsi, l’épisode de Joseph se situerait entre ces deux dates approximatives et ferait, en quelque sorte, le lien entre l’Exode et les patriarches qui, au sens strict, sont les trois pères fondateurs du peuple juif dans le Livre de la Genèse, à savoir Abraham, Isaac et Jacob. Les histoires de Joseph et de Moïse sont « complémentaires, deux versants d’un diptyque dans l’histoire des Hébreux, respectivement l’entrée et la sortie d’Egypte » (19) et l’histoire de Joseph est à rapprocher de l’installation d’Hébreux en Egypte selon deux modalités distinctes : « d’une part la déportation de serviteurs esclaves provenant de Canaan et d’autres part, la venue de bergers fuyant la sècheresse et la famine avec leurs troupeaux ». (22) Thomas Mann (10) relate que « Amenhotep III (régnait) dans les années où Joseph vécut sous le toit de Putiphar ». Ce pharaon dont le nom signifie « Amon est satisfait »  également dénommé en grec Aménophis III (v.1403 -. 1352 av. J.-C.) conduira l’Egypte à l’apogée de sa puissance. Joseph est supposé l’avoir vu avec la Grande Epouse royale, la reine Tiy, et le petit et futur Amenhotep IV (né entre 1371/1365 et mort vers 1338/1337 av. J.-C.). A l’époque qui nous intéresse (-1360) le jeune futur pharaon devait avoir entre 5 et 11 ans. C’est bien plus tard que la situation des Hébreux en Égypte va beaucoup se dégrader avec un nouveau Pharaon, « qui n’a pas connu Joseph » et qui réduisit  les enfants d’Israël en esclavage ;  ils n’auront pas d’autres alternative que de sortir d’Egypte d’où l’Exode du grec ex  « au-dehors » et hodos  « route ».

b) Madianites : descendants de Madian fils d’Abraham et installés à l’est du Jourdain entre Mer Morte et Sinaï et ce sont eux qui accueilleront Moïse lors de sa fuite d’Egypte. Les Ismaélites sont les descendants d’Ismaél, premier fils d’Abraham et étaient installés entre l’Euphrate et la Mer Rouge (Arabie actuelle). La gomme adragante est obtenue à partir de la sève d’arbrisseaux et était appréciée pour ses propriétés médicinales et le ladanum était une gomme-résine issue d’un ciste et utilisée en parfumerie, à ne pas confondre avec le laudanum à base d’opium.

c) Hyksôs : de heka khasout  (chefs des pays étrangers), dénomination d’un peuple venu d’Asie, au moins en partie d’origine sémitique et qui régnât sur la partie basse et moyenne de  l’Égypte à la fin de la Deuxième Période intermédiaire (1800-1500 av. J.-C.). Les dirigeants de Thèbes contribuèrent à répandre la réputation d’envahisseurs étrangers pour justifier la destruction et le pillage de la ville d’Avaris, leur capitale très prospère, victime de « la machine de guerre qui unifiera bientôt l’Egypte » (7)

d) Flabellifère : de flabellum désignant les grands éventails de cérémonie constitués de plumes d’autruches ou de paon au bout d’une longue perche afin d’éventer les hauts personnages, et en particulier le pharaon, lors de leurs déplacements, mais cette fonction a perdu de son importance au profit d’un rôle symbolique de manifestation du pouvoir, en particulier « à la droite du roi », ce qui était le cas de Putiphar.(10) 

e) Atoum Râ ou Atoum Rê est  l’antique dieu solaire qui est à la fois le soleil levant (Khépri : celui qui naît) symbolisé par le scarabée poussant le disque solaire, le soleil au zénith (Rê) puis le soleil couchant (Atoum) avec la dénomination plus générale de Rê-Horakhty (Rê comme étant Horus de l’horizon) et dont le principe visible est Aton, le disque solaire divinisé, dont le culte a été encouragé par Amenhotep III favorable au syncrétisme puis finalement imposé par son fils Amenhotep IV qui prendra le nom d’Akhénaton (Esprit vivant d’Aton) (3) qui, confronté à l’hostilité du clergé thébain devenu aussi riche que le roi (véritable état dans l’état), décidera d’abandonner le culte d’Amon le « dieu caché », dont Thèbes fut le principal lieu de culte sous le nom d’Amon-Rê le principal dieu du Nouvel Empire, (3)  au profit d’Aton, « le dieu visible » en construisant des temples à ciel ouvert, car « la place du soleil n’est pas à l’ombre » (2) dans sa nouvelle capitale Akhet-Aton ou L’horizon d’Aton (Tell el Amarna) à 300 km au nord de Thèbes. Aton était représenté sous la forme d’un disque solaire doté de long rayons terminés par des mains miniatures tenant le symbole de vie dénommé ankh. (3)  Après sa mort, Akhénaton fut considéré comme hérétique, sa ville fut détruite et ses représentations de même que celles de son épouse Néfertiti, qui lui survécut une dizaine d’années, furent mutilées. Les privilèges des prêtres d’Amon furent rétablis et Toutankhaton (l’image vivante d’Aton), le fils d’Akhénaton d’après la génétique moderne, changea son nom en Toutankhamon. (16)

Bibliographie

1) La Bible de Jérusalem cerf 2007.
2) Chedid A. Néfertiti et le rêve d’Akhénaton. Les Mémoires d’un scribe, Flammarion, 1974.
3) Tyldesley J. L’Egypte à la loupe. Larousse 2007.
4) L’Egypte et la Grèce antique. Gallimard-Larousse 1991.
5) Reboul Th. Les oculistes pharaoniques et leurs vases à collyres. L’Ophtalmologie des origines à nos jours. Tome 5 ; 5-17. Laboratoire H. Faure.
6) Tommasi M. Le régime du Nil nourrit les Egyptiens. Histoire & Civilisations N°66 : 14-19 novembre 2020.
7) Manley B. Atlas historique de l’Egypte ancienne. De Thèbes à Alexandrie : la tumultueuse épopée des pharaons. Autrement 1998.
8) Maruéjol F. L’Egypte et Canaan, les partenaires ennemis. L’Histoire de la Méditerranée. Le Monde Hors-série 2019.
9) Le musée égyptien de Turin. Federico Garolla Editore 1988.
10) Mann Th. Joseph et ses frères. Joseph en Egypte. L’Imaginaire Gallimard 1980.
11) Cevennit W. L’état pharaonique. Organisation politique de l’Egypte ancienne. Egypte ancienne N°36 2020.
12) Berlaine-Gues E. Hathor une déesse envoûtante. Egypte ancienne N°36 2020.
13) Mahfouz N. Akhénaton le Renégat. roman  Denoël 1998.
14) Agut D., Lafont B. Faute, culpabilité… en Egypte et en Mésopotamie. Qui a inventé le péché ? Le Monde de la Bible N°234 2020.
15) Onfray M. Sagesse. Ed. J’ai Lu 2020.
16) La grande histoire de l’Antiquité. Pharaons. Hors-série N°2 2020 Oracom.
17) Willaime V. Thèbes ; L’âme de l’Egypte pharaonique. Egypte ancienne N°36 2020.
18) Barrow R.J. Lawrence Alma-Tadema. Phaidon 2006.
19) Vernus P. Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique. Plon 2009.
20) Peltre Ch. Les Orientalistes. Hazan 2003.
21) Briend J. Joseph. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
22) Lemaire A. Les Hébreux en Egypte. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
23) Zivie A. Ramsès II et l’Exode : une idée reçue. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.

Remerciements au Docteur Philippe Frisé, ophtalmologiste à Ploërmel pour sa documentation.




CES 2022


Plus important salon consacré à l’innovation technologique, le Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas – pour sa 55e édition – a été une édition hybride en raison du contexte sanitaire. Même si des poids-lourds comme Google, Facebook, Amazon ou Gsk –  qui ne sont pas forcément les plus innovants  – étaient absents, cela n’a pas empêché les start-up de présenter de belles nouveautés. L’Hexagone, deuxième pays le plus représenté cette année derrière les États-Unis, n’était pas en reste, et notamment dans le domaine de la santé qui était le contingent le plus important avec la greentech et la robotique.

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 444 – Janvier-Février 2022

WITHINGS

Habituée du salon, l’entreprise française Withings, Lauréate de trois CES Innovation Awards 2022, a dévoilé sa prochaine balance Body Scan connectée intégrant de nouvelles caractéristiques avec une vue à… 360° sur la santé.

– Mesure de l’activité nerveuse (détection certaines neuropathies) dans les pieds. Un score faible peut par exemple être un symptôme de certaines maladies chroniques ;

– analyse renforcée de la composition corporelle par segmentation : des capteurs avancés intégrés à la poignée scannent le torse, les bras et les jambes pour offrir une vision détaillée de la composition corporelle et de la forme physique ;

– enregistrement d’un électrocardiogramme (ECG) permettant de détecter la fibrillation auriculaire. Pour lancer une mesure, il suffit simplement de tenir une poignée en se pesant. Body Scan enregistre un électrocardiogramme 6 dérivations en seulement 30 secondes. Le résultat s’affiche bien évidemment sur l’écran de la balance, accompagné d’un code couleur. Le tracé apparaît automatiquement dans l’application Withings télécharageable sur Google ou Apple avec la posibilité de l’envoyer facilement à un professionnel de santé ;

– détection de biomarqueurs associés à certaines maladies comme le diabète (type 2) et l’identification de certaines pathologies, Body Scan permettra un contrôle proactif de sa santé. 

En outre, la station offre des porgrammes santé personnalisés, un partage des données avec des professionnels de santé et des conseils adaptés suivant les données fournies à l’appareil.

Disponibilité prévue : second semestre 2022.

CIRCULAR

La start-up Française Circular a dévoilé sa bague intelligente pour améliorer la santé et le bien-être (le mot à la mode).

L’idée de cette bague est née en 2016 d’une équipe d’experts du hardware et de l’industrialisation, d’ingénieurs algorithmiques et data scientists. Dotée de biocapteurs, celle-ci mesure l’oxygénation du sang, la détection d’éventuels symptômes comme l’apnée du sommeil. Elle permet également d’améliorer ses performances physiques grâce à une application qui synthétise et analyse toutes les données reçues.

ALIAE

Aliae présente son chatbot en santé.

Aliae a développé une thérapie numérique au travers de son chatbot (1). Grâce à l’intelligence artificielle, Aliae transforme le dialogue naturel avec les patients en une évaluation continue de l’état de santé et de la qualité de vie.

Il participe aux relations entre patients chroniques et les équipes médicales dans le cadre d’un programme de soins numériques

Les informations peuvent également compléter les questionnaires ou journaux médicaux standard, et contribue aux résultats avancés signalés par les patients.

Dans ce développement avancé, les assureurs et leurs adhérents ne sont pas en reste, afin d’établir des programmes de prévention, de gestion des pathologies ou de bien-être.

GRAPHEAL

TestNPass, le test diagnostique nasal Covid-19 connecté.

La start-up Française grenobloise Grapheal a reçu un Best innovation award du CES avec le développement de son TestNPass, un test antigénique numérique nasal sans pile pour le dépistage sur le terrain  d’une infection à la Covid-19 en détectant sa présence, et ceci en 5 minutes chrono.

Concrètement, le matériau utilisé est du graphène-sur-polymère, un nanomatériau composé de carbone pur ultra-fin et biostimulant permettant aux cellules une régénération plus rapide à son contact. Le signal capturé par un biocapteur permet une détection d’une plus grande précision à la survenue d’un phénomène biologique.

Le résultat est mémorisé dans une étiquette RFID (2) garantissant la confidentialité des utilisateurs. Il constitue un laissez-passer de santé numérique. La lecture de ce test se fait par l’intermédiaire d’un smartphone.

FLUIGENT

OMI, le laboratoire de poche qui reproduit le vivant.

Fluigent, le leader en microfluidique, (3) dévoile OMI, un laboratoire microscopique qui imite les organes vivants tels que la peau, les poumons ou même le cerveau.

Ce  laboratoire, le plus petit au monde (150 x 80 mm), permet des traitements thérapeutiques sur mesure. Il accélère le développement de nouveaux médicaments, réduit la nécessité d’expériences sur les animaux et l’impact environnemental et reproduit in vitro l’in vivo.

OMI recrée une biologie humaine plus vraie que nature avec des avancées significatives dans la compréhension du vieillissement, la personnalisation des traitements en un temps record, le développerment des médicaments ou encore dans l’étude des maladies infectieuses.

SENGLED

Sengled est un fabricant d’ampoules connectées.

la Smart Health Monitoring Light est une ampoule Wi-fi/Bluetooth avec surveillance intégrée de la santé grâce à un mini radar intégré.

Le système, capable de passer au travers des objets, serait capable de mesurer plusieurs signes vitaux d’individus, dont la température corporelle et le pouls.

Les ampoules pourraient fonctionner par paires et communiquer via Bluetooth afin de réaliser une cartographie de la pièce dans laquelle elles sont localisées. Ce système permettrait ainsi de suivre les occupants et de repérer une situation inhabituelle (une chute par exemple). 

La Smart Health Monitoring Light pourrait également faire office de tracker de sommeil et donc aider à poser un SAS, de mesurer la fréquence cardiaque, la température corporelle, la qualité du sommeil…

Lancement prévu : fin d’année 2022.

ABBOTT

Le groupe pharmaceutique américain a décroché quatre prix Innovation Awards.

1. Le premier prix revient à son test portatif rapide pour la détection des traumatismes crâniens (TC) et traumatismes crânien léger (TLC), le i-Stat TBI Plasma

Conçu pour fournir des mesures quantitatives de biomarqueurs, les tests s’exécutent sur la plateforme portable i-s=Stat Alinity d’Abbott  (disponibles en quinze minutes).

Avec une valeur prédictive négative (VPN) de 99,3 % et une sensibilité clinique de 95,8 %, le test i-STAT TBI Plasma peut aider aux prises de décision sans avoir recours au scanner cérébral.

2. Le laboratoire a également décroché un deuxième prix pour son autotest BinaxNOW Covid-19.

Le test portable fournit des résultats en 15 minutes sans équipement et, notion à souligner, s’adresse également aux patients asymptomatiques. Accompagnée de l’application Navica, les testés pourront afficher les résultats sur leur smartphone.

3. Le troisième prix revient au FreeStyle Libre 3 qui permet des mesures de glycémie en temps réel et en continu transmises automatiquement toutes les minutes au smartphone avec un capteur de glucose plus fin, plus petit et plus facile à appliquer.

4. La dernière distinction accordée est revenue à son logiciel d’imagerie Ultreon 1.0.

Ultreon 1.0 permet aux cardiologues interventionnels d’avoir une visibilité complète dans le cœur durant une intervention coronaire percutanée (PCI). Son interface intuitive donne des informations à l’écran (morphologie, taille des vaisseaux, placement du stent, optimisation post-stent) et des conseils étape par étape suivant le flux de travail afin de faciliter la prise de décision et déterminer la technique de traitement appropriée avant la PCI.

C’est l’intelligence artificielle (IA) qui permet la quantification automatique de la calcification et du dimensionnement des vaisseaux.

RESMED

Le fabricant américain de dispositifs médicaux ResMed a reçu un Innovation Award pour sa nouvelle série AirSense version 11.

AirSense v11 est un appareil de pression positive des voies aériennes (PAP) connecté au cloud pour le traitement de l’apnée du sommeil.

De nouvelles fonctionnalités numériques ont été ajoutées sur cette version telles que l’assistant de thérapie personnelle et l’enregistrement des soins, conçues pour fournir des conseils personnalisés aux utilisateurs de PAP, les aidant à faciliter la thérapie et une utilisation nocturne confortable.

L’une des fonctionnalités nommée Care Check-In donne aux patients des conseils personnalisés à travers les étapes clés de leur parcours de traitement.

Des algorithmes de thérapie exclusifs permettent des ajustements de thérapie respiration par respiration. Un mode (AutoSet for Her) a été conçu pour traiter les caractéristiques spécifiques aux femmes de l’apnée obstructive du sommeil légère à modérée, et CPAP (pression positive continue des voies respiratoires).

Connecté à la plateforme myAir, ce dispositif médical propose aux patients équipés des « conseils personnalisés ».

L’objectif est de renforcer l’engagement des patients et ResMed promet « une adhésion augmentée de 87 % » grâce à la télésurveillance, contre environ 50 % avec les appareils PAP non connectés.

(1) Un chatbot est un programme informatique qui tente de converser avec une personne en lui donnant l’impression de converser elle-même avec une personne.
(2) RFID pour Radio Frequency Identification », également nommée étiquette intelligente, est un système de traçabilité. Sa technologie permet la mémorisation, le stockage, l’enregistrement des données sur un support et de les récupérer à distance.
(3) La microfluidique est l’étude et la mise en œuvre des écoulements à petite échelle dans des réseaux de microcanaux de quelques micromètres de diamètre.
(4) Physical review letters – Journal de la Société américaine de physique du 25 octobre 2021.

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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Alsace Pinot noir 2018 Clos Saint-Landelin

Les rares et modestes bénéficiaires du réchauffement climatique se trouvent dans les vignobles français les plus septentrionaux, où les vins, grâce à un ensoleillement et des températures beaucoup plus favorables, profitent de maturités, richesse en sucre et par conséquence en alcool, nettement améliorées.

C’est particulièrement évident pour les pinots noirs alsaciens, dont la qualité, ces dernières années, a fortement progressé. Ceci est également lié à l’émergence d’une jeune génération de viticulteurs qui ont compris les potentialités de ce cépage dans leur région en le cultivant sur les terroirs les mieux adaptés. Actuellement, le pinot noir, seul autorisé pour élaborer du vin rouge, représente 15 % de l’encépagement, mais ne peut revendiquer l’appellation «grand cru».

Lorsqu’au XVIIe siècle, Michel Muré s’installe à Rouffach, au sud de Colmar, pour y cultiver la vigne, il est loin de s’imaginer la belle aventure qu’il préparait à sa descendance. En 1935, Alfred Muré complète la propriété par le très prometteur Clos Saint-Landelin. Aujourd’hui, le domaine Muré s’étend sur 25 ha, et ce sont ses arrières petits-enfants, Véronique et Thomas, 12e génération, qui cultivent les somptueux terroirs, pour produire de grands vins en biodynamie.

Le grand cru Vorbourg exposé sud, sud-est, dont fait partie le Clos Saint-Landelin, est protégé par les deux sommets vosgiens, les Petit et Grand Ballons, qui protègent le cru contre les vents d’ouest porteurs de pluie, favorisent un climat sec et très ensoleillé. Son sol marno-calcaire repose sur du grès du Bajocien et des conglomérats calcaires de l’Oligocène. Il est riche en fer, d’où la couleur rouge ocre du sol. La cuvée pinot noir V (initiale de Vorbourg) ne peut porter le nom du grand cru du fait de la réglementation.

UNE CULTURE BIO DEPUIS 1999

Afin d’exprimer la richesse du terroir, les Muré adoptent la culture bio dès 1999, puis biodynamique depuis 2013. La taille soigneuse des ceps en Guyot, les rendements faibles,
37 hl/ha pour le pinot noir V, renforcent la capacité des raisins à transmettre au vin l’expression du terroir. En complément du travail bio : respect du sol, désherbage mécanique, apport de compost, utilisation limitée du soufre et du cuivre, les préparations biodynamiques cherchent à favoriser la vitalité et la santé de l’écosystème tout en y respectant la biodiversité grâce à des préparations pulvérisées sur le sol (bouse de corne) et sur la vigne (silice de corne) ; des tisanes de plantes médicinales comme les décoctions de prèle ou de camomille renforcent les défenses naturelles des vignes contre les maladies cryptogamiques. Le cycle des planètes rythme ces travaux.

Les vendanges manuelles s’accompagnent du tri direct sur les parcelles des raisins qui sont transportés en cagettes de 20 kg, pour éviter tout tassement. Dans la cave, le travail reste minimaliste. La macération a lieu sur 50 % de grappes entières, la fermentation s’opère grâce aux levures indigènes de la cave, l’ajout de SO2 est restreint le plus possible. L’élevage utilise des barriques de chêne, dont 30 % sont neuves. Au moment de la mise en bouteille, de l’azote liquide est injecté, pour expulser l’air ambiant et préserver au mieux les arômes du vin.

UN VIN BÂTI POUR LA GARDE

Le somptueux pinot noir Saint-Landelin vendu uniquement sur allocation compte-tenu de sa rareté (2 500 flacons), étant inaccessible, j’ai apprécié pleinement le très proche pinot noir V 2018 qui, habillé d’une belle robe lumineuse rouge cerise, déploie un fruité éclatant de framboise juteuse et de griotte, des senteurs de pruneau, de vanille et d’épices douces (poivre blanc) avec des notes salines et de pierre mouillée témoignant de la minéralité propre à ce terroir alsacien. La bouche dense, charnue, gourmande dévoile une intense énergie tout en finesse, avec des tanins soyeux aériens, puis laisse place à une longue finale spectaculaire dotée d’une belle fraîcheur. Ce vin est déjà délicieux, mais aussi bâti pour la garde.

Ce pinot noir alsacien, servi à 15-16 °, appelle une terrine de volaille au faisan, des viandes rouges grillées plutôt que braisées ou en sauce, une escalope milanaise aux pâtes fraîches, un chou farci aux épices douces, un foie de veau poêlé au vinaigre de framboise qui répond aux arômes de fruits rouges du vin. Accords régionaux de rigueur, il escortera avec plaisir les plats locaux : palette de porc fumé, baeckeoffe aux trois viandes, voire cassolette d’escargots à l’alsacienne. Le vin s’exprime pleinement avec une caille aux raisins, sa fluidité aérienne s’accorde avec la subtilité du volatile, son acidité légère et fruitée font écho à celle de la garniture et après quelques années de garde avec les petits gibiers à plume (perdreau, colvert).

Actuellement, les pinots noirs alsaciens ont le vent en poupe, séduisent les palais les plus exigeants et se font une place sur les belles tables. Certains grands vignerons n’hésitent pas à arracher des rangs de Gewurztraminer, pour replanter le cépage rouge. Celui-ci s’épanouit à condition, comme le font les Muré, de choisir des terroirs favorables (granit, grès), de pratiquer une viticulture respectueuse et une vinification à la bourguignonne. Grâce à leurs prix encore raisonnables, ces vins s’annoncent comme de sérieux challengers à leurs homologues bourguignons.

Veronique et Thomas MuréClos Saint-Landelin 68250 Rouffach

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Reuilly Cuvée Orphée 2017 Domaine Les Poëte

Je me méfie, quand je déguste les vins de Loire issus du sauvignon blanc, du caractère herbacé et variétal : genêt, bourgeon de cassis, buis, voir pipi de chat souvent retrouvé, lorsque les raisins manquent de maturité ou proviennent de terroirs inadaptés. Aussi, j’ai été réellement enchanté de découvrir dans les petites appellations peu connues du Berry : Quincy et Reuilly, les sauvignons blancs de Guillaume Sorbe.

Celui-ci, passionné dès son enfance par le vin, pour avoir grandi auprès de ses grand-père et père investis dans un commerce-bar, épicerie et dans les vignes familiales qui alimentaient les chopines des clients, fut tour à tour cuisinier, sommelier, commercial avant de franchir le pas en devenant vigneron. Il s’installa sur sa terre natale du Berry, pour y créer son domaine : les Poëte, ce nom n’étant pas lié à la proximité du pays de Nohant, patrie de Georges Sand, mais tout simplement en hommage à son arrière-grand-mère Esther Poëte.

Décidé à produire de grands vins, Guillaume Sorbe est un authentique rebelle qui n’a pas hésité, plutôt que de succéder à son père viticulteur, à lui conseiller de vendre son vignoble, pour s’installer quelques kilomètres plus loin à Preuilly, pour construire tout seul le vignoble qu’il souhaitait sur de petites parcelles nécessitant un gros travail de défrichage, mais vierge de tout produit chimique, pour parvenir actuellement à un ensemble de 7 ha, dont 4,5 de sauvignon blanc : 3 à Quincy sur des terres sablonneuses, limoneuses et argileuses, 1,5 à Reuilly sur des terroirs de sable rouge, de graves et d’argilocalcaires.

N’a-t-il pas été banni des AOC, pour avoir refusé les contrôles jugés tatillons et liberticides, et dû commercialiser toute sa production en « Vin de France » ? Quoiqu’il soit résolument bio et même biodynamicien, il préfère préparer lui-même ses décoctions de plantes : ortie, badiane, consoude, prêle, mais il refuse toute labellisation déclarant :  « On observe, on ressent, on choisit le bon jour, sans se préoccuper des cycles cosmiques. On écoute la réponse du sol. La biodynamie n’est pas un dogme, auquel on obéit aveuglément ». Il se qualifie « d’éco-logique » et refuse toute certification.

Produire moins, mais mieux

Situées au nord-ouest de Bourges, les appellations Quincy et Reuilly sont développées sur les coteaux de l’Arnon, de la Théols et du Cher. Exposé au sud et reposant sur une faille géologique, le domaine des Poëte à Reuilly comprend 9 petites parcelles aux faibles rendements entre 14 et 30 hl/ha, comme l’indique sa devise « produire moins, mais mieux ». Tout est fait, pour préserver le biotype et la biodiversité : forêts, arbres fruitiers, prairies. Les moutons (emblème du domaine) et les chevaux qui produisent un engrais naturel pâturent dans les vignes bordées de ruchers, l’enherbement est spontané, voire même semé.

Le travail des vignes et des sols se fait donc selon le principe des cultures bios et biodynamiques (pas de chimie, cuivre et soufre à faibles doses, purins, composts, préparations maison). Un palissage : ébourgeonnage très tôt, écimage tardif, 1 seul rognage permet de verticaliser la plante, pour l’aérer et l’éclaircir.

Les vendanges manuelles, soit en caisse, soit en benne élévatrice respectant le fruit, sont décidées par le rapport maturité aromatique/maturité analytique. Le tri est réalisé sur la parcelle. Le remplissage du pressoir se fait par inertage, le transfert des moûts sous azote. La fermentation par levurage indigène est effectuée dans de petites cuves ou fûts (400 à 600 hl) le débourbage uniquement à froid. Chaque parcelle est vinifiée et élevée séparément, l’élevage a été allongé à 18 mois, pour apporter de la finesse et des finales nettes et précises au vin. Les assemblages des parcelles ont lieu en fin d’élevage. Le sulfitage est le plus tardif et léger que possible. Lors de la mise : stabilisation des vins par collage, filtration inconstante.

Un vin irrésistible

Parée d’une limpide robe or claire, cette cuvée Orphée 2017, 100 % sauvignon blanc, exhale des parfums élégants, mais réservés de fleur blanche (lys), de fruits citronnés : pomelos, pomme granny de notes anisées : fenouil, gingembre, mais aussi exotiques :  kaki, goyave procurant une fraîcheur et une vivacité appétissantes. Une pointe de noisette amène de la complexité. La jolie bouche ciselée, charmeuse n’occulte pas la puissance, la tension, l’opulence sans lourdeur, le grain soyeux de ce vin salivant. La belle finale poivrée et saline dure et dure encore. Ce vin est irrésistible par sa fabuleuse élégance et s’inscrit dans les blancs les plus ambitieux de la vallée de la Loire.

Cette Orphée 2017 peut être proposée dès l’apéritif avec des rillons, de l’andouille point trop grasse, un pâté berrichon, puis avec des entrées : poissons fumés, crustacés grillés comme les langoustines et les gambas. Mais la complexité, la richesse aromatique et l’opulence de ce vin permettent des accords gastronomiques remarquables avec les poissons nobles, en premier lieu le saumon à l’oseille tout juste cuit à l’unilatéral de Pierre Troisgros. Une barbue dorée à la poêle, un loup en croûte de sel ou grillé au fenouil et ses patates douces, des Saint-Jacques en daube façon Ducasse pour le versant marin, un brochet beurre blanc, une féra à la tholonaise, un omble chevalier cresson sur poutargue de truite, pour l’eau douce l’accueilleront avec délice. Si, en fin de repas, il reste quelques gouttes de ce nectar, elles ne se déplairont pas avec un fromage de chèvre sec, tels un crottin de Chavignol ou un Pouligny Saint-Pierre, accords régionaux de rigueur !

Guillaume est aujourd’hui un homme heureux et apaisé, car il sait que son difficile pari : donner leurs lettres de noblesse aux « petits » vins du Berry est en bonne voie de succès.

Guillaume Sorbe – 18120 Preuilly

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Joseph et la femme de Putiphar ou les infortunes de la tunique – 1ère partie

C’est dans l’ancien pays de Canaan en des temps immémoriaux à l’historicité incertaine, durant le Nouvel Empire (1550-1070 av. J.-C.) et vraisemblablement vers 1360 av. J. C. sous le règne d’Amenhotep également dénommé en grec Aménophis III (v.1403-1352 av. J.-C.), le neuvième pharaon de la XVIIIe dynastie (a), qu’un jeune hébreu dénommé Joseph (Yossef ou Yusuf dans le Coran) eu quelques déboires avec une belle tunique ornée (1) qui lui fut confectionnée par son père Jacob. 

Ce geste témoignait d’une grande affection paternelle pour ce « fils de sa vieillesse » (1) de la part de ce patriarche biblique déjà père d’une famille nombreuse puisqu’il eut en tout treize enfants dont douze fils qui seront les fondateurs directs ou indirects des douze tribus d’Israël. Joseph est le fils aîné qu’il eut avec sa seconde épouse Rachel qui meurt lors de la naissance de son dernier fils Benjamin de telle sorte que Jacob, très éploré, transfert son affection sur ses jeunes enfants dont Joseph au grand dam de ses demi-frères. Leur jalousie va en outre être exacerbée par le fait que Joseph leur indiqua qu’il avait rêvé qu’ils se prosterneraient devant lui et c’est d’ailleurs cette faculté d’être un « homme aux songes » (1) qui lui vaudra, plus tard et à l’inverse, l’attention bienveillante du Pharaon. 

Pour l’instant, ses frères vont le jeter dans une citerne du désert dépourvue d’eau (1) tout en ramenant la tunique tachée du sang d’un bouc (1) à son père pour lui faire croire que son fils chéri a été dévoré par une bête sauvage. L’imposante représentation (Huile sur toile 323×250 cm, Escurial) qu’en fit en 1630 Diego Velázquez (1599-1660) montre le patriarche qui cherche à se lever sous le coup de l’émotion alors que ses fils, qui respirent l’hypocrisie, lui montre la tunique tachée de sang et qu’on peut presque entendre aboyer son petit chien dont l’instinct ne l’a pas trompé contrairement à Jacob abusé par la rouerie de ses fils. Joseph ne devra son salut qu’à la bienveillance toute relative des habitants du désert dénommés Madianites qui vont certes sortir le jeune garçon, âgé de dix sept ans (1), de son cul-de-basse-fosse, mais c’est pour le vendre à des Ismaélites dont « les chameaux étaient chargés de gomme adragante, de baume et de ladanum qu’ils allaient livrer en Egypte ». (1) (b) Ils vont vite s’apercevoir qu’ils devraient pouvoir en tirer un bon rapport en le vendant comme esclave (les annales égyptiennes relatant bien d’autres captifs du même genre), car Joseph sait lire, écrire et surtout tenir les comptes. Cette qualité est particulièrement prisée, à l’instar des scribes qui utilisent des roseaux taillés en pointe (calames) pour écrire, à sec, sur les tablettes d’argile ou, trempés dans une encre, sur les papyrus.

Jacob recevant la tunique de Joseph (1630) par Diego Vélasquez (1599-1660). Huile sur  toile 223×250 cm. Monastère de San Lorenzo Escurial.

C’est ainsi qu’ils sont  parfois très proches du pouvoir (2) en cette Egypte ancienne où seulement cinq pour cent de la population sait lire et écrire (3) et en particulier dans les grands domaines agricoles de « l’Egypte qui est un don du Nil » comme l’a si bien dit Hérodote (v.480-v.425 av. J.-C.). Ce fleuve sacré, personnifié sous la forme divine d’Hâpy, est en effet bénéfique avec ses crues qui apportent, pendant quatre mois, de juin à septembre, le fertile  limon noir d’où vient le nom antique de l’Égypte (4) Kemet : la terre noire ou chemit ou chim d’où dérive le mot chimie. (5) Les terres de ce ruban fertile sont surtout dévolues aux cultures maraîchères et aux céréales telles que le blé et l’orge pour fabriquer du pain et de la bière très appréciée, l’invention des fours à pain « traditionnels » remontant à la découverte du levain vers 3000 av. J.-C. (6) 

La vie s’organise le long du fleuve nourricier qui, prenant naissance à partir des grands lacs africains traverse le pays du sud au nord sur près de 1300 km  en étant bordé à l’ouest par le désert libyen et à l’est par les montagnes arides qui descendent vers la Mer Rouge en sachant que dans ces déserts également dénommés « terre rouge » (3) vivaient des tribus nomades qui chercheront à s’installer dans la vallée lors des années difficiles. (4) Le Nil va ensuite se jeter dans la Méditerranée par de nombreux bras au niveau de son delta qui est de ce fait la région la plus fertile dénommée Basse-Egypte. 

Le Pharaon (de per-aa : le roi) est celui qui unit le pays comme le symbolise sa double couronne rouge (Basse Egypte) et blanche (Haute Egypte) ou Pschent, mais il est aussi la réincarnation d’Horus, avec l’Oeil oudjat considéré comme hybride d’œil humain et d’œil de faucon et aux vertus apotropaïques, le pouvoir du roi étant de nature religieuse. L’Egypte d’alors avait une intense activité commerciale avec le Proche-Orient, principalement via le port de Byblos (7) où convergeaient les routes commerciales en provenance de Mésopotamie (Irak actuel) avec des caravanes amenant des épices, des résines, mais aussi des minéraux très recherchés tels que la malachite aux méandres verts et le lapis-lazuli d’Afghanistan au bleu intense avec des paillettes dorées suggérant la nuit étoilée. (8) 

De Chypre provenait le cuivre, d’Anatolie provenait le plomb et l’étain et les cèdres du Liban fournissaient du bois de grande longueur qui faisait cruellement défaut(8) en Egypte pour la construction des charpentes et des navires, pour les gros rondins et les traîneaux de bois servant à déplacer les énormes pierres pour la construction des pyramides et les colossales sculptures destinées aux temples, mais aussi pour les mâts dotés d’oriflammes arrimés aux pylônes (du grec pulon : portail) à l’entrée des temples (dans lesquels le peuple n’était pas admis) et devant lesquels se dressaient les obélisques dévolus au culte solaire. (9) 

En outre « l’Egypte servait alors de refuge à ceux qui, telle la famille de Jacob, fuyaient les catastrophes politiques ou climatiques » (7) et c’est ainsi que Joseph contribuera à sauver les « fils d’Israël » de la famine ; ils s’installeront dans l’est du delta du Nil dans une zone dénommé Goshen, dont la localisation reste incertaine (22) et ils y resteront jusqu’à l’Exode, c’est-à-dire jusqu’à leur fuite d’Egypte sous la conduite de Moïse.

Louis-François Garnier

Bibliographie

1) La Bible de Jérusalem cerf 2007.
2) Chedid A. Néfertiti et le rêve d’Akhénaton. Les Mémoires d’un scribe, Flammarion, 1974.
3) Tyldesley J. L’Egypte à la loupe. Larousse 2007.
4) L’Egypte et la Grèce antique. Gallimard-Larousse 1991.
5) Reboul Th. Les oculistes pharaoniques et leurs vases à collyres. L’Ophtalmologie des origines à nos jours. Tome 5 ; 5-17. Laboratoire H. Faure.
6) Tommasi M. Le régime du Nil nourrit les Egyptiens. Histoire & Civilisations N°66 : 14-19 novembre 2020.
7) Manley B. Atlas historique de l’Egypte ancienne. De Thèbes à Alexandrie : la tumultueuse épopée des pharaons. Autrement 1998.
8) Maruéjol F. L’Egypte et Canaan, les partenaires ennemis. L’Histoire de la Méditerranée. Le Monde Hors-série 2019.
9) Le musée égyptien de Turin. Federico Garolla Editore 1988.
10) Mann Th. Joseph et ses frères. Joseph en Egypte. L’Imaginaire Gallimard 1980.
11) Cevennit W. L’état pharaonique. Organisation politique de l’Egypte ancienne. Egypte ancienne N°36 2020.
12) Berlaine-Gues E. Hathor une déesse envoûtante. Egypte ancienne N°36 2020.
13) Mahfouz N. Akhénaton le Renégat. roman  Denoël 1998.
14) Agut D., Lafont B. Faute, culpabilité… en Egypte et en Mésopotamie. Qui a inventé le péché ? Le Monde de la Bible N°234 2020.
15) Onfray M. Sagesse. Ed. J’ai Lu 2020.
16) La grande histoire de l’Antiquité. Pharaons. Hors-série N°2 2020 Oracom.
17) Willaime V. Thèbes ; L’âme de l’Egypte pharaonique. Egypte ancienne N°36 2020.
18) Barrow R.J. Lawrence Alma-Tadema. Phaidon 2006.
19) Vernus P. Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique. Plon 2009.
20) Peltre Ch. Les Orientalistes. Hazan 2003.
21) Briend J. Joseph. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
22) Lemaire A. Les Hébreux en Egypte. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
23) Zivie A. Ramsès II et l’Exode : une idée reçue. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.

Remerciements au Docteur Philippe Frisé, ophtalmologiste à Ploërmel pour sa documentation.




Monde numérique – deux visions complémentaires

A un an d’écart, deux livres ont fourni deux visions complémentaires, mais proches sur de nombreux aspects du monde numérique dans lequel nous vivons. La première, développée dans « Junk Tech », est celle de deux personnalités du monde des affaires et de la communication, la deuxième, développée dans « L’enfer numérique », est celle d’un journaliste d’investigation.

Deux types d’auteurs 

Junk Tech

Junk Tech est écrit Jean-Marc Bally, président d’une société internationale de capital-investissement, dont la fonction est d’évaluer la valeur potentielle de sociétés non cotées dans l’objectif d’y prendre une participation en capital pour financer leur démarrage, leur développement ou leur cession ou transmission. Il a pour co-auteur, Xavier Desmaison, président d’un groupe de conseil en stratégie de communication à forte dominante numérique et d’une association de dans la lutte contre les fausses nouvelles et théories du complot sur internet. C’est dire que l’association des deux auteurs permet une analyse de la communication des entreprises du numérique relativement à leur valeur de production effective.

Et ils commencent fort leur ouvrage en prenant comme modèle l’apport des entreprises du numérique à la gestion de la pandémie : « D’un côté des plateformes technologiques comme Amazon, Netflix ou Zoom ont vu leur modèle validé et leurs performances boostées dans la mesure où elles ont semblé répondre efficacement à un certain nombre d’attentes des individus connectés du XXIe siècle. Mais, d’un autre côté, on a pu observer à quel point les champions de la Silicon Valley et de l’économie 2.0 s’étaient révélés inopérants pour traiter des difficultés plus concrètes relatives à la sécurité, à la santé ou à la production industrielle de nos sociétés ». 

On aura compris par ces propos que si certaines entreprises numériques sont devenues des vedettes des marchés financiers c’est par une communication habile tendant à faire croire à beaucoup qu’elles apportent une solution technologique aux problèmes du monde. Ce livre décrypte le caractère fictif de ce discours.

L’enfer numérique

L’enfer numérique est écrit par Guillaume Piton, journaliste et réalisateur de documentaires dans les domaines économiques, politiques et environnementaux et à qui l’on doit déjà un livre de référence « La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique ». 

Dans L’enfer numérique, il fait œuvre de journaliste : il enquête sur le terrain, interroge et narre avec une vision typique de journaliste c’est-à-dire qu’il commence souvent par la description du lieu de l’enquête (la plupart des régions du monde), puis rend compte des divers points de vue des personnes interrogées. 

Son discours est simple : à l’heure où la défense de l’écologie et du climat est devenue une valeur dominante orientant les comportements et les pratiques, il est une pratique paradoxale, celle de l’utilisation grandissante du numérique alors que « l’industrie numérique consomme tant d’eau, de matériau et d’énergie que son empreinte est le triple de celle d’un pays comme la France ou l’Angleterre ». Une phrase résume son propos « la pollution digitale met la transition écologique en péril et sera l’un des grands défis des trente prochaines années ».

Si l’approche des auteurs est différente, elle repose sur au moins deux points communs : le discours manipulateur des entreprises du numérique et l’inconscience (entretenue ?), pour ne pas dire la bêtise des consommateurs des produits numériques.

Manipulation : tout ça pour quoi ?

Junk tech rappelle la double manipulation de ces entreprises. La première est celle de ses utilisateurs afin de récolter des informations personnelles valables, c’est-à-dire monnayables, en ayant recours à la psychologie sociale pour entretenir l’addiction à leurs produits. La deuxième est celle d’un discours promouvant « un monde meilleur » grâce à l’outil technologique pour résoudre les grands problèmes du monde, ce que l’on dénomme le « solutionnisme technologique » alors que ces entreprises n’ont rien bâti de fondamental si ce n’est d’avoir développé des ruptures de modèles économiques, c’est-à-dire de nouvelles façons de générer de l’argent à partir de métiers traditionnels.

Pour les auteurs, le succès de la Silicon Valley n’est pas une question de technologie ou de supériorité technologique, mais de marketing et de design de leurs produits ou de facilité d’utilisation de leurs plateformes. Une stratégie reposant sur un discours permettant d’attirer  et des capitaux et des utilisateurs rendus captifs afin e vendre leurs données.

L’enfer numérique rappelle quant à lui, que « Les grandes entreprises du Net veulent conserver cette esthétique de l’immatérialité… une manière pour elles de minimiser l’impact de leurs infrastructures sur l’environnement et les ressources naturelles ». En effet, qui sait ce que consomme en eau et électricité un centre de données ? C’est-à-dire ces unités physiques dénommées « nuage » ou Cloud pour entretenir une image d’immatérialité alors que pour ce service « il existerait aujourd’hui près de 3 millions de datacenters d’une surface de moins de 500 m2 dans le monde, 85 000 de dimensions intermédiaires et une petite dizaine de milliers dont la taille peut avoisiner l’Equinix AM4 (plusieurs milliers de mètres carrés). Et au cœur de cette Toile de béton et d’acier prospèrent plus de 500 datacenters dits hyperscale, souvent vastes comme un terrain de football ». 

Qui connaît la quantité de métaux rares que contient un téléphone portable, rendu volontairement rapidement obsolète ? 

Qui sait qu’un courriel génère 0,5 gramme voire 20 grammes de carbone si une pièce jointe lui est attachée alors que 319 milliards de courriels sont envoyés chaque jour dans le monde ? 

Qui connaît le bilan énergétique d’une vidéo visionnée en ligne ?…

Tout ça pour qui : des consommateurs « gâtés-pourris »

« Les utilisateurs se moquent de la façon dont le web fonctionne. Ce sont des enfants pourris-gâtés qui attendent qu’internet tourne toujours plus vite. Et au bout du compte, tout le monde se retrouve prisonnier de cette logique » selon un observateur interrogé dans « L’enfer numérique ». 

Junk tech va encore plus loin en évoquant le mythe de Narcisse : « En quête d’accomplissement psychique et de réalisation de soi, cette génération a développé des traits de personnalité narcissiques qui ont eu une influence directe sur les modes de consommation, la stratégie des marques, les critères de différentiation entre produits et services… une de facettes de la Junk tech : une façon de procurer un shoot d’estime de soi à des personnes qui y ont été biberonnées depuis la naissance et qui pensent manquer de reconnaissance ».

Synthèse

Deux livres à lire l’un après l’autre, riches d’enseignements méconnus sur le monde numérique face à l’effet anesthésiant des informations grand public. 

Et, si dans cette rubrique, n’ont été mentionnés que les côtés obscurs du monde numérique et de ses consommateurs décrits dans ces ouvrages, sachez qu’ils contiennent aussi plusieurs données sur leurs côtés positifs et qu’ils suscitent des réflexions voire font des propositions pour une utilisation plus raisonnable des outils de ce nouveau monde, celui d’aujourd’hui. 

En savoir plus…

Junk Tech

Comment la Silicon Valley a gagné la guerre du marketing

  • Auteurs : Jean-Marc Bally et Xavier Desmaison
  • Éditeur : Hermann
  • Parution : Novembre 2020
  • Pagination : 140 pages
  • Format broché : 14,00 euros
  • Format kindle : 8,99 euros

L’enfer numérique

Voyage au bout d’un like

  • Auteur : Guillaume Pitron
  • Editeur : Les liens qui libèrent
  • Parution : Septembre 2021
  • Pagination : 352 pages
  • Format broché : 21,00 euros
  • Format e-book : 15,99 euros




Retour vers le futur

 
Une fois n’est pas coutume, revenons quelques années en arrière, dans les années 1950 plus précisément, avec cet article du Dr Charles Claoué (encadré) paru dans la presse sur la pratique de la médecine en l’an 2000. Même si certaines visions de cette analyse font sourire, on retrouve un certain parallèle avec la position des Gafam (1) dans le combat des hommes contre toutes les affections, la lutte contre le vieillissement et la recherche médicale avec, en début de chaîne, l’Intelligence Artificielle et ses algorithmes qui vont notablement contribuer aux futures prises de décisions médicales. A chacun d’y faire son opinion et de se projeter en 2100…

La médecine de l’an 2000 n’aura plus grand chose à voir de commun avec celle que nous pratiquons aujourd’hui (…) Elle aura subi de profondes modifications dans deux très importants domaines : l’organisation de la médecine, d’abord, la recherche médicale, ensuite. (…) Le XXe siècle verra la réalisation d’un système d’urgence médicale perfectionné (…) Grâce à l’urgence médicale, il recevra d’ici quelques décades dans les deux ou trois minutes qui suivront l’accident, les soins éclairés d’un médecin, outillé pour intervenir efficacement et rapidement. (…)

NDR. Outre les urgences traditionnelles, les objets connectés vont prendre une place primordiale dans les années à venir à des fins d’« urgences connectées » ou de prévention grâce au développement d’applications telles « Sauv Life » ou « Permis de sauver » sur Lyon. (2) Autre lieu autre remède, les brigades d’urgence à vélo dans les grandes métropoles (Londres par exemple) afin de réduire le temps d’intervention (6 min en moyenne). 

On ne reconnaîtra plus, à cette heureuse époque, les ridicules procès intentés par les organismes médicaux aux guérisseurs. Depuis longtemps ceux-ci auront leur statut. Contrôlée, encouragée, la médecine libre aura puissamment aidé la médecine traditionnelle dans ses recherches. Car, déclare le Dr Claoué, c’est dans le domaine de la recherche scientifique médicale que nous connaîtrons les plus grands bouleversements.

NDR. Cette prise de position pour la « médecine libre » et l’appui accordé aux guérisseurs et médecine parallèle ou alternative est toujours d’actualité. En mars 2018, Le Figaro publiait une tribune signée par 124 médecins visant à dénoncer l’utilisation de pratiques dénuées de fondement scientifique par certains de leurs pairs telle l’homéopathie, une pratique « basée sur des croyances », comme le rappelaient les auteurs de la tribune.

En fait, en l’an 2000 (…) il n’y aura pour ainsi dire plus de malades. Les hommes vont vers la découverte de la thérapeutique panacée qui les préservera des multiples affections dont ils sont aujourd’hui encore victimes. Les sulfamides, la pénicilline auront été les premiers balbutiements de cette découverte. En d’autres termes, là où, pour redonner ou préserver la santé, il fallait prescrire vingt médicaments, un seul suffira.

NDR. Les découvertes de l’insuline et de la pénicilline ont permis de créer des traitements plus efficaces pour le diabète et les infections. Des maladies ont certes disparu, mais d’autres sont (ré)apparues ou découvertes (Sida, cancer, tuberculose…).

Aujourd’hui. Microsoft a présenté il y a deux ans un plan pour vaincre le cancer avant 2026 grâce à l’IA. Facebook a annoncé en 2016 vouloir éradiquer la totalité des maladies en 2100. Bill Gates, ancien patron de Microsoft, a lui, déclaré la guerre au Sida. 

Le rôle du médecin (…) sera de réparer les inévitables erreurs de la nature, de réaliser cette difficile synthèse entre l’expression et la science et de faire des hommes et des femmes de l’an 2000 des individus parfaitement équilibrés.

NDR. Pour le Dr Claoué, les maladies n’existant plus, le rôle du médecin s’oriente naturellement vers l’esthétique afin de pallier aux caprices de la nature. 

Aujourd’hui. Le marché du secteur de l’esthétique évolue autour de la vision de la beauté, le développement des réseaux sociaux ayant considérablement accentué la dismorphophobie ou l’envie de vouloir ressembler à une star ou à un… emoticone.

Que le lecteur sceptique ne s’exclame point : « Bah ! tout cela c’est très joli, mais je ne le verrais pas ! ». Le Dr Claoué affirme, au contraire, qu’il a toutes les chances de voir, car l’homme de l’an 2000 ne vieillira plus que très lentement, et il n’est pas douteux que la durée de l’existence humaine sera infiniment plus grande qu’aujourd’hui. Les travaux de Voronoff, (3) les sérums de Bogomoletz (4) et autres, limitaient leur action à régénérer, à stimuler, à régulariser le système physiologique de l’homme. Le temps n’est pas loin où (…) le corps humain sera à l’abri de toutes les affections, le système physiologique de l’homme sera défendu contre toutes les dégénérescences et ramené dans un état de longue – sinon de perpétuelle – jeunesse.

NDR. L’espérance de vie était de 69,2 (F) et 63,4 (H) en 1950 pour 85,1 (F) et 79,1 (H) en 2015 (5)

Aujourd’hui. Google, le géant du web, a annoncé souhaiter tuer la mort elle-même… La société américaine est devenue un véritable incubateur de nouvelles technologies avec ses acquisitions depuis 2013 dans la biotechnologie, l’intelligence artificielle et la robotique avec un but : augmenter l’espérance de vie humaine de 20 ans.

(1) Les Américains sont galvanisés par les sources de données qui permettront à elles seules d’interagir avec l’Intelligence Artificielle. Elles sont extrêmement précieuses pour la maîtrise de l’e-santé, le point d’orgue des GAFAM.
(2) Ces applications de premiers secours géolocalisent les volontaires via leurs smartphones afin d’effectuer les premiers gestes d’urgence avant l’arrivée des secours.
(3) Revue de primatologie. Le chirurgien français Serge Voronoff (1866-1951) a défrayé la chronique dans le Paris des années 1920 pour ses tentatives de greffes de testicules de primates chez des hommes « fatigués ».
(4) Alexandre Bogomoletz est connu pour sa découverte sur le rôle clé du tissu conjonctif dans les phénomènes de vieillissement.
(5) Source Ined (Institut national d’études démographiques).

 

Charles Claoué
« Général en chef de la médecine libre », tel se définissait Charles Claoué, médecin, chirurgien esthétique et professeur d’anatomie à Bordeaux, décrié, interdit d’exercer la médecine durant trois ans en 1945, puis un an en 1952. L’Ordre des médecins ne lui avait pas pardonné son opposition à la médecine officielle alors qu’il avait pris parti pour les guérisseurs et autres médecines parallèles.
Il a créé en 1930 avec le Dr Louis Dartigues la Société Scientifique Française de Chirurgie Réparatrice Plastique et Esthétique (SSFCRPE).




Le portrait de Baudoin de Lannoy (1388-1474) [2]

par Jan van Eyck (v.1395-1441) du couvre-chef à la Toison d’or  –  2e partie

Il existe une grande incertitude quant à la biographie de Jan et a fortiori de Hubert van Eyck sans parler qu’ils avaient une sœur, Margaretha et un autre frère dénommé Lambrecht, également peintres « mais leurs vies ont encore davantage sombré dans l’oubli » (7). 

Jan van Eyck serait né à Maaseik, hypothèse corroborée par l’analyse linguistique de sa devise Als ich Kan (Du mieux que je peux) (7). La ville est située actuellement dans la province belge du Limbourg et était à l›époque  dans la principauté de Liège de telle sorte qu’il n’est pas surprenant que, de 1422 à 1424, il fut employé en qualité de peintre et valet de chambre à la cour du très contesté Jean III de Bavière (1373-1424) dit « Jean sans Pitié » prince-évêque de Liège et gouverneur de Hollande et de Zélande. 

Léal souvenirs ou Timotheos

Il est probable que Jan van Eyck commença sa carrière comme enlumineur et on lui attribue des miniatures faisant partie d’un livre d’Heures fragmentaire dénommé les Heures de Turin-Milan (vers 1420-1425). 

Le 6 janvier 1425, à la mort du prince-évêque, Jan van Eyck  rejoint Bruges, ville très prospère et où, le 19 mai 1425, une lettre patente le fait peintre de cour et valet de chambre au service de Philippe le Bon. Il y a tout lieu de penser qu’il rejoignit ainsi son frère Hubert (v.1366-1426) peintre installé à Bruges et qui aurait débuté, peut-être avec Jan (8), la réalisation du Retable de L’Agneau mystique à Gand. 

En mars 1426, Hubert travaille encore à des « images » destinées à une chapelle mais il décède le 18 septembre 1426 de telle sorte qu’Hubert n’a pu travailler à l’élaboration du retable que durant une durée n’excédant pas six mois. 

Durant les six années (1426-1432 date de finition du retable) qui suivirent, Jan fut distrait de sa tâche par les missions diplomatiques qu’il dut effectuer à la demande du duc, en particulier en Espagne en 1426-1427 et au Portugal en 1428-1429. 

C’est ainsi que le 19 octobre 1428 il doit interrompre l’exécution du retable pour une mission urgente au Portugal afin de réaliser le portrait de l’Infante Isabelle, Il faut cependant reconnaitre que si Jan a pu être considéré comme l’élève de son frère Hubert (8), ce qui reste plausible compte tenu de la différence d’âge de près de trente ans, on connait peu de choses à propos de ce dernier au point que certains ont pu voir en lui « un personnage de légende » (3). 

L’homme au turban rouge

Si l’existence d’Hubert ne fait maintenant plus de doute, puisqu’il est mentionné dès 1409 dans les archives comme magister Hubertus pictor (9), en revanche on ne peut lui attribuer avec certitude que sa contribution au polyptique de l’Agneau mystique et encore faut-il considérer qu’on ne connait pas la part respective des deux frères dans l’élaboration de ce retable de Gand ; « c’est un problème dont nous poursuivons la solution depuis bien des années, et elle nous échappe encore » relatait Panofsky en 1953 qui attendaient que « des découvertes et progrès nouveaux puissent entraîner des révisions de nos hypothèses » (3). 

Qu’en est-il soixante dix ans plus tard ? Une inscription recélant un chronogramme permet de déduire que l’œuvre fut commencée (incipit) par Hubert et achevée (perfecit) par son frère cadet Jan van Eyck qui se place d’ailleurs en seconde position (arte secundus). Les commanditaires étaient un certain Joos Vijd et son épouse Elisabeth Borluut, tous deux éminents notables de Gand, et qui sont représentés, pieusement agenouillés, au registre inférieur du retable. 

A noter que ceci signifie que l’artiste, bien que « valet de chambre » du duc de Bourgogne, était non seulement dispensé des règles contraignantes de la corporation des peintres mais il était  manifestement libre de travailler pour d’autres clients (9). 

Ceci peut paraître d’autant plus paradoxal que nous n’avons pas de portrait du duc Philippe le Bon par Jan van Eyck alors que nous avons celui peint vers 1445 (Musée des Beaux-Arts de Dijon) par l’atelier de Rogier van der Weyden (V. 1400-1464) qui fera en 1462 un portrait similaire de Charles le Téméraire portant le collier de la Toison d’Or (Gemäldegalerie Berlin) et qui, après la mort du peintre officiel qu’était Jan van Eyck et bien que n’étant pas peintre officiel de la cour de Philippe le Bon, répondra à de nombreuses commandes de l’entourage du duc. 

L’homme au chaperon bleu

Malgré les méthodes d’investigations les plus modernes, il n’est toujours pas possible de distinguer les contributions respectives des deux frères dans l’élaboration de l’Agneau mystique de telle sorte que « ceci reste l’une des énigmes les plus intrigantes de l’histoire de l’art occidental » (7). 

En 1432, Jan van Eyck achète une maison à Bruges et épouse vers cette date Margaretha dont il fera le portrait en 1439 (Groeningemuseum, Bruges) et ils eurent au moins deux enfants (7). Jan van Eyck avait un atelier mais nous ne connaissons aucun de ses assistants. Il n’est pas l’inventeur de la peinture à l’huile mais il en a perfectionné la méthode à un point exceptionnel  de raffinement et de réalisme, (9) en travaillant par la superposition de glacis, la lumière venant se réfléchir sur la préparation de craie blanche dont le support est enduit (9). 

L’Agneau mystique (1432) est un chef d’œuvre absolu par son ampleur et la minutie du détail mais on ne peut que s’extasier aussi devant le Portrait des époux Arnolfini (1434) (Londres), La Madone au chanoine van der Paele (1436) (Bruges) ou La Vierge au chancelier Rolin (vers 1434) (Louvre) mais aussi les portraits d’un réalisme sidérant comme celui dit du cardinal Niccolò Albergati (1438) (Kunsthistorisches Museum de Vienne) dont l’étude préparatoire à la pointe d’argent (Staatliche Kunstsammlungen de Dresde) annotée avec un luxe de détails (4) reste inégalée. 

A la mort de Jan van Eyck peu avant le 23 juin 1441, le duc Philippe le Bon octroya à sa veuve une gratification en témoignage de sa gratitude. Jan van Eyck est enterré dans l’église Saint Donatien de Bruges où son frère Lambrecht fit ériger un monument funéraire.

Louis-François Garnier


(a) Le portrait de Jean II le Bon (Louvre) est considéré comme le plus ancien portrait indépendant peint en France

(b) L’apanage est une concession faite aux frères cadets dépourvus d’héritage afin qu’ils ne se révoltent pas contre leur frère aîné devenant roi à la mort de leur père.

(c) Jan van Eyck était chargé de missions secrètes largement payées en sus d’une rente annuelle. C’est ainsi qu’est relaté un mystérieux voyage lointain en 1426, peut-être en terre sainte comme le suggère des vues précises de Jérusalem dans le tableau dénommé Les Trois Maries au Sépulcre (Musée Boijmans van Beuningen – Rotterdam)

(d) Camera obscura ou chambre noire : instrument optique permettant d’obtenir une projection de la lumière sur une surface plane.

(e) La Toison d’Or mythique provenant  d’un bélier d’or ailé était clouée sur le tronc d’un chêne et gardée par un dragon. Jason et les Argonautes s’emparèrent de cette toison apportant paix et prospérité. Les étincelles évoquent les flammes crachées par le dragon et les taureaux sauvages qui gardaient le bélier de Colchide (17) correspondant à plusieurs provinces de la Géorgie actuelle. 

(f) Au Moyen-Âge le couvre-chef désigne toute pièce de tissu léger servant à couvrir la tête. Le Chapeau bourguignon en feutre, est fabriqué probablement à partir du sous-poil du castor européen non encore décimé alors qu’à partir du XVIe siècle les peaux de castor provenaient de Sibérie mais surtout du Canada avec un coût d’environ dix fois supérieur au feutre de laine de qualité médiocre car ayant tendance à absorber la pluie (10). Ce chapeau est  similaire à celui porté par Arnolfini (Portrait de Giovanni Arnolfini et de son épouse par Jan van Eyck (1434) National Gallery Londres)  à distinguer du chaperon, très en vogue au milieu du XVe siècle en Bourgogne, qui est une sorte de capuche devenant plus tard un chapeau apprécié dans toute l’Europe occidentale médiévale. Il était initialement utilitaire avec une longue queue partiellement décorative comme, en noir, dans le Portrait d’homme « Timotheos » ou Léal souvenir (souvenir fidèle) par Jan Van Eyck (1432) National Gallery Londres et comme on peut le deviner en bleu, peut-être porté par van Eyck lui-même, dans le miroir convexe des Epoux Arnolfini à rapprocher de L’homme au chaperon bleu peint vers 1430 (Musée national Brukenthal, Sibiu Roumanie). Secondairement s’est imposé un coûteux couvre-chef complexe et multi-usage pouvant être enroulé autour de la tête « en turban » par commodité comme le montre l’Homme au turban rouge (autoportrait ?) par Jan van Eyck (1436) National Gallery Londres à rapprocher d’un personnage situé à l’arrière-plan de La Vierge du chancelier Rolin, et qui porte un chaperon rouge similaire, peut-être également un autoportrait.

(g) La détrempe consiste à « détremper », c’est-à-dire à solubiliser partiellement les colorants en poudre dans un liquide aqueux à base de colle d’origine animale ou de gomme végétale ou dans l’émulsion naturelle formée par le blanc et/ou le jaune d’œuf dénommée alors tempera de façon plus spécifique. Au Moyen-âge le  liquide pouvait aussi être de l’huile fixe (lin, noix…) mais à partir de la Renaissance le terme détrempe  stricto sensu désigne une solution aqueuse par opposition à la peinture à l’huile. (11)

(h) Théophile (vers 1070-1125), est un moine allemand, auteur du traité intitulé Schedula diversarum artium (Traité des divers arts) récapitulant le savoir technique dans le domaine de l’art et de l’artisanat. Ce recueil attestant de l’usage de la peinture à l’huile au Moyen-âge fut redécouvert et publié vers 1774 par l’écrivain et dramaturge allemand G.E. Lessing (1729-1781) remettant en cause les affirmations inexactes  de Vasari. (11)


BIBLIOGRAPHIE

[1] Valentin F. Les Ducs de Bourgogne. Histoire des XIVe et XVe siècles. Mame Imprimeurs-Libraires Tours 1857.
[2] De Barante M. Histoire des Ducs de Bourgogne (13 tomes). Chez Ladvocat libraire 1825.
[3] Panofsky E. Les Primitifs flamands. Hazan 2012.
[4] Dossier de l’Art. L’année Van Eyck N°276 février 2020.
[5] Pastoureau M. Noir  Histoire d’une couleur Points Histoire 2014.
[6] Pastoureau M. Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental. Points Histoire 2014.
[7] Born A. & Martens M.P.J. Van Eyck par le détail. Hazan 2020.
[8] Van Mander C. Le livre de peinture. Miroirs de l’Art. Textes présentés et annotés par Robert  Genaille. Hermann 1965.
[9] Dictionnaire d’Histoire de l’Art du Moyen-Âge occidental. Robert Laffont Bouquins 2009.
[10] Brook T. Le chapeau de Vermeer. Le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation. Petite biblio Payot Histoire 2012.
[11] Ziloty A. La découverte de Jean Van Eyck et l’évolution du procédé de la peinture à l’huile du Moyen-âge à nos jours. Librairie Floury Paris 1941.
[12] Vasari G. Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Commentaires d’André Chastel. Acte Sud 2005.
[13] Laneyrie-Dagen N. Le métier d’artiste. Dans l’intimité des ateliers. Larousse 2012.
[14] Till-Holger Borchert. Van Eyck Taschen 2008.
[15] Genaille R. La Peinture aux Anciens Pays-Bas. De Van Eyck à Bruegel. Ed. Pierre Tisné 1954.
[16] Watin. L’Art du Peintre, Doreur, Vernisseur, 3e édition chez Durant 1776.
[17] Prigent Ch. Splendeurs du Grand Siècle bourguignon : l’ordre de la Toison d’or. In La Toison d’Or un mythe européen. Serpenoise pour Editions d’Art Somogy 1998.

Roman historique : Baltassat J.D Le valet de peinture. Point Robert Laffont 2013




Comprendre la Chine [3]

les nouvelles routes de la soie

Pour diverses raisons, et après l’avoir annoncé en 2013 par la voix de Xi Jinping, la Chine s’est lancée dans une tentative de réorganisation des réseaux du commerce mondial. Cette tentative d’abord appelée One Belt, One Road (OBOR), maintenant appelée Belt and Road Initiative (BRI) est surnommée « Les nouvelles routes de la soie ». 
Son objectif est ambitieux, les moyens utilisés sont colossaux, et cette initiative déjà bien avancée pourrait renverser l’ordre économique, géopolitique et surtout politique qui prévaut actuellement. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à ce sujet, deux paraissent essentiels en permettant d’en comprendre les tenants et aboutissants. L’un adopte une vue d’ensemble, l’autre la complète en fournissant de multiples éléments qui pourraient paraître des détails mais sont néanmoins majeurs.

Les défis chinois. La révolution de Xi Jinping : Indispensable

Certes, l’ouvrage n’est pas récent, quoi que (mars 2019) … Certes, son avant-propos et son introduction peuvent paraître un peu pompeux, quoi que… mais, dès ceux-ci franchi, c’est une formidable synthèse sur l’histoire, l’évolution et les défis de la Chine contemporaine qui nous est offerte par Éric de la Maisonneuve, général de division, professeur à l’université de diplomatie de Pékin de 2004 à 2014 et expert en stratégie.

Sur la Chine contemporaine, tout y est dit de manière claire, et la bibliographie est tout aussi synthétique des ouvrages qu’il faut avoir lu sur la Chine.

Le chapitre dédié aux routes de la soie est un condensé de géostratégie chinoise et planétaire expliquant les raisons historiques, politiques et économiques de cette initiative en cours sous l’impulsion de Xi Jinping et de la formidable réserve monétaire dont dispose la Chine. Cette initiative touche le sud-est asiatique, l’Asie centrale, le Moyen-Orient, l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Elle encadre ainsi les États-Unis qui, de leur côté, ont des difficultés à contenir la Chine par une alliance avec la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et l’Inde.

Ce livre nous apprend aussi en quoi la BRI constitue un pari risqué et on y découvrira ainsi de multiples éléments qui expliquent les fragilités chinoises potentielles. Ainsi, au niveau international, les routes de la soie doivent passer par l’Eurasie (vous savez, les sept pays dont le nom se termine par…
istan) et cette région a longtemps été considérée comme un pré-carré russe : comment la Russie acceptera-t-elle la mainmise chinoise sur cette région ? Elle temporise actuellement car elle a besoin de la Chine pour combattre les États-Unis, mais jusqu’où ira l’alliance de la Chine et de la Russie ? 

Cette région est aussi un berceau de mouvements terroristes islamistes : comment la Chine parviendra-t-elle à sécuriser ses approvisionnements en matière première et ses exportations de produits manufacturés en passant par cette région ? Parmi les autres fragilités mais au niveau interne cette fois, « Ce qui est assuré d’ici à 2050, c’est que la Chine perdra 200 millions d’actifs qui viendront grossir les rangs des personnes âgées et qui devront à leur tour bénéficier d’un accompagnement social ».

En regard, parmi ses grandes forces, il y a le fait qu’avec constance et patience, la Chine, sous un parti autoritaire, unique, actuellement pérenne, peut conduire un tel projet gigantesque qui devrait être mené à bien selon une démonstration par l’absurde : « Ce ne sont pas vos démocraties, affaiblies par le rythme des élections, par l’alternance rapide des dirigeants et par les nombreux contre-pouvoirs, qui pourraient faire valoir une telle stratégie et la conduire à son terme ». En d’autres termes, il s’agit de la justification de la dictature par son efficacité potentielle, même si le projet entrepris n’est décidé que par une oligarchie répressive au service de sa survie.

Parmi les grandes conclusions de ce livre « la Chine est parvenue à un point de développement où l’expansion mondiale de son système est indispensable à la poursuite de sa croissance… Reste un espace à découvrir et à débroussailler, celui que propose la conception d’un monde à la chinoise ». 

  • Auteur : Eric de La Maisonneuve
  • Éditeur : Editions du Rocher
  • Parution :  mars 2019
  • Pagination : 344 pages
  • Prix (broché) : 19,90 euros
  • Prix (numérique) : 13,99 euros

Les routes de la soie ne mènent pas où l’on croit… : Majeur

Disons-le d’emblée, bien qu’il ne dépasse pas 300 pages, ce livre est très dense, très riche en de très nombreuses données qui justifient entre autres de connaître la géographie mondiale (mais heureusement, il y a de nombreuses cartes), mais aussi – et cela est récurrent aux éditions l’Harmattan – riche en fautes d’orthographe, particulièrement concentrées dans les pages 238 et 239.

Mais, cela constitue des limites bien minces comparées à la qualité et à l’apport de ce livre. On pourrait même dire « Arrêtez de lire les journaux, les magazines, d’écouter la radio et la télé, vous en saurez nettement plus sur la Chine et le monde d’aujourd’hui et de demain en lisant ce livre ». Et cela va des premiers développements des diverses mondialisations jusqu’à cette nouvelle redistribution des cartes que constitue la BRI, ses modalités, ses enjeux et ses risques.

Parmi les multiples apports de ce livre, j’en préciserai deux. 

Le premier est que, depuis l’avènement au pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine semble gérée par des stratèges qui analysent une situation, prennent en compte les leçons de l’histoire – même la plus récente –, envisagent des solutions possibles à chaque problème, produisent une vision globale (le développement économique de la Chine légitimera la gouvernance du Parti unique), élaborent des stratégies, les expérimentent progressivement, les adaptent et avancent dans tous les interstices que laissent les États-Unis, patiemment mais sûrement. 

Par exemple, l’avancée de la Chine en Afrique : « Fidèle à sa stratégie de pénétration par les marges, l’accès à l’Afrique s’est fait d’abord dans les pays ostracisés par l’Occident, ce dernier n’ayant guère laissé d’espaces libres pour choisir des fournisseurs énergétiques ». Mais aussi, comme le dit un chef d’entreprise africain, dans une phrase qui résume la BRI avec ses avantages et ses risques : « Si l’un de nos gouvernements demande une aide concrète, par exemple, un hôpital, les Européens font une étude de faisabilité. Ils veulent voir si le pays correspond aux critères des Droits de l’Homme et peut recevoir une telle aide. Le dossier revient après un processus très lent, parfois de deux ans, mais la réponse positive n’est pas assurée ! Les Chinois, eux, montent l’hôpital en deux ou trois mois. Puis ils demandent en échange une concession pétrolière ou minière et ils vont faire encore une autoroute qui va rester et favorisera la croissance de la région ! ». 

L’auteur du livre n’oubliant pas de préciser à un autre endroit qu’en fait pour la Chine « chaque route remplit des fonctions qui la servent » et que le pays aidé risque la dépendance et la pauvreté car il s’ouvre alors aux produits chinois, au détriment de son industrie locale, etc.

Le second est que le monde est dans une telle interdépendance qu’il est stupide d’affirmer péremptoirement qu’il faut faire ceci ou cela. L’exemple type serait d’imposer une réévaluation du Yuan en considérant qu’il est nettement sous-évalué, ce qui constitue un avantage concurrentiel majeur pour la Chine. 

Mais comme cela est expliqué page 134, le problème de la réévaluation du Yuan est multiparamétrique et, ainsi, entre autres éléments avancés : « L’avantage comparatif est si grand, malgré les hausses salariales, que la réévaluation a un impact limité sur la compétitivité chinoise ; Le gouvernement chinois a un allié inattendu : les 50 000 entreprises américaines installées sur son sol. Elles constituent des lobbies actifs pour résister aux pressions d’une subite réévaluation du Yuan qui leur ferait perdre des marges de compétitivité pour leurs productions délocalisées en Chine ».

Et, surtout « la détention (par la Chine) d’importants avoirs en Bons du trésor américain contraint à temporiser une revalorisation du Yuan qui conduirait à leur dévalorisation… »

Alors pendant que l’information publique nous divertit chaque jour un peu plus des sujets essentiels, quelle conclusion à la lecture de ces livres ? Elle est clairement formulée par Claude Albagli, docteur es-Sciences économiques et auteur de « Les routes de la soie ne mènent pas où l’on croit… » : « Tout se passe en définitive comme si la Chine redessinait une carte du monde en distribuant des fonctions comme des rôles pour répondre à ses besoins ».

  • Auteur : Claude Albagli
  • Éditeur : Editions L’Harmattan
  • Parution : octobre 2020
  • Pagination : 278 pages
  • Prix (broché) : 28,50 euros
  • Prix (numérique) : 22,99 euros




Comprendre la Chine [2]

Qu’on le veuille ou non, l’Europe est un terrain de bataille, ou, pour le dire autrement « nous sommes en guerre ». Mais une guerre non militaire, dans laquelle de multiples moyens sont utilisés. 

La Russie mène une guerre de déstabilisation des démocraties afin de faire croire que son modèle autoritaire est le seul à même de résoudre le désordre en oubliant de dire que son objectif est de maintenir au pouvoir un clan de cleptocrates.

La Chine est en guerre économique, une guerre reposant maintenant sur la technologie afin de devenir la première puissance mondiale et de permettre au Parti communiste chinois de perdurer. 

Le point sur ce sujet en quatre livres dont deux de références et deux très récents.

Livre 1 « La guerre hors limite » : une référence… chinoise

« Il n’existe plus de domaine qui ne puisse servir la guerre et il n’existe presque plus de domaines qui ne présentent l’aspect offensif de la guerre ».

Dans son livre « Guerres invisibles : Nos prochains défis géopolitiques », paru en janvier 2021 (éditions Tallandier), Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales, fait largement référence à un ouvrage expliquant les stratégies de guerres non militaires telles qu’analysées par deux colonels de l’armée de l’air chinoise après la première guerre du Golfe en 1991. 

Deux pays peuvent être en guerre l’un envers l’autre sans aucun affrontement militaire, car les guerres peuvent être économiques, financières, informationnelles, écologiques, normatives, culturelles, psychologiques… 

Ce livre, qui explique ou rappelle les nouvelles formes de guerre, s’intitule « La Guerre hors limite ». Il date de 1999 et a été traduit en français en 2004. 

Il offre une bonne entrée en matière pour comprendre la guerre menée selon des techniques non militaires en faisant comprendre en quoi certains actes doivent être qualifiés d’actes de guerre. 

Il n’hésite ainsi pas à qualifier George Soros de terroriste financier car les conséquences de ses actes sont parfois pires que celles d’une guerre non sanglante, tout comme celles de pirates informatiques. 

Il évoque les mécanismes des guerres économiques. Il indique que doivent être considérés comme des actes de guerre non conventionnelle l’exercice d’une influence sur le gouvernement ou le parlement d’un pays étranger par le biais de fonds spéciaux alimentant des groupes de pression, des méthodes consistant à racheter ou à contrôler le capital de journaux, de chaînes de télévision d’un autre pays pour en faire les outils d’une guerre médiatique contre ce pays…

  • Auteur : Qiao Liang et Wang Xiangsui 
  • Éditeur : Rivages
  • Parution : 17 mars 2004
  • Pagination : 322 pages
  • Prix (broché) : 22,21 euros
  • Prix (poche) : 9,15 euros




e-santé

Le numérique influence fortement notre espace Santé et s’est développé de manière exponentielle. Les « e-termes » fleurissent de toute part, à tel point que les amalgames se sont faits entre les mots et les destinations : bien-être physique, santé, médecine, science, recherche… L’e-santé, la m-santé, la santé numérique sont des termes « confusants » dans ce vaste empire qui bouleverse autant la recherche médicale que l’organisation des soins.

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 441 – juillet-août 2021

La définition de l’e-santé (ou santé numérique)

Pour le grand public, l’e-santé évoque une santé connectée par les nouvelles technologies (healthtech) qui permettent le tracking via des applications ou des objets connectés. Mais dans les faits, sa définition serait plus exactement celle de la Commission européenne qui parle d’« application des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) à l’ensemble des activités en rapport avec la santé » qui recouvre tous les outils de production, de transmission, de gestion et de partage d’informations numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-sociales et de bien-être. 

La santé numérique intègre plusieurs grands domaines :

Les domaines d’application de l’e-santé

Les systèmes d’information de Santé (SIS) ou hospitaliers (SIH) forment le premier segment de l’e-santé. C’est par eux que s’organisent les échanges de données et d’information entre les différents services et territoires de soins. Ils sont essentiels pour la téléconsultation, la téléexpertise…

La télémédecine utilise les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) pour des pratiques et offres de soins à distance. Elle regroupe plusieurs sous-domaines (1) : 

– la téléconsultation, 

– la téléexpertise (échange des avis des médecins), 

– la télésurveillance, 

– la téléassistance, 

– la téléformation,

– la régulation médicale (centre 15).

La téléconsultation, comme son nom l’indique, permet à un patient de se mettre en relation avec un professionnel de Santé par vidéotransmission. Le patient peut être assisté par un professionnel médical (médecin, infirmier, pharmacien) au cours de cette consultation à distance. Son développement constitue un rôle majeur dans le développement de l’accessibilité aux soins, notamment dans les déserts médicaux. Elle permet une prise en charge et un suivi plus rapide et évite également les déplacements inutiles.

Le médecin doit par contre connaître le patient et avoir eu auparavant une consultation physique (excepté les symptômes Covid-19).

La téléconsultation est facturée au même tarif qu’une consultation « ordinaire ».

Il existe plusieurs applications sécurisées qui permettent aux patients de se connecter sur les différents supports informatiques (smartphone, tablette, ordinateur).

Le cas échéant, des cabines – ou bornes – existent (pharmacies, lieux de vie communale, Ehpad), peu nombreuses, mais avec des instruments connectés (thermomètre, balance, tensiomètre, stéthoscope, imprimante). Les conditions sont assez similaires à celle d’un cabinet médical. Leur usage est pour l’instant limité 6 % des téléconsultations) [2]

Dans cet élan, l’enseigne Monoprix, qui a installé des cabines dans deux de ses magasins (Paris et Troyes), s’est attiré les foudres du conseil national de l’Ordre qui a appellé le gouvernement à « réagir avec fermeté pour défendre les principes régissant l’organisation des soins en France, et pour protéger l’acte médical au service des patients ».

La téléexpertise se fait via une messagerie sécurisée de Santé ou une solution de télémédecine (avec un équipement adapté s’il y a des échanges d’images, des tracés…). Elle permet à un généraliste ou un spécialiste de demander l’avis d’un de ses confrères pour ses compétences sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient. 

La téléexpertise concerne tout médecin, quelle que soit sa spécialité, son secteur d’exercice et son lieu d’exercice (ville ou établissement de santé) ainsi que les patients en ALD ou atteint de maladies rares, de personnes résidant dans des déserts médicaux, dans des EHPAD ou des établissements pénitentiaires.

Une fois la téléexpertise réalisée, le médecin requis rédige un compte rendu, l’archive dans son dossier patient, dans le Dossier Médical Partagé (DMP) du patient, le cas échéant, et le transmet au médecin requérant.

Il existe deux niveaux de téléexpertise :

Niveau 1. Il s’agit d’une problématique simple qui ne nécessite pas de réaliser une étude approfondie de la situation médicale du patient.

Niveau 2. Il s’agit d’un avis suivant une situation complexe.

La téléexpertise fait l’objet d’une facturation directe entre l’Assurance-maladie et les médecins libéraux avec deux niveaux d’acte : TE1 et TE2 suivant les niveaux.

La télésurveillance est un dispositif de surveillance médicale à distance installé dans l’habitation du patient. Des appareils et capteurs (électrocardiogramme, tensiomètre…) sont connectés entre eux et assurent l’enregistrement des données, le stockage et le transfert à un professionnel de la santé à des fins d’analyse afin d’adapter la prise en charge au plus tôt et de mieux suivre l’évolution de la maladie.

Ce système, particulièrement adapté aux personnes à risque ou de complication de leur maladie (pathologies chroniques, sortie d’hospitalisation…), contribue à stabiliser la maladie, voire à améliorer l’état de santé par le suivi régulier d’un professionnel médical.

Il permet également d’accéder en urgence à une plateforme d’assistance médicale.

La télésurveillance doit respecter des exigences spécifiques comme la demande du consentement du patient, le traçage de l’acte médical réalisé et l’obligation pour les outils numériques d’être conformes aux cadres juridiques applicables aux données de santé (RGPD, marquage CE).

La téléassistance médicale permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte. Elle peut être faite après une téléexpertise. Dans le cas d’un radiologue par exemple, celui-ci guide le manipulateur radio afin de réaliser des examens en coupe de la meilleure incidence et de la meilleure qualité possibles.

Pour le grand public, la téléassistance (ou téléalarme) est tout d’abord un dispositif d’aide à la personne qui se matérialise par un service payant. Il est relié à un centre destiné à apporter assistance aux personnes confrontées à un problème médical (chute, malaise). La Poste par exemple a créé un service en ce sens.

Ce dispositif peut se présenter sous la forme d’un médaillon ou d’une montre que la personne garde en permanence sur elle.

La téléformation. Les besoins de formation concernent tous les domaines de la Santé qui vont de la formation à distance d’étudiants en médecine afin de leur permettre d’assister à des interventions ou le spécialiste afin d’aborder des cas complexes ou connaître les pièges techniques ou simplement se mettre « à jour ».

La régulation médicale est un acte médical qui s’inscrit dans un contrat de soins. Il est pratiqué au téléphone ou par tout autre dispositif de télécommunication entre l’appelant et un médecin régulateur.

La régulation médicale a également pour mission de s’assurer de la disponibilité des moyens d’hospitalisation publics ou privés adaptés à l’état du patient, en respectant le libre choix de la personne, de préparer son accueil dans l’établissement choisi, d’organiser le cas échéant le transport en faisant appel à un service public ou une entreprise privée de transport sanitaire et de veiller à l’admission du patient.

Il faut souligner que l’acte médical, numérique soit-il, est une décision médicale qui implique la responsabilité individuelle du médecin. De même, lors d’une téléexpertise, le professionnel engage sa responsabilités dans les indications qu’il donne au professionnel qu’il guide.

La santé mobile

Si la santé mobile (mobile health) offre de nombreuses possibilités concernant la prévention, la surveillance des maladies chroniques et permettre au patient d’être acteur de sa prise en charge, elle recouvre dans l’univers grand public une large gamme de produits matériels de « bien-être » (objets connectés), d’applications mobiles d’automesure, plateforme web… Dans ce cas, on parlerait plutôt de… e-santé. Allez vous y retrouver !

Cet épiphénomène dans l’e-santé – sans réelle influence par le passé – qu’était la healthtech à ses débuts, est devenu un vaste empire pour les Gafam qui, au-delà de leur puissance financière, on su disposer d’une véritable hégémonie dans l’industrie du numérique qui leur a servi à couvrir l’ensemble des catégories du marché de la e-santé, qu’il s’agisse du secteur privé ou public, de produits ou de services. Les actions sont multiples. 

Facebook a développé Preventive Health, un outil de prévention sur les maladies cardiaques et le cancer, un calendrier vaccinal avec ses rappels… Apple avec les plateformes ResearchKit, CareKit  ou Healthkit sans oublier l’AppleWatch et son application « Health Records ». Amazon avec Amazon Care, Amazon Comprehend Care, Comprehend Medical et Amazon Pharmacy . Sans oublier Microsoft qui permet aux organismes de soins une coordination des personnes, des processus et des perspectives tirées des données de Santé. Souvenons-nous de la polémique autour du Health Data Hub (HDH) et le choix du gouvernement d’héberger les données de santé qui rassemble entre autres toutes les données de l’Assurance-maladie, des hôpitaux des 67 millions de Français.

La healthtech ne s’arrête bien évidemment pas au Gafam, les fabricants européens et français sont nombreux. Withings par exemple, leader des objets de santé connectée, avec sa division « Med Pro » et sa « ScanWatch », a engagé des études avec l’hôpital européen Georges Pompidou et le centre de cardiologie du nord et Hipoxia Lab (université de Californie) pour la détection de la FA, la mesure de l’oxygène dans le sang et l’apnée du sommeil… 

(1) Qu’est-ce que l’e-santé : fondationdelavenir.org/e-sante-definition/

(2) Cnom : conseil-national.medecin.fr/medecin/exercice/point-teleconsultation

En conclusion

Deux mondes, deux approches de l’e-Santé. La définition de la Santé dans les dispositifs médicaux doit être claire et faire référence à l’IoT médical pour les objets connectés, les services, les plateformes d’aides aux médecins et aux patients. Les géants du Web savent la frontière poreuse entre la Santé et le bien-être. Cette « Uberisation » de la médecine est un problème qui doit être pris très au sérieux par les pouvoirs publics et ce à tous les niveaux (données, cloud, études de faisabilité, réglementation des DM) afin de bien séparer les genres et les priorités des acteurs du numérique qui ne sont pas les mêmes que les professionnels de la Santé.

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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La guerre mondiale des ondes

La guerre économique et technologique telle qu’elle est

« […] la confrontation avec Huawei a constitué pour les États-Unis un “moment Spoutnik” […] la 5G a été pour l’Amérique un signal d’alarme, en ce qu’elle a révélé la capacité de la Chine, non plus à imiter, mais à innover sur des technologies de pointe ».

Quel meilleur titre pour clore cette rubrique que celui du livre « La guerre mondiale des ondes » ? 

« Guerre mondiale » rappelle que nous sommes au cœur d’une guerre mondiale, et « ondes » que cette guerre n’est pas militaire, mais économique et technologique. Ainsi, si vous n’êtes toujours pas persuadés que nous sommes en guerre, ce livre devrait finir de vous convaincre. 

Il relate l’histoire de l’opposition de divers groupes de pays pour le déploiement de la 5G qui est, on le comprendra vite, un enjeu majeur du monde numérique. 

Un groupe est représenté par la Chine, qui maîtrise la 5G, un autre par l’Europe  possédant deux entreprises maîtrisant aussi la 5G (Nokia en Finlande et Ericsson en Suède), un troisième par la puissance dominante (les Etats-Unis) qui ne maîtrise pas la 5G et le dernier groupe est représenté par le reste du monde. L’histoire du livre : celle du combat entre les Etats-Unis et Huawei pour faire en sorte que la 5G occidentale ne dépende en aucune sorte de la Chine et donc de Huawei. La cause est-elle économique ou idéologique ? A vous de trancher car nous entrons avec ce livre au cœur d’une guerre technologique, financière, économique, politique, normative, idéologique… sans savoir qui l’emportera. 

Ainsi, les Etats-Unis veulent empêcher Huawei d’accéder aux microprocesseurs dont il est dépendant, ce qui pourrait le ruiner, mais Reng Zhengfei, le patron de Huawei est loin de se décourager lorsqu’il fait annoncer par l’un de ses collaborateurs que « les sanctions américaines nous rendent la vie difficile, mais on y voit aussi une énorme opportunité », notamment celle de développer les outils qui lui manque et ce, de façon plus performante et avec d’autres normes, ce qui pourrait conduire à un monde numérique en silos, les divers systèmes ne devenant plus compatibles… C’est d’ailleurs un des scénarios évoqués pour l’avenir du monde dans le livre « Le monde en 2040 vu par la CIA » paru le 28 avril 2021 (éditions Equateurs). 

  • Auteur : Sébastien Dumoulin  
  • Éditeur : Tallandier
  • Parution : 18 mars 2021
  • Broché : 304 pages
  • Prix (broché) : 19,90 euros
  • Prix (broché) : 13,99 euros




Vers la guerre

Le succès planétaire

« Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable ».

Un deuxième ouvrage d’entrée en matière pour comprendre la Chine, et qui fait référence, a été publié aux Etats-Unis en 2017 et en France en 2019 : « Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ? » de Graham Allison. 

Pourquoi une référence ? 

Parce qu’il explique que lorsqu’un pays est dominant et qu’une autre grande puissance apparaît, le plus souvent (douze fois sur seize en 500 ans), il y a compétition puis guerre militaire. Le pays dominant développerait une sorte de paranoïa pour laquelle tout acte de la puissance émergente serait jugé comme destiné à menacer sa puissance, le pays en croissance serait pris d’une sorte de vertige, d’hubris, lui faisant penser qu’il peut, et surtout – quel que soit le motif pris en compte – qu’il mérite de devenir dominant. Les deux puissances tombent ainsi dans un piège dont il est difficile d’échapper et qui les pousse au conflit.

L’ouvrage est très instructif en ce sens qu’il analyse seize conflits des 500 dernières années au prisme de ce concept et élabore ensuite des scénarios qui pourraient conduire à un conflit militaire entre la Chine et les Etats-Unis dans les prochaines années. 

  • Auteur : Graham Allison 
  • Éditeur : Odile Jacob 
  • Parution : 20 février 2019
  • Broché : 416 pages
  • Prix (broché) : 21,90 euros
  • Prix (numérique) : 21,99 euros




Poutine. La stratégie du désordre

« Le but de la propagande russe est d’inculquer une vision totalement noire du genre humain qui justifie l’instauration d’un régime autoritaire, seul capable d’empêcher les hommes de s’entre-égorger ».

Pour bien comprendre ce qu’est une guerre asymétrique, c’est-à-dire principalement non militaire, il est recommandé de lire « Poutine. La stratégie du désordre ». C’est un ouvrage passionnant qui offre une compréhension justifiée de la Russie d’aujourd’hui, celle de Poutine.

L’auteur y indique que l’Etat et ses ressources économiques sont aux mains de quelques oligarques, anciens du KGB qui ont confisqué l’économie à leur profit après la chute de l’URSS et qui, pour maintenir leur pouvoir, mènent une guerre interne et externe aux méthodes multiples car la Russie ne peux plus prétendre être une puissance militaire de premier plan.

Une guerre interne : celle « mettant en scène des éléments symboliques camouflant la situation réelle de l’État de droit, du système électif et des libertés publiques ». Une guerre très particulière car la nouvelle constitution de 2020 « consacre la primauté absolue du droit russe sur le droit international ».

Ce qui pose la question : la Russie a-t-elle encore sa place à l’ONU et dans les instances internationales ? Une guerre contre le monde entier à des fins de déstabilisation des démocraties pour que dans les esprits, seul un Etat autoritaire soit la solution aux problèmes, et qu’ainsi les méthodes du gouvernement russe soient admises comme efficaces et surtout obligatoires. 

Mais, ce faisant, le clan Poutine oublie de rappeler pourquoi de nombreux pays ont évolué vers des démocraties complexes, que l’on qualifie de polycentriques, et faites de contre-pouvoir : pour éviter que le pouvoir ne soit accaparé que par un clan.

En analysant les stratégies développées par Poutine dans les diverses parties du monde, comme en Europe, en Syrie, en Chine et en Afrique, ce livre souligne que les outils de la guerre hors limites doivent être adaptés à chaque situation et Poutine semble être passé maitre à ce jeu.

Toutefois, sa position est fragile du fait de ses ressources économiques et technologiques et de la contestation interne, même si elle est bridée et du fait que tout repose sur sa personne et non sur un Parti organisé pour sa pérennité. 

  • Auteur : Isabelle Mandraud et Julien Théron 
  • Éditeur : Tallandier
  • Parution : 18 février 2021
  • Broché : 320 pages
  • Prix (broché) : 19,90 euros
  • Numérique : 13,99 euros




Château Haut-Marbuzet

La flamboyance, voilà ce qui caractérise tant le caractère des vins de Haut-Marbuzet que celui de son extravagant propriétaire Henri Duboscq. Opulents, riches, séducteurs, les Haut-Marbuzet se montrent irrésistibles dès leur mise en bouteille, contrairement à la plupart des vins de Saint-Estèphe, la plus septentrionale des grandes appellations de la presqu’île du Médoc donnant souvent vent des vins austères et virils dans leur jeunesse.

En 1952, Hervé Duboscq acquiert, en rente viagère, quelques hectares. de vignes en friche issus du morcellement du vaste domaine Mac Carthy un siècle plus tôt. Il ressuscite le vignoble et commercialise ses vins directement aux consommateurs. Son fils Henri le rejoint en 1962 pour imprimer un style très personnel fondé sur l’onctuosité des tanins grâce à l’utilisation importante du cépage merlot et l’élevage intégral en barriques de chêne neuf. Le vignoble initial va être progressivement reconstitué avec l’acquisition des meilleurs terroirs, car à cette époque, les prix restaient très abordables par rapport aux sommets actuels. Le domaine, s’étendant actuellement sur 75 ha, est excellemment situé sur le plateau de Marbuzet face à la vallée de la Gironde sur une pente douce de graves günziennes soutenues par un sous-sol de calcaire, alios et argiles bleues régulant l’alimentation hydrique. Le grand vin est produit au sommet de la croupe séparée par des combes du château Cos d’Estournel et Montrose les célèbres 2es grands crus de Saint-Estèphe (magnifique environnement !).

Le Haut-Marbuzet, à l’époque en pleine déconfiture, n’a pas été retenu dans le classement des Médoc de 1855, mais a été titré en 2003 : cru bourgeois exceptionnel et actuellement maints spécialistes l’élèvent au niveau des 3es grands crus.

Les vignes, âgées en moyenne de plus de 50 ans, sont cultivées en lutte raisonnée, labourées et griffées, sans désherbant chimique avec un travail soigné du sol, des ébourgeonnages et rognages précis. Les raisins vendangés en légère surmaturité sont triés à la vigne, puis au chai, et totalement éraflés. Initialement, et c’est ce qui avait fait son succès immédiat, la vinification longue, la fermentation à haute température, la macération sur
3 semaines en cuves béton, les remontages biquotidiens, les saignées aboutissaient à des vins puissants, fortement extraits, bénéficiant d’un élevage de 18 mois uniquement dans du chêne neuf, magnifiques dans leur jeunesse, mais qui perdaient de leurs attraits après une dizaine d’années de garde. Mais, avec le vieillissement du vignoble, Henri Duboscq, intelligent et intuitif, rejoint par ses fils Bruno et Hugues qui privilégient la subtilité et la finesse, comprend que ses vins ont besoin de moins d’extraction et de bois neuf. La thermorégulation est introduite, les températures de fermentation limitées, le cépage petit verdot est planté au dépens du cabernet franc, la fréquence des remontages est diminuée, le bois neuf est limité à 75 %. Le sulfitage reste très faible, la mise en bouteille est précédée d’un collage au blanc d’œuf et d’une légère filtration. Ainsi, si les vins gardent le style maison, ils évoluent vers une élégance plus affirmée et un classicisme bordelais plus marqué (ce qui peut dérouter les aficionados de la première heure).

Une sensualité au charme fou

Ce Haut-Marbuzet 2016 assemblant 50 % de cabernet sauvignon, 40 % de merlot, 5 % de cabernet franc et petit verdot, paré d’une robe rubis pourpre profond, exhale des senteurs de violette, des arômes de fruits noirs confiturés : cassis, cerise noire, mûre, des notes de prune surmûrie et d’épices : poivre blanc, coriandre, réglisse bien fondues. La bouche riche, tendue dévoile de beaux tanins veloutés, une bonne mâche fondante, harmonieuse, longue et équilibrée. Ce vin au fruité intense, au bouquet voluptueux peut paraître un peu ostentatoire, mais en fait dévoile un raffinement, une sensualité au charme fou, délectable actuellement, mais qui sera grandiose dans l’avenir.

Ce Haut-Marbuzet opulent et séducteur issu d’un très grand millésime fera honneur à la cuisine bistrotière. En entrée, il s’appréciera avec une mousse forestière de canard ou une terrine de sanglier. Mais c’est avec les viandes qu’il réalisera les accords les plus savoureux : l’agneau, selle, épaule ou gigot de 7 heures aux fèves, toute viande rouge grillée ou rôtie : contre filet ou côte de bœuf, tranche de veau bien épaisse à condition d’éviter les légumes verts qui durcissent le vin. Les plats mijotés, navarin ou jarret de veau aux chairs déstructurées par la cuisson, seront rehaussés par le vin. Sa finesse s’accommode très bien des viandes blanches : pigeon et galette de courgettes, faisan jardinière, civet de lapin, cassoulet de confit d’oie. Il participera aux fêtes de Noël en escortant un chapon, une dinde rôtie. Il peut dès maintenant, contrairement aux grands crus du Médoc, accompagner les gibiers : perdreaux rôtis, noisette de chevreuil grand veneur, fricassée de marcassin. En fin de repas, il affectionne les vieux fromages de Hollande aux goûts de noisette ou un beau saint-nectaire.

« Pour produire un vin que j’aime et qui me ressemble, déclare Henri Duboscq, je me suis battu contre ce terroir donnant des vins austères, voire agressifs, dans leur jeunesse, pour produire le plus marginal des Saint-Estèphe. J’ai dompté mon terroir par des méthodes de vinification qui me sont propres : vendanges tardives, forte proportion de merlot, logement en barriques de chêne neuf en mixant différents types de bois en fonction du millésime », ce qui lui permet de proclamer « Je n’hésite pas à appeler mon millésime 2016 : la beauté du monde ».

Henry Duboscq et Fils – 33180 Saint-Estèphe

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Le portrait de Baudoin de Lannoy [1]

Vers l’an 407 de notre ère, les Burgundes, plus tard dénommés Bourguignons, s’avancent des bords du Rhin et les historiens nous les présentent comme ayant des mœurs  tempérés par le christianisme et de ce fait plus fréquentables que les autres peuples du nord qui envahissaient alors la Gaule en franchissant la limite (limes) de l’empire romain. 

Les Burgundes, ainsi dénommés car ils habitaient dans des bourgs, étaient surtout des charpentiers et des forgerons. [1] Ils fondèrent un royaume qui finit par faire corps avec celui des Francs de telle sorte qu’après la mort de Charlemagne (814), les rois carolingiens qui se partageaient son empire, fondèrent en 880 le duché de Bourgogne alors que parallèlement depuis Hugues Capet (v.939-996) jusqu’à son lointain descendant Louis Capet alias Louis XVI (1754-1793) s’imposa une longue dynastie royale sans interruption jusqu’à l’abolition de la Royauté et la proclamation de la République française en septembre 1792. 

La Première Maison capétienne de Bourgogne s’interrompt avec la mort prématurée (peste) de Philippe Ier de Bourgogne (1346-1361), le duché revenant alors au roi Jean II « le Bon » (1319-1364) (a) qui va secondairement le concéder à son quatrième et dernier fils sous la forme d’un apanage (b)

Ainsi commence la Seconde Maison de Bourgogne avec une alternance de morts plus ou moins violentes puisque Philippe II « le Hardi » (1342-1404) meurt dans un contexte épidémique (grippe ?) mais son fils Jean « sans Peur » (1371-1419) mourra assassiné le 10 septembre 1419 au pont de Montereau lors d’une entrevue avec le dauphin, futur roi Charles VII (1403-1461).

Philippe III de Bourgogne « le Bon » (1396-1467) qui sera victime d’une apoplexie [1] à plus de soixante dix ans, prend alors la tête du duché et aura comme successeur son fils Charles « le Téméraire » (1433-1477) dont on retrouvera le corps en partie dévoré par les loups devant Nancy, épilogue d’un conflit sans merci avec le roi Louis XI (1423-1483).

La mère de Charles le Téméraire était Isabelle de Portugal (1397-1471), fille du roi Jean Ier (1357-1433) auquel Philippe de Bourgogne, déjà veuf à deux reprises sans héritiers, avait demandé la main par l’intermédiaire d’une ambassade, en 1428-1429, dont faisait partie Baudoin de Lannoy (1388-1474) en tant que fin diplomate mais aussi Jan van Eyck (v.1395-1441) en tant que peintre de cour et émissaire secret (c) du duc. Il s’agissait de faire le portrait réaliste de l’Infante qui n’était plus toute jeune, a fortiori à cette époque, puisqu’elle avait dépassé la trentaine. Jan van Eyck en fit deux portraits, semble-t-il facilités par l’aide optique d’une camera obscura. (d) 

Les Époux Arnolfini (détail) par Jan van Eyck 1434 Huile sur panneau (National Gallery Londres).

Ces portraits, dont on peut imaginer l’exceptionnelle qualité, ont disparu, en particulier  l’exemplaire dont on a perdu la trace en 1798 lors du saccage du palais de Marguerite d’Autriche à Malines, mais leur réalité est attestée par des copies et chroniques qui furent envoyées au duc en février 1429, par précaution par deux voies distinctes, terrestre et maritime. 

Au mois de juillet suivant l’Infante est mariée au duc par procuration et c’est au mois  d’octobre de cette même année 1429 que l’Infante embarque pour les Flandres où, après quelques frayeurs dues à une violente tempête et aux incertitudes de la navigation, [2] aura lieu le mariage proprement dit. Les noces eurent lieu à Bruges le 10 janvier 1430 avec un faste exceptionnel incluant des rivalités d’élégance d’autant qu’Isabelle apportait du Portugal des modes nouvelles et inconnues à une cour pourtant réputée pour la somptuosité de ses costumes jusqu’à en faire une sorte d’allié politique des ducs de Bourgogne au risque de générer des jalousies préjudiciables mais aussi une impécuniosité ; c’est ainsi qu’à la mort de Philippe le Hardi, ses fils furent obligés de mettre son argenterie en gage pour subvenir aux dépenses de ses funérailles. [1] 

Les festivités du mariage du duc Philippe le Bon durèrent sans discontinuer pendant huit jours avec des fontaines qui déversaient ad libitum du vin du Rhin, de Beaune, de Malvoisie, de la Romanée mais aussi du muscat et de l’hypocras… [2] C’est à cette occasion que le duc créa cet « admirable code d’honneur et de vertus chevaleresques » [1] qu’est l’Ordre de la Toison d’Or dont les premiers chevaliers avaient paru au mariage dans tout leur éclat et parmi lesquels figurait Baudoin de Lannoy. 

C’est à partir de l’année suivante et du premier chapitre à Lille en 1431, le jour de la Saint-André, que les chevaliers éliront autant de nouveaux membres qu’il y aura de places vacantes (le nombre étant limité à vingt quatre chevaliers) et le port du collier deviendra obligatoire, en toutes circonstances et en particulier en public. 

Le collier d’or

Le  collier d’or comporte une alternance de  fusils en forme de B évoquant la Bourgogne et de « pierres à feu » avec en pendentif la toison d’un bélier doré. Ceci fait référence aux fusils c’est-à-dire aux « briquets » de l’époque qui étaient de petites masses d’acier servant à produire des étincelles par friction avec des silex permettant ainsi d’allumer l’amadou, à rapprocher de la devise de l›ordre : Ante Ferit Quam Flamma Micet (« Il frappe avant que la flamme ne brille »). (e) Les colliers appartenaient au trésor de l’ordre et devaient être restitués à la mort du chevalier. En cas de perte sur le champ de bataille, le souverain prenait à sa charge le remplacement des colliers. 

Les chevaliers particulièrement fortunés se faisaient également faire des décorations enrichies de pierreries à titre personnel. En raison du poids important des colliers, il fut plus tard  possible de porter le pendant de l’ordre au bout d’un lac de soie rouge ou noire. 

Collier de la Toison d’Or avec l’alternance des fusils en forme de B et des pierres à feu.

A la mort de Charles le Téméraire et en l’absence d’héritier mâle (l’ordre ne se transmettant que par les hommes), c’est son gendre Maximilien de Habsbourg (1459-1519) qui en devint le grand maître ; il était en effet l’époux de Marie de Bourgogne (1457-1482) qui meurt accidentellement des suites d’une chute de cheval lors d’une chasse au faucon.

C’est ainsi que l’Ordre arriva à l’empereur Charles Quint (1500-1558) et à la monarchie espagnole mais les Habsbourg d’Autriche l’ayant repris à leur compte, il existe ainsi deux Ordres  de la Toison d’Or dont seul l’espagnol est reconnu légitime en France. Lorsque Baudoin de Lannoy est reçu dans l’Ordre de la Toison d’or, il commande un portrait de lui-même au peintre Jan van Eyck en sachant que lui et le peintre vécurent à Lille jusqu’à la fin de 1429 [3] et ses frères Gilbert de Lannoy et Hugues de Lannoy seront également faits chevaliers de la Toison d’or.

Baudoin de Lannoy

Le portrait de Baudoin de Lannoy dit « le Bègue » seigneur de Molembaix qui fut gouverneur de la Flandre gallicane et notamment de Lille, chambellan du duc de Bourgogne et chef des ambassades à la cour du roi Henri V d’Angleterre (1386-1422) mais aussi en Espagne et au Portugal, est celui d’« un gentilhomme à l’expression sévère » et apparaît luxueusement vêtu comme le type même du haut dignitaire bourguignon. [4] 

Il s’agit d’un homme de plus  de quarante ans tenant fermement dans la main droite un bâton blanc ou doré qui est l’insigne de sa charge à la cour. Il porte un anneau d’or à l’auriculaire et est  coiffé d’un impressionnant couvre-chef en feutre. [10] (f) La figure est coupée sous la poitrine et « une bande de fond fait paraître le buste un peu étriqué » incitant à concentrer le regard sur les traits du visage et « le regard vide et lointain donne une impression de conscience en suspens » [3] avec « une physionomie tendue, austère, aussi peu « aimable » que possible mais remarquablement imposante eu égard aux dimensions réduites du panneau » (26,6 cm x 19,6 cm). [4] 

Le front est marqué, entre les yeux comportant un léger strabisme externe droit, par une petite cicatrice incluant les traces résiduelles de probables points de suture bien mis en évidence par les travaux récents de restauration qui ont permis au visage de regagner en plasticité et en finesse [4] Baudoin de Lannoy porte le lourd collier chevaleresque de la Toison d’Or dont il est membre fondateur mais il ne lui fut conféré qu’à l’issue du premier chapitre en 1431. 

Portrait de Baudoin de Lannoy (v.1435) par Jan van Eyck. Huile sur panneau (Gemäldegalerie Berlin).

On peut donc considérer [3] que soit le portrait fut exécuté à la fin de 1431 c’est à dire causa occasionalis lors de l’intronisation dans l’Ordre, soit le collier fut ajouté a posteriori au portrait – pratique fréquente dans des cas semblables – c’est-à-dire possiblement vers 1435. Ce portrait nous restitue une image exacte d’un collier de la période ducale dont ne subsiste sans doute aucun exemplaire.  [17]  

Baudoin de Lannoy est vêtu d’un somptueux manteau brodé d’or aux motifs de feuilles de chêne ou de fougères, ourlé de fourrure rousse autour du cou et des poignets, et de couleur violine dès lors que le manteau est  supposé provenir de douze aunes de « drap d’or violet-cramoisy (sic) » que lui offrit, en 1427, Philippe le Bon qui, lui-même, se distinguait par les tons violet, bleu foncé ou noir, en portant ainsi, semble-t-il, le deuil de son père Jean sans Peur assassiné par les Armagnacs. (5) En outre, la couleur foncée de ses vêtements faisait ressortir l’éclat de ses bijoux. La cour de Bourgogne était réputée pour la somptuosité des costumes, qu’il s’agisse de la variété des tissus et des broderies, plus encore chez les hommes que chez les femmes et c’est ainsi que la cour ducale de Bourgogne transmettra la mode du noir princier à la cour d’Espagne puis via la fameuse « étiquette espagnole », le noir gagnera toutes les cours européennes du XVIe au XVIIIe siècle. [6]

Louis-François Garnier

(a) Le portrait de Jean II le Bon (Louvre) est considéré comme le plus ancien portrait indépendant peint en France
(b) L’apanage est une concession faite aux frères cadets dépourvus d’héritage afin qu’ils ne se révoltent pas contre leur frère aîné devenant roi à la mort de leur père.
(c) Jan van Eyck était chargé de missions secrètes largement payées en sus d’une rente annuelle. C’est ainsi qu’est relaté un mystérieux voyage lointain en 1426, peut-être en terre sainte comme le suggère des vues précises de Jérusalem dans le tableau dénommé Les Trois Maries au Sépulcre (Musée Boijmans van Beuningen – Rotterdam)
(d) Camera obscura ou chambre noire : instrument optique permettant d’obtenir une projection de la lumière sur une surface plane.
(e) La Toison d’Or mythique provenant  d’un bélier d’or ailé était clouée sur le tronc d’un chêne et gardée par un dragon. Jason et les Argonautes s’emparèrent de cette toison apportant paix et prospérité. Les étincelles évoquent les flammes crachées par le dragon et les taureaux sauvages qui gardaient le bélier de Colchide (17) correspondant à plusieurs provinces de la Géorgie actuelle. 
(f) Au Moyen-Âge le couvre-chef désigne toute pièce de tissu léger servant à couvrir la tête. Le Chapeau bourguignon en feutre, est fabriqué probablement à partir du sous-poil du castor européen non encore décimé alors qu’à partir du XVIe siècle les peaux de castor provenaient de Sibérie mais surtout du Canada avec un coût d’environ dix fois supérieur au feutre de laine de qualité médiocre car ayant tendance à absorber la pluie (10). Ce chapeau est  similaire à celui porté par Arnolfini (Portrait de Giovanni Arnolfini et de son épouse par Jan van Eyck (1434) National Gallery Londres)  à distinguer du chaperon, très en vogue au milieu du XVe siècle en Bourgogne, qui est une sorte de capuche devenant plus tard un chapeau apprécié dans toute l’Europe occidentale médiévale. Il était initialement utilitaire avec une longue queue partiellement décorative comme, en noir, dans le Portrait d’homme « Timotheos » ou Léal souvenir (souvenir fidèle) par Jan Van Eyck (1432) National Gallery Londres et comme on peut le deviner en bleu, peut-être porté par van Eyck lui-même, dans le miroir convexe des Epoux Arnolfini à rapprocher de L’homme au chaperon bleu peint vers 1430 (Musée national Brukenthal, Sibiu Roumanie). Secondairement s’est imposé un coûteux couvre-chef complexe et multi-usage pouvant être enroulé autour de la tête « en turban » par commodité comme le montre l’Homme au turban rouge (autoportrait ?) par Jan van Eyck (1436) National Gallery Londres à rapprocher d’un personnage situé à l’arrière-plan de La Vierge du chancelier Rolin, et qui porte un chaperon rouge similaire, peut-être également un autoportrait.
(g) La détrempe consiste à « détremper », c’est-à-dire à solubiliser partiellement les colorants en poudre dans un liquide aqueux à base de colle d’origine animale ou de gomme végétale ou dans l’émulsion naturelle formée par le blanc et/ou le jaune d’œuf dénommée alors tempera de façon plus spécifique. Au Moyen-âge le  liquide pouvait aussi être de l’huile fixe (lin, noix…) mais à partir de la Renaissance le terme détrempe  stricto sensu désigne une solution aqueuse par opposition à la peinture à l’huile. (11)
(h) Théophile (vers 1070 – 1125), est un moine allemand, auteur du traité intitulé Schedula diversarum artium (Traité des divers arts) récapitulant le savoir technique dans le domaine de l’art et de l’artisanat. Ce recueil attestant de l’usage de la peinture à l’huile au Moyen-âge fut redécouvert et publié vers 1774 par l’écrivain et dramaturge allemand G.E. Lessing (1729-1781) remettant en cause les affirmations inexactes  de Vasari. (11)

BIBLIOGRAPHIE

[1] Valentin F. Les Ducs de Bourgogne. Histoire des XIVe et XVe siècles. Mame Imprimeurs-Libraires Tours 1857.
[2] De Barante M. Histoire des Ducs de Bourgogne (13 tomes). Chez Ladvocat libraire 1825.
[3] Panofsky E. Les Primitifs flamands. Hazan 2012.
[4] Dossier de l’Art. L’année Van Eyck N°276 février 2020.
[5] Pastoureau M. Noir  Histoire d’une couleur Points Histoire 2014.
[6] Pastoureau M. Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental. Points Histoire 2014.
[7] Born A. & Martens M.P.J. Van Eyck par le détail. Hazan 2020.
[8] Van Mander C. Le livre de peinture. Miroirs de l’Art. Textes présentés et annotés par Robert  Genaille. Hermann 1965.
[9] Dictionnaire d’Histoire de l’Art du Moyen Âge occidental. Robert Laffont Bouquins 2009.
[10] Brook T. Le chapeau de Vermeer. Le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation. Petite biblio Payot Histoire 2012.
[11] Ziloty A. La découverte de Jean Van Eyck et l’évolution du procédé de la peinture à l’huile du Moyen-âge à nos jours. Librairie Floury Paris 1941.
[12] Vasari G. Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Commentaires d’André Chastel. Acte Sud 2005.
[13] Laneyrie-Dagen N. Le métier d’artiste. Dans l’intimité des ateliers. Larousse 2012.
[14] Till-Holger Borchert. Van Eyck Taschen 2008.
[15] Genaille R. La Peinture aux Anciens Pays-Bas. De Van Eyck à Bruegel. Ed. Pierre Tisné 1954.
[16] Watin. L’Art du Peintre, Doreur, Vernisseur, 3ième édition chez Durant 1776.
[17] Prigent Ch. Splendeurs du Grand Siècle bourguignon : l’ordre de la Toison d’or. In La Toison d’Or un mythe européen. Serpenoise pour Editions d’Art Somogy 1998.

Roman historique : Baltassat J.D Le valet de peinture. Point Robert Laffont 2013

Suite dans notre prochain numéro.



Domaine Saint-Nicolas

Les Rochais 2018 – Fiefs vendéens

Qui connaît l’AOC Fiefs Vendéens créée en 2011 ? Peu de spécialistes, et encore moins d’amateurs. Mais Thierry Michon, fer de lance de l’appellation, lui, est internationalement connu des professionnels, notamment des cavistes et restaurateurs, car il produit des vins, tout particulièrement blancs, bâtis pour la haute gastronomie.

Le domaine, fondé en 1960 par Patrice Michon à partir de quelques ares de vignes, fut agrandi progressivement par l’achat de terres qu’il défricha et planta de ceps autour du bourg l’Ile d’Olonne. En hommage à son enfance à Saint-Nicolas de Brem, il baptisa de son nom son domaine. Rejoint en 1984 par ses fils, Thierry et Éric, ils acquirent, au fil des ans, de nombreuses parcelles, et construisirent un chai moderne. Ils entamèrent, dès 1993, dans une recherche constante d’amélioration, la conversion du domaine Saint-Nicolas à la biodynamie, l’ensemble du vignoble étant certifié en 1998. Après le décès de son frère en 2014, Thierry fut secondé par ses deux fils, Antoine et Mickaël, qui représentent donc la troisième génération masculine. En 2015, un nouveau chai « les Clous » est construit au cœur du vignoble pour la vinification des blancs et rosés.

Le domaine s’étend actuellement sur 37 ha bordés par l’océan Atlantique, les forêts, les marais salants entre Brem et l’Ile d’Olonne en pleine Vendée, tout proche des Sables-d’Olonne. Les vignes sur des coteaux exposés sud-est aux terres argileuses, plongeant leurs racines dans un sous-sol de schistes ardoisiers et de quartz, bénéficient d’un microclimat solaire idyllique. Des roches magnétiques assureraient une protection contre les orages. Le terroir et la proximité de la mer et des marais s’expriment par une minéralité et des notes iodées présentes dans les vins. Une ferme en permaculture a été installée au cœur du vignoble pour recréer un écosystème naturel.

La biodynamie qui régit la viticulture sur l’ensemble du domaine, doit respecter un cahier des charges strict : interdiction de tout apport phyto-sanitaire, tout intrant œnologique, toute pratique pouvant modifier les équilibres naturels de la plante, et s’appuie sur trois points principaux :

  • Valorisation du sol et de la vigne grâce à des préparations issues de matières végétales (prêle, ortie), minérales ou animales (fumier auto-produit)
  • Application de ces produits à des moments précis en se référant au calendrier lunaire
  • Travail manuel du sol par des labours, binages, griffages excluant le désherbage chimique.

Une typicité étonnante

Thierry Michon a acclimaté de nombreux cépages qui surprennent dans ces terroirs vendéens, mais qui, sous l’influence de l’océan, acquièrent une typicité étonnante, pour les rouges : pinot noir bourguignon, gamay du Beaujolais, négrette toulousaine, pour les blancs : chardonnay bourguignon. Mais c’est avec le chenin, seul cépage spécifiquement ligérien, qu’il réussit, à mon avis, les cuvées parcellaires les plus percutantes : le Haut des Clos et les Rochais.

Les vendanges sont, bien-sûr, manuelles en caissettes à l’aide d’une jument, un tri intransigeant est effectué au chai, ce qui limite les rendements : 25 hl/ha pour les Rochais pur chenin provenant d’une sélection parcellaire de vignes en coteaux orientées sud-est, âgées de plus de 10 ans. Après un pressurage pneumatique, la vinification la plus naturelle possible débute par une fermentation grâce à un levurage indigène, un léger débourbage à froid, sans soufrage. Fermentation et élevage s’étendent sur 12 mois en foudres « stockinger », gros contenants en bois, pour éviter de masquer le vin par des arômes boisés.

Habillée d’une robe jaune dorée aux reflets argentés, cette cuvée «  Les Rochais  » 2018 exhale des arômes intenses de fruits exotiques, ananas, coing, de fleur d’oranger, de noisette, de miel d’acacia et de graphite. La bouche tendue, juteuse, crayeuse dévoile une minéralité omniprésente de pierre mouillée, avec des saveurs iodées (brise marine, coquille d’huître), citriques et salines. La finale séveuse, salivante légèrement crémeuse est impressionnante de longueur.

Quoiqu’originaire de Vendée, pays de bateau, de pêche, de produits marins, cette cuvée «  Les Rochais  » est un vin de gastronomie appelant des mets élaborés et mérite mieux que le classique plateau d’huîtres et de coquillages. 

En premier lieu, les poissons de mer s’imposent : la sole meunière ou avec sauce au curry, le bar grillé au fenouil et au chorizo ou rôti à la crème d’oseille et à l’embeurrée de choux, le rouget barbet saisi à la bisque d’étrilles. Les poissons d’eau douce : saumon de la Loire beurre blanc, brochet à la crème et aux herbes peuvent aussi permettre un grand mariage. 

Des chefs étoilés proposent ce chenin avec leurs plats signatures : Saint-Jacques à l’huile de sésame, shiso, roquette et lard fumé, homard bleu saisi au beurre blanc de yuzu ou avec une crémeuse de shitaké, jus court à la truffe blanche. 

Ce vin s’apprécie également avec certaines viandes : côtes de cochon noir saisies à l’os et beurre d’anchois, poularde pochée sauce aux morilles.

Thierry Michon, malgré son emploi du temps surchargé, s’attache à faire connaître ses vins dans toute la France et bien au-delà, et ainsi à promouvoir l’appellation « Fiefs Vendéens », ce qui exige beaucoup d’énergie et d’efforts. Mais on peut le rassurer, car il démontre à chaque millésime que sa région possède de grands terroirs, il faut simplement les comprendre et savoir les travailler, ainsi qu’il le répète : « c’est à la vigne que se fait le vin ».

Thierry Michon – 85340 L’ile D’olonne

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Les blanches falaises de Rügen [2]

Suite de notre précédent numéro
Les peintres romantiques allemands cherchaient à créer un paysage spirituel typiquement germanique sans référence à l’art antique ou italien et susceptible d’exprimer non seulement l’apparence mais également la réalité cachée d’inspiration divine qui occupe à cette époque la pensée de nombreux philosophes allemands tels que Goethe. Les écrivains et artistes romantiques valorisent alors le genre du paysage doté d’une spiritualité cachée qui attend d’être dévoilée par le peintre par le biais d’une symbolique incluant aussi bien la composition que la couleur: « Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. » Dans ce contexte la renommée de Caspar David Friedrich qui disait que « le divin est partout, même dans un grain de sable » ne dura que quelques années puis il fut quelque peu oublié avant que la postérité en décide autrement puisque il est maintenant reconnu comme l’artiste emblématique du romantisme allemand qui nous montre que l’homme, contemplant l’écrasante présence du paysage naturel d’expression divine, s’inscrit dans une démarche esthétique mais également mystique.
Louis-François Garnier

En 1805, Caspar David Friedrich envoie envoie deux dessins au concours des « Amis des arts » organisé par Goethe (1749-1832) à Weimar et il remporte le prix alors même qu’il n’avait pas traité le sujet demandé et il est vrai que Friedrich, par ailleurs très affecté par le destin de sa patrie en guerre contre Napoléon, se contenta longtemps de dessiner. 

Ce n’est qu’à partir de 1807 que s’exprime véritablement son talent de peintre par l’un de ses premiers tableaux, d’emblée un chef-d’œuvre, dénommé Le crucifix sur la montagne ou Retable de Tetschen (Dresde, Gemäldegalerie). Dans la continuité des théories sur la peinture du philosophe et théoricien allemand Wilhelm Joseph Schelling (1775-1854) datées de 1802-1805, Friedrich sera très influencé par le Traité des couleurs (1809) rédigé par le peintre et écrivain Philipp Otto Runge (1777-1810) et La Sphère des couleurs écrit par Goethe en 1810 lui procurant la symbolique de la couleur, Goethe affirmant en outre que tout ce qui existe dans la nature appartient à une vision globale que l’esprit peut pénétrer et déchiffrer et c’est la vocation du peintre demiurge de le faire, « les couleurs s’adressant moins à l’œil qu’à l’âme ». En 1810, Friedrich est nommé membre de l’Académie de Berlin. Il voyage dans le Riesengebirge (Monts des Géants à la frontière entre la Pologne et la République tchèque) qui devient un thème récurrent de son œuvre. Il expose à Berlin, est admiré par Frédéric-Guillaume III de Prusse qui lui achète Matin dans le Riesengebirge et Le Jardin suspendu. 

C’est en 1817 que Friedrich fait la connaissance du médecin attaché à la cour de Saxe, botaniste, naturaliste (naturphilosoph) et peintre amateur Carl Gustav Carus avec lequel il conservera des liens d’amitié toute sa vie et c’est le 21 janvier 1818 qu’il épouse Caroline Bommer, une « enfant du peuple » bien plus jeune que lui et à partir de son mariage la peinture de Friedrich se diversifie et inclut désormais de nombreuses figures féminines. C’est donc durant l’été 1818 que se situe le voyage de noces à Greifswald et à Rügen qui produira un cahier d’esquisses suivies de la toile dénommée Les blanches falaises de Rügen, Friedrich ayant « étudié comme personne avant lui le caractère particulier des côtes de la Baltique ». 

Falaises de craie sur l’île de Rügen

A l’automne 1818 arrive le peintre norvégien Johan Christian Clausen Dahl (1788-1857) qui imprime à l’école paysagiste de Dresde une tendance fraîche et spontanée promise au succès. La toile emblématique de Friedrich dénommée : Le Voyageur contemplant une mer de nuages (Hambourg, Kunsthalle) date de 1818 et nous montre un homme de dos en vêtement de ville, tenant une canne sur un haut rocher au-dessus des nuages et regardant la montagne la plus haute de ce paysage. En décembre 1820 la visite du grand-duc russe qui deviendra le tsar Nicolas augure des relations avec la cour russe qui achètera plusieurs œuvres du peintre. 

En 1824, Friedrich tombe malade et il verra « le lent fleuve de la neurasthénie tarir progressivement ses dons de paysagistes et résorber ses élans mystiques » sur fond de mélancolie ancienne déjà suggérée par un autoportrait de 1802 (Hambourg, Kunsthalle) et cet état semble réduire ses forces créatives et son état s’aggrave en 1826 ; il souffre d’un délire de persécution qui l’éloigne d’un bon nombre de ses amis avec un penchant de plus en plus accentué pour des paysages à l’athmosphère mélancolique. 

Carus relate que « dans son esprit bizarre, toujours sombre et souvent dur, s’étaient installées des idées fixes » qui contribueront à miner sa vie familiale. Un tableau de 1823/24 dénommé La Mer de glace  ou Le naufrage ((Hambourg, Kunsthalle) montre la poupe d’un bateau écrasé par de grands blocs de glace peints en diagonale (inspirés des glaces à la dérive sur l’Elbe)  illustrant le thème de la mort et de la Nature toute-puissante. 

C’est en voyant ce tableau lors d’une visite à l’atelier de Friedrich en 1834, que le sculpteur français David d’Angers (1788-1856) aura ce mot resté célèbre : « Cet homme sent admirablement bien la tragédie du paysage». L’atelier lui-même est particulièrement dépouillé avec tout au plus deux palettes, une équerre et une règle accrochés au mur comme le montre deux versions peintes par le peintre Georg Friedrich Kerting (1785-1847) : en 1811 (Hambourg, Kunsthalle) le peintre est assis en train de peindre un paysage de montagne et de cascade qu’on peut entrevoir alors qu’en 1819 (Berlin, Nationalgalerie) il se tient debout, appuyé sur le dos d’une chaise en observant attentivement une toile qu’on ne peut pas voir ; dans les deux cas tout ce qui pourrait le distraire a été retiré du mur. En 1835, une congestion cérébrale laisse Friedrich paralysé et le condamne à vivre « dans un état fragile, semblant désormais traverser la vie comme une ombre ».  

Il meurt le 7 mai 1840, solitaire, dans une « extrême indigence mentale » et une indifférence générale à Dresde où il est enterré. Les œuvres du peintre sont alors bien peu considérées comme l’atteste les prix « dérisoirement bas » d’une vente aux enchères en 1843. Son œuvre sera longtemps oubliée des critiques d’art jusqu’à la moitié du XXe siècle où elle finira par s’imposer comme emblématique de la peinture romantique.

Louis-François Garnier

(*) ossianique de Ossian barde écossais du IIIe siècle qui serait l’auteur de poèmes traduits et publiés en anglais entre 1760 et 1763 par le poète James Macpherson ; bien que l’authenticité en ait été controversée, ces poèmes eurent un énorme retentissement dans toute l’Europe et furent l’un des principaux thèmes préromantiques doté d’une dimension onirique qui inspira surtout les peintres scandinaves et  allemands comme Nicolai Abildgaard, mais aussi français. 

BIBLIOGRAPHIE

[1] Carus. Carl-Gustav. Voyage à l’île de Rügen sur les traces de Caspar David Friedrich. Préface de Kenneth White. Ed. Premières pierres 1999.
[2] De l’Allemagne. De Friedrich à Beckmann. Catalogue de l’exposition sous la direction de S. Allard et D. Cohn. Hazan/musée du Louvre.
[3] Hagen Rose-Marie & Rainer. Caspar David Friedrich : Rochers blancs à Rügen vers 1818. Un regard vers l’infini. Les dessous des chefs-d’œuvres. Tome 1 Taschen 2003.
[4] Sola. Charles. Caspar David Friedrich et la peinture romantique. Terrail 1993.
[5] Wolf. Norbert. Friedrich. Taschen 2017.
[6] Tout l’œuvre peint de Caspar David Friedrich. Les classiques de l’art. Flammarion 1976.

Remerciements au Dr Philippe Rouesnel pour la visite guidée des villes hanséatiques.



Le jour où la Chine va gagner

Ou très anti-américain ? Ce livre est écrit par un diplomate qui a été dix ans l’ambassadeur de Singapour aux Nations-Unies et qui a présidé le conseil de sécurité de l’ONU en 2001-2002. C’est dire qu’il a une vision globale des enjeux de ce qui est décrit comme le conflit sino-américain qui devrait en tout ou partie structurer le XXIe siècle : « Les forces et faiblesses respectives des systèmes politiques américains et chinois forment la matière principale de ce livre ».

Si l’auteur décrit plusieurs des torts reprochés à la Chine, il les pondèrent rapidement en décrivant les vicissitudes américaines et les raisons poussant la Chine à agir d’une certaine façon. 

Ainsi, par exemple, pour justifier la politique chinoise contre une partie de son peuple, les Ouïgours, l’auteur rappelle que la Chine a aussi été confrontée après 2001 à des attentats terroristes islamistes, comme par exemple, celui « au cours duquel les assaillants, à bord de deux voitures, ont écrasé des passants et fait sauter des explosifs dans un marché bondé » ou celui où « des individus armés de couteaux avaient tués 29 personnes dans une gare de la ville de Kunming ». 

Et en parallèle, de rappeler le nombre de victimes civiles afghanes et irakiennes consécutives aux guerres américaines après le 11 septembre 2001, ainsi que l’usage de la torture, d’abord à Guantanamo, puis après, pour échapper aux problèmes juridiques, dans certains pays où les prisonniers étaient transférés. 

Sans oublier le coût de telles interventions, chiffré en milliards de dollars. Somme qui, pour l’auteur, aurait été mieux investie dans le système éducatif, sanitaire et de transport terrestres américains. 

L’illusion du mythe américain

Il rappelle ainsi que le mythe américain d’une possibilité d’ascension sociale pour tous est devenu une illusion et que le pays semble dirigé et tenu par une ploutocratie financière. Ainsi, aux Etats-Unis, « … un enfant de quatrième (13 ou 14 ans) issu de la tranche de revenu la plus basse obtenant des notes en mathématiques dans le quart supérieur a moins de chance de décrocher son diplôme qu’un enfant issu de la tranche de revenus la plus élevée obtenant des notes dans le quart inférieur ». Il fait le parallèle avec ce qu’il juge être le système méritocratique très sévère permettant d’accéder aux plus hautes fonctions au sein du PCC.

En parlant du respect des droits, il rappelle ce que John Bolton, conseiller du Président Trump, avait officiellement déclaré : « Ce serait une grave erreur pour nous d’accorder une quelconque validité au droit international, même si cela peut sembler dans notre intérêt à court terme car, à long terme, l’objectif de ceux qui pensent que le droit international a un sens sont ceux qui veulent étrangler les États-Unis ».

Les points de « non-contradiction »

Et l’auteur de conclure qu’en fait, entre la Chine et les Etats-Unis, il y a de nombreux points de « non-contradiction » pour ne pas dire d’accords sur ce que devrait être l’évolution du monde et de leurs sociétés respectives, points qui devraient conduire à la discussion et à l’entente raisonnées entre les deux pays à l’heure des défis climatiques sinon « Les hommes regarderaient avec pitié deux tribus de singes continuant à se battre pour défendre leur territoire pendant que la forêt brûle autour d’eux ». On ne saurait hélas mieux dire et mieux conclure.

François Diévart

  • Auteur : Kishore Mahbubani  
  • Éditeur : Editions Saint-Simon
  • Parution : 18 mars 2021
  • Broché : 315 pages
  • Prix (broché) : 23 euros




Comprendre la Chine. Episode 1

De nombreux commentateurs s’accordent à penser que les Etats-Unis devraient perdre leur place de première puissance mondiale au profit de la Chine dans les quelques années, et ce, au moins sur le plan économique voire technologique, mais pas encore sur le plan militaire. Pour certains d’ailleurs, depuis 2014, la Chine est déjà la première puissance économique mondiale. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Quelle influence cela aura-t-il sur nos modes de vie ?

Les avis sont très partagés entre les thuriféraires et les contempteurs de la Chine et peu d’analystes semblent avoir une analyse neutre. Dans les prochaines rubriques « Lire » du Cardiologue, nous présenterons quelques-uns des principaux livres parus sur le sujet lors des deux dernières années dans une série qui sera peut-être interrompue transitoirement du fait de l’actualité.

Dictature 2.0 : terrifiant

Rien qu’à lire le titre de ce livre et son sous-titre « Quand la Chine surveille son peuple et demain le monde », on comprend que « Dictature 2.0 » a été écrit par un contempteur de la Chine. Et l’auteur débute très fort. 

Dès son avant-propos, il écrit « (la) Chine n’est plus un état qui subordonne toute chose à la réussite économique – l’essentiel, désormais, c’est le contrôle politique » et il va même plus loin « l’enlèvement et l’endoctrinement de probablement plus d’un million d’Ouïgours musulmans dans un réseau de camps de rééducation constituent la plus grande opération d’internement d’une minorité ethnoreligieuse depuis l’époque nazie ».

Ce livre, écrit par un journaliste allemand ayant été correspondant à Pékin pendant quatorze ans, jusqu’en 2018, décrit par le menu les principes et les modalités du système de propagande et de surveillance – notamment numérique – de la population chinoise, système en train de se mettre en place sous l’égide du Parti Communiste Chinois (PCC). Il fait souvent référence au livre « 1984 » de George Orwell, entre autres dans la façon d’utiliser le langage en une sorte de novlangue où « la liberté devient l’esclavage, l’ignorance, une force » car « c’est une tactique qui a fait ses preuves : prends les mots de tes ennemis et investis-les ». L’auteur ajoutant « Le coup de maître a été de voler à l’adversaire ses concepts centraux et de les remplir d’un contenu opposé ». Orwellien donc.

« Harmonie », l’un des mots préférés du PCC

Un mot revient régulièrement dans le livre : « Harmonie », l’un des mots préférés du PCC depuis dix ans. Mais l’auteur prévient : «  L’harmonie, c’est quand le peuple se tient calme  », car d’après un cadre du Parti Communiste Chinois, « nous devons homogénéiser les pensées et les actes de tous les citoyens de Pékin ». Au nom de quoi ? De l’article 35 de la Constitution chinoise qui stipule « Le sabotage du système socialiste est interdit à toute organisation ou à tout individu ». Une tautologie ?

Pour l’auteur, « Xi (Jinping) est un bien plus grand protectionniste que Trump (…), en réalité, il coupe les dernières liaisons entre l’internet chinois et le monde ». Ainsi « Le réseau chinois est déjà plus un intranet qu’un internet… Si les censeurs chinois coupaient du jour au lendemain la totalité des liaisons avec le monde extérieur, la plupart des Chinois ne le remarqueraient même pas… La normalité, c’est l’envoi quotidien de règles de langage et l’actualisation des listes, par exemple, celle des mots interdits sur Weibo (1) » . 

Et de mettre en garde sur le risque que court aussi le pouvoir chinois « …Xi Jinping a effacé la société civile, il a castré les médias traditionnels et internet. La société n’a plus de signal d’alerte précoce ». Faut-il y voir une des raisons du retard à la prise en charge de l’épidémie de SARS-CoV-2 à Wuhan lors de l’hiver 2019-2020 ?

François Diévart

(1) Weibo est le premier réseau social en Chine.

  • Auteur : Adam Kucharski
  • Editeur : Dunod – Collection : Outils pour la santé publique
  • Date de sortie : février 2021
  • Nombre de pages : 336
  • Prix : 24,90 euros – Liseuse : 16,99 euros




L’intelligence artificielle et la santé au futur [3]

L’intelligence artificielle (IA) permet à des machines d’apprendre par l’expérience, l’adaptation des données et la réalisation de tâches humaines. Elle fait intervenir des systèmes d’auto-apprentissage (machine et deep learning) utilisant l’exploration des données (data science), la reconnaissance de schémas et le traitement du langage naturel, afin de reproduire une forme d’intelligence réelle. Au cœur de la médecine du futur avec les opérations assistées, le suivi des patients à distance, les prothèses intelligentes, les traitements personnalisés,… l’IA est regroupée dans des catégories bien distinctes, de l’hôpital à la médecine de ville.

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 440 – mai-juin 2021

Les applications et objets connectés

La m-santé – appelé également « mHealth » pour Mobile Health – désigne l’ensemble des services touchant de près (ou de loin) à la santé, disponibles en permanence via un appareil connecté à un réseau (smartphones, enceintes, montres…).
Le rapprochement entre l’attitude des premiers praticiens, découvrant le stéthoscope de Laennec en 1816 et les médecins face aux applications Santé et objets connectés est peut-être hasardeux, mais il est intéressant de comprendre que la méconnaissance et le doute sur l’utilité de ces outils et leur éventuelle implication quant à la responsabilité du prescripteur sont les premiers freins de ces technologies. On rappelle également l’ardeur qu’ont les Gafam de s’immiscer dans cette catégorie numérique qui peut réellement inquiéter tant la santé et le bien-être peuvent être un savant mélange d’intérêts financiers très associable et discutable.
Afin de rendre les applications plus efficientes, et dans un souci de normalisation, l’UNHCR (Fondation des Nations-Unies) a distingué six catégories d’applications dans le domaine de la santé mobile (1) :

– éducation et sensibilisation,

– téléassistance, diagnostic et traitement de soutien,

– communication et formation pour les professionnels de santé,

– maladie et suivi d’une épidémie, surveillance,

– collecte de données à distance.

Les tests génétiques

Pour certains, l’intelligence artificielle nous emmène à l’ère de la médecine prédictive : le but n’est plus de soigner les patients, mais de les empêcher de tomber malade. Comme son nom l’indique, l’une des promesses de l’IA est sa capacité à prévoir les affections, même si elles sont liées à l’imperfection des marqueurs génétiques et pathogéniques de la maladie. Mais la probabilité se porte sur une population générique et non individuelle et ne détermine pas celle d’un individu, (2) même s’il est porteur en moyenne d’une centaine de maladies génétiques.
Le concept en lui-même n’est pas nouveau, mais à terme, l’exploitation de l’intelligence artificielle et du machine-learning dépendra de la qualité des informations disponibles. Les données-patients utilisées pour l’apprentissage devront être particulièrement fiables, d’où l’importance d’une politique engagée sur les données de Santé avec des interactions réelles et efficaces entre les pays couvrant la même volonté de soins.

L’Exploitation des données

La croissance exponentielle du Big data et de l’intelligence artificielle sont devenus intimement liés dans leur évolution. Leurs prises de décisions seront la prochaine évolution.
Toute la difficulté réside dans la récupération des données, et c’est dans ce but que la Plateforme des Données de Santé (PDS), infrastructure créée fin 2019, devrait faciliter le partage des données de santé issues de sources très variées afin de favoriser la recherche. Cette plateforme, plus connue sous le nom de Health Data Hub, ambitionne de répondre au défi de l’usage des traitements algorithmiques (dits d’« intelligence artificielle »)
dans le domaine de la santé. (3) En regroupant toutes les données issues d’organismes publics de santé français (Assurance-maladie, AP-HP), elle permettrait aux chercheurs d’accéder aux vastes ensembles de données de santé du Système National des Données de Santé (SNDS) afin d’entraîner des modèles d’intelligence artificielle.
Ses missions sont d’organiser et de mettre à disposition des données, d’informer les patients sur leurs droits, de contribuer à l’élaboration des référentiels de la CNIL, de faciliter la mise à disposition de jeux de données de santé présentant un faible risque d’impact sur la vie privée, de contribuer à diffuser les normes de standardisation pour l’échange et l’exploitation des données de santé.
Plusieurs projets ont été retenus, dont Hydro qui permet de croiser des données cardiaques collectées en temps réel à partir de prothèses avec des données d’hospitalisation afin de créer un modèle IA capable de prédire les crises cardiaques.
Deepsarc, une autre start-up, qui utilisera le Hub afin d’identifier les meilleurs schémas thérapeutiques pour le traitement du sarcome. ARAC qui cherchera à mesurer et comprendre les restes à charge réels des patients, et Ordei qui quantifiera la proportion de patients touchés par un effet indésirable.
Ces données sont bien sûr la providence de l’intelligence artificielle et de ses sources. Les organismes officiels doivent être vigilants et garder à l’esprit que l’exploitation des données doit se faire dans un but de responsabilité collective afin de promouvoir la Santé dans un contexte sécuritaire. Le Livre Blanc (4) publié en 2018 par le Cnom a eu ce principe fort : « Une personne et une société libres et non asservies par les géants technologiques ».
Malgré tout, des scandales ont eu lieu, comme par exemple l’entreprise Amazon qui – en concluant en 2018 un contrat avec le NHS – avait pu avoir accès à des millions de données. Cette source avait permis aux britanniques de recevoir de meilleurs conseils médicaux par le biais de l’assistant vocal Alexa…
La protection des données est devenu un centre majeur pour le big data. Toutes les informations collectées sont stockées et analysées par les acteurs des nouvelles technologiques – sans réelle éthique – notamment par les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et Baxt (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), et dans le bien commun par les organismes officiels. Le législateur devra donc être extrêmement vigilant, s’il le peut, afin de protéger autant les professionnels de Santé que les patients.

Les responsabilités éthiques et juridiques

L’exploitation de l’intelligence artificielle est technologiquement incontournable et le défi dans les années à venir sera son intégration au sein du corps médical. Car, enthousiastes ou sceptiques, les médecins devront composer avec les algorithmes. Il n’est cependant pas question de les remplacer ou d’entrer en compétition avec une machine, mais de redistribuer les compétences médicales afin de ne pas se laisser dépasser par le big data. L’IA doit servir les besoins de l’être humain et non de rendre une machine complètement autonome. C’est d’ailleurs dans ce but que des chercheurs ont créé la XAI (eXplainable Artificial Intelligence) afin de rendre les algorithmes plus transparents et explicables (voir notre numéro 434).
Mais de cette exploitation se posera un problème épique : celui des responsabilités juridiques et éthiques sur la protection des données, les droits des robots et la responsabilité des algorithmes. Si une machine délivre un mauvais diagnostic, qui en sera responsable… ? L’introduction de l’intelligence artificielle nécessite donc un cadre éthique et légal et un régime juridique particulier.

Le droit des robots

Ce débat juridico-législatif s’intensifiera avec le droit des robots. Si ce droit peut faire sourire aujourd’hui, il doit surtout interpeller. Le robot est de nature à modifier en profondeur les modes de travail et de production et doit donc entrer dans un espace juridique. Les robots savent lire, écrire et apprendre. Ils sont libres et autonomes dans leurs décisions. Nul ne sait les orientations et décisions que vont prendre leurs algorithmes. Il faudra donc, tout comme l’homme, réguler leur décision.
Il faudra doter le robot des moyens d’assurer sa liberté tout en opérant une transparence totale sur la qualité du codage et des règles de transparence faites par l’homme afin qu’il n’y ait ni discrimination, ni partialité, ni biais cognitif.
Ni objet, ni personne, le robot n’est juridiquement rien. La solution serait peut-être d’envisager une responsabilité commune entre le programmateur, le fabricant, l’utilisateur et… le robot.
Un autre point important apparaît, même si le secteur de la Santé n’est aujourd’hui pas impacté, est la mise en place des cobots qui est une robotique collaborative issue du secteur de l’automatisation. Réservée pour l’instant à l’industrie, il est fort probable que, vues les compétences techniques de ces cobots, on les retrouve dans les milieux hospitaliers.

La logique opaque des algorythmes
Les algorithmes, quant à eux, ont une prégnance et un impact tels que l’on n’hésite plus aujourd’hui de parler d’une « gouvernementalité algorithmique ». Il faut cependant distinguer les algorithmes classiques de programmation qui servent à automatiser une tâche précise et les algorithmes qui pilotent des machines sans qu’elles aient été programmés, la machine écrivant elle-même les instructions qu’elle exécute (ou machine learning).
La Cnil définit l’algorithme comme « une suite finie et non ambiguë d’instructions permettant d’aboutir à un résultat à partir de données fournies en entrée », qui permet par exemple de « proposer un diagnostic médical…», mais « leur logique reste incompréhensible et opaque, y compris à ceux qui les construisent… » (5) Des lois ont déjà posé les bases législatives (loi Informatique et Libertés, loi pour une République numérique, RGPD) sur le principe d’interdiction de décision sur le seul fondement d’un algorithme et le droit à une explication en cas de décision prise par un algorithme. C’est donc à l’Administration publique d’informer chacun sur la façon dont les algorithmes traitent les données.

Ce qu’il faut en retenir
L’intelligence artificielle est une technologie inévitable qui doit rester l’outil complémentaire du professionnel de santé et non pas son remplaçant. Il est donc essentiel de la maîtriser dans un cadre clair qui lui a été fixé, et pour cela, il faut être conscient qu’elle reste, et doit rester, une machine.
Elle ne doit pas non plus déshumaniser la médecine et casser la relation médecin/patient comme par exemple au Japon où une maison médicalisée a choisit la robotique devant un manque criant de personnel.
Mais chercheurs et scientifiques s’accordent pour faire évoluer et progresser l’IA et ses technologies sans (trop) mettre en péril les métiers actuels, ou bien trouver des solutions et faire évoluer les métiers de demain.


(1) Macsf
(2) Armelle de Bouvet, Pierre Boitte, Grégory Aiguier, Questions éthiques en médecine prédictive, John Libbey Eurotext, 2006, p. 43.
(3) Cnil
(4) Source Cnom
(5) Le Point Tech&Net

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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Les lois de la contagion : une actualité virale…

Les lois de la contagion s’appliquent-elles en dehors des maladies infectieuses ? Réponse dans le livre d’Adam Kucharski.

Inattendu. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier le livre d’Adam Kucharski intitulé « Les lois de la contagion », car pour un médecin, ce titre annonce un essai sur les maladies transmissibles, les infections. Mais pour Kucharski, ces maladies ne sont qu’un prétexte à exposer quelques-unes des lois de la contagion afin de parcourir divers domaines sociétaux pour évaluer si elles s’y appliquent aussi. Et cela va des maladies supposées non transmissibles comme le tabagisme, l’obésité ou le diabète, en passant par les idées, le langage « Il nous faut étudier la manière dont se forgent les convictions et les comportements, et comment ils peuvent se propager »… les bulles financières, la criminalité et les fausses nouvelles, tout comme certains virus, informatiques ceux-là. Autant dire que les lois de la contagion pourraient constituer une matrice d’analyse des phénomènes sociaux. 

Ce livre en fournit d’ailleurs un exemple involontaire. Sa traductrice, qui porte un patronyme français, semble ainsi contaminée par la mode des anglicismes, car on ne compte plus le nombre de fois où elle a recours aux termes « impacter » et « investiguer », tout en nous gratifiant au détour d’une phrase d’un « pitcher » voire du mot « twist ». 

Des maladies contagieuses…

Adam Kucharski est épidémiologiste à Londres et rédacteur pour le Financial Times et l’Observer, et par là-même, vulgarisateur scientifique. Il commence par rappeler quelques faits marquants de la naissance de l’épidémiologie moderne afin d’en comprendre les déterminants même si « l’épidémiologie est en réalité un sujet mathématique ». Puis il explique simplement le R0 ou taux de reproduction de base d’une épidémie et en quoi ce paramètre est capital pour analyser les épidémies… quelles qu’elles semblent être. Il rappelle une donnée essentielle : « On croit souvent à tort que les épidémies grossissent de façon constante, génération après génération, où chaque cas infecterait le même nombre de personnes » or un modèle prédomine, celui des super-contaminateurs, faisant que 80 % des cas sont contaminés par 20 % des sujets infectés.

… aux faits a priori non contagieux

Une épidémie a 4 phases : début, croissance, pic et déclin, tout comme les bulles financières, tout comme la propagation d’un virus informatique, tout comme la criminalité dans une ville, tout comme… Chaque phase peut donc être analysée pour comprendre ces divers faits et tenter de les prévenir ou d’en prévenir les effets. Etant chercheur, l’auteur sait aussi exposer les limites des diverses méthodes : « … en substance, une modélisation n’est qu’une simplification du monde destinée à nous aider à comprendre ce qui pourrait arriver dans une situation donnée ». Il fait donc la synthèse des données acquises dans plusieurs domaines montrant que les lois de la contagion semblent s’appliquer à certains et moins bien à d’autres. Ainsi, il est difficile de dire, lorsque le tabagisme ou l’obésité touchent plusieurs membres d’un groupe, s’il s’agit d’un effet de contagion sociale (des amis copient un même comportement), d’un effet d’homophilie (qui se ressemble s’assemble) ou d’une exposition du groupe à un même environnement.

Ce livre rapporte aussi divers faits relatifs à l’exploitation des données numériques telles des études d’influence faites par Facebook à l’insu de ses utilisateurs, ou encore que « Dès l’instant où nous cliquons sur un lien internet, nous devenons l’objet d’une guerre de rapidité de surenchères. Il faut environ 0,03 seconde au serveur d’un site pour rassembler toutes les informations dont il dispose sur nous et les envoyer à sa régie publicitaire. Celle-ci présente alors ces informations à un ensemble de traders automatisés qui agissent pour le compte des annonceurs. 0,07 seconde plus tard, les traders proposent des enchères pour nous montrer leur publicité. La régie publicitaire choisit l’enchère gagnante et envoie la publicité à notre navigateur qui la fait apparaître sur notre page internet en cours de chargement ». 

Au chapitre mésinformation, on y rappelle que « les journalistes ne font pas seulement partie de la manipulation des médias, ils en sont le trophée » pouvant devenir des « super-contaminateurs » et que « lorsque le KGB formait ses agents étrangers pendant la guerre froide, il leur apprenait comment semer le doute dans l’opinion publique et saper la confiance dans les vraies informations. Voilà ce qu’est la désinformation. Elle n’est pas là pour nous convaincre qu’une histoire fausse est vraie, mais pour faire douter de la notion même de vérité. L’objectif est de brouiller les faits pour rendre la réalité difficile à cerner ». Et comme le disait un spécialiste « au bon vieux temps du KGB, quand les espions utilisaient cette tactique, le but était qu’un grand média reprenne la désinformation pour en assurer la légitimité et la diffusion ». Les lois éternelles de la contagion… 

François Diévart

  • Auteur : Adam Kucharski
  • Editeur : Dunod
  • Collection : Outils pour la santé publique
  • Date de sortie : février 2021
  • Nombre de pages : 336
  • Prix : 24,90 euros – Liseuse : 16,99 euros




Un guide pour tout savoir ou tout envisager sur la télémédecine

Le diable n’est-il que dans les détails ?

Un guide consacré à la télémédecine incite à réfléchir sur les modalités de cette pratique et ce qu’elle va modifier dans l’exercice médical des prochaines années.

Il y a un an, lors du confinement, plusieurs médecins ont fait des téléconsultations pour la première fois et certains ont initialement trouvé cela facile. Par ce prisme, le plus souvent hors cadre réglementaire, ils n’ont fait qu’aborder une des facettes de l’irruption du numérique dans la pratique médicale, un des modes d’exercice de la télémédecine, oubliant que cette dernière est très réglementée, faisant que le diable est souvent dans les détails… mais pas que.

De quelques détails diaboliques

A cet égard, le livre « Télémédecine et télésoin. L’essentiel pour pratiquer » écrit par Pierre Simon et Thierry Moulin est un guide indispensable, car pratique et relativement exhaustif tout en étant synthétique. Il définit le vaste champ de la télémédecine, ses différents cadres réglementaires et fournit plusieurs exemples de son utilisation. Le chapitre intitulé « Prérequis pour se lancer » est  riche d’enseignements pour le médecin souhaitant pratiquer la télémédecine en en rappelant quelques principes. 

Le premier est de vérifier que la qualité du débit numérique est suffisante. Le deuxième est de déclarer préalablement l’activité de télésanté à son assureur et à la CNIL. Puis, il faut choisir une solution numérique adaptée alors que plusieurs parmi celles proposées ne garantissent pas un prérequis indispensable : la confidentialité des données échangées.

Les auteurs rappellent au passage que les tiers technologiques ont une obligation de couvrir les risques potentiels que le matériel pourrait causer au patient. La solution numérique doit avoir plusieurs fonctions comme un agenda de prise de rendez-vous en garantissant que le médecin connaît déjà le patient et possède les données de sa carte Vitale et la garantie d’une interopérabilité avec les logiciels métiers et le dossier médical partagé, car « … les professionnels médicaux qui réalisent un acte de télémédecine doivent déposer son compte-rendu dans leur dossier médical professionnel ainsi que dans le dossier médical partagé du patient lorsqu’il a été créé ».

Les données colligées pendant la téléconsultation doivent pouvoir être conservées au moins dix ans et toute personne concernée par la télésanté doit être informée de ses droits et consentir explicitement à la collecte et à l’exploitation de ses données personnelles. 

Autre prérequis, se former à la communication par écran interposé et s’organiser pour intégrer la télémédecine à sa pratique.

De quelques évolutions… peut-être diaboliques

Le livre ayant abordé la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance, l’apport des robots et de l’intelligence artificielle… se termine par une mise en perspective de ce que pourrait être l’activité des médecins en 2030, lorsque la France aura terminé sa transformation numérique. 

Les auteurs prévoient que les patients feront des demandes de soins sur une plate-forme numérique qui, par le biais d’un algorithme et de l’intelligence artificielle, fera un premier tri afin de juger de ce qui relève d’une intervention de santé. 

Dans un parcours de soins coordonné et territorialisé, un infirmier de pratique avancée spécialisé en soins primaires recevra le patient, traitera la demande qui ne relève pas d’un médecin et effectuera la première démarche diagnostique avant que le patient ne soit vu par le médecin et le cas échéant, fera une prescription. 

La prise en charge des maladies chroniques stabilisées se fera à domicile, le parcours de soins sera coordonné par le médecin traitant qui déléguera le suivi régulier à des infirmiers de pratique avancée et fera intervenir si nécessaire d’autres professionnels de santé par téléexpertise. 

Le patient étant par ailleurs télésurveillé par des dispositifs fonctionnant avec des algorithmes à base d’intelligence artificielle devant permettre de gérer rapidement les complications. L’hospitalisation ne sera indiquée que pour des examens de haute technicité, des actes chirurgicaux complexes et des complications médicales graves.

Il sera alors devenu naturel pour le professionnel de santé qu’une partie de son activité soit déléguée et qu’une autre soit effectuée à distance. Les professionnels de santé seront intégrés dans des réseaux et structures pluriprofessionnels et seront plus souvent salariés que libéraux et la plupart des parcours de soins coordonnés seront forfaitisés.

L’irruption du numérique en médecine semble ainsi à considérer comme une des portes d’entrée de ce Nouveau Monde.

François Diévart

  • Auteur : Pierre Simon et Thierry Moulin
  • Editeur : Le Coudrier
  • Collection : Outils pour la santé publique
  • Date de sortie : février 2021
  • Nombre de pages : 175
  • Prix : 29,50 euros – Liseuse : 16,99 euros




Domaine Laroque d’Antan

Nigrine 2018 IGP Côtes du Lot

Qu’est-ce qui a pu pousser Lydia et Claude Bourguignon, éminents microbiologistes des sols, parcourant depuis 30 ans les vignobles du monde entier, pour révéler au monde agricole la faune cachée dans la terre, son utilité dans le processus de fertilisation des sols, sa destruction par l’agriculture chimique entraînant la stérilisation des terres, à se lancer dans cette folle aventure de vignerons ?

Et bien, disent-ils, « il y a eu ce moment, où le rêve de la terre demanda de s’incarner, où le besoin se fit sentir si fort qu’il nous fallut passer à l’action : planter notre vigne selon nos propres convictions, choisir notre terroir selon nos propres critères, faire notre vin selon notre propre sensibilité ».

Quoique, comme leur patronyme le laisse entendre, leurs racines soient plutôt en Côte d’Or, c’est dans la petite commune de Laroque-des-Arcs au bord du Lot que leur domaine est né sur un terroir oublié des hommes et de la vigne depuis 150 ans. 

Une terre vierge de pesticides, d’insecticides, de fongicides, une terre blanche caillouteuse, crayeuse du kimméridgien (comme à Sancerre ou à Chablis) sur un coteau calcaire d’exposition idéale, au drainage naturel que les Bourguignon, rapidement rejoints par leur fils Emmanuel, pressentaient comme un excellent terroir à vignes. 

Dès 2002, commence le défrichage en conservant des haies et des arbres pour rendre au terroir sa noblesse d’antan. Après analyse des sols, les néo-vignerons ont délimité les zones de cépages blancs et rouges et débuté les plantations en 2008 en remettant à l’honneur les cépages oubliés de cette région du sud-ouest, en choisissant comme porte-greffe le Rupestris du Lot très utilisé autrefois. Le travail du sol, grâce à la traction animale, pour ne pas le tasser, entretient la biologie, la biodiversité qui permet aux racines des ceps de plonger dans la robe calcaire qui, solubilisée par les microorganismes du sol, amènera minéralité et complexité dans le vin. Un désherbage mécanique sous le rang est effectué. Tout le domaine, s’étendant actuellement sur 6 ha, est mené en gestion biologique et biodynamique.

Il aura fallu plus de 15 ans, pour que sortent les premières bouteilles en 2017. Nigrine 2018 est la première cuvée rouge commercialisée. Les vendanges manuelles avec tri sur pied sont transportées en caissettes de 15 kg par une ânesse.

La vinification utilise des levures indigènes pour la fermentation en cuve béton, suivie d’un élevage de 10 mois en fûts de chêne. La fermentation malo-lactique est encouragée. Une filtration dégrossissante est réalisée avant la mise en bouteille.

La cuvée rouge Nigrine assemble des cépages issus de sélections massales fournies par des domaines réputés : malbec nettement prédominant du domaine Corbin-Michotte, cabernet franc du Clos Rougeard, prunelard de Robert Plageoles, négrette du Château Plaisance.

La dégustation de cette cuvée Nigrine 2018 justifie une minutieuse préparation : débouchage plusieurs heures à l’avance, pour permettre à son bouquet de s’exprimer, carafage pour bien l’aérer compte-tenu de sa jeunesse.

des arômes exubérants de fruits noirs

La robe rouge pourpre, cardinalice, aux reflets violines, est fort éloignée de celle très foncée du classique « vin noir » de Cahors. Le vin délivre des arômes exubérants de fruits noirs : mûres confiturées, cassis, d’épices : cardamone, poivre blanc, clou de girofle, puis en rétro-olfaction : cacao, truffe, jus de viande. La bouche juteuse est construite sur une magnifique densité puissante, précise, raffinée, des tanins fins, soyeux et croquants, une fraîcheur imparable et une complexité étonnante. La finale longue aux notes de réglisse et de violette confirme la remarquable structure de ce vin encore en devenir que je pourrais qualifier de caméléon, car au fur et à mesure de la dégustation, il se modifie, se transforme, évolue…

La gastronomie du Lot, réputée tant par ses magnifiques produits : truffe noire, canard gras, agneau, fromages que par ses recettes emblématiques, appelle tout naturellement des accords avec les vins locaux. La cuvée Nigrine, quoiqu’assez différente des Cahors classiques, va épouser certaines préparations culinaires de la région à base d’oie : cou d’oie farci, et surtout de canard : aiguillettes, fritons, bouchée de foie gras de canard poêlée au caramel de malbec. Dans un registre légèrement différent, il ne se déplaira pas en compagnie de pigeons : en cocotte ou rôtis. Les arômes bordelais, amenés par l’association malbec, cabernet franc, justifient la rencontre avec l’agneau fermier du Quercy : souris confite, gigot au four sauce au thym, selle forestière.

En fin de repas, l’accord avec un chèvre de Rocamadour ou un pélardon se fera tout en douceur.

En définitive, « ce patient travail d’artisan, souligne Lydia Bourguignon, qui est parti du sol jusqu’à la vigne et du raisin jusqu’au vin, est le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre passion et de notre rêve devenu réalité. Faire du vin oui, mais avec l’envie de choisir un terrain vierge, peu onéreux, un message envers une jeune génération qui a le pouvoir de redonner vie à nos campagnes, à tous nos territoires désertés, oubliés ».

L. et C. Bourguignon – 46090 Laroque-des-Arcs




Les blanches falaises de Rügen

Au matin du 5 août 1819, le médecin, naturaliste, mais aussi peintre amateur de grand talent, Carl Gustav Carus (1789-1869) quitte Dresde dans une « petite voiture cahotant par villes et villages » qui lui permet à loisir de profiter des paysages. Il fera plus tard l’apologie de cette lenteur lorsqu’il relatera son voyage en 1865 quand « l’impétueux train express » permettra alors de relier Dresde à Berlin en cinq heures alors que, près de cinquante ans au préalable, il lui a fallu « trois grands jours de route ». 
Les blanches falaises de Rügen par Caspar David Friedrich (1818) (huile sur toile 90x70cm Winterthur, Fondation Reinhart)

Il s’agit alors pour Carus et ses compagnons de voyage de rejoindre, via Berlin, la ville portuaire de Greifswald, au bord de la Baltique, et d’où il compte ensuite rejoindre l’île de Rügen sur les traces du peintre Caspar David Friedrich (1774-1840) qu’il admire et qui, originaire de Greifswald, se rendit maintes fois sur l’île pour dessiner. 

Il leur faudra louer une petite embarcation, passer la nuit sur la mer par manque de vent avant d’arriver sur l’île et d’être sommairement hébergés dans une maison de pêcheur crasseuse et imprégnée de l’odeur de poisson fumé qu’on leur sert en guise de petit-déjeuner, ce qu’ils apprécient d’ailleurs volontiers. 

Ils reviendront par la ville de Stralsund d’où part maintenant un pont permettant de rejoindre aisément la plus grande île d’Allemagne, mais aussi la plus touristique de telle sorte que le voyageur moderne doit prendre en compte « l’attraction populaire » vers les plages où s’alignent les stand korp (abris d’osier). On peut y contempler  les Stubbenkammer, c’est à dire d’impressionnantes falaises de craie blanche incluant la Königsstuhl (chaise royale) qui culmine à près de 120 mètres. 

Il est cependant probable que, 200 ans après son périple, Carus ait été très dépité par les difficultés d’accès aux sites puisqu’il faut obligatoirement laisser sa voiture à plusieurs kilomètres dans des parkings payants avant d’accéder aux falaises avec l’option de descendre vers la grève par d’interminables escaliers qu’il faut inévitablement remonter…

Une remarquable composition

Tout bien considéré, d’aucuns peuvent être tentés d’en rester aux cartes postales et au tableau de Friedrich (huile sur toile 90x70cm Winterthur, Fondation Reinhart) peint durant l’été 1818 ; on y voit trois personnages représentés de dos et supposés être son épouse Caroline, le peintre lui-même et peut-être son frère Christian ; reste à savoir dans quel ordre il convient de désigner les deux hommes, car les commentaires de ce point de vue sont discordants… 

Dans une remarquable composition, une forme ovale délimitée par l’herbe et les branchages permet au regard de plonger vers une « extraordinaire étendue maritime » au sein d’une gamme chromatique subtile où deux voiles blanches se situent presque selon un axe vertical. Il s’agit, pour reprendre les propos de Carus, « du haut des grandioses falaises crayeuses, d’accompagner du regard, là-bas, quelque voile qui s’éloigne sur le flot marin aux teintes changeantes ». 

Les personnages font face aux falaises acérées dont la blancheur contraste avec le « miroir gris-bleu » de la mer Baltique irisée sur laquelle naviguent deux minuscules voiliers qui soulignent l’immensité vertigineuse. Le relief est renforcé par les frondaisons des arbres issus de l’étroite bande de terre sur laquelle se tiennent les personnages en équilibre instable au bord de l’abîme. Mais que sont-ils donc en train de faire ? 

D’un point de vue pragmatique, alors que l’homme de droite, debout adossé à un arbre, contemple le paysage les bras croisés, les deux autres semblent s’intéresser à quelque chose en contre-bas, invisible à nos yeux ; s’agit-il du chapeau de la jeune femme que le vent a entraîné ? et qu’elle semble désigner de l’index tout en s’agrippant de l’autre main à un arbuste et que l’homme, à quatre pattes par prudence, essaie aussi d’apercevoir. 

D’un point de vue symbolique, les exégètes se sont efforcés d’y voir une allégorie des trois vertus théologales que sont la Foi, l’Espérance et la Charité susceptibles de guider l’homme dans ses rapports au monde et à Dieu. C’est ainsi que l’homme à genoux symboliserait la résignation avec son haut de forme à côté de lui en signe d’humilité, mais il faut admettre qu’on imagine mal qu’il ait pu le garder sur la tête dans cette position saugrenue…

La robe rouge de la jeune femme serait une allusion à l’Amour ou à la Charité avec les vertus allégoriques (immortalité de l’âme) du lierre qui serpente à ses pieds. L’éternité est symbolisée par la mer sur laquelle voguent des navires symbolisant le passage de l’âme à la vie éternelle à moins que les deux voiliers n’évoquent les jeunes mariés puisque le tableau a été peint dans les suites de leur voyage de noces, mais ils semblent bien distants l’un de l’autre ; il est vrai que Carus dira de Friedrich que leur mariage « n’a changé en rien sa vie et son être »…

Quoi qu’il en soit « ce ne sont pas les personnes qui comptent, mais ce que leur regard embrasse » dans une sorte de « transport contemplatif » et c’est en ce sens que les personnages  sont représentés de dos comme dans presque tous les tableaux de Friedrich, de telle sorte que « le face-à-face humain cède à une contemplation de la nature, du chaos, des éléments, du vide » (Kenneth White).

Un artiste influent de la peinture romantique allemande

Caspar David Friedrich est né le 5 septembre 1774 à Greifswald, alors sous occupation suédoise, d’un père fabricant de savon et de chandelles et décède le 7 mai 1840 à Dresde ; avec lui meurt l’artiste plus tard reconnu comme le plus significatif et influent de la peinture romantique allemande. 

Il restera attaché à cette petite ville de pêcheurs, à l’embouchure de la Ryck, qu’il a représentée dans un de ses rares tableaux non composites dénommé Prairies près de Greifswald (Hambourg, Kunsthalle) au même titre qu’il sera fasciné par les ruines (klosterruine) de l’ancienne abbaye cistercienne d’Eldena, à quelques distances du port de Greifswald, fondée en 1199, mais ravagée par la guerre de Trente ans (1618-1648). 

Portrait de Caspar David Friedrich par Gerhard von Kügelgen (1772-1820) (Huile sur canevas-Hambourg Kunsthalle)

Il n’en subsiste que quelques murs de briques, mais qui évoquent assez bien la grandeur passée de l’église et du cloître encadrés par des chênes majestueux : Les ruines d’Eldena (Berlin, Nationalgalerie) que Carus décrira comme « une croisée gothique, solitaire au milieu d’un bouquet d’arbres, dressée, audacieuse sur ses forts piliers, une petite hutte adossée à elle » ; cette masure figure sur les représentations qui en on été faites, mais elle a disparu du site actuel. 

L’enfance du jeune Caspar David est marquée par la mort de ses proches qu’ils s’agissent de sa mère (1781) alors qu’il n’a que sept ans, de sa sœur à l’âge de vingt mois en 1782 puis le 8 décembre 1787 de son frère Johann Christoffer qui le sauve de la noyade lorsque la glace se rompt sous ses pieds lors d’une partie de patinage, mais qui est englouti par les flots. 

À partir de 1794, il prend goût au dessin et fréquente  l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague, avec comme professeurs les peintres Jens Juel (1745-1802) et Nicolai Abildgaard (1743-1809) connu pour ses paysages ossianiques (*) avec le refus des modèles antiques. 

En 1798 Friedrich s’établit à Dresde qui est alors un carrefour artistique et intellectuel de premier plan et où les artistes sont attirés par le prestige de la « Florence germanique » qui est le siège de la plus importante Académie d’art allemand avec sa célèbre pinacothèque, mais aussi par les paysages de la Suisse saxonne et de la vallée de l’Elbe. 

Louis-François Garnier

(*) ossianique de Ossian barde écossais du IIIe siècle qui serait l’auteur de poèmes traduits et publiés en anglais entre 1760 et 1763 par le poète James Macpherson ; bien que l’authenticité en ait été controversée, ces poèmes eurent un énorme retentissement dans toute l’Europe et furent l’un des principaux thèmes préromantiques doté d’une dimension onirique qui inspira surtout les peintres scandinaves et  allemands comme Nicolai Abildgaard, mais aussi français. 

Suite dans notre prochain numéro




Cybersécurité – banalisation sur toile

L’actualité récente sur les incidents de cybersécurité a montré à quel point la vulnérabilité informatique est inquiétante et doit être prise au sérieux. Quelle attitude adopter et pour quelles  contraintes ?  Tour d’horizon des gestes à avoir…

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 439 – mars-avril 2021

L’appétence et la convoitise des hackers n’ont pas de limites et visent pour l’essentiel les infrastructures de Santé pouvant leur donner des sources importantes de revenus, à savoir les données des patients, personnels médical et administratif, mais également tous les codes utiles à leurs « marchés ».

Malgré des signalements en baisse en 2020 (369 signalés contre 392 en 2019), la proportion d’origine malveillante sur des établissements de santé est en forte hausse, de l’ordre de 60 %. (1) Récemment, le CERT-FR (2) a alerté sur cette importante vente d’une base de données de 50 000 données appartenant au corps médical français.

Bien sûr, les structures de ville et les médecins libéraux n’ont pas les mêmes « atouts » que les établissements de Santé, mais les risques existent et se perpétualisent. Il faut donc redoubler de vigilance, tant dans la gestion du matériel informatique que dans la manière de s’en servir. La conceptualisation de la protection virtuelle permettra également une réelle sécurité dans la vraie vie (panne, vol, accident…).

Et tout d’abord du bon sens

Les contraintes liées à (votre) sécurité sont importantes, et il est très probable que vous passerez du temps (au départ) pour mettre en place le process. Le coût financier ne sera pas non plus négligeable (achat d’un deuxième ordinateur, d’un backup et d’abonnements logiciels et de sauvegarde), mais ces investissements vous permettront de vous assurer une tranquillité d’esprit. Et si vous n’avez aucune compétence en informatique, vous devez absolument vous faire aider.

Ne sous-estimez donc pas les risques, car une fois confronté à l’un de ces problèmes, il est – déjà – trop tard.

Imaginez un instant que vous arrivez à votre cabinet et que vous vous êtes fait dérober votre ordinateur, ou que celui-ci a été hacké (vol des données, virus…), ou que le disque dur a rendu l’âme. La première question que vous vous poserez sera : ma machine est off, et je dois me mettre au travail dans les trente minutes… Suivez nos conseils.

Le matériel

La sauvegarde est la première des astreintes. Elle doit être réalisée tous les jours. Installez un logiciel de back-up qui sauvegarde automatiquement vos données.

Back-up. (ou sauvegarde) doit s’effectuer sur deux disques durs différents (sauvegarde en miroir), l’un sur place, l’autre amovible à mettre en lieu sûr lorsque vous n’êtes pas là. Ou l’un chez vous et l’autre sur le cloud. Un virus ayant affecté votre machine peut également affecter votre disque dur.

Deuxième ordinateur. Ce deuxième ordinateur est un clone de votre machine principale avec qui elle n’a aucune connexion. Choisissez le portable. Il vous servira dans le cas d’une panne, d’un vol, d’un virus de votre système principal et servez-vous en de temps en temps pour vérifier que tout fonctionne correctement (mises à jour, sauvegardes, etc.). Et bien sûr, ne le laissez pas au cabinet.

Les protections

Les mots de passe ! C’est la base de la sécurité. Protégez vos accès en utilisant impérativement un mot de passe long, complexe et différent pour chacun de vos comptes (professionnel et personnel). Et ne les communiquez jamais à un tiers.

– Faites-vous aider par un gestionnaire de mots de passe tels Keepass (keepass.info) ou Dashlane qui disposent de fonctions essentielles comme la génération des mots de passe complexes. Keepass est un logiciel gratuit et libre de droits certifié par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), Dashlane est payant. Il est humainement impossible de retenir plusieurs dizaines (voir plus) de mots de passe sophistiqués.

– Changez régulièrement vos mots de passe et, bien sûr, dès que vous avez un doute.

– Nul doute également que vos ordinateurs fixe et portable, ordiphone (smartphone…, doivent s’ouvrir avec un mot de passe sécurisé. Ici, vous pouvez utiliser la méthode phonétique en mémorisant une phrase telle : « Ght9-1tv%E » « J’ai acheté neuve une télévision pour cent euros ».

– Si vous utilisez sur un ordinateur partagé,  utilisez le mode « navigation privée », pensez à bien fermer vos sessions après utilisation et n’enregistrez jamais vos mots de passe dans le navigateur. Une fois chez vous, changez les mots de passe que vous avez utilisés.

– Activez la double authentification dès que c’est possible avec par exemple une génération de code par SMS.

Le Wi-fi. Sécurisez votre réseau wi-fi. Changez tout d’abord le mot de passe originel puis le nom du SSID (3) en vous connectant à l’interface administrateur du routeur.

Les logiciels

L’antivirus. Obligatoire sur votre machine ! Il doit assurer la détection des virus (en réception ou sur des sites hostiles) et des malwares (4) qui peuvent prendre le contrôle de votre ordinateur.

Protection extérieure. Prenez un pack de protection si vous avez l’habitude de prospecter sur le web : protection contre le pishing ou les sites à risques.

Mises à jour  système. S’il est impossible de garantir une totale sécurité, les mises à jour ont pour but, entre autres, de corriger les failles. Pour Microsoft, attendez un mois ou deux que la nouvelle version se stabilise. Pour Apple, faites-le dès que possible.

Mises à jour logiciels Il est également essentiel de suivre en permanence la mise à jour de ses logiciels. Des versions trop anciennes augmentent considérablement les failles de votre système et le piratage. Exit donc votre traitement de texte de six ans d’âge…

Les messageries

E-mails réception. Bien sûr, n’ouvrez jamais les pièces jointes  d’e-mails déclarés spams ou d’inconnus ainsi que les newsletters non habituelles (ou même connues, les hackers ayant tendance à usurper les identités des entreprises), allez directement sur leurs sites sans passer par les liens reçus. 

E-mails comptes. Séparez vos comptes personnel et professionnel.

Messagerie sécurisée. Afin d’échanger vos données, utilisez un compte de messagerie sécurisé tel Mailiz (5) acté par l’ANS (coût du service gratuit) ou Apicrypt (6) sur abonnement.

Vérifiez que les sites sont bien en https (protocole de transfert avec certificat d’authentification).

Les risques

Usurpation d’identité : avec les données récupérées, un attaquant peut facilement voler l’identité d’un patient à partir de son nom, prénom, adresse, date de naissance, numéro de Sécurité sociale afin de se faire passer pour la victime. Avec certaines compétences d’ingénierie sociale, un attaquant peut très vite voler des comptes, escroquer ou porter atteinte à l’identité de la victime.

Campagne d’hameçonnage : avec les adresses e-mails récupérées, couplées à des informations personnelles, un attaquant peut facilement piéger usurper votre identité. Sur internet, mais aussi en se rendant à votre hôpital, en donnant un numéro de Sécurité sociale et en prétendant avoir perdu sa carte vitale. On peut procéder de la même manière pour obtenir vos ordonnances à la pharmacie. Le phishing traditionnel n’est techniquement pas très compliqué, et surtout, ça fonctionne : beaucoup de gens tombent dans le panneau. Donc, avec les détails de santé ou des informations du médecin traitant, le hacker peut envoyer un faux e-mail parlant de tests supplémentaires avec un lien vers un site malveillant. Forcément, tout le monde va cliquer.

Escroquerie téléphonique : en reprenant le point précédent, mais cette fois-ci en utilisant le numéro de téléphone de la victime, il est possible pour un attaquant d’arriver aux mêmes fins.

Chantage : avec les données médicales d’un patient, il est possible de faire pression sur celui-ci en le menaçant de révéler une condition médicale qu’il souhaiterait garder privée et qui pourrait avoir des effets néfastes sur sa vie professionnelle, sa vie de famille ou encore sa sécurité financière.

Fraude : les données de prescriptions médicales pourraient permettre à un attaquant d’obtenir des médicaments de manière frauduleuse.


(1) Source : Agence du numérique en santé (ANS) et sa cellule d’accompagnement cybersécurité des structures de santé (ACSS).

(2) Le CERT-FR (Computer Emergency Response Team) est le centre gouvernemental de veille, d’alerte et de réponse aux attaques informatiques

(3) SSID (Service Set IdenTifier) est le nom permettant d’identifier le réseau sur lequel vous vous connectez ? 

(4) Le malware est un logiciel ou programme malveillant qui agit pour voler, crypter, supprimer vos données, modifier ou pirater les fonctions informatiques principales, et espionner les activités de votre ordinateur sans que vous le sachiez ou l’autorisiez.

(5) mailiz.mssante.fr

(6) apicrypt.org

Vérifiez vos adresses mails !

Il n’y a pas que votre ordinateur qui peut être piraté. Vos adresses mails on pu être subtilisées dans d’autres bases de données (Santé, Gafam, réseaux sociaux…). Pour le savoir et éviter une usurpation de votre identité, de l’hameçonnage ou autre méfait, vérifiez auprès du site  haveibeenpwned s’il y a eu violation de vos adresses. Si tel est le cas, le site vous indique sur quels sites vos données ont été volées… et changez vos mots de passe.

la CNIL et vos données

Le médecin libéral doit donc protéger ses données personnelles et médicales. Pour ce faire, il doit passer par des protocoles précis : hébergement certifié données de Santé avec demande préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). 

La CNIL a récemment sanctionné deux médecins libéraux pour ne pas avoir suffisamment protégé les données de leurs patients, des milliers d’images médicales hébergées sur des serveurs étaient en accès libre. Toutes ces données pouvaient donc être consultées et téléchargées, et étaient, selon les délibérations de la CNIL, « suivies notamment des nom, prénoms, date de naissance et date de consultation des patients ». Le problème venait simplement d’un mauvais paramétrage de leur box internet et du logiciel d’imagerie qui laissait en libre accès les images non chiffrées.

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Torpillage de l’Athos – 2e partie

Par Sandy-Hook (1879-1960) – hommage au bisaïeul

On peut s’étonner de la trajectoire très à l’est du sous-marin allemand, jusqu’au sud-est du Péloponnèse en sachant que la courbure de la terre ne lui permettait pas de voir au-delà d’une trentaine de kilomètres (des jumelles ne changeant rien) et le sonar n’existait pas encore. 
Trajet AR (en rouge) du sous-marin U-65 au départ de Cattaro, de l’Athos (en bleu) à partir de sa jonction avec ses navires d’escorte au nord de La Canée et la route commerciale (en jaune) qu’aurait du suivre le paquebot jusqu’à Marseille (Atlas universel de Géographie par M. Drioux et Ch. Leroy. Belin Frères Paris 1892).

En outre, à supposer qu’un espion (?) à Port Saïd ait pu communiquer le trajet de l’Athos (ce qui semble peu probable eu égard aux moyens de communications de l’époque), il eut été plus simple d’attendre le paquebot au sud de la Sicile conformément à la feuille de route initiale de l’U65 en sachant que le paquebot avait 5 heures de retard sur l’horaire prévu de telle sorte qu’il aurait du se trouver environ 150 km plus à l’ouest. 

Il faut cependant souligner que ce type de sous-marin avait une remarquable autonomie pour l’époque, de l’ordre de 9 850 miles soit quasi 16 000 km (!) incitant à privilégier l’hypothèse que « sa route est simplement due à une maraude dans un type de chasse à la billebaude » (Bertrand Valton). 

Un total de 45 navires coulés

En procédant de la sorte, tout en ne dérogeant pas à sa mission en direction du golfe de Gênes, il rejoignait la route maritime commerciale au sud de la Grèce puis en la suivant le plus longtemps possible vers le ponant, le capitaine du sous-marin augmentait d’autant la probabilité de rencontrer des convois et c’est ainsi qu’il est tombé sur l’Athos. 

Du 4 décembre 1916 au 4 juillet 1918, aux commandes de l’U-65, Hermann von Fischel totalisera 44 navires coulés (71 936 tonnes dont l’Athos est l’un des plus gros) et 2 navires endommagés (6 493 tonnes). En Méditerranée 240 000 tonnes de navires marchands sont allés au fond durant le 1er trimestre 1917 et 210 000 tonnes pour le seul mois d’avril. [5] Lors de l’effondrement de l’Empire Austro-Hongrois, l’U-65 fut sabordé dans le chantier naval de Pola (28 octobre 1918).

L’Athos avait quitté Marseille pour Yokohama atteint après deux mois de navigation et d’où il repart le 26 décembre 1916 suivie d’une escale à Hong-Kong où il embarque 950 coolies chinois en tant que main d’œuvre destinée à soutenir l’effort de guerre (e) et à Djibouti où il embarque 850 tirailleurs sénégalais. Le 14 février 1917, il quitte Port Saïd avec une escorte anglaise qui l’abandonne ensuite compte tenu du mauvais temps qui le retarde d’environ 5 heures de telle sorte que c’est vers 16h00 qu’il rejoint au nord de la Crête ses deux navires d’escorte français (f)le Mameluck et le contre torpilleur Enseigne-Henry, à 5 miles au nord du cap Drépano près du port de La Sude à La Canée. 

Le torpillage de l’Athos par Sandy-Hook (1879-1960) [Aquarelle de Sandy Hook].

Les trois navires se dirigent ensuite vers l’ouest en sachant que nous disposons d’un témoin oculaire de premier plan, à savoir le commandant Marcel Traub (1878-1954), qui fera ensuite une belle carrière en terminant vice-amiral et préfet maritime. Il était commandant de l’Enseigne-Henry depuis décembre 1915 et il fera impression à deux reprises par la qualité de ses manœuvres durant les torpillages du Nea-Genea et de l’Athos ; il convient donc de s’en tenir aux événements relatés dans son rapport. L’Enseigne-Henry « se poste à bâbord de l’Athos, à 700 mètres » et c’est à 12h27 qu’est perçue « une explosion assez forte et un peu sourde » et « ayant immédiatement regardé l’Athos, je vis l’eau provenant de la gerbe due à l’explosion de la torpille s’écouler en nappe le long du bord. L’Athos venait d’être torpillé par bâbord arrière sous les poulaines de l’équipage, à une vingtaine de mètres de l’arrière. » Le commandant Traub met immédiatement « la barre toute à gauche » et se dirige « à toute vitesse sur le point probable où se trouvait le sous-marin, prêt à mettre en action tous mes moyens effectifs : torpilles, grenades et canon » mais « Je ne vis absolument rien. Après avoir couru pendant quelques minutes sur différents sillages dus probablement à l’Athos et à l’Enseigne-Henry, j’abandonnai la chasse et commençai les opérations de sauvetage. »

Il rapportera la déduction suivante : « il semble résulté que la torpille lancée à 1 000 ou 1 200 mètres a frappé sous une inclinaison d’environ 45° sur l’arrière du travers. S’il en est ainsi, en admettant 35 nœuds comme vitesse de la torpille, celle-ci aurait été lancée à 450 mètres environ sur l’arrière de l’Enseigne-Henry. Son sillage n’a été vu par personne à mon bord. Je n’ai à aucun moment vu le sous-marin. » (g) Ainsi, dans sa manœuvre d’approche, il est probable que le sous-marin en immersion périscopique s’était caché dans le sillage de l’Enseigne-Henry de telle sorte que personne ne le vit. 

Les rescapés de l’Athos furent recueillis par les navires d’escorte. Parmi les centaines de victimes, parfois totalement anonymes, du naufrage de l’Athos figurent le commandant Eugène Dorise qui « a donné un superbe exemple de courage et de dévouement (…) et ne s’est jeté à l’eau qu’au dernier moment et est mort quelques instants après, à bord d’un torpilleur », mais aussi le commissaire Ramel et le chef-mécanicien Donzel qui, compte tenu de leur attitude héroïque, seront non seulement cités à l’ordre de l’Armée et décorés de la Légion d’Honneur à titre posthume mais donneront ensuite leur nom à des navires des Messageries Maritimes. 

En effet, l’officier mécanicien de quart Donzel et le premier chauffeur Cipriani qui auraient eu le temps de se sauver, se précipitèrent dans la chaufferie arrière pour stopper les machines pouvant exploser mais ils y furent bloqués par la porte d’issue définitivement fermée et furent engloutis, peut-être aux côtés de mon bisaïeul Gabriel Valton qui avait 56 ans et qui sera cité, comme Cipriani, à l’ordre de l’Armée et décoré à titre posthume de la Médaille militaire. 

Gabriel Valton était le fils légitime d’André Valton, chauffeur aux forges du Creusot, et de Jeanne Coudant. Le 25 janvier 1884 naît son fils André dit Louis Valton (1884-1958), mon grand père maternel. Gabriel était alors âgé de 22 ans et deviendra un ajusteur puis un mécanicien de marine /chauffeur apprécié. C’est à ce titre qu’il travailla sur plusieurs paquebots de compagnies diverses incluant les Messageries Maritimes, en particulier sur le Paul Lecat de février à mai 1915 et sur L’Himalaya de décembre 1915 à avril 1916 avant sa dernière et malheureuse affectation sur l’Athos. 

Nombre de passagers et des bien plus jeunes furent alors engloutis, notamment le commandant du 77e bataillon Colonna d’Istria (1867-1917) et ses 109 tirailleurs sénégalais qui avaient du faire le coup de feu pour permettre la mise à l’eau des radeaux et des canots de sauvetage alors que les coolies chinois essayaient de piller les compartiments des premières. [2]

Au début 1918, le Premier ministre britannique Lloyd George (1863-1945) dira « Nous coulons plus de sous-marins que les Allemands ne peuvent en construire. Nous construisons plus de navires que les Allemands n’en coulent. La guerre sous-marine est encore une menace, elle n’est plus un danger ». Cependant, le bilan final sera lourd. Pour l’ensemble de la guerre – à laquelle ont pris part 345 U-Boote – 6 394 navires marchands et une centaine de bâtiments militaires auront été détruits par les Allemands, pour un total dépassant les 13 millions de tonneaux. Pour parvenir à ce résultat, les Allemands auront perdu 229 sous-marins, dont 178 en opération et sur 13 000 marins embarqués, 515 officiers et 4 849 matelots auront trouvé la mort, soit plus d’un tiers des effectifs.

Louis-François Garnier

Remerciements à mon cousin Bertrand Valton, arrière petit-fils de Gabriel Valton, pour sa documentation, avec toutes mes félicitations pour son travail de mémoire et à Stéphane Esnaud pour son amicale expertise tout en rendant hommage à feu mon beau-père Yves Esnaud (1938-2006) ajusteur mécanicien sévèrement irradié à l’âge de 34 ans en travaillant sur un tube lance-missile d’un sous-marin nucléaire.

Georges Taboureau (1879-1960) a pu être considéré comme étant « le plus mystérieux des peintres de la marine » [7] avec son pseudonyme de Sandy-Hook, choisi dès 1901 à l’âge de 22 ans et inspiré d’une anse sablonneuse visible peu avant d’entrer dans le port de New-York. Le talent du jeune Georges est indéniablement précoce comme l’atteste des dessins et croquis [7] fait entre 11 et 15 ans, avant de devenir un peintre parisien autodidacte et un affichiste et illustrateur réputé mais aussi, en tant que « portraitiste de navires », d’acquérir le statut de Peintre de la Marine (1917). On lui doit de nombreuses affiches pour des compagnies maritimes et il a même participé aux études de camouflage pour la Marine Nationale. Il s’agissait, en peignant des formes géométriques de couleur noire ou grise voire même en dessinant les contours d’un pseudo navire sur la coque d’un bâtiment, de brouiller la vision des infrastructures des bateaux de guerre, en quelque sorte d’éblouir (dazzle) les observateurs hostiles afin de protéger les navires des sous-marins allemands, les redoutables U-Boote. Au sein d’une activité importante, Sandy-Hook a été amené à représenté le torpillage de paquebots tels que l’Athos [8] qui a fait les frais de la guerre maritime « totale » décrétée par la Kaiserliche Marine durant la Première Guerre mondiale. A la faveur d’une étude circonstanciée on comprend mieux les conditions dramatiques qui aboutirent au plus grave naufrage qu’ait connu la Compagnie française des Messageries Maritimes avec des comportements héroïques mais aussi la disparition d’humbles membres de l’équipage tels que les mécaniciens qui travaillaient dans une chaufferie aux conditions éprouvantes et qui n’eurent pas d’échappatoire ; un hommage posthume fut rendu à certains ; il reste à s’en souvenir.

[1] Berneron-Gouvenhes M-F. Les Messageries Maritimes. L’essor d’une grande compagnie de navigation française. 1851-1894 PUPS 2007

[2] Ramona Ph. Paquebots vers l’Orient. Ed. Alan Sutton 2018

[3] Brezet F-E. La guerre sous-marine allemande 1914-1945 Perrin 

[4] Chack P. « Marins à la bataille » Sur mer… et dessous. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France. Paris 1938

[5] Chack P. « Marins à la bataille » Héros de l’Adriatique. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France Paris 1941

[6] L’Album de la guerre 1914-1918. L’Illustration Paris 1925

[7] Hillion D. Sandy-Hook Le plus mystérieux des peintres de la marine. Maîtres du Vent Editions Babouji 2008

[8] Dufeil Y., Le Bel F., Terraillon M. Navires de la Grande Guerre. Navire ATHOS ; mise à jour le 16/03/2008 – navires 14-18.com 

RÉFÉRENCES

e) Plus de 45000 travailleurs chinois ou annamites seront acheminés par la compagnie pour remplacer les Poilus partis au front. [2]
f) Dès le 6 août 1914, une convention précisait les rôles respectifs dans la surveillance des routes maritimes par la marine anglaise (au-delà de Suez) et française (en Méditerranée). A partir de mai 1917 plus aucun navire de commerce ne s’aventura sans escorte en Méditerranée. [2]
g) La portée idéale est 300 mètres car plus loin l’adversaire a le temps de voir le sillage de l’engin et de l’éviter et trop près la torpille peut passer dessous la cible car elle plonge d’abord assez profondément pour ensuite reprendre progressivement le plan d’immersion pour laquelle elle a été réglée. L’émersion périscopique doit être très brève, de l’ordre d’une dizaine de secondes toutes les quatre ou cinq minutes pour éviter de se faire repérer. [5]




La folle histoire des virus

En 2020, un virus de 100 nanomètres de diamètre a (transitoirement ?) tout changé sur la planète Terre et, le mot virus en latin voulant dire poison, beaucoup pensent que les virus sont des poisons mortels. Ce serait dommage de s’arrêter là…

Les virus ont une histoire et cette histoire est passionnante

Ainsi de nombreuses séquences virales sont incorporées au génome humain et semblent avoir permis l’existence humaine par leur apport à la formation du syncytiotrophoblaste, une partie indispensable du placenta. Ainsi, des virus peuvent aider à combattre des bactéries et des infections bactériennes. Ces organismes dont on ne sait s’ils font partie du vivant et définis par certains comme des ennemis mortels sont donc aussi indispensables à la vie et peuvent être bénéfiques. On apprend tout cela en lisant « La folle histoire des virus ». 

Cette histoire a contribué à profondément modifier de très nombreuses façons de voir et comprendre le monde et la vie, et en premier lieu à bousculer les classifications du vivant jusqu’alors patiemment établies et… modifiées au gré des découvertes et des outils les ayant permises.

Le livre part de la physique et des systèmes de classifications des éléments et l’on peut être surpris d’un tel départ, un peu complexe. Ne vous arrêtez surtout pas là car cela aboutit à l’histoire de la classification ou plutôt des classifications du vivant que l’histoire des virus et de la génétique est venue modifier. 

Comment a-t-on découvert les virus ? Comment et à quelles fins se servent-ils de la machinerie cellulaire de leurs hôtes ? Faut-il les considérer comme ne faisant pas partie du vivant lorsqu’ils sont en dehors d’une cellule et faisant partie du vivant lorsqu’ils sont dans une cellule devenue alors une virocellule ?

Dans ce livre, vous apprendrez donc en quoi la découverte des virus a modifié plusieurs concepts. Par exemple, alors qu’un être vivant était défini par sa possibilité à se reproduire de façon autonome, que ce soit de façon sexuée ou non, les virus sont venus modifier cette idée : ils se reproduisent mais utilisent la machinerie des cellules qu’ils habitent. Par exemple, alors qu’on pensait que l’information génétique n’était transmise que par l’ADN, les virus à ARN ont modifié la donne. Par exemple, alors qu’on pensait ne pouvoir être « infecté » que par des organismes vivants, bactéries parasites, puis finalement par des virus, voilà que l’on a aussi découvert que des cellules peuvent être infectées par des fragments de génomes isolés (non encapsidés) appelés viroïdes et que, plus encore, un organisme peut aussi être infecté par une protéine au développement mal abouti, le prion. 

Vous apprendrez le lien entre virus et vaccin et comment une sorte de virus particulier, le bactériophage, pourrait peut-être un jour constituer une solution face à la résistance des bactéries aux antibiotiques. Et tout cela parce que l’auteur de ce livre, Tania Louis, avance pas à pas, en racontant l’histoire en train de se faire, ce qu’il y avait avant, comment une découverte modifie les idées et ouvre d’infinis champs de réflexions, de recherches et de possibles.

« La folle histoire des virus » se lit comme les romans que les anglosaxons dénomment Page Turner, des livres qu’on ne quitte pas avant d’avoir atteint la dernière page, dont les pages se tournent toutes seules. Tania Louis est virologue, docteure en biologie mais elle ajoute  qu’elle est communicante, médiatrice, formatrice, comédienne et curieuse, et tout cela à 31 ans…

Ce livre fait partie d’une collection de la série Humensciences dont le slogan est « humensciences fait entrer la science dans votre vie » sous-groupe des éditions Humensis dont le slogan est « pour une société de la connaissance ». La collection est appelée « Comment a-t-on su ? » et est dirigée par le physicien et vulgarisateur des sciences, Etienne Klein. Pour connaître l’esprit de la collection, il suffit de savoir que,  lors d’un entretien publié le 30 novembre 2020 sur le site TheConversation, à la question « Comment bien transmettre les connaissances scientifiques ? », il répondait : « Si vous n’avez pas le temps d’expliquer comment une connaissance scientifique est devenue une connaissance, ce que vous dites ressemble à un argument d’autorité.

De sorte que la personne qui vous entend a l’impression que vous débitez un truc, que d’autres pourraient contester avec des arguments d’autorité semblables aux vôtres… Mes copains biologistes, quant à eux, ne savent guère dire ce qu’est un quark. Nous avons tous des connaissances scientifiques, mais tous une mauvaise connaissance de nos connaissances. Avoir des connaissances, c’est bien. Savoir comment elles se sont construites en tant que connaissances dans l’histoire des idées, c’est beaucoup plus important ». Tout un programme qui est l’essence même de cette collection et de ce livre.

Passionnant !

  • Auteur : Tania Louis
  • Editeur : Humensciences Editions
  • Date de sortie : 14 octobre 2020
  • Collection : Comment a-t-on su ? dirigée par Etienne Klein
  • Pagination : 353 pages
  • Prix public : Livre : 16,00 € – Format Kindle : 11,99 €




Champagne Mouzon-Leroux – Grand Cru l’Atavique

Quand mes goûts rejoignent ceux d’une célèbre écrivaine ! Ma découverte du champagne Mouzon-Leroux est singulière : en vacances à Cannes, recevant des amis, je fis, sur les conseils d’une caviste bien achalandée et fort avisée, l’emplette d’une bouteille de cette marque que je ne connaissais absolument pas.

Sa dégustation nous enchanta. Lorsque je remerciai ma caviste pour son excellent choix, elle me déclara : « Vous n’êtes pas le seul à apprécier cette cuvée, car Amélie Nothomb (experte s’il y en a en champagne) guidée chez moi après avoir dédicacé son dernier ouvrage dans la librairie voisine, me complimenta pour la qualité de cette même bouteille ».

Voilà qui m’incita à m’intéresser et à goûter les vins de ce domaine Mouzon-Leroux, où il y a un avant et un après. Avant : une longue lignée de viticulteurs de père en fils depuis 1776 élaborant un bon produit sans esbroufe ; et après : 2008 où le jeune Sébastien Mouzon réussit à convaincre ses parents de lui laisser les rênes du domaine, pour passer en biodynamie, à l’aide d’un rapport de 100 pages explicitant sa démarche, et là eut lieu une véritable révolution.

Ce domaine familial de 8 ha sur 60 parcelles au pied de la Grande Montagne de Reims est sis à Verzy. Tous les raisins proviennent de ce terroir grand cru réputé pour la qualité de ses pinots noirs. Le sol argilo-calcaire repose sur des silex (craie du Campanien Inférieur)[1]. L’exposition nord-est confère la singularité de ce terroir décrit comme « austère et froid ». Le travail en biodynamie certifiée applique l’agroforesterie avec plus de 500 arbres plantés parmi les vignes, l’introduction d’animaux pour le pâturage d’hiver, le purin d’ortie permet d’augmenter la quantité d’azote dans le sol et de protéger la récolte des maladies. Camomille, millepertuis, achillée, osier « déstressent » les ceps. Le mildiou est traité par le cuivre. Le sol est enrichi par de la bouse de corne. La traction animale est privilégiée, pour éviter le compactage des sols.

La champagnisation est, de la même façon, particulièrement soignée : pressurage des raisins issus des deux cépages, pinot noir et chardonnay, fermentation alcoolique par levurage indigène, assemblage des différents crus avec des vins de réserve des deux cuvées précédentes, fermentation malo-lactique spontanée recherchée, pour donner de la rondeur, et surtout limiter drastiquement les doses de sulfites, élevage sur lies pendant 7 à 8 mois pour 25 % en fûts de chêne, 75 % en cuves acier, embouteillage sans filtration, ni collage avec ajout de liqueur pour la prise de mousse, élevage naturel en bouteilles sur lattes pendant 32 mois, dégorgement par congélation du col, liqueur de dosage comportant très peu de sucre pour la cuvée l’Atavique, vieillissement ensuite dans les caves 6 mois en moyenne.

La cuvée baptisée l’Atavique (car issue de l’expérience d’une longue succession de vignerons), extra-brut non millésimé assemble 60 % de pinot noir, 40 % de chardonnay, dont plus de la moitié proviennent de la vendange 2015. Le dégorgement fut réalisé en janvier 2019. Le dosage en sucre est minimal : 1,5 g/l.

Dans le verre, ce champagne offre le spectacle d’un brillant pétillement jaune d’or pâle, où les colonnes de très fines bulles se dégagent pour rejoindre une mousse crémeuse et pulpeuse, le nez est tapissé d’arômes d’agrumes : pamplemousse, citron, de senteurs anisées de fenouil, verveine, de petites notes oxydatives de fruits secs, d’épices douces : cannelle, paprika. Des fragrances de brioche beurrée favorisées par l’élevage sous bois apportent de la complexité. 

Une cuvée avec beaucoup de personnalité

En bouche, le vin est frais, vif, aérien, mais traduit aussi une certaine tension veloutée, sensuelle, saline, la finale tonique s’allonge sur des notes de fruits blancs. En définitive, cette cuvée exprime beaucoup de personnalité, d’ampleur, de longueur qui la classe dans le peloton de tête des champagnes non millésimés.

Grâce à sa fraîcheur, sa vivacité, cette Atavique apparaît idéale pour l’apéritif d’un repas festif en épousant gougères, rillettes de thon ou colin, saumon fumé avec crème fraîche et aneth. Mais son ampleur lui permet aussi d’accompagner à merveille des mets de grande cuisine : oursins en gelée de pomme, huîtres gratinées au vin effervescent, coquilles St-Jacques sauce au cèpe, turbot au sabayon de champagne.

Voici donc une cuvée qui, à l’instar de son créateur, surprend par sa personnalité, son caractère, sa longueur aromatique. Seul bémol : il n’y a plus de vente à la propriété et il faut la dénicher chez un bon caviste à un prix raisonnable : moins de 30 euros.

Laissons conclure Sébastien Mouzon : « Ce champagne apporte bien-être au corps et à l’esprit ».

Domaine familial Mouzon-Leroux et fils – 51380 Verzy

(1) voir l’échelle des temps géologiques

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Intelligence artificielle – La santé au cœur du futur

L’intelligence artificielle (IA) permet à des machines d’apprendre par l’expérience, l’adaptation des données et la réalisation de tâches humaines. Elle fait intervenir des systèmes d’auto-apprentissage (machine et deep learning) utilisant l’exploration des données (data science), la reconnaissance de schémas et le traitement du langage naturel, afin de reproduire une forme d’intelligence réelle. Au cœur de la médecine du futur avec les opérations assistées, le suivi des patients à distance, les prothèses intelligentes, les traitements personnalisés,… l’IA est regroupée dans des catégories bien distinctes, de l’hôpital à la médecine de ville.

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 438 – Janvier-février 2021

L’aide au diagnostic

L’intelligence artificielle a fait des progrès considérables dans l’interprétation du diagnostic médical. Elle peut aujourd’hui, et dans certains domaines, être plus précise qu’un être humain sans toutefois occulter l’expertise métier des médecins spécialistes de la maladie étudiée et des spécialistes de la donnée. 

En pratique, l’IA aidera le spécialiste, un radiologue par exemple, à faire le tri entre des milliers d’images et lui permettra ainsi de gagner du temps en pointant les anomalies sur lesquelles il doit davantage se pencher.

Le système établira ainsi des scores qui seront beaucoup plus efficaces et plus intelligents.

Cette interprétation grandissante du diagnostic de l’IA est due à ses technologies (voir encadré)  de machine-learning et de son sous-domaine le deep-learning qui dépendent elles-mêmes de la data-science.

La précision diagnostique

La valeur prédictive dépend de la sensibilité et de la spécificité des tests. La sensibilité est la capacité à détecter un maximum de malades (avoir le moins de faux négatifs) et la spécificité à ne détecter que les malades (avoir le moins de faux positifs). L’hypothèse diagnostique repose tout de même avec plus ou moins de certitude car tout dépend des niveaux de référence dûment introduits dans la machine qui, n’en doutons pas, organisera dans le futur ses propres conclusions grâce au machine-learning.

En 2018, IDx-DR, un logiciel lié à l’Intelligence artificielle, a été capable de détecter une rétinopathie diabétique et d’établir un diagnostic grâce à son analyse sur des clichés de la rétine du patient.

Ce dispositif, premier approuvé par la FDA (Food and Drug Administration), (1) s’était basé sur une étude clinique portant sur les images rétiniennes de 900 patients diabétiques. Dans près de 90 % des cas, le IDx-DR a réalisé le bon diagnostic, que le patient soit ou non atteint d’une rétinopathie diabétique.

Dans le domaine de la cardiologie, une IA totalement autonome serait capable de détecter de potentielles maladies cardiovasculaires en analysant la pression sanguine.

C’est dans cette optique que des chercheurs ont eu l’idée d’utiliser l’angiographie rétinienne afin de déceler la présence d’une hypertension au niveau des vaisseaux sanguins. Ils ont entraîné une intelligence artificielle à l’aide de 70 000 images provenant de personnes d’origines diverses pour qu’elle puisse faire sa propre comparaison, comprendre d’elle-même les risques de maladie cardiovasculaire. Ces images se concentraient notamment sur les marqueurs communs à identifier dans le système vasculaire rétinien.

La chirurgie robotique

La chirurgie robotique existe depuis plus de trente ans. Il s’est passé en fait peu de temps entre l’utilisation d’une simple adaptation d’un robot industriel à un robot spécialisé en chirurgie. Juste avant l’an 2000, le robot chirurgical Da Vinci (de l’entreprise américaine Intuitive Surgical) a exécuté le premier pontage coronarien, et la société en a depuis vendu plus de 3 000 dans le monde. L’AP-HP a récemment équipé ses hôpitaux de robots Da Vinci de dernière génération. L’hôpital Henri-Mondor, de son côté, opère environ 350 patients par an de cette manière. L’avantage premier est celui du patient (moins de morbidité avec des complications réduites) et le désavantage sont les investissement et surcoût d’une opération robotisée, ainsi que la position dominante de l’entreprise américaine. Il existe bien des starts-up, notamment françaises, qui développent des dispositifs robotisés (Robocath ou Axilum Robotics), sans toutefois être en concurrence directe avec Intuitive Surgical.

Le futur de la robotique passe par une miniaturisation des machines (nanos robots) et la reproduction des gestes chirurgicaux, « basiques » ou complexes. La pratique médicale, qui va être profondément modifier dans le futur, n’est pas à l’heure actuelle organisée, tant dans le soin lui-même que dans la formation et la prise en charge financière.

Les réalités virtuelle (RV) et augmentée (RA)

La réalité virtuelle et la réalité augmentée font partie du même concept, l’une (augmentée) consistant à ajouter un contenu numérique dans un environnement réel, l’autre (virtuelle), consistant à ajouter un contenu physique dans un environnement virtuel. Dans ce contexte, la réalité augmentée en chirurgie permet de reconstruire en 3D ce que l’on appelle « le clone digital » du malade. Cette copie virtuelle du patient aura l’immense davantage d’obtenir des facilités de compréhension et d’identification des solutions thérapeutiques ainsi qu’une sécurisation et une réduction du temps de l’acte.

On se souvient de la première intervention très suivie d’une implantation de prothèse de l’épaule assistée par un casque de réalité augmentée qui avait eu lieu à l’hôpital Avicenne (Bobigny) en décembre 2017. Cette opération de « routine » a montré en quoi l’utilisation d’un casque 3D est une révolution. Le chirurgien, Thomas Grégory, projette à travers son casque des modélisations. Il a ainsi pu visualiser l’image du squelette de l’épaule pour accéder, selon ses termes, à « la partie immergée de l’iceberg ». Cette opération a été diffusée en direct via Skype avec trois chirurgiens situés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Corée du Sud, qui ont ainsi pu visualiser les actions du chirurgien et lui donner des conseils en temps réel.

Egalement, et en dehors de l’expertise chirurgicale, la RV et la RA sont utilisées dans le traitement des phobies, de stress post-traumatiques ou encore dans le soulagement des douleurs fantômes. 

(1) fda.gov (lien sur notre site, en anglais).

L’IA et ses technologies

L’Intelligence Artificielle, « qui n’a pas de définition possible » selon Cédric Vallini, (*) repose sur une suite d’instructions permettant d’aboutir à un résultat à partir de données fournies en entrée. Ce sont les fonctions d’apprentissage et la data-science qui se chargent de la faire évoluer. 

LE MACHINE LEARNING (apprentissage automatique) est un sous-domaine de l’IA. Le principe est un système capable d’apprendre, à partir d’exemples, à résoudre un problème (contrairement à la programmation qui ne fait qu’exécuter). En d’autres termes, il est auto-apprenant en créant des algorithmes à partir de ses données et porter ainsi des jugements et prendre ses propres décisions. C’est grâce à cette technologie que l’IA étend ses capacités et accroit ses performances.

LE DEEP LEARNING (apprentissage en profondeur) est un sous-domaine du machine learning. Il s’appuie sur un réseau de dizaines voire de centaines de « couches » de neurones artificiels s’inspirant du cerveau humain.

Chaque couche reçoit et interprète les informations de la couche précédente. Plus on augmente le nombre de couches, plus les réseaux de neurones apprennent des choses compliquées, abstraites. Mais à l’heure actuelle, la mise au point de ces mécanismes d’apprentissage pour être efficace pour chacune des couches intermédiaires est extrêmement complexe. Selon certains  scientifiques, le deep learning va se généraliser dans la prochaine décennie dans toute l’électronique de décision, comme les voitures (autonomes) ou les avions.

LA DATA SCIENCE (science des données) est une méthode de tri et d’analyse de données de masse et de sources plus ou moins complexes ou disjointes de données, afin d’en extraire des informations utiles ou potentiellement utiles.

(*) mathématicien et député (LREM) chargé par le gouvernement d’une mission sur le sujet.

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Quintessence Blanc 2016 – AOC Palette

« Small is beautiful ». Cet aphorisme convient parfaitement à la minuscule AOC provençale Palette : 48 ha, 4 domaines, petite par la taille, mais grande par la qualité de ses vins.

Le Palette aux portes d’Aix-en-Provence n’a longtemps été connu que grâce à l’aura du précurseur, le château Simone, mais à l’ombre de ce géant, Stéphane Spitzglous, l’actuel propriétaire du château Bonnaud s’est fait une place au soleil de Provence. Stéphane, représentant la troisième génération, est né sur le domaine, élevé par son grand-père Henri
Bonnaud, palliant un père absent dès sa tendre enfance. Il l’accompagne des journées entières dans les vignes et s’imprègne de son travail. Sa vocation est présente, mais le grand-père refuse obstinément qu’il s’engage dans cette vie de vigneron si dure et, à l’époque, peu rémunératrice.

Ce n’est qu’en 1996, licence de physique en poche, qu’il put reprendre le domaine qu’il rebaptise par reconnaissance du nom de son aïeul : Henri Bonnaud. Il doit attendre 2004, pour tenter, dans des conditions rocambolesques, sa première cuvée personnelle, mais, très vite, ses vins sont appréciés et trouvent preneur. 

En 2010, il fait, par conviction profonde, le choix d’une agriculture biologique, l’ensemble de sa production étant certifiée Bio en 2013. 

En 2011, il pose la première pierre du château qui regroupe maintenant un chai de vinification moderne, une cave d’élevage enterrée et un splendide caveau de dégustation offrant une vue magnifique sur la montagne Sainte-Victoire chère au peintre Cézanne.

Le domaine est blotti dans un amphithéâtre naturel protégé du mistral par les collines de Langesse, du Grand Cabri, par les montagnes de Cengle et de la Sainte-Victoire. Les vignes, s’étendant sur 14 ha, bénéficient ainsi d’un microclimat très favorable, la majeure partie exposée plein sud pour un ensoleillement maximal, atout majeur pour la production de vins rouges de garde. Mais quelques parcelles, comportant de vieux ceps, situées sur le versant nord, permettent une lente et parfaite maturation des raisins blancs en leur apportant de la fraîcheur. Le terroir est constitué d’éboulis calcaires lacustres de l’ère tertiaire, dits de Langesse, recouverts d’un sol rendzine, argileux, peu épais et caillouteux. Rien de mieux qu’un sol argilo-calcaire, pour retenir cette eau si rare en Provence.

La viticulture est résolument biologique : aucun pesticide, ni herbicide, rien qui ne puisse dénaturer les spécificités du terroir. L’apport d’engrais organiques avait été privilégié dès les années 1990. Des semis d’orge, de seigle, de vesce fertilisent naturellement la terre. Stéphane veut, pour l’authenticité de ses vins, travailler des sols vivants qui préservent la diversité biologique de la faune et de la flore.

La vinification, sur laquelle le vigneron reste assez mystérieux, respecte la matière première en limitant les intrants, en utilisant des produits naturels, afin de préserver chaque terroir et chaque cépage. La tête de cuvée Quintessence assemblant 80 % de clairettes blanche et rose et 20 % d’ugni provient de vignes des hauts de coteaux du Grand Cabri allégées d’une partie de leurs fruits 2 fois l’an, vendangées en surmaturité. Le raisin est cueilli manuellement, transporté en petites caisses après un 1er tri qui sera complété au chai. Les raisins sont macérés à froid et pressurés. La fermentation naturelle en barriques neuves ou d’un vin sera suivie d’un élevage pendant 8 mois.

Noblesse et richesse aromatique pour une cuisine ensoleillée

Le blanc Quintessence 2016 du Château Henri Bonnaud, drapé dans une robe étincelante or pâle, offre un bouquet explosif qui envahit le nez de senteurs de fleurs blanches : aubépine, acacia, genêt, de fruits : abricot, pêche blanche, pamplemousse rose, fruit de la passion avec une touche discrète et élégante de boisé vanillé. En rétro-olfaction, apparaissent des notes de fruits secs (noisette), de résine et de garrigue (romarin, origan). La richesse et la complexité aromatique sont impressionnantes. Rondeur, puissance, longueur constituent la trame d’une bouche ciselée aux saveurs raffinées. La belle finale persistante fraîche et mentholée confirme que ce vin en tension, en minéralité avec ce qu’il faut d’élégance, possède à l’évidence un superbe potentiel de vieillissement jusqu’à
40 ans selon certains.

La noblesse et la richesse aromatique du Palette Quintessence orientent naturellement vers la cuisine ensoleillée de la Méditerranée avec ses condiments, ses herbes, ses légumes : tartare de thon au pamplemousse, pochée de St-Jacques aux artichauts poivrades, blanquette de lotte aux petits légumes, Saint-Pierre en croûte de sel, daurade en papillote à la tapenade d’olives vertes. Mais il accompagne aussi avec bonheur certains plats terriens : poulet à l’estragon, volaille accompagnée de ratatouille ou d’un concassé de tomates au basilic, grenadin de veau au citron.

En vieillissant, ce vin prend des arômes complexes de coing et de cire d’abeille, et devient le parfait complice des plats à base de mélanosporum : brandade de morue truffée, brouillade, chausson ou ravioles à la truffe noire. En fin de repas, la rondeur du vin enrobera les fromages de chèvre : picodon, valençay, Sainte-Maure de Touraine, et surtout le local banon.

A la hauteur de la passion de Stéphane Spitzglous pour son travail et l’amour pour son grand-père qui lui a transmis son goût de la terre et du bel ouvrage, le vigneron souhaite que sa clientèle tire le maximum de plaisir de sa production. Je peux le rassurer : ses vins blancs comme rouges sont au firmament de la Provence.

Domaine Henri Bonnaud13100 Le Tholonet




Le torpillage de l’Athos par Sandy-Hook (1879-1960) – hommage au bisaïeul – 1ère partie

Le 17 février 1917 à 12h27, le paquebot français Athos de la Compagnie des Messageries Maritimes (a) [1,2] est frappé sur bâbord arrière par une torpille tirée par un sous-marin allemand alors qu’il se situe entre Crête et Malte sur le retour de son quatrième voyage en Extrême-Orient.
Le torpillage de l’Athos des Messageries Maritime, le 17 février 1917.

C’est ainsi que ce navire de construction récente et chargé au maximum avec 1 850 passagers et 328 hommes d’équipage [2], sombre en moins d’un quart d’heure laissant 754 morts ou disparus parmi lesquels mon arrière grand-père Gabriel Valton (1861-1917) (b) qui y exerçait l’activité de mécanicien de marine, « chauffeur » (c) impliqué dans le fonctionnement des 9 chaudières à charbon développant 9 000 cv pour propulser jusqu’à une vitesse de 17,5 nœuds (environ 32 km/h) ce navire de plus de 161 mètres de long, doté de 2 hélices quadripales, d’une double cheminée et qui fut lancé à Dunkerque le 25 juillet 1914 puis terminé à Saint-Nazaire où il est mis en service en novembre 1915. 

Dans cette malheureuse affaire s’imposent donc deux protagonistes : un navire ayant une activité commerciale et postale et un sous-marin de la catégorie des Unterseeboote (U-Boot). Il s’agit du U-65 ou plutôt UC-65 (d) car issu de la classe des UC II fabriqués à partir de 1916, 64 sous-marins de ce type ayant été construits, faisant partie de la Kaiserliche Marine (1903-1919) et nous sommes en période de guerre « totale ».

En effet, dans le cadre plus général de la Première guerre mondiale (1914-1918) et de la Première bataille de l’Atlantique, la marine allemande avait décrété la guerre sous-marine « totale » permettant de s’en prendre aux navires marchands sans avertissement. Mais le torpillage du Lusitania (7 mai 1915) où périrent 1 200 passagers dont 124 américains, avait déclenché une telle hostilité de l’opinion publique, en particulier américaine, que l’Allemagne, craignant que ceci représente un casus belli pour les Etats-Unis, avait suspendu cette façon de procéder d’autant qu’en Allemagne même, certains diplomates répugnaient à « placer le sort du Reich dans les mains d’un commandant de U-Boot ».

Cependant, au début de 1917 en représailles au blocus allié, l’empereur Guillaume II (1859-1941) initialement réticent, finit par se résoudre à « répondre au blocus par le blocus » [3] en ordonnant de reprendre la guerre sous-marine tous azimuts, c’est à dire contre tout navire commercial bien que cette décision signifiât presque certainement la guerre avec les États-Unis, ce qui survient en avril 1917 après deux ans et demi d’efforts déployés par le président Woodrow Wilson (1856-1924) pour rester neutre. 

Gabriel Valton (1861-1917) – Mécanicien de marine-chauffeur sur le paquebot Athos

Aucun répit pour les navires marchands

Dès lors, aucun navire marchand, même en convoi, n’était à l’abri d’une attaque allemande, non seulement dans l’Atlantique mais aussi en Méditerranée où avait été déterminée une zone interdite à l’est d’une ligne allant de Marseille à la côte algérienne. [3] 

Ainsi, à partir du 1er février 1917 les bâtiments de commerce adverses pouvaient y être attaqués d’emblée. [3] Le torpillage de l’Athos par l’U-65 n’est donc pas considéré comme un crime de guerre, malgré l’absence de sommation, car il s’inscrit dans « la décision du gouvernement allemand de s’attaquer à tout trafic commercial dans la méditerranée orientale ». [3] 

L’U-65 était basé à Cattaro (en Italien) c’est-à-dire les Bouches de Kotor sur la côte occidentale du Monténégro, débouchant sur la mer Adriatique avec plusieurs baies reliées entre elles par des détroits et surplombées par de hautes montagnes, c’est à dire offrant un mouillage particulièrement protégé pour les navires de surface qui n’étaient guère enclins à en sortir, et réputé infranchissable encore que quelques sous-marins français aient pu tenter de s’en approcher voire d’y pénétrer à leurs risques et périls. [4] 

Il s’agit successivement, en s’éloignant du littoral, des baies d’Herceg Novi, de Tivat, de Risan et de Kotor qui constituait alors une des principales bases navales militaires de la marine austro-hongroise, alliée de la marine allemande. Le mouillage principal de la flotte se trouvait devant la ville même de Kotor et l’arsenal était à Tivat tandis que les sous-marins et les forces légères, pour sortir plus rapidement, stationnaient près de la sortie, en particulier près d’Herceg Novi. 

La flottille de Pola (U-Flottille Pola), du nom d’une ville située sur le littoral croate à environ 800 km par la route au nord de Kotor, était alors destinée à poursuivre la campagne des U-Boote contre la navigation alliée en Méditerranée. 

Au 1er février 1917, 105 U-Boote étaient déployés dont 23 au sein de la flottille de Pola qui, malgré sa dénomination, opérait principalement à partir de Cattaro. La flottille était composée de sous-marins expédiés depuis les ports allemands, via le détroit de Gibraltar, et de sous-marins côtiers transportés par voie ferrée vers Pola et assemblés à l’arsenal de la marine austro-hongroise. 

Cette flottille de Pola (juin 1915-octobre 1918) eut un effectif maximal de 33 sous-marins avec des conditions opérationnelles plus favorables en Méditerranée que dans l’Atlantique ou en Mer Baltique. Le canal d’Otrante, séparant le talon de la botte italienne de l’Albanie, avec ses soixante douze kilomètres de large et ses 900 mètres de profondeurs, ne constituait pas vraiment un obstacle [3] malgré le Barrage d’Otrante qui incluait des champs de mines et une centaine de harenguiers anglais transformés en chasseurs de sous-marins en traînant des filets d’acier équipés de bouées lumineuses et de grenades, et communiquant par TSF avec les navires de guerre de la flotte alliée basée à Brindisi, devenu accessible aux alliés à compter du 23 mai 1915 [4], sous le haut commandement italien. 

Pendant l’année 1917 ont été comptabilisées 367 entrées et sorties de sous-marins allemands et autrichiens. [5] En 1917, l’unité fut rebaptisée U-Flottille Mittelmeer et divisée en deux flottilles distinctes basées à Pola et à Cattaro sous le commandement unique du « Führer der Unterseeboote im Mittelmeer » (chef des sous-marins en Méditerranée).

L’U-65, un sous-marin à propulsion diesel-électrique

Dans le cas présent, l’U-65, construit à Kiel en 1916, est à propulsion diesel-électrique ce qui l’oblige régulièrement à faire surface, en règle générale la nuit pour ne pas être vu avec les ballasts quasi pleins pour plonger au plus vite en cas d’alerte. Il s’agit de recharger les accumulateurs électriques en faisant fonctionner les moteurs diesel car le schnorchel (orthographe allemande) également dénommé snorkel ou tube d’air hissable en immersion périscopique n’équipera les U-Boote qu’à la fin 1943, ce système permettant d’alimenter les moteurs Diesel en air tout en éliminant les gaz d’échappement sans avoir à faire surface. 

L’U-65, équipé d’un canon et de 8 torpilles avec 32 marins et 4 officiers est sous le commandement du Kapitänleutnant (KL) Hermann von Fischel (1887-1950) qui fera plus tard carrière en étant promu amiral durant la seconde guerre mondiale mais, fait prisonnier par les Russes en 1945, il mourra cinq ans plus tard comme prisonnier près de Moscou. 

Hermann von Fischel est âgé de 30 ans lorsqu’il commande l’U-65 qui quitte Cattaro le 15 février 1917 pour une mission de guerre au commerce dans le Golfe de Gènes et c’est alors qu’il descend au sud pour contourner la Sicile qu’il rencontre l’Athos à 200 miles au sud-est de Malte par 35°22’N et 18°32’E puis, l’ayant torpillé, il continuera ensuite sa mission en s’attaquant à plusieurs autres navires de moindre importance et finira son périple meurtrier après un peu plus de trois semaines de mer en ayant coulé 7 navires.

Louis-François Garnier

Références

a) Les Messageries Nationales (1852) ensuite dénommées Impériales (1853) deviennent définitivement la Compagnie des Messageries Maritimes en 1871. Propriétaire des chantiers de construction navale de La Ciotat, elle connut un essor prodigieux avec l’extension de l’empire colonial français mais la guerre maritime « totale » de la Première guerre mondiale lui fera perdre plus du tiers de sa flotte avec plus de 400 de ses employés. [2] C’est pour rendre hommage aux quatre mousquetaires d’Alexandre Dumas que sont lancés en 1914 deux « sister-ship » dénommés Athos et Porthos qui seront suivis du D’Artagnan en 1924 et de l’Aramis en 1932. 

b) Gabriel Valton est le père de Louis Valton (1884-1958) dont j’ai brièvement parlé en tant que peintre amateur dans l’article consacré à l’Ecole de Crozant. (Le Cardiologue 414 Septembre et 416 Novembre 2018).

c) Les chauffeurs et les soutiers enfournent le charbon pour alimenter les chaudières ; la température peut y atteindre 60° et le bruit est assourdissant. C’est un endroit dangereux propice aux malaises, aux brûlures avec un risque d’explosion. Les Européens sont surtout chargés de surveiller les chauffeurs « arabes » qui sont plutôt des Somalis recrutés à Aden ou à Djibouti et considérés comme les seuls à pouvoir supporter de telles conditions. [1] Parmi les victimes au sein de l’équipage et travaillant dans la chaufferie de l’Athos sont notés le 1er chauffeur Charles Cipriani, les chauffeurs Louis Icard et Gabriel Valton mais aussi 29 chauffeurs chinois et 36 chauffeurs arabes. Il arrivait que le commandant ordonne de ralentir pour diminuer la température des chaudières et épargner les chauffeurs. [2]

d) U-Boot : le premier sous-marin allemand (U-1) fut livré le 14/12/1906 et le premier en Méditerranée apparait en avril 1915. [2] Les U-Boote étaient déjà classés par « type » avec les U qui sont les plus grands jaugeant en moyenne 800 tonnes puis viennent des modèles plus réduits de type UB ou UC pouvant être seulement mouilleurs de mines. [4] A la déclaration de guerre (août 1914), la Kaiserliche Marine dispose de 28 unités et 345 U-Boote finiront par opérer durant la Première Guerre Mondiale. A titre de comparaison, indépendamment des sous-marins anglais, les Français ont disposé de quarante sous-marins durant la guerre 1914-1918, de type Pluviôse à vapeur ou Brumaire à moteur diesel permettant une immersion nettement plus rapide ; quatorze ont été coulés dont six dans l’Adriatique. [4] En 1917 et en l’espace de deux ans, les U-Boote ont bénéficié de progrès techniques fulgurants, filant à près de 30 km/h en surface, la moitié en plongée avec un canon de gros calibre (105 mm) et un rayon d’action considérablement accru causant des dégâts exponentiels. [2]

Bibliographie

[1] Berneron-Gouvenhes M-F. Les Messageries Maritimes. L’essor d’une grande compagnie de navigation française. 1851-1894 PUPS 2007.
[2] Ramona Ph. Paquebots vers l’Orient. Ed. Alan Sutton 2018.
[3] Brezet F-E. La guerre sous-marine allemande 1914-1945 Perrin .
[4] Chack P. « Marins à la bataille » Sur mer… et dessous. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France. Paris 1938.
[5] Chack P. « Marins à la bataille » Héros de l’Adriatique. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France Paris 1941




L’intelligence artificielle – Introduction à la Santé

L’Intelligence Artificielle (IA) est vouée à se développer considérablement dans les années à venir. Si l’on vante ses technologies, l’aide au diagnostic, ses qualités prédictives et sa capacité à apprendre, des voix s’élèvent contre ses potentiels dérapages, la modification pofonde des relations humaines (médecins et patients). Une prise de conscience du corps médical est nécessaire afin d’adapter et d’intégrer cette technologie ainsi que l’ouverture de réels débats politique, éthique et juridique.

Remplacer les compétences du médecin dans son évaluation et son pronostic,  développer son apprentissage grâce à ses facultés cognitives, diagnostiquer la maladie avant qu’elle prospère ?…  L’intelligence artificielle fait son nid au milieu de ces nombreuses interrogations où la démocratie sanitaire est loin de faire l’unanimité, celle-là même qui permettrait une égalité d’accès aux soins pour tous  grâce aux machines, ainsi qu’à une amélioration du système de santé, grâce notamment à la conversion des déserts médicaux en cabinet virtuel avec un suivi à distance, tant en télémédecine que par le biais d’objets connectés (capteurs). 

Encore faudrait-il que le territoire français soit réellement connecté et que la population soit « technico » et « financièrement » compatible avec ce développement (20 % de la population n’a pas d’accès au haut débit, soit par le nombre chronique de zones blanches, soit pour des raisons financières ou une incapacité à se servir d’un ordinateur).

Les débuts de l’IA

La présence de l’intelligence artificielle dans le domaine de la Santé date de 1965 avec le système Dendral (1) qui avait pour tâche d’aider les chimistes à identifier des molécules organiques inconnues en analysant leurs spectres de masse et en automatisant le processus de prise de décision. De nombreux systèmes ont été dérivés de ce système, même s’ils ne sont plus décrits aujoud’hui comme « intelligence artificielle ».

Le véritable départ de l’IA a eu lieu avec le développement de la vitesse de calcul des ordinateurs, de l’utilisation des données – essentielles – ainsi que les nouvelles technologies qui y sont rattachées.

Toute l’astuce de l’intelligence artificielle passe par les données qu’elle a reçu et le deep-learning, technologie qui est, rapellons-le, un système d’apprentissage s’appuyant sur un réseau de neurones artificiels s’inspirant du cerveau humain : plus le système accumule d’expériences différentes, plus il sera performant.

Les marches du succès

La médecine prédictive

Pour certains, l’intelligence artificielle nous emmène à l’ère de la médecine prédictive : le but n’est plus de soigner les patients mais de les empêcher de tomber malade.

Comme son nom l’indique, l’une des promesses de l’IA est la capacité de prévoir les affections, même si elles sont liées à l’imperfection des marqueurs génétiques et pathogéniques de la maladie. Mais la probabilité se porte sur une population générique et non individuelle et ne détermine pas celle d’un individu, (2) même s’il est porteur en moyenne d’une centaine de maladies génétiques. 

Le concept en lui-même n’est pas nouveau, mais à terme, il est notable de souligner que l’exploitation de l’intelligence artificielle et du machine learning dépendra de la qualité des informations disponibles. Les données patients utilisées pour l’apprentissage devront être particulièrement fiables. Il faut bien sûr oublier les données grand public créées à l’occasion par les Gafam et Baxt, (3) se juxtaposant à un intérêt quasi-unique de profit.

Ces données sont bien sûr – nous en avions déjà parlé dans d’autres articles – la providance de l’intelligence artificielle et sa source de travail. On se souvient par exemple de ce scandale du géant Amazon qui, en concluant en 2018 un contrat avec le National Health Service (NHS), avait réussi à subtiliser des millions de données, une valeur inestimable. Cette source avait permis aux patients britanniques de recevoir de meilleurs conseils médicaux par le biais de l’assistant vocal Alexa…

On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le Livre Blanc (4) publié en 2018 par le Cnom et ce principe fort : « Une personne et une société libres et non asservies par les géants technologiques ».

La précision diagnostique

La valeur prédictive dépend de la sensibilité et de la spécifité des tests. La sensibilité est la capacité à détecter un maximum de malades (avoir le moins de faux négatifs) et la spécificité à ne détecter que les malades (avoir le moins de faux positifs). L’hypothèse diagnostique repose tout de même avec plus ou moins de certitude car tout dépend des niveaux de référence dûment introduits dans la machine qui, n’en doutons pas, organisera dans le futur ses propres conclusions grâce au machine learning.

En 2018, IDx-DR, un logiciel lié à l’Intelligence artificielle, a été capable de détecter une rétinopathie diabétique et d’établir un diagnostic grâce à son analyse sur des clichés de la rétine du patient.

Ce dispositif, autorisé de mise sur le marche par la FDA (Food and Drug Administration), (5) s’était basé sur une étude clinique portant les images rétiniennes de 900 patients diabétiques. Dans près de 90 % des cas, le IDx-DR a réalisé le bon diagnostic, que le patient soit ou non atteint d’une rétinopathie diabétique.

Dans le domaine de la cardiologie, une IA totalement autonome serait capable de détecter de potentielles maladies cardiovasculaires en analysant la pression sanguine.

C’est dans cette optique que des chercheurs ont eu l’idée d’utiliser l’angiographie rétinienne afin de déceler la présence d’une hypertension au niveau des vaisseaux sanguins. Ils ont entraîné une intelligence artificielle à l’aide de 70 000 images provenant de personnes d’origines diverses pour qu’elle puisse faire sa propre comparaison, comprendre d’elle-même les risques de maladie cardiovasculaire. Ces images se concentraient notamment sur les marqueurs communs à identifier dans le système vasculaire rétinien.

Les applications

Les outils regroupés sous l’intelligence artificielle sont ainsi regroupés (6) :

  • aide au diagnostic : analyse des données ou d’images ;
  • chirurgie robotique ;
  • réalité virtuelle : actes de chirurgie éveillée ou modélisation du patient afin de gagner en précision ;
  • applications et objets connectés : permettre aux patients de s’impliquer dans leur prise en charge, et au soignant d’assurer une surveillance plus régulière et approfondie ;
  • tests génétiques : permettre la prédiction du risque et du taux de survie ;
  • exploitation de données dans la recherche ;
  • imprimantes 3D : réalisation des dispositifs médicaux sur mesure ;
  • formations professionnelles : serious games et simulation.

(1) Dendral est un système expert ou programme interactif créé en 1965 qui modélise la connaissance d’un expert, qui a ainsi ouvert la voie de ce qui a été par la suite appelé « système expert ».
(2) Armelle de Bouvet, Pierre Boitte, Grégory Aiguier, Questions éthiques en médecine prédictive, John Libbey Eurotext, 2006, p. 43.
(3) Gafam (américain) : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et Baxt (chinois) : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.
(4) Janvier 2018, livre blanc du Cnom : « Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle ».
(5) fda.gov (lien en anglais).
(6) Source Cnom.




« Maladie française »

Les cardiologues ont toutes les raisons d’apprécier  Philippe Douste-Blazy ; d’abord parce qu’il est lui-même cardiologue et qu’il a exercé la cardiologie avant de devenir professeur de médecine à Toulouse ; surtout parce qu’au cours de l’un de ses passages au ministère de la Santé, il a reçu une délégation de notre syndicat national, fait rarissime pour un syndicat de spécialité, ce qui nous a apporté, entre autres, poids et notoriété.

 connait son parcours politique particulièrement riche : maire de Lourdes puis de Toulouse, il fut à quatre reprises ministre de la Santé ; il fut aussi ministre de la Culture, ministre des Affaires Etrangères, puis secrétaire général adjoint des Nations Unies, avant de présider à l’heure actuelle un fonds de l’ONU Unitlife, consacré à la lutte contre la malnutrition chronique.

Si l’homme politique est connu et reconnu, l’écrivain l’est sans doute un peu moins ; il a  pourtant publié plusieurs ouvrages, dont « Pour sauver nos retraites » ou « La solidarité sauvera le monde » sont peut-être les plus emblématiques ; il a également à son actif de très nombreux articles qui portent sur des sujets divers et pas forcément médicaux.

Dans « Maladie Française », ouvrage consacré à l’épidémie de Covid, on se doute, rien qu’en lisant le titre, que l’auteur se promet d’être avare de compliments.

Grâce à des démonstrations qu’il veut indiscutables, faits et chiffres à l’appui, Il va fustiger l’impréparation Française devant l’épidémie, on pourrait même parler à ses yeux d’impéritie, puisque tout ou presque était écrit d’avance ; d’ailleurs, selon ses dires, par lui-même dès octobre 2004, quand, ministre de la Santé, il présenta à Jacques Chirac et au gouvernement son plan anti pandémie, qui n’aurait rencontré que doute et indifférence malgré le soutien du chef de l’état.

L’ancien ministre stigmatise ensuite « des années d’erreurs successives » ; son successeur Xavier  Bertrand, assisté de son directeur de cabinet, un certain Jean Castex,
avait pourtant pris la mesure du danger potentiel en créant une structure spécifique de lutte contre les urgences sanitaires (Eprus) ; il en fut de même pour la ministre suivante confrontée à la pandémie virale d’avril 2009  mais c’est là que tout a basculé : après que l’épidémie a heureusement tourné court, elle fut accusée de gaspillage des deniers publics voire de soumission aux lobbys de l’industrie pharmaceutique ; de fil en aiguille, les structures existantes furent démantelées et les fameux stocks de masques détruits un peu plus tard sous l’impulsion de Marisol
Touraine sous le mandat de François Hollande ; pour l’auteur, le désengagement de l’état était définitivement dicté par le seul impératif comptable !

Pour autant, on comprend que Philippe Douste-Blazy n’exonère en rien les gouvernements d’aujourd’hui de leur part de responsabilité face à l’épidémie  de Covid : pénurie de masques, de gants, de surblouses, vols de matériels de protection dans les hôpitaux, et bien d’autres erreurs,  avec comme première conséquence la contamination des soignants et des forces de sécurité, bien évidemment en première ligne en période de confinement.

Improvisation et temps de retard permanent ont caractérisé selon lui l’action gouvernementale ; il dénonce au passage « l’hystérie collective » à propos du traitement par l’Hydroxychloroquine, les lobbys de tous ordres, et le refus de suivre les exemples de pays tels que l’Allemagne ou la Corée du Sud qui ont pratiqué dès le début une politique de dépistage massif.

Il plaide en terminant pour une véritable culture de la prévention et la mise en place d’une politique de santé publique qui mérite son nom.

On l’aura compris, l’ouvrage prend souvent la tournure d’un réquisitoire, mais il est assorti de très nombreuses références  et s’appuie sur des faits précis. Il est écrit dans un style alerte et clair, qui en rend la lecture agréable alors même que nombre des thèmes traités sont d’un abord parfois très  technique. 

Bref, il est très intéressant à lire, d’autant qu’il éclaire d’un jour nouveau la personnalité de son auteur, souvent présenté à tort comme un adepte du consensus mou.

Réel atout pour certains, écueil rédhibitoire pour d’autres, ce livre est préfacé par Didier Raoult qui, d’ailleurs, une fois de plus, n’y va pas de main morte. 

  • Auteur : Philippe Douste-Blazy, Didier Raoult (Préface)
  • Editeur : Editions de l’Archipel
  • Pagination : 321 pages
  • Prix public : Livre : 20,00 € – Format ePub (e-book) : 14,99 €




La Peste : de l’ire divine au céleste courroux ou la colère de Dieu (2e partie)

Le germe incriminé dans la transmission de la peste, Yersinia pestis, serait apparu par mutation il y a moins de 20 000 ans [3] et était endémique en Eurasie, à la fin du néolithique lors de l’âge du bronze qui correspond à l’émergence des civilisations urbaines. Il semble qu’on puisse distinguer un foyer situé en Asie centrale et un autre autour des grands lacs africains qui aurait été impliqué dans les épidémies de l’Antiquité et du Haut Moyen-âge. [3]

Le terme Peste issu du latin pestis signifiant maladie contagieuse mais aussi fléau au sens propre et figuré, fait référence de façon non spécifique aux calamités ; ce n’est qu’à partir du XVe siècle que la maladie fait réellement l’objet d’une individualisation clinique de telle sorte que des épidémies antiques n’étaient pas la Peste. 

C’est ainsi que, dans son « Histoire de la guerre du Péloponnèse » Thucydide (v.460-v.400 av. J-C.) relate une épidémie qui dévasta Athènes à partir de l’été 430 av. J-C mais ne décrit pas de lésions évocatrices d’adénites suppurées pourtant bien connues dès cette époque sous la dénomination de boubôn. [9] Cette « Peste d’Athènes » que désertaient les oiseaux était vraisemblablement le typhus ou la fièvre récurrente à poux due à Borrelia recurrentis. [9] 

De même il semble que la « Peste antonine » qui frappa l’empire romain entre 165 et 190 et décrite par Gallien (v. 129-216) ait pu correspondre à la variole. En revanche, la « Peste de Justinien » qui dura de 542 à 767, du nom de l’empereur de Byzance (527-565), est considérée comme la première pandémie de Peste. [10] 

Saint-Roch de Montpellier (Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun) par Alfred Courmes (1898-1993).

Après avoir frappé durement l’empire byzantin, elle traversa les royaumes francs pour finir dans les îles britanniques. La présence de bubons est attestée par l’historien byzantin Procope de Césarée (mort v.562) et Grégoire de Tours (v.538-v.594). [10] En 590 Rome ne dut son salut qu’à l’apparition miraculeuse de l’Archange Saint-Michel dont la statue est visible au sommet du château Saint Ange alors qu’il rengaine son glaive après avoir anéanti le mal qui frappait la ville éternelle qui, bien plus tard en 1656, confinera les pestiférés dans l’île Tibérine dont la vocation hospitalière, qui reste d’actualité, existait de longue date puisqu’un temple antique dédié à Esculape y avait été construit.  

Peut-être est-ce le même ange intemporel que cet « ange habillé de blanc avec une épée de feu à la main qu’il agitait ou brandissait au-dessus de sa tête » que vit une femme exaltée avant la Peste de Londres en 1665 [5] qui va faucher le cinquième de la population, soit plus de cent mille victimes. Les méthodes modernes d’extraction d’ADN ancien démontrent que l’épidémie justinienne était bien la Peste qui dévasta le bassin méditerranéen. [10] 

Il reste à comprendre pourquoi cette « Peste de Justinien » s’est éteinte de telle sorte qu’en 1347 la dernière épidémie était si lointaine, près de six siècles, que la mémoire collective n’en avait pas gardé le souvenir et qu’il ne fut pas évident de trouver un saint protecteur. Apparue dans les années 1320, en provenance de Mongolie et du désert de Gobi, où elle existe toujours à l’état endémique chez les rongeurs, [2,4] la Peste avait progressé par voie terrestre jusqu’en Crimée où les génois auraient été contaminés par des cadavres infectés et volontairement catapultés [4] à l’aide de balistes au dessus des murailles par les assaillants mongols lors du siège du comptoir génois de Caffa en 1344, premier exemple funeste de guerre bactériologique ! 

La Peste progressa ensuite par voie maritime et fluviale jusqu’à atteindre le bassin méditerranéen puis la rapidité du fléau devint phénoménale, atteignant le nord de l’Europe en 1350, détruisant les colonies scandinaves du Groenland avant de revenir à son point de départ. 

Des villes perdent alors plus de la moitié de leur population comme Sienne ou Florence « qui n‘était qu’un sépulcre » comme le relate Boccace (1313-1375) dans le Décaméron rédigé entre 1349 et 1351. La Peste emporte le peintre florentin Bernardo Daddi (1290-1348) l’un des artistes les plus influents de l’époque et très probablement les deux frères Pietro né en 1280 et Ambrogio Lorenzetti né en 1290, peintres siennois renommés qui meurent tous les deux en cette année de disgrâce 1348 avec leur famille et la plupart de leurs assistants. 

C’est ainsi qu’à Sienne la Peste « tire un trait définitif sur un chapitre d’histoire artistique ». [11] Ceux qui échappèrent à la Peste, comme Pétrarque (1304-1374), sont anéantis par la perte de leurs proches et de leurs amis. C’est alors qu’en réaction se développe une tendance à l’hédonisme mais aussi une intense piété individuelle et collective sous forme de pénitents et de flagellants passant de ville en ville. [4,7] 

La Vierge elle-même est impliquée car elle n’est plus la Vierge en Majesté issue des icones byzantines, hiératique et inaccessible, mais devient cette Vierge d’Humilité (1346) qui descend de son trône pour s’asseoir sur un coussin un peu au-dessus (humilis) du sol (humus) afin de se rapprocher ainsi de l’humanité souffrante. [7] 

Exemple d’un docteur de la peste. Doctor Schnabel = Docteur bec.

Au XIVe siècle se développe la représentation de Danses macabres mêlant vivants et morts et des gisants soulignant l’art de bien mourir (Ars moriendi). 

C’est à l’époque baroque que sont érigées des colonnes de la Peste comme celle représentant la Trinité au milieu du Graben, l’une des artères les plus élégantes de Vienne, et qui fut érigée en 1679 à la fin de la dernière grande Peste qui ravageait la ville après Londres et Naples. Il s’agit d’un monumental ex-voto destiné à remercier le ciel d’avoir mis fin au fléau, en l’occurrence près de cent mille victimes à Vienne témoignant de « l’indéniable triomphe de la mort ». 

On y voit la Peste sous la forme d’une vieille femme ridée repoussée vers l’enfer par un ange, ce genre d’être diaphane ne devenant ange que pour obéir, sans état d’âme, aux ordres de Dieu, quels qu’ils soient pour le meilleur et pour le pire. 

En 1720, un bateau provenant du Moyen Orient, et vis-à-vis duquel la quarantaine ne fut pas respectée, apporta à Marseille la dernière grande épidémie européenne. 

En 1855 apparait en Chine la troisième pandémie de Peste qui va se répandre durant les cinquante années qui suivront [4] et des épisodes sporadiques ont pu être relatés depuis lors tel qu’à Paris en 1920 où toute adénite avec fièvre devait être considérée comme suspecte. [12]

Même si « les opinions ont plus causé de maux sur ce petit globe que la Peste et les tremblements de terre » (Voltaire), la Peste reste très présente dans la mémoire collective comme l’atteste la variante moderne (1977) de Saint-Roch de Montpellier (Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun) par Alfred Courmes (1898-1993) qui nous montre un homme en chapeau melon ayant baissé son pantalon pour nous désigner du doigt son bubon. 

La mémoire de la Peste fait partie du langage quotidien ; il en est ainsi du qualificatif péjoratif de (petite) Peste et Molière nous dit que « la Peste soit du fat » (Dom Juan) et « de l’avarice et des avaricieux » (L’Avare) nous incitant à « fuir comme la Peste » certains individus à rapprocher du conseil antique plein de bon sens pour éviter la Peste : « cito, longe, tarde » c’est-à-dire partir vite, loin et pour longtemps ! Mais encore fallait-il pouvoir le faire. On a même attribué à la tuberculose, maladie peu enviable, le qualificatif de « Peste blanche » et il nous est parfois difficile de « choisir entre la Peste et le choléra ».

Louis-François Garnier

Bibliographie

[1] Mollaret H.H. La découverte par Paul-Louis Simond du rôle de la puce dans la transmission de la peste. Rev Prat. 1991, Sep 15;41(20): 1947–1951
[2] Naphy W, Spicer A. La Peste noire. Grandes peurs et épidémies 1345-1730 Autrement 2003
[3] De Lannoy F. Pestes et épidémies au Moyen-âge. Ed. Ouest-France 2018
[4] Lett D. La peste. Le fléau qui ravagea l’occident. Histoire & Civilisations février 2017 n°25 : 68-81
[5] Defoe D. Journal de l’année de la peste. Denoël 1923
[6] Thomas M. Trésors de l’art sacré dans les hautes vallées de Maurienne. La Fontaine de Siloe 2004
[7] Meiss M. La peinture à Florence et à Sienne après la peste noire. Préface de G. Didi-Huberman. Hazan 2013
[8] Woillez E.J Diagnostic médical. Baillère 1862
[9] Mariel C., Alexandre M. La peste d’Athènes Guerre et poux. La Presse Médicale; 26 n°4 : 169-171; 1997; article suivi des commentaires de M. Boucher : A propos de la peste d’Athènes La Presse Médicale ; 26 n°22 :1057
[10] Constans N. Les résurrections de la peste, de l’Antiquité au Moyen Âge. Le Monde 28.01.2014
[11] Boucheron P. Conjurer la peur. Sienne 1338. Essai sur la force politique des images. Seuil 2013
[12] Dryef Z. Mai 1920, sous les pavés, la peste. Le magazine du Monde N°446 :25-29. avril 2020
[13] Camus A. La Peste Gallimard Folio 2013
[14] Saul T. Grippe espagnole, première pandémie mondiale. Histoire & Civilisations N° 45 :10-13 décembre 2018
[15] Demey J et al. Sur le pied de guerre. JDD N° 3817 : 2-3 8 mars 2020




La littérature Covid

Voici, pour les lecteurs non encore saturés par la surabondance actuelle de la littérature Covid, trois ouvrages dont le contenu nous a paru solide, en tout cas différent de ceux, les plus nombreux, qui accumulent redites, affabulations et thèses complotistes diverses et variées.

Et Après ?

Ce n’est pas forcément dans ce domaine que l’on attendait Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand. 

Voilà pourtant que l’homme qui a passé quelque quatorze ans à la tête du Quai d’Orsay  se livre à une belle analyse de la pandémie dans un ouvrage  sans détours ni concessions pour évoquer ce que pourrait (ou devrait) être l’après-Covid.

Comme bien d’autres, il commence par un rappel incisif des avertissements parfois anciens dont le pays n’a pas su ou voulu tenir compte ; tout y passe, depuis le rapport de la CIA en 2008, depuis celui du livre blanc français sur la défense et la sécurité nationales jusqu’aux sombres prophéties de Bill Gates, en passant par la loi relative à la préparation du système de santé français, dont notre cher ami Claude Le Pen regrettait peu avant sa mort qu’elle n’ait jamais été suivie d’effet.

Surtout, l’ancien ministre veut se projeter dans le futur : dans la panique sanitaire et économique qui a suivi l’épidémie, la bataille de l’après a déjà commencé entre ceux qui veulent un retour à la normale et ceux qui appellent à un changement relatif ou radical.

La question est de savoir ce qui demeurera et ce qui doit être modifié, en essayant d’éviter l’effondrement économique mondial sans sacrifier l’urgence vitale de l’écologisation, en repensant le tourisme, les grandes manifestations, voire en refondant un véritable système international d’alerte sanitaire.

Dans cet essai vif et dense, Hubert Védrine se penche en profondeur sur tous les débats qui vont forger l’après pandémie mondiale.

  • Auteur : Hubert Védrine
  • Editeur : Fayard
  • Pagination : 144 pages
  • Prix public : Livre : 12,00 € – Format Kindle : 8,49 €


Epidémies, vrais dangers et fasses alertes – de la grippe aviaire au covid-19

Cet ouvrage de Didier Raoult est lui aussi très intéressant ; le microbiologiste qu’on ne présente plus passe en revue la quasi-totalité des épidémies passées et présentes, dont au passage les coronavirus qui n’occupent qu’un chapitre ; Ebola, grippes aviaires, H1N1, ZIKA, etc. tout est rappelé et décrit pour fustiger une fois de plus, chiffres à l’appui, la maladie de la peur véhiculée selon lui par les exagérations de la presse qui sait que « la peur fait vendre ».

L’auteur s’en prend également à l’OMS, non, comme Trump, parce qu’elle serait inféodée à tel ou tel pays, mais parce qu’elle publie sur son site des informations erronées et graves, telles l’existence d’un vaccin contre le Paludisme (!!) ou contre l’hépatite E qui selon lui ne sont pas disponibles et loin s’en faut. 

Il regrette en revanche l’absence de recommandations en France sur les vaccinations contre la varicelle, la grippe chez les enfants ou les rotavirus responsables de gastroentérites parfois sévères.

Pour Didier Raoult, la transmission accélérée des épidémies à leur début, leur variation saisonnière et leur disparition sans raison apparente sont des éléments difficiles à expliquer par la science elle-même.

Dans ces conditions, brandir chaque jour le nombre de nouveaux cas et de nouveaux morts comme un épouvantail ne sert qu’à provoquer des réactions disproportionnées par rapport aux risques réels qui ne peuvent qu’être négligés dans le même temps.

Le tout dans le style qu’on lui connait, direct, concis, sans périphrases, où l’opinion laisse le plus souvent la place aux faits et aux données chiffrées.

  • Auteur : Didier Raoult
  • Editeur : Michel Lafon
  • Pagination : 160 pages
  • Prix public : Livre : 12,00 € – Format ePub : 8,99 €


Covid : Anatomie d’une crise sanitaire

Jean-Dominique Michel, anthropologue depuis 25 ans s’est spécialisé dans l’anthropologie de la santé ;  comme il le déclare avec humour en commençant, c’est une matière qui a de la peine à nourrir son homme, mais qui est passionnante à bien des égards, conduisant à « explorer des territoires lointains au propre et au figuré et à chercher à comprendre l’espèce humaine, ses comportements et ses croyances ».

Jean Dominique Michel, dit-il, est le premier à avoir perçu le décalage  entre la réalité de l’épidémie et les discours des autorités politiques et sanitaires. Absence de tests de dépistage, confinement généralisé de toute la population, mensonge (selon lui) sur le rôle des masques, il dissèque toutes les décisions qu’il qualifie d’absurdes.

Grâce à un solide travail documentaire, il veut nous faire comprendre que les pouvoirs publics ont failli et pourquoi nous aurions pu agir autrement.

Surtout, il veut mettre en lumière le mal qui, selon lui, sape notre système de santé et nous propose de bâtir une véritable démocratie sanitaire grâce à la résilience collective que nous avons acquise durant l’épreuve.

On l’aura bien compris, il s’agit là d’un ouvrage fortement engagé et décapant mais lui aussi solidement étayé et dont la lecture s’avère enrichissante.

  • Auteur : Jean-Dominique Michel
  • Editeur : Humensciences Editions
  • Pagination : 224 pages
  • Prix public : Livre : 17,00 € – Format Kindle : 11,99 €

Bon courage et bonnes lectures ! 




Morgon Côte du Py 2017

Je bats ma coulpe, pour avoir trop longtemps négligé les crus au nord du Beaujolais produisant des cuvées de haut niveau à la buvabilité magnifique et à l’agréable rapport qualité/prix, sans doute étais-je rebuté par la mode des Beaujolais nouveaux fabriqués sur mesure pour (et par) le marketing.

C’est indiscutablement à Morgon que l’on trouve le plus grand nombre de vignerons talentueux, parce qu’ils bénéficient d’un terroir remarquable, probablement le meilleur du Beaujolais : la Côte du Py, mais aussi parce que plusieurs d’entre eux font partie de l’école «nature» de Marcel Lapierre qui a su donner une incontestable impulsion qualitative aux vins du secteur.

« étoile montante » de Morgon…

Après Daniel Bouland (à lire), j’ai été impressionné par une « étoile montante » de Morgon : Mee (prononcé Mi) Godard qui atteint la quarantaine. Rien ne la prédestinait à être vigneronne. D’origine coréenne (d’où son prénom), adoptée à 9 mois par une famille lyonnaise qui lui donna le goût de la cuisine, sa première passion, elle effectua des études brillantes : DEUG de biologie, maîtrise de biochimie option vin aux USA dans l’Oregon. Revenue en France, elle passe en 2005, le diplôme national d’œnologue à Montpellier. Après plusieurs années « galères », sans emploi stable, où elle hésite à s’engager dans une carrière commerciale orientée vers le vin, elle décide de se lancer dans la viticulture, pour produire son propre vin, et c’est vers le Beaujolais, lieu de ses premiers stages, qu’elle se dirige en priorité pour des raisons financières évidentes, mais aussi pour la beauté de ses paysages de collines vallonnées rappelant la Toscane. Début 2013, assez vite, elle a la chance  de tomber sur un beau domaine situé à Morgon au vignoble bien entretenu, dont le métayer partait en retraite sans successeur. Cette propriété de 5 ha (qu’elle complétera ultérieurement par 1,2 ha à Moulin-à-Vent) comprend 3 des meilleurs climats de Morgon : Corcelette, Grand Cras, et la célèbre Côte du Py. Paradoxe inhérent au vin, les arômes incomparables des jus de ce terroir naissent sur une terre argileuse pauvre appelée roche pourrie ou pierre bleue, car imprégnée d’oxyde de fer et de manganèse provenant de la désagrégation du schiste sous-jacent.

Dans ses vignes en coteaux orientés sud-ouest, Mee Godard abat un travail colossal, seulement aidée pour la taille par un prestataire. La viticulture, quoi qu’encore traditionnelle, est clairement orientée vers le bio  : tailles longues soigneuses, ébourgeonnage, effeuillage, vignes non palissées, terres griffées 1 rang sur 2, traitements uniquement au cuivre et au soufre, engrais organiques, le tout pour obtenir des raisins de qualité vendangés manuellement, transportés en petites caissettes, triés à la réception au chai.

… à la recherche de l’émotion

La vinification vise à produire des vins de garde par une macération de 20 jours sur 70 à 100 % de vendanges non égrappées. Mee Godard fait partie des réfractaires n’utilisant pas la méthode beaujolaise carbonique ou semi-carbonique en cuve fermée qui, selon elle, neutralise le terroir et gomme les tanins, mais une vinification en cuve ouverte à la bourguignonne avec pigeages et remontages pour une extraction durant 2 à 3 semaines en cuve béton. La fermentation débute sur un pied de cuve de levures indigènes. L’élevage s’effectue 10 mois en foudre ou demi-muid, puis 1 mois en cuve. Mise en bouteille, sans filtration.

Habillé d’une robe brillante tirant sur le grenat et le violine, ce Morgon Côte du Py 2017 de Mee Godard délivre d’emblée un bouquet intense et flamboyant de fruits noirs : mûre, cerise bigarreau, de quetsche, d’épices  : poivre blanc, réglisse. La roche « pourrie » du terroir s’exprime au nez par des notes d’humus, de graphite. Le jus est suave avec une fraîcheur minérale et une finesse typique de la Côte du Py. La pulpe envahit le palais de la texture soyeuse des tanins. La bouche est ainsi magnifique d’équilibre entre tension et densité, dynamique, presque vibrante. La longue finale saline et sapide confirme la fraîcheur et la minéralité du vin. Celui-ci est promis à une longue garde, mais l’intensité des arômes fruités peut, dès maintenant, le faire adorer par les impatients.

Comme tous les crus du Beaujolais, ce magnifique jeune Morgon accompagnera parfaitement toutes les cochonnailles : saucisson, terrines, jambon cru ou persillé, de même que les classiques de la cuisine lyonnaise : tablier de sapeur, gras double, andouillettes grillées, tête de veau gribiche, dont la sauce vinaigrée est arrondie par le vin. Un accord particulièrement convaincant est réalisé avec des pieds de porc à la Sainte-Menehould. L’association du gélatineux du plat (comme le gras double) et de la texture élégante du vin s’avère parfaitement harmonieuse. Mais la richesse et le côté bourguignon du Côte du Py permettent bien d’autres accords gourmands, d’abord avec les volailles : tourte de caille aux cèpes, poule au pot, pintade au chou, mais aussi avec des plats bourguignons : poitrine de veau farcie, lapin à la moutarde, bœuf bourguignon (surtout si la sauce est réalisée avec un vieux morgon de 10 ans).

Après 5 ou 6 ans de cave, ce Morgon, prenant des notes tertiaires giboyeuses, épousera avec délice des gibiers à plumes : col-vert aux épices, perdreau à la normande, faisane truffée.

A mon avis, Mee Godard n’est plus l’étoile montante du Beaujolais, mais déjà une magicienne qui tire du gamay des vins époustouflants fuyant le gouleyant, cherchant le fruit, la structure, en fait l’émotion.

Domaine Mee Godard. 69910 Villié-Morgon




Les préoccupations liées à l’intelligence artificielle

Nous avons vu dans notre précédent numéro la naissance dans les années 1950 de l’intelligence artificielle et les préoccupations dues à cette nouvelle technologie qui fascine autant qu’elle effraie. Cette vision du futur se retrouve dans tous les secteurs d’activités technologiques, et particulièrement dans la Santé qui est considéré comme un secteur stratégique (rapport Villani) pour le développement de l’intelligence artificielle. (4)

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 434 – Septembre 2020

L’intelligence artificielle et ses préoccupations

L’intérêt exponentiel de l’IA a également ses contradicteurs, ses détracteurs et ses lanceurs d’alerte. Si personne ne réfute les progrès apportés par l’intelligence artificielle, les risques que pourraient encourir les humains sont bien réels, et particulièrement dans les trois domaines cibles que sont :

• le monde du numérique où les chercheurs évoquent des phishings très élaborés et parfaitement ciblés ;

• le monde physique, l’étude met en avant le cas d’un robot ménager détourné de ses fonctions ;

• le monde politique où les « fakes news » et autres bots sur les réseaux sociaux pourraient prendre une tout autre ampleur avec l’intelligence artificielle.

 

Les interventions de personnalités publiques

Plusieurs personnalités, parmi lesquelles Bill Gates (fondateur de Microsoft), Stephen Hawking (astrophysicien théoricien et cosmologiste britannique décédé en 2018), Elon Musk (Pdg de Tesla), avaient exprimé leurs préoccupations par rapport aux progrès de l’intelligence artificielle, qu’ils jugent potentiellement dangereuse. (2015)

« Il ne faut pas être naïf face aux risques qu’encourent les humains face à la puissance de l’intelligence artificielle. Les machines vont finir par considérer les humains comme des êtres “lents et stupides” », avait avancé Elon Musk.

Avec son célèbre « On a eu les armes atomiques et l’énergie nucléaire, et jusqu’ici tout va bien », Bill Gates accentue le risque que « l’intelligence artificielle nous échappe des mains en nous menant tout simplement à l’extinction de l’espèce humaine, si l’on ne la manipule pas avec extrême précaution. »

« Les formes primitives d’intelligence artificielle que nous avons déjà se sont montrées très utiles. Mais je pense que le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité », avait affirmé Stephen Hawking lors d’un entretien à la BBC en 2014. 

Dans notre précédent numéro, nous avions vu que plusieurs personnalités de renom avaient exprimé leurs préoccupations sur l’intelligence artificielle qu’ils jugaient potentiellement dangereuse, tant dans la recherche et le développement que le contrôle des machines. On se souvient de ce 11 mai 1997 lorsque Garry Kasparov s’était incliné aux échecs face à Deep Blue. Le supercalculateur avait réalisé un coup surprenant vers la fin de la première partie en sacrifiant l’un de ses pions alors qu’il s’était limité jusque là à répondre au coup par coup. Cette manœuvre imprévisible a supris et déstabilisé Kasparov qui s’attendait à une stratégie de la part de Deep Blue. Le joueur ne s’en était pas remis et avait fini par perdre la partie. Cette épisode était dû, selon Murray Campbell, l’un des trois principaux concepteurs de la machine, à un bug qui avait créé de façon totalement aléatoire le déplacement d’un pion (voir notre numéro précédent).

Face à ces préoccupations technologiques légitimes, Stuart Russell (5), connu pour sa contribution sur l’intelligence artificielle, considère qu’il est nécessaire de développer des machines « compatibles avec l’humain » (human compatible). Il en a énuméré trois principes afin de guider le développement d’une IA bénéfique en soulignant qu’ils ne sont pas censés être explicitement codés dans les machines, mais plutôt destinés aux [humains] développeurs :

1. L’unique objectif de la machine est de maximiser la réalisation des préférences humaines.

2. La machine ne sait pas au départ quelles sont ses préférences.

3. La source ultime d’informations sur les préférences humaines est le comportement humain. 

Il faudrait donc apprivoiser l’IA par rapport aux besoins de l’être humain et non de rendre une machine complètement autonome sans accéder dans le futur à ses ressources propres.

Les chercheurs ont donc consacré du temps à rendre les algorithmes plus transparents et explicables, d’où la naissance de la XAI (eXplainable Artificial Intelligence) pour « intelligence artificielle explicable ». Ceci est d’autant plus important que les logiciels d’intelligence artificielle vont se servir et apprendre des données qu’on va leur soumettre (machine learning). Par contre, si celles-ci sont biaisées, ces logiciels reproduiront les biais dans leurs prédictions. Autant dire que l’avenir de l’intelligence artificielle passera d’abord par celle de l’être humain.

 

La stratégie européenne…

C’est d’ailleurs dans ce but que la  Commission européenne a présenté sa stratégie sur l’intelligence artificielle en février dernier avec la sortie de son Livre Blanc : « Intelligence artificielle : une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance » (6). Elle entend réguler fermement ce champ technologique innovant afin d’éviter tout abus, investir pour aider les entreprises européennes et présenter une IA de confiance centrée sur l’Homme.

 

… et le rappport Villani

En France, le rapport Villani commandé par Edouard Philippe en 2018 retenait la Santé comme étant l’un des principaux « secteurs stratégiques » pour le développement de l’intelligence artificielle.

Ce rapport recommandait que la France et l’Europe, face aux géants chinois et américains, « concentrent leurs efforts sur des secteurs spécifiques où il est encore possible de faire émerger des acteurs d’excellence », appuyant cette stratégie par 10 messages clés (voir encadré ci-contre en haut de page).

La rapidité d’évolution et la démocratisation des usages liés à l’IA en santé « exigent des pouvoirs publics une adaptation rapide sous peine d’assister impuissant à la reformulation complète des enjeux de santé publique et de pratiques médicales ». Pour autant, assure cette mission, « il n’est pas question de remplacer les médecins par la machine », mais d’ « organiser des interactions vertueuses entre l’expertise humaine et les apports de l’IA ». On rejoint ici les inquiétudes réelles sur la potentialité du contrôle des machines sur l’être humain.

 

Le rôle de la formation

Le rapport insiste également sur le fait que les professionnels de santé vont jouer dans la prochaine décennie « un rôle fondamental dans l’expérimentation et l’entraînement des IA à des fins médicales dans des conditions réelles » en proposant de « transformer les voies d’accès aux études de médecine » tout en intégrant « davantage d’étudiants spécialisés dans le domaine de l’informatique et de l’IA ». Les professionnels de santé devront être formés aux usages de l’IA, des objets connectés et du big data en Santé. 

 

L’Avancement du rapport Villani aujoud’hui

Un coordinateur interministériel de l’IA, Renaud Vedel, a été désigné en mars dernier.

Elément clé de la stratégie Villani, le gouvernement a labellisé quatre instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (dénommés 3IA) [7] :

– l’institut 3IA grenoblois (MIAI Grenoble-Alpes) fera le pont entre hardware et algorithmes d’IA ;

– l’institut 3IA parisien (Prairie) se lancera sur le tryptique santé-transport-environnement ;

– l’institut niçois 3IA Côte d’Azur travaillera sur la santé, la biologie numérique et les territoires intelligents en s’inspirant du vivant ;

– l’institut 3IA Aniti (« Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute ») aura pour objectif d’apporter des garanties quant aux décisions prises par les algorithmes afin d’éviter les dérives. On retrouve ici une partie de la stratégie de la Commission européenne et de son Livre Blanc. 

Le supercalculateur demandé par Cédric Villani a été inauguré en janvier dernier au CNRS. Dénommé Jean Zay (8), cette machine peut développer 16 millions de milliards de calculs à la seconde (16 pétaflops), soit l’équivalent de quelque 35 000 ordinateurs personnels réunis. Ce supercalculateur, mis gratuitement à la disposition des scientifiques, permet d’aborder tout le spectre de l’intelligence artificielle, du Big Data au deep learning. Sa puissance de calcul devrait atteindre les 30 pétaflops d’ici fin 2020.

Deux grands défis avaient été choisis par le Conseil de l’innovation et financés à hauteur de 150 M d’euros par an par le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII). Deux directeurs ont été nommés et les projets lancés. (9)

– Une feuille de route a été validée pour le premier (« Comment améliorer les diagnostics médicaux par l’intelligence artificielle ? ») en s’articulant autour de 3 axes : le développement technologique, le soutien à l’expérimentation et la mise en œuvre d’outils numériques structurants pour les professionnels de santé.

– Le deuxième grand défi (« Comment sécuriser, certifier et fiabiliser les systèmes qui ont recours à l’intelligence artificielle ? »), quant à lui,  vise à assurer la transparence et l’auditabilité des systèmes autonomes à base d’intelligence artificielle, d’une part en développant les capacités nécessaires pour observer, comprendre et auditer leur fonctionnement et, d’autre part, en développant des approches démontrant le caractère explicable de leur fonctionnement.

 

(4) Le rapport Villani peut-être visualisé et téléchargé sur notre site rubrique Technologie.

(5) professeur d’informatique et professeur-adjoint de chirurgie neurologique – Université de Californie – San Francisco.

(6) Le Livre Blanc peut-être visualisé et téléchargé sur notre site rubrique Technologie.

(7) Industrie-techno.com.

(8) L’un des pères fondateurs du CNRS.

(9) Secrétariat Général Pour l’Investissement (SGPI).

Les 10 messages-clés pour la santé du rapport Villani

1. Favoriser l’émergence d’un écosystème européen de la donnée.

2. Créer un réseau de recherche d’excellence en IA.

3. Concentrer l’effort économique et industriel sur 4 domaines prioritaires : santé, transports, écologie, défense/sécurité.

4. Structurer le soutien à l’innovation sur de grands défis à expérimenter.

5. Créer un Lab public (*) de la transformation du travail.

6. Expérimenter un dialogue social au niveau de la chaîne de valeur pour financer la formation professionnelle.

7. Tripler le nombre de personnes formées à l’IA d’ici 2020.

8. Se donner les moyens de transformer les services publics grâce à l’IA.

9. Intégrer les considérations éthiques à tous les niveaux, de la conception des solutions d’IA jusqu’à leur impact dans la société.

10. Porter une politique audacieuse de féminisation du secteur de l’IA.

(*) Le Lab est une structure qui aurait un rôle de « tête chercheuse » à l’intérieur des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle.

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L’intelligence artificielle

L’Intelligence Artificielle (IA) fait aujourd’hui l’objet de bien des fantasmes, futur inquiétant pour certains, fascinant pour d’autres, cette discipline encore jeune est loin d’égaler l’intelligence humaine et sa complexité dans son ensemble, mais se montre particulièrement efficace pour des réalisations spécifiques. Son impact sur le monde de demain sera considérable et indispensable dans quasiment tous les domaines.

La Santé est l’un des secteurs où les investissements sont les plus conséquents, à voir avec l’intérêt porté par les Gafam et Batx. (1)

Pascal Wolff – Le Cardiologue n° 433 – Juin 2020

La naissance de l’intelligence artificielle

C’est à partir des années 1940 et 1950 qu’une poignée de scientifiques d’une large gamme de domaines (mathématiques, psychologie, ingénierie, économie et sciences politiques) ont commencé à discuter de la possibilité de créer un cerveau artificiel. 

Et c’est durant l’été 1956 que l’intelligence artificielle « moderne » a réellement pris son envol suite à une conférence qui s’était tenue sur le campus de Dartmouth College (Hanover – New Hampshire – Etats-Unis). Ce congrès – auquel six chercheurs se sont succédés devant un auditoire de… vingt personnes qui assistèrent à l’intégralité des débats – a marqué la naissance de cette « science nouvelle », fondée en tant que discipline académique.

Ces vingt participants représentaient des domaines en pleine ébullition qui n’avaient aucune structure ni lien : la cybernétique (2), le traitement complexe de l’information, les réseaux neuronaux formels (3), la théorie des automates, les modèles de prise de décision…

Le moment fondateur de l’IA

À la suite de cette réunion, certains participants ont pronostiqué qu’une machine aussi intelligente qu’un être humain existerait en moins d’une génération, donnant des ailes aux investisseurs. Des millions de dollars ont ainsi été investis pour réifier cette prédiction.

Cette conférence est largement considérée, dans le monde occidental, comme le moment fondateur de l’intelligence artificielle en tant que discipline théorique indépendante (de l’informatique).

Suite à cet engouement et dans les années qui ont suivi, l’optimisme et les prévisions allèrent bon train : « d’ici dix ans un ordinateur sera le champion du monde des échecs [1958] » ; «  des machines seront capables, d’ici vingt ans, de faire tout le travail que l’homme peut faire [1965] » ; « Dans trois à huit ans, nous aurons une machine avec l’intelligence générale d’un être humain ordinaire [1970] »…

Mais cet engouement a été, durant ces années, confronté à des problèmes majeurs tels les puissances de calcul mathématique, les capacités des programmes et mémorielles des machines plutôt limités dans ces années post-2000.

Deep Blue

Mais ces piètres performances des années 1970 n’ont malgré tout pas altéré les efforts et l’engouement des chercheurs. On se souvient de Deep Blue, le « superordinateur » de 1,4 tonne développé par IBM au début des années 1990. Spécialisé dans le jeu d’échecs, ce calculateur a réussi par battre le champion du monde en titre, Garry Kasparov en 1997.

Cette approche de l’intelligence artificielle est intéressante car elle commence à comparer l’homme et la machine. Deep Blue énumère et analyse systématiquement des millions de coups possibles en passant en revue les positions qu’on lui a mises en mémoire et en éliminant celles jugées mauvaises.

A l’opposé, l’homme sait d’abord « sentir », « voir » les coups, avant de les calculer et c’est justement ici que la différence est profonde entre le jeu de l’homme et celui de la machine.

Les concepteurs de Deep Blue ont dopé la machine d’un logiciel d’ajustement qui lui aurait permis par la suite de corriger ses erreurs.

Cette évolution, « minime » soit-elle avant l’an 2000, est en quelque sorte le symbole de la porte d’entrée de l’intelligence artifcielle du XXIe siècle.

Si dans les années 1950, l’IA avait pour objectif  de reproduire les tâches primaires de l’homme, elle a réussi par la suite à se structurer avec une technologie logicielle qui peut aujourd’hui prendre des décisions grâce aux algorithmes, aux méthodes d’apprentissage et aux méthodes scientifiques que sont le machine learning, le deep learning et le data science (voir encadré ci-contre). Ainsi a pu se développer l’IA telle qu’on la connaît aujourd’hui de par l’adaptation de son mécanisme de diagnostic et de pronostic.

C’est grâce à l’apprentissage machine et, plus particulièrement, l’apprentissage profond que l’intelligence artificielle connaît depuis 2010 un intérêt sans précédent.

Les préoccupations liées à l’Intelligence artificielle

Mais cet intérêt exponentiel a également ses contradicteurs, ses détracteurs et ses lanceurs d’alerte. Si personne ne réfute les progrès apportés par l’intelligence artificielle, les risques que pourraient encourir les humains sont bien réels, et particulièrement dans les trois domaines cibles que sont :

le monde du numérique où les chercheurs évoquent des phishings très élaborés et parfaitement ciblés ;

le monde physique, l’étude met en avant le cas d’un robot ménager détourné de ses fonctions ;

Le monde politique où les « fakes news » et autres bots sur les réseaux sociaux pourraient prendre une tout autre ampleur avec l’intelligence artificielle.

Les interventions de personnalités publiques

Plusieurs personnalités, parmi lesquelles Bill Gates (fondateur de Microsoft), Stephen Hawking (astrophysicien théoricien et cosmologiste britannique décédé en 2018), Elon Musk (Pdg de Tesla), avaient exprimé leurs préoccupations par rapport aux progrès de l’intelligence artificielle, qu’ils jugent potentiellement dangereuse. (2015)

« Il ne faut pas être naïf face aux risques qu’encourent les humains face à la puissance de l’intelligence artificielle. Les machines vont finir par considérer les humains comme des êtres “lents et stupides” », avait avancé Elon Musk.

Avec son célèbre « On a eu les armes atomiques et l’énergie nucléaire, et jusqu’ici tout va bien », Bill Gates accentue le risque que « l’intelligence artificielle nous échappe des mains en nous menant tout simplement à l’extinction de l’espèce humaine, si l’on ne la manipule pas avec extrême précaution. »

« Les formes primitives d’intelligence artificielle que nous avons déjà se sont montrées très utiles. Mais je pense que le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité », avait affirmé Stephen Hawking lors d’un entretien à la BBC en 2014. 

(1) A l’opposé américain des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) se situe le chinois BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi).

(2) Cybernétique : étude des « communications et de leurs régulations dans les systèmes naturels et artificiels ».

(3) Réseaux neuronaux formels : machines cherchant à imiter le fonctionnement du cerveau.

L’IA et ses technologies

L’Intelligence Artificielle, technologie principalement logicielle,  peut prendre des jugements et des décisions – dans une certaine mesure – similaires aux  humains grâce à ses différentes composantes.

Le machine learning (apprentissage automatique) est un sous-domaine de l’IA. Le principe est un système capable d’apprendre, à partir d’exemples, à résoudre un problème (contrairement à la programmation qui ne fait qu’exécuter). En d’autres termes, il est auto-apprenant en créant des algorithmes à partir de ses données et porter ainsi des jugements et prendre ses propres décisions. C’est grâce à cette technologie que l’IA étend ses capacités et accroit ses performances.

Le deep learning (apprentissage en profondeur) est un sous-domaine du machine learning. Il s’appuie sur un réseau de dizaines voire de centaines de « couches » de neurones artificiels s’inspirant du cerveau humain. 

Chaque couche reçoit et interprète les informations de la couche précédente. Plus on augmente le nombre de couches, plus les réseaux de neurones apprennent des choses compliquées, abstraites. Mais à l’heure actuelle, la mise au point de ces mécanismes d’apprentissage pour être efficace pour chacune des couches intermédiaires est extrêmement complexe. Selon certains  scientifiques, le deep learning va se généraliser dans la prochaine décennie dans toute l’électronique de décision, comme les voitures (autonomes) ou les avions.

La data science (science des données) est une méthode de tri et d’analyse de données de masse et de sources plus ou moins complexes ou disjointes de données, afin d’en extraire des informations utiles ou potentiellement utiles.

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La Peste : de l’ire divine au céleste courroux ou la colère de Dieu (1ère partie)

Octobre 1347 : des navires génois en provenance de la mer noire mouillent à Messine ; à leur bord les marins sont morts ou agonisent. A l’instar du film Nosferatu, le fantôme de la nuit (1979) de Werner Herzog où Dracula se rend en bateau dans la ville hanséatique de Wismar avec des rats cachés dans des cercueils pour y transmettre la peste, les soutes des navires génois sont infestées de rats noirs (rattus) couverts de puces dont on sait maintenant qu’elles fourmillaient de bactéries dénommées Yersinia pestis identifiées en 1894 par Alexandre Yersin (1863-1943) suivie de la mise en évidence en 1898, non sans risques, du rôle des rats vecteurs de puces dans la propagation de la maladie par Paul-Louis Simond (1858-1947).[1]

Mais, au Moyen-âge nous n’en sommes pas là et loin s’en faut puisque la peste est alors considérée comme une punition divine pour punir les péchés des hommes. [2-4] La cause première est bel et bien la colère de Dieu avec des flèches empoisonnées tombant sur les fautifs au sein d’une atmosphère imprégnée de miasmes délétères. Il faut en effet craindre « le fouet divin » (Luther) par lequel Dieu appelle à la repentance, et la colère de Dieu comme au Jour (Dies irae) du Jugement dernier : « Jour de colère, que ce jour-là /Où le monde sera réduit en cendres ». La peste noire de 1347 fut le paroxysme de ces épidémies qui, avec la guerre, constitueront les plus grands fléaux du monde médiéval. [3] 

Cette épidémie va tuer en cinq ans (1347-1352) le tiers de la population européenne fragilisée par la famine et les guerres, puis va revenir de façon plus ou moins localisée et virulente. [4] Nul ne pouvait alors douter du châtiment divin qui impose à l’humanité « Un mal qui répand la terreur/Mal que le ciel en sa fureur/Inventa pour punir les crimes de la terre » et ce mal est « La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)/capable d’enrichir en un jour l’Achéron » (a) comme le dit si bien La Fontaine (1624-1695) dans Les Animaux malades de la peste. 

Des signes annonciateurs de la colère de Dieu peuvent exister comme avant la peste de Londres de 1665 [5] où apparut une comète « d’une couleur pâle, languissante prédictive d’un lourd châtiment, lent et sévère, terrible et effrayant », la « mort noire » (black death) n’épargnant personne sans distinction de sexe ou d’âge. Une autre comète brillante annonça « un coup soudain, rapide et impétueux » comme le fut le grand incendie qui ravagea cette même ville de Londres en septembre 1666 car « Dieu n’avait pas encore suffisamment châtié la cité ». [5] En outre, la peste favorise l’émergence d’ « une race perverse de prétendus magiciens » [5] charlatans et autres astrologues ou prédicateurs de mauvais augure à l’image de Philippulus le prophète de L’Étoile Mystérieuse (Hergé) qui proclame en incitant à faire pénitence « Je vous annonce que des jours de terreur vont venir ! La fin du monde est proche, tout le monde va périr et les survivants mourront de faim et de froid et ils auront la peste, la rougeole et le choléra ! »

C’est dans une chapelle au toit de lauzes, dédiée à Saint-Sébastien à Lanslevillard, l’une des dernières communes de la vallée de la Maurienne, et construite de 1446 à 1518, qu’on peut admirer de remarquables peintures murales commandées par un donateur rescapé de la peste. [6] Un ange impassible aux ailes couleur de sang ordonne à un diable hideux et noir aux ailes de chauve-souris de cribler l’humanité de ses flèches mortifères qui n’épargnent personne comme en témoigne la représentation d’un nourrisson au visage cadavérique. 

Cette vision emblématique de la colère divine fait partie d’une remarquable série de peintures murales, à fresque, datant des années 1490-1500, dans le cadre d’une nef unique recouverte d’un plafond à caissons rouges, bleu et or. On y voit la vie et la passion du Christ et Saint-Sébastien martyrisé au IIIème siècle et dont le corps criblé de flèches par les archers de Dioclétien en fait l’un des deux saints protecteurs de la peste, d’autant qu’il a survécu aux dites flèches plus tard emblématiques de la peste (il est mort lapidé). 

L’autre protecteur éminent est Saint-Roch (1295-1327) qui, en tant que pèlerin, consacra sa vie aux malades et contracta, sans en mourir, la peste bubonique puisque « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » (La Fontaine) contrairement à la peste pulmonaire constamment mortelle. Pour échapper à la peste, on peut se réfugier sous le manteau de la Vierge de Miséricorde [7] sur lequel pleuvent des flèches et qui protège aussi les âmes comme le veut une croyance qui se développe au XVe siècle. Considérer que Saint-Sébastien protège de la peste est à rapprocher d’une ancienne métaphore biblique où Dieu punit de ses flèches le peuple juif qui a fauté au même titre que dans l’Iliade, Apollon crible les Achéens de ses flèches. 

La fresque dédiée à la peste s’inspire de la Légende dorée de Jacques de Voragine. (b) On y voit un médecin grisonnant déterminé à inciser un bubon, avec une lancette, comme devait le faire Saint-Roch présumé avoir fait des études à l’école de médecine (1220) de Montpellier dont il était originaire. 

 Fresque (fin du XVe siècle) de la chapelle Saint-Sébastien de Lanslevillard-Val Cenis Lanslebourg (Haute-Maurienne)

Le médecin applique les principes thérapeutiques préconisés dans un important traité d’hygiène antipestilentielle rédigé par le médecin italien Gentile da Foligno (v.1280–1348), mort lui-même de la peste, et qui recommandait de « scarifier ou inciser profondément puis d’appliquer des substances purifiantes » sur les apostèmes définis comme étant des « enflures extérieures avec putréfaction » (Nouveau vocabulaire de la langue française. Martial Ardant frères éditeurs 1847). 

Dans le cas présent, le bubon est situé sur la face latérale du cou d’une jeune femme amorçant un mouvement de recul et grimaçant sous les effets conjugués de la douleur et de l’effroi. Ce bubon cervical est une forme clinique moins fréquente que le bubon axillaire [8] que nous montre un jeune homme en arrière-plan ou que la localisation inguinale de Saint-Roch qui survécut, comme ce fut le cas en d’autres temps, du médecin militaire Desgenettes qui s’inocula la peste afin de soutenir le moral des troupes (c)

Dans la fresque du XVe siècle, le praticien exerce à visage découvert et à mains nues contrairement aux docteurs de la peste dont on peut voir un exemple dans une chapelle voisine dédiée à Saint-Roch ; le médecin est alors vêtu d’une tunique en lin ciré recouvrant tout le corps, portant des bésicles empêchant la contamination par le regard…, [4] des gants, des bottines en maroquin attachées à des culottes de peau, un chapeau en cuir et un masque en forme de bec de corbin (d) rempli de plantes aromatiques pour se protéger des miasmes qu’on écarte avec une baguette enduite d’encens, le courrier étant saisi avec une pince à perforer et fumé pour le désinfecter et les pestiférés sont examinés à distance, sans les toucher, avec des baguettes en bois. Compte tenu de ce que nous savons maintenant sur le mode de transmission de la maladie, on peut comprendre que ce genre de protection se soit finalement avéré relativement efficace, ce costume étant celui du medico della peste dans la Commedia dell’arte.

Lanslevillard : fresque (détail)


Dans La Peste (1947) [13] Albert Camus fait allusion aux « cent millions de cadavres semés à travers l’histoire » :  de « la peste de Constantinople qui avait fait dix mille victimes en un jour » en 541 avec les « bagnards de Marseille empilant dans des trous les corps dégoulinants » en 1720, en passant par « Jaffa et ses hideux mendiants » en 1798, « le carnaval des médecins masqués pendant la peste noire » de 1348 et « les charrettes de morts dans Londres épouvanté » en 1665, mais, pour le médecin au cœur du roman, le docteur Rieux, « l’essentiel était de bien faire son métier ».
C’est ce qu’a fait un médecin de la fin du Moyen-âge comme le montre une fresque dans une chapelle de la vallée de la Maurienne qui ne fut pas épargnée par cette effroyable calamité longtemps considérée comme une punition divine. Cette fresque nous rappelle que, même si tous « ces cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination », ils n’en étaient pas moins une infinie multitude de souffrances individuelles qui imprègne notre mémoire collective.
Ceci doit nous faire considérer que notre planète connectée, interdépendante et fortement urbanisée s’expose à des pandémies qui pourraient être catastrophiques, à l’instar de la grippe « espagnole » de 1918 due à un virus de type H1N1 probablement d’origine aviaire avec des dizaines de millions de morts. [14]
Plus récemment les grippes aviaires de type H5N1 (2006) ou H1N1 (2009) et le Covid-19 (2020) doivent nous préparer au pire, c’est-à-dire à une situation où virulence et contagiosité (e) élevées aboutiraient à une importante mortalité pouvant laisser présager l’arrivée du quatrième cavalier de l’Apocalypse au cheval blafard, mais le questionnement vis-à-vis de l’opinion publique reste pertinent : « faut-il agiter le spectre d’une hécatombe mondiale ou tempérer les peurs » ? [15]

a) Achéron = séjour des morts.

b) La Légende dorée est un ouvrage rédigé en latin entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes, qui raconte la vie d’environ 150 saints et explicite le sens des grandes fêtes chrétiennes. La Légende dorée fut l’ouvrage le plus lu et le plus diffusé au Moyen Âge, juste après la Bible. L’ouvrage doit son titre au fait que les tranches dorées était réservées aux livres les plus importants de l’époque.

c) En tant que médecin-chef de l’armée d’Orient, René-Nicolas Dufriche, baron Desgenettes (1762-1837) dut faire face à une épidémie de peste. Il s’opposa à Napoléon lorsque ce dernier, avant de lever le siège de Saint-Jean-D’acre le 28 avril 1798, demanda au Service de Santé d’abréger la vie des pestiférés par de fortes doses d’opium.

d) C’est Charles Delorme (1584-1678) qui fut médecin de trois rois de France et qui, lors de la peste à Paris en 1619, imagina ce dispositif qui se généralisera dans toute l’Europe.

e) R0 (zéro) = indice de contagiosité correspondant au nombre moyen de personnes infectées par un individu contagieux, symptomatique ou non, selon la formule : Transmissibilité (lavage des mains, masques) X Contacts sociaux (distanciation, fermeture des lieux publics, quarantaine) X Durée de la période contagieuse (propre à l’agent pathogène et au patient). Exemples en termes de mortalité/R0 : peste bubonique non traitée : 60 %/3,5 peste pulmonaire non traitée : 100 %/3,5 tuberculose non traitée : 60%/2,3 grippe espagnole 1918 : 2,5 %/2,2 grippe aviaire H5N1 : 60 %/1 SRAS : 9,6 %/2,8 grippe H1N1 : 0,2 %/1,5 COVID19 : 3 %/2 et gastroentérite à rotavirus : 0 %/17,6 – source Institut Pasteur.