Établissements hospitaliers privés : les missions de la CME sans aucun moyen !

Deux décrets sont parus au Journal Officiel des 7 et 16 novembre derniers relatifs, pour le premier à « la conférence médicale d’établissement des établissements de santé privés », le second à « la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé ». Avec un précédent texte en date du 30 août dernier, et qui concernait la « politique du médicament et des dispositifs médicaux stériles » dans lesdits établissements, ils constituent un triptyque fixant le rôle et les missions de la CME. « Nous sommes globalement assez satisfaits de ces textes, et tout particulièrement de celui relatif à la lutte contre les événements indésirables, commente Jean-Luc Baron, président de la Conférence nationale des présidents de CME de l’hospitalisation privée. En effet, la CME est étroitement impliquée dans l’organisation de cette lutte, et pour nous, cela représente une grande avancée, au même titre que le rôle dévolu à la CME en ce qui concerne la politique du médicament dans les établissements.

LA CME se vit confier une mission d’évaluation, et l’élaboration de la liste des médicaments et dispositifs médicaux. C’est important, car cela introduit un vrai regard médical sur cette politique. Coresponsables de la politique du médicament dans l’établissement, bien évidemment, les médecins vont devoir apprendre à gérer économiquement les choses ; il en va de la pérennité de l’établissement, qui peut être mise en cause par une mauvaise gestion. » Le décret relatif exclusivement à la conférence médicale d’établissement du secteur privé – et qui concerne le privé à but lucratif comme le privé à but non lucratif – apporte une ombre au tableau. « Un paragraphe a sauté qui concernait l’élaboration par la CME de son règlement intérieur, explique Jean-Luc Baron. Selon la version définitive, elle ne l’élaborera pas, et cela nous contrarie, car c’était une façon pour la CME de s’affirmer face à la direction. » Enfin, Jean-Luc Baron souligne que la question de la rémunération des missions attribuées à la CME reste posée et… sans réponse pour l’instant. « Il faudra bien parler de la valorisation de ces missions, assumées sur le temps médical. Que ce soit au travers de la convention ou des MIGAC, pourquoi pas, il faudra valoriser cette nouvelle gouvernance. Le bénévolat ne peut plus suffire ; il est à la rigueur envisageable tant qu’il s’agit d’expérimenter des nouvelles missions, mais dès lors qu’elles sont inscrites dans la loi, elles doivent être rémunérées. »

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De larges missions

La conférence médicale d’établissement contribue, notamment à « l’élaboration de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins », notamment en ce qui concerne le plan de DPC des personnels. Elle contribue également à l’élaboration de « projets relatifs aux conditions d’accueil et de prise en charge des usagers », ce qui inclut l’évaluation de la prise en charge des patients, « et le cas échéant des urgences et des admissions non programmées », la politique de soins palliatifs, éventuellement, la PDS, et l’organisation du parcours de soins. Enfin, la CME « propose un programme d’actions qui prend en compte les bilans d’analyse des événements indésirables ». Il s’agit de répondre aux recommandations du rapport de certification, et de mettre en oeuvre les engagements fixés par le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens de l’établissement.

Concernant le médicament, la CME élabore la liste des médicaments et dispositifs médicaux stériles dont l’utilisation est préconisée dans l’établissement, préconisations dont elle est également chargée.|(gallery)




Information médicale : la médiocrité des pouvoirs publics

Le constat de ce qui se passe actuellement en France concernant l’information du public sur la qualité de prise en charge dans les établissements hospitaliers est plutôt sévère. Les informations diffusées vers le grand public à l’initiative des pouvoirs publics ? En résumé, les auteurs du rapport constatent qu’elles « sont actuellement très pauvres ». Certes, des indicateurs de processus se développent, mais « il n’existe pas de données sur les résultats ». L’information disponible est « rarement présentée sous forme comparative », la satisfaction des patients n’est pas mesurée « de manière homogène », les données ne sont pas présentées « sous une forme synthétique et agrégée », les informations sont « dispersées sur plusieurs sites », et d’accès difficile d’autant que le principal site, www.parhtage.sante.fr, vient d’être interrompu pour cause d’ARS.

Selon l’IGAS, « l’émiettement du dispositif de pilotage de la production d’informations » et « la faiblesse d’investissement dans ce domaine » expliquent la médiocrité de la situation. En outre, les auteurs soulignent que l’information sur la qualité a été essentiellement conçue en direction des professionnels de santé, celle des usagers n’étant qu’un « objectif subordonné ». Les usagers reçoivent donc une information inadaptée « qu’il leur est difficile de lire et d’interpréter ». Leurs représentants ne sont guère mieux lotis, car, s’ils reçoivent une information abondante, au sein des diverses instances où ils siègent, ils ne disposent pas non plus d’une information « structurée, synthétique et comparative » qui leur permettrait de promouvoir activement la qualité. Dans ce contexte, le succès remporté par les divers « palmarès » publiés par les médias n’a rien d’étonnant, que, s’appuyant sur les données du PMSI à visée de statistiques de gestion ils « conduisent à des appréciations peu pertinentes ».

Un investissement initial important

Pour les auteurs du rapport, l’information des usagers doit devenir « un objectif en soi ». Indépendamment des « effets bénéfiques » qui en résultent sur les comportements des usagers et des équipes soignantes, c’est la condition sine qua non pour « promouvoir l’autonomie de la personne malade, renforcer la démocratie sanitaire, réduire les inégalités d’accès aux soins ». Dans cette perspective, ils préconisent de « constituer un site unique de référence comportant des informations comparatives ». Pour les représentants des usagers, ils suggèrent qu’ils puissent accéder à des « comptes qualité » structurés selon une architecture fixée au niveau national pour « assurer l’homogénéité de l’information et favoriser les comparaisons », publiés annuellement par les établissements, à l’issue d’une procédure contradictoire auprès des parties prenantes. Ces propositions s’inscrivent, selon leurs auteurs, dans un « projet global orienté vers la promotion d’un usager plus actif », qui nécessite « un investissement initial important » et un effort quotidien pour le faire vivre, et un pilotage unique que les auteurs préconisent de confier à la HAS, qui se verrait donc confier une nouvelle mission : « assurer l’information des usagers sur la qualité des prises en charge ». ■

|Pr Yves Cottin « Tout est à faire ! »| |« J’ai pris connaissance avec grand intérêt de ce rapport de l’IGAS que je trouve très complet et très objectif, sans rien de polémique, même si beaucoup de points forts peuvent donner lieu à discussion. Je trouve notamment très intéressant que les auteurs considèrent que l’usager devra être un consommateur actif. Ils anticipent en cela ce qui s’est passé dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis. Cela nécessite que les professionnels organisent et planifient cette évolution. L’information modifie les comportements des patients, mais aussi des professionnels de santé, dont les pratiques médicales changent. Elle est un bon moyen d’améliorer la transparence et la qualité de soins. Les auteurs soulignent qu’il s’agit d’un projet global pour lequel « un investissement initial » s’impose. C’est évident, dans le domaine de l’information sur la qualité, tout est à faire ! »|(gallery)




Urgences de nuit : le projet francilien qui fait peur

«Un seul bloc devrait être ouvert pendant vingt-quatre heures dans chaque département ». La révélation par Le Parisien début septembre du projet de l’ARS d’Ile-de- France de réduire drastiquement les services chirurgicaux d’urgence la nuit, les week-ends et les jours fériés dans les hôpitaux de la région parisienne (hors les vingt et un établissement de Paris intra-muros) a fait l’effet d’une bombe. Chez les hospitaliers, les réactions ont été immédiates. Non que la nécessité d’une réorganisation ne s’impose à eux, mais le projet francilien semble pour le moins excessif, puisqu’on passerait de six à onze hôpitaux par département assurant actuellement les urgences chirurgicales de nuit à un seul ! Pour la Coordination médicale hospitalière, il s’agit là d’un projet « impensable » et « potentiellement dangereux » pour les malades. La CMH déplore notamment que le projet englobe la période 18h00-minuit « pendant laquelle la vie continue et où les patients arrivent en masse à l’hôpital, et la période après minuit où l’activité est quasi nulle », selon son président François Aubart.

« Nous ne sommes pas là pour répondre à des objectifs de productivité, a répliqué l’Association des Médecins Urgentistes de France, nous sommes présents pour répondre à l’inattendu et à l’imprévisible, pour répondre à ce qui n’est pas programmable. » Et l’AMUF d’ironiser : « Est-il envisageable de supprimer des centres de secours des pompiers au motif qu’il n’y a pas assez de feux la nuit ? » Estimant que la concrétisation d’un tel projet mettrait la sécurité des patients en péril, l’AMUF souligne par ailleurs que cela accroîtrait le travail des SAMU qui devront « répondre en urgence à des demandes de transferts pour déplacer des patients vers l’unique hôpital départemental appelé “tête de pont”, qui sera débordé ».

Le directeur de l’ARS d’Ile-de-France, Claude Evin, a tenté d’apaiser les esprits en expliquant qu’il ne s’agissait que d’un simple « document de travail » et que la concertation était en cours. « Si, effectivement, la concertation conclut au fait que c’est nécessaire de maintenir un service entre 18h30 et minuit, on le maintiendra. Je pense qu’on arrivera à un consensus. »

Un mauvais souvenir pour les cardiologues du Nord

Selon Le Parisien, l’ARS d’Île-de-France n’est pas la seule à réfléchir à une « rationalisation » de la permanence des soins hospitaliers, et des projets analogues seraient à l’étude dans d’autres régions. Où l’on n’a pas attendu la création des ARS pour avoir ce genre de réflexion, les ARH les ayant devancées dans cette démarche. Ainsi, le Dr Vincent Guillot, cardiologue à Lens et président du syndicat des cardiologues libéraux Nord-Picardie, se souvient d’un projet relatif à « l’organisation du réseau des urgences pour la région Nord-Pas-de-Calais » qui, en 2008, faillit aboutir à l’interdiction pure et simple de la pratique en urgence des angioplasties coronaires la nuit (de 18 h à 8 h), le dimanche et les jours fériés dans tous les établissements privés de la région. « Le point commun avec le projet de l’ARS d’Île-de-France c’est qu’il se présentait aussi comme une restructuration du secteur public, explique Vincent Guillot. Concrètement, les établissements privés étaient évincés, il n’y avait plus que les établissements publics autorisés à pratiquer des angioplasties en urgence la nuit, dont certains en pratiquaient très rarement. » C’est la mobilisation de la majorité des cardiologues libéraux de la région, mais aussi de certains cardiologues hospitaliers, la mobilisation des élus locaux, l’action syndicale régionale mais aussi nationale, qui a permis l’abandon du projet, en tout cas pour le volet cardiologie interventionnelle. « Tout n’est pas fini, et il nous faudra rester vigilants puisque l’organisation des urgences d’angioplasties coronaires sera réétudiée ultérieurement », écrivait alors Vincent Guillot dans une lettre à ces confrères cardiologues. Les ARS ont remplacé les ARH, et le vent de restructuration souffle de plus belle : la vigilance s’impose, effectivement. ■(gallery)




Organisation interne : l’hôpital en pôles réglés

Les chefs de pôles sont nommés pour une durée de quatre ans par le directeur de l’hôpital qui choisit sur une liste établie par le président de la CME comprenant au moins trois noms pour chaque pôle. En cas de désaccord sur ces noms, une nouvelle liste peut être proposée, mais si un nouveau désaccord survient, c’est en définitive le directeur qui nomme le chef de pôle de son choix. Ce pouvoir du directeur dans la nomination des chefs de pôles – élus jusqu’à présent par leurs pairs – fait grincer les dents des praticiens hospitaliers.

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Dans un récent numéro du Cardiologue, le Dr Michel Hanssen (responsable de pôle, chef du service de cardiologie interventionnelle de l’hôpital d’Haguenau [Bas-Rhin] et président du Collège national des cardiologues des hôpitaux généraux (CNCHG)), s’inquiétait de cette perte de pouvoir de la CME devenant « une instance relativement virtuelle d’information, qui n’aura pas beaucoup son mot à dire ».

Un chef de pôle multi-étiquettes

Un contrat de pôle est conclu pour quatre ans. Il défi nit les objectifs en matière de politique et de qualité des soins assignés à chaque pôle, ainsi que les moyens qui lui sont attribués pour leur réalisation, et les indicateurs en permettant l’évaluation. Ce contrat défi nit également le champ et les modalités de la délégation de signature accordée au chef de pôle et qui lui permet d’engager les dépenses aussi bien en matière de médicaments et dispositifs médicaux, d’équipements à caractère médical ou non, que de formation du personnel ou de crédits de remplacement des personnels non permanents. Ce contrat fi xe aussi le rôle du chef de pôle dans la gestion des personnels médicaux et non médicaux, l’affectation de ces personnels au sein du pôle, l’organisation de la continuité des soins, l’élaboration du plan de formation des personnels et la FMC, et fixe, « le cas échéant, les modalités d’intéressement du pôle aux résultats de sa gestion ». Il revient également au chef de pôle d’élaborer un projet de pôle, après concertation interne avec toutes les catégories de personnel. Pour exercer toutes ces fonctions, les chefs de pôles doivent suivre une formation d’au moins soixante heures.

Une rémunération en fonction de la réalisation des objectifs

Quant à leur rémunération, elle se compose d’indemnité mensuelle fixe de 200 euros, à laquelle s’ajoute une part variable perçue annuellement, et déterminée par le directeur de l’établissement « en fonction de la réalisation des objectifs figurant dans le contrat de pôle », mais qui ne peut dépasser 2 400 euros.

Il y a vingt ans, on commençait à parler de « l’hôpital entreprise » ; avec la parution de ces décrets, nous y sommes ! Mais les médecins, même les plus convaincus de cette organisation hospitalière, en posent les limites et n’oublient qu’il s’agit d’une « entreprise » très particulière dont la « production » – les soins prodigués à des malades – ne peut pas être assimilée à n’importe quelle activité industrielle (voir ci-dessous). ■

|Efficacité oui, rentabilité, non| |<doc915|left> Les pôles hospitaliers, le Pr Albert Hagège, cardiologue à l’hôpital Georges Pompidou et vice-président de la SFC, n’a rien contre. « A l’HEGP, nous fonctionnons en pôles depuis l’ouverture de l’hôpital. Lorsqu’ils répondent à une logique cohérente, les pôles sont une très bonne chose. Leur transversalité améliore la connaissance qu’on a des uns et des autres, permet d’établir des priorités aussi bien en termes de personnels que de matériels, d’optimiser l’organisation, et incontestablement évite des gaspillages. Mais attention, nous ne gérons pas des boîtes de chaussures ! L’administration voudrait donner un budget aux pôles en leur disant “Soyez rentables !”. Mais si les pôles peuvent rationaliser les dépenses et diminuer les gaspillages, ils ne peuvent pas être rentables ; dans le domaine du soin, on ne peut pas être rentable. »|(gallery)




Rachel Bocher (INPH) : « Un hôpital sans médecin, c’est un hospice ! »

Le communiqué de l’Elysée soulignait « le renforcement de l’exécutif », ce qui était inutile : les médecins hospitaliers ont bien compris qu’ils n’avaient plus grand mot à dire dans la conduite des établissements. Ils sont peut-être présents partout, mais avec un pouvoir de décision proche de zéro. Et ce n’est pas le décret relatif à la commission médicale d’établissement (CME) qui les a rassurés. C’est même avec colère qu’ils ont accueilli ce texte. « Pensez- vous, Madame la ministre, que les médecins hospitaliers vont s’investir dans cette instance avec un tel contenu, les cantonnant exclusivement à la qualité et à la sécurité des soins, aux conditions d’accueil et de prise en charge des usagers ? », a réagi le Syndicat national des praticiens hospitaliers des CHU. Quant à la confédération des praticiens des hôpitaux (CPH), elle estime que « l’hôpital d’aujourd’hui, avec son équilibre médico-administratif » est défunt. Un avis que partage Rachel Bocher, la présidente de l’Intersyndicat des praticiens hospitaliers (INPH) qui commente pour Le Cardiologue la « nouvelle gouvernance » à l’hôpital.

D’une façon générale, quelle est votre analyse du volet hospitalier de la loi HPST ? _ Rachel Bocher : On a changé de logique et basculé dans le tout libéral. Les praticiens hospitaliers sont condamnés à la rentabilité. Il s’agit de faire rentrer de l’argent, en pratiquant des actes rentables, de façon à ce qu’en 2012, les déficits à l’hôpital soient à zéro. Moi, je dis que le déficit des hôpitaux est peut-être le prix à payer pour une médecine de qualité. L’enseignement, la transmission, la recherche, ne sont pas rentables, mais ce sont les missions de l’hôpital public dont la pérennité est compromise par cette logique de choix purement budgétaire. On ne parle pas des patients dans leur dimension globale et humaine, mais comme de données, et on supprime les postes qui font l’humanisation de la médecine.

La nouvelle gouvernance entre en fonction, dont les médecins se sentent singulièrement exclus ? _ R.B. : Les décrets qui paraissent ne laissent aucun pouvoir décisionnel aux médecins, et les nouveaux statuts vont aller de pairs : des CDD renouvelables payés quatre ou cinq fois plus cher. Est-ce cela dont l’hôpital public a besoin ? Et qui va être vraiment le « patron » ? Avant, c’était le mandarinat, aujourd’hui, c’est un directeur, nommé par le directeur de l’ARS – lui-même nommé par le ministre – et à qui on demande essentiellement d’être « dans les clous » financièrement parlant. Nous ne sommes pas dans une logique à dimension médicale, et le seul pouvoir est l’argent. Je pense aux patients : si nous n’avons pas les moyens de les soigner, et de les soigner quelle que soit leur pathologie, comment fera-t-on ? La loi HPST marginalise les médecins à l’hôpital, et un hôpital sans médecins, ça s’appelle un hospice.

Comment allez-vous réagir ? _ R.B. : Nous sommes en colère, et nous allons rentrer en résistance éthique, et mettre cette colère en actes ! Tous les professionnels de santé à l’hôpital sont concernés, qui n’ont rien fait pour mériter cela. La loi HPST est une erreur profonde de ce Gouvernement, qui ignore totalement le dialogue social. Je pense que les gens sauront utiliser leur bulletin de vote… ■