Entretien : Luc Duquesnel

Président de l’Union Nationale des Omnipraticiens Français (UNOF-CSMF), Luc Duquesnel exerce en Pays-de-la-Loire où est expérimenté le dispositif de PDSA sous enveloppe contrainte. Il estime ce modèle reproductible que dans les régions où l’enveloppe dédiée à la PDSA n’a pas été réduite.

Dans son récent libre blanc surf l’organisation des urgences en France, Samu-Urgences de France estime que la création de Maisons Médicales de Garde (MMG) est une « fausse bonne idée »  qui « n’a jamais fit reculer la croissance régulière du recours aux structures d’urgence ». Que vous inspire ce jugement ?

Luc Duquesnel : Les MMG n’ont pas été créées pour cela. La réflexion, menée il y a quelques années pour améliorer les conditions de participation des médecins à la PDS, fait apparaître qu’il fallait diminuer le nombre de secteurs pour que les gardes soient moins nombreuses. Ce qui, bien évidemment, rendait les déplacements des médecins plus nombreux. C’est pour palier cet inconvénient que les Maisons Médicales des Garde ont été créées, clairement identifiées par la population. C’est ce qui permet une participation importante des médecins généralistes à la PDSA. En Mayenne, nous sommes passés de 32 à 8 secteurs de garde et la PDSA fonctionne très bien et elle est moins onéreuse qu’un passage par un service d’urgence à l’hôpital qui coûte en moyenne 270 euros par patient. Si le flux aux urgences hospitalières va croissant c’est qu’aucune régulation n’est effectuée à l’entrée des services d’urgences. Pour diminuer le recours aux urgences hospitalières, il faut que la PDSA soit bien organisée et que l’hôpital arrête de jouer « portes ouvertes ». Mais on sait bien que les services urgences ont intérêt financièrement à ce que leurs services d’urgences fonctionnent à plein rendement et qu’en outre, les urgences font vivre leurs services de spécialités. En Mayenne, à Laval, une clinique s’est vue retirer il y a deux ans son autorisation de pratiquer une activité d’urgences, il ne reste donc plus que l’hôpital : cela s’est traduit pour certains médecins libéraux par une diminution de 20 % de leur activité. On peut ajouter aussi qu’il y a une volonté du Gouvernement de ne pas diminuer les urgences hospitalières. J’en veux pour preuve le refus que nous avons essuyé de pouvoir appliquer le tiers-payant intégral pour certaines interventions en PDSA, ce qui est d’ailleurs assez cocasse de la part d’un Gouvernement qui veut nous imposer le tiers-payant généralisé.

Vous exercez en Pays-de-la-Loire, région qui expérimente depuis 2011 l’organisation de la PDSA sous enveloppe financière contrainte gérée par l’ARS, un « modèle » que Marisol Touraine veut étendre à d’autres régions qui le souhaiteraient. Estimez-vous cette généralisation souhaitable ?

L. D. : Nous sommes très satisfaits de ce dispositif, mais c’est parce que nous sommes dans une région qui, contrairement à beaucoup d’autres, n’a pas eu de diminution drastique de son enveloppe PDSA. Le problème est de savoir de quelle enveloppe on dispose. Si demain la nôtre était diminuée de 20 %, ce modèle de PDSA explose ! Et c’est ce qui s’est passé dans nombre de régions, dans le Nord, par exemple, où le directeur de l’ARS, Jean-Yves Grall, a supprimé la tranche 0 h - 8 h, réalisant ainsi des économies sur les astreintes des libéraux pour les mettre à disposition des services d’urgences hospitaliers. Le gros problème des libéraux est que le mot d’ordre actuel est « il faut sauver le soldat hôpital ».




Urgences : Les chiffres clés

• En dix ans, de 2003 à 2013, l’activité des services Mobiles d’Urgences et de Réanimation (SMUR) à augmenté de 12 % pour atteindre 763 844 interventions, dont 78 % primaires. Sur la même période, l’activité des services d’urgences a crû de 29 % pour atteindre 18,6 millions de patients accueillis en 2014.

• Sur une période plus courte, de 2008 à 2013, les hospitalisations en Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD) ont enregistré une hausse de 9 % atteignant un taux d’occupation de 98 % (1 589 397 journées d’hospitalisation pour 4 443 lits).

• Entre 2007 et 2014, le nombre d’appels reçus par les SAMU-Centre 15 ont augmenté de 10 % pour atteindre 31 millions d’appels en 2014 et le nombre de Dossiers de Régulation Médicale a crû de 31 % (13 128 068 DRM en 2013.
Au total, ce sont quelque 33 millions de cas médicaux pris en charge par les structures d’urgences en 2013.

Source : données SAE (Statistique Annuelle des Etablissements)




Urgences : PDSA – le « modèle » des Pays-de-la-Loire pourrait se généraliser

L’article 44 du PLFSS 2016 pérennise l’expérimentation menée en Pays-de-la-Loire depuis 2011 de l’organisation de la Permanence des Soins Ambulatoire (PDSA) sous enveloppe contrainte et avalise la possibilité pour les régions qui le souhaitent d’adopter ce « modèle ».

Cette expérimentation consiste à confier à l’ARS la gestion d’une enveloppe globale de financement de la PDSA qui inclut non seulement les forfaits d’astreinte mais aussi les actes réalisés par les médecins lors des permanences. L’enveloppe régionale a été répartie entre les différents départements, les associations de médecins s’engageant à respecter l’enveloppe dans l’année et pouvant décider de ce qui va à la régulation, à l’effection et à la rémunération des actes avec des plafonds. Chaque département est aussi libre d’élaborer son projet de permanence des soins. Par exemple, en Loire-Atlantique, celui de l’Association Départementale pour l’Organisation de la PDS comporte la création d’un pool de cinq « médecins mobiles » qui se déplacent après appel du centre 15 sur des situations identifiées (personnes ne pouvant se déplacer, besoin d’une expertise médicale, etc.). En Maine-et-Loire, le projet de l’association consiste  notamment à renforcer les moyens mobilisés autour du traitement des appels téléphoniques des patients pour en améliorer la qualité et à réorganiser les gardes de médecine libérale autour de points fixes de consultations ou maisons médicale de garde.

L’objectif de l’expérimentation était double : inciter les médecins à participer davantage à la PDSA et, par une meilleure régulation, limiter les actes inutiles. Des objectifs atteints en Pays-de-la-Loire : le nombre de médecins volontaires pour la permanence des soins a augmenté de 10 %, le pourcentage d’actes régulés est passé de 75 % en 2010 à 85 % en 2014, et les dépenses diminuent.

Ce sont 11 millions d’euros qui sont alloués annuellement par l’ARS à la PDSA pour quatre des cinq départements de la région (la Sarthe devrait intégrer prochainement le dispositif), cette somme englobant une campagne de communication à destination des usagers et la mise en place d’un système d’information commun aux médecins en cours de déploiement. L’ARS ne regrette pas cet investissement : elle a constaté une économie de 1,4 million d’euros par rapport à 2008.

Le Gouvernement juge « neutre » l’impact financier du dispositif, puisqu’il s’agit d’un transfert de l’enveloppe relative aux actes et majorations actuellement financée par le risque maladie vers le Fonds d’Intervention Régional (FIR). De quoi enthousiasmer la ministre de la Santé,  qui souhaite donc promouvoir le modèle dans d’autres régions, ce que prévoit le PLFSS 2016. Une entreprise qui ne sera pas forcément couronnée de succès partout : comme le souligne Luc Duquesnel (lire l’entretien), tout dépend de la taille de l’enveloppe alloué à la PDS dans chaque région.




Entretien : Patrick Gasser 

Le président de l’Union des MEdecins SPEcialistes (UMESPE-CSMF) juge inadéquat le système de régulation unique proposé par SAMU-Urgences de France.

SAMU-Urgences de France propose de créer des plates-formes SAMU Santé situées dans des établissements de santé qui se verraient attribuer un numéro d’appel unique national, le « 113 », et regrouperaient la régulation de tous les acteurs de la réponse à une demande de soins urgents, y compris la régulation de la « continuité des soins en médecine générale. Qu’en pensez-vous ?

Patrick Gasser. Je pense que ce n’est sûrement pas le meilleur modèle d’organisation de la PDS et je trouve même cela grotesque : à chacun son métier et son expertise. La régulation libérale fonctionne parce que le régulateur est aussi un effecteur, qu’il connaît le terrain et sait de quoi il retourne. Ce serait une erreur grossière de laisser gérer cela par des hospitaliers qui ne connaissent rien à la médecine générale. Nous avons besoin de gens pragmatiques qui mettent en place un système efficient parce qu’ils connaissent le terrain.




L’épineuse question des urgences

Dans un livre blanc récemment publié, SAMU-Urgences de France détaille en 20 propositions qu’elle devrait être demain l’organisation des urgences en France pour répondre aux besoins.

Nul doute que les libéraux apprécieront peu la vision très hospitalo-centrée qui s’en dégage, avec notamment la création d’une plate-forme SAMU-Santé-113 (un numéro d’appel unique), « chef d’orchestre » de toutes les régulations. D’autant que, sur le terrain, les libéraux montrent qu’ils peuvent organiser efficacement la Permanence Des Soins Ambulatoire, même sous enveloppe contrainte gérée par l’Agence Régionale de Santé, comme le prouve l’expérimentation menée depuis 2011 dans les Pays-de-la-Loire. Reste que l’extension – souhaitée par Marisol Touraine – de ce « modèle » à l’ensemble des régions ne va pas de soi : le Diable est dans la taille de l’enveloppe…

Après le rapport de Jean-Yves Grall sur « la territorialisation des activités d’urgences » rendu public en juillet et qui lui avait été demandé par Marisol Touraine, SAMU-Urgences de France apporte spontanément sa pierre à l’édifice en publiant son livre blanc intitulé « L’organisation de la médecine d’urgence en France : un défi pour l’avenir », assorti de 20 propositions. « L’organisation actuelle de la médecine d’urgence ne permet plus, et ne permettra pas demain, de faire face aux inéluctables évolutions des besoins de soins et de notre système de santé », peut-on lire dans le préambule. Les auteurs (1) constatent que le « système initialement conçu pour répondre aux drames de la traumatologie routière doit maintenant répondre à des besoins de santé différents des pathologies nouvelles (cardiovasculaires et neurologiques, complications aiguës de cancers et des maladies chroniques…), de nouveaux contextes (vieillissement, handicap, exclusion sociale, fin de vie, hospitalisation à domicile…), la concentration de l’offre de soins et des plateaux techniques, l’exigence des patients et de la société en termes de qualité/sécurité des soins… » Dans ces conditions, « demain, le recours aux structures de médecine d’urgence continuera à augmenter avec une réponse hospitalière qui n’est plus adaptée ».

Dans un premier temps, SAMU-Urgences de France estime qu’il est nécessaire de faire évoluer les structures des urgences et d’instaurer une « labellisation » par les ARS, selon un cahier des charges précis, non fondé sur le nombre de passages. Il est proposé une description des établissements disposant d’une structure des urgences selon six axes : accueil et prise en charge des urgences, plateau technique, prises en charge chirurgicales et spécialisées, activité SMUR, hospitalisation, gestions des lits. Selon ces critères, les établissements seraient classés en trois catégories, ceux avec un plateau technique d’urgence de proximité,  les établissements à plateau technique d’urgence d’appui et ceux avec un plateau technique d’urgence de recours.

Une plate-forme SAMU-Santé-113 pour tout réguler

Pour une efficacité maximum, il faut « un chef d’orchestre » pouvant répondre 24/24 h et 7/7 j à l’ensemble des besoins des patients et les orientant en se fondant sur une analyse médicale. SAMU-Urgences de France propose de confier ce rôle à une plate-forme de régulation médicale, la « plate-forme SAMU Santé ». Ces plates-formes seraient situées dans des établissements, articulées et interconnectées entre elles mais aussi avec les réseaux de télémédecine, et regrouperaient la régulation médicale de l’aide médicale urgente, celle des crise sanitaires, la réponse toxicologique d’urgence, la régulation des transports sanitaires urgents, des urgences psychiatriques, gériatriques, médico-sociales, des transferts périnataux et… la régulation médicale de la continuité des soins en médecins générale.

Le livre blanc évoque également cinq « fausses bonnes idées » et développe les arguments en leur défaveur. Parmi elles, la nécessité qu’il y aurait à multiplier les Maisons Médicales de Garde (MMG), les auteurs estimant que « tout ce qui a pu être fait (pourtant souvent avec des moyens assez importants), notamment pour développer les Maisons Médicales de Garde (présentées par certains comme une panacée), si cela répond à un besoin de médecine générale, n’a jamais fait reculer la croissance régulière du recours aux structures d’urgence ». A quoi le Dr Luc Duquesnel, président de l’UNOF-CSMF, répond judicieusement que les MMG n’ont pas été créées dans cet objectif (voir entretien ci-dessous). Concernant la PDSA, SAMU-Urgences de France estime qu’elle « doit évoluer pour répondre aux besoins », suggérant tout d’abord que le concept soit élargi « à l’ensemble des besoins de soins urgents et non programmés » relevant de la médecine générale et prenne l’appellation de Pérennité des Soins. Cette PdS  « organise, 24/7, la réponse à des demandes de soins urgents et non programmés dès lors que ceux-ci ne relèvent pas du plateau technique d’un établissement siège de structure des urgences. Coordonnée à l’échelle du territoire de santé d’urgence par la plate-forme SAMU-Santé-113 », cette réponse repose sur les médecins libéraux volontaires, généralistes et spécialistes, en association ou pas, les maisons de santé pluridisciplinaires engagées contractuellement à assurer la prise en charge des patients adressés par la plate-forme SAMU-Santé-113 et des « centres de soins non programmés ou centres de soins immédiats tels que proposés dans le rapport de Jean-Yves Grall ». Quant au pilotage de l’organisation de la médecine d’urgence, il est « exclusivement  assuré par les Agences Régionales de Santé » auprès desquelles des Comités Techniques Régionaux des Urgences (CTRU) « sont les acteurs principaux de cette réorganisation qui est validée par la Commission Spécialisée de l’Organisation des Soins de la Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie ».

(*) Le livre blanc a été rédigé par le conseil d’administration de SAMU-Urgences de France dont François Braun est le président. 




Urgences : les structures

Les SAMU-Centre 15

A ce jour, 102 SAMU-Centre 15 assurent en permanence la réponse téléphonique sur le territoire national via leur Centre de Réception et de Régulation des Appels (CRRA). Leur activité varie de moins de 15 000 à plus de 370 000 Dossiers de Régulation Médicale (DRM) par an. Le Conseil National de l’Urgence Hospitalière (CNUH) a récemment défini deux niveaux de faible activité : moins de 25 000 et moins de 50 000 DRM annuels. En deçà de ces nombres de DRM, le CNUH propose de mutualiser tout ou partie de cette activité avec un SAMU-Centre 15 proche afin de maintenir une activité de régulation médicale, surtout en période nocturne, compatible avec la qualité et la sécurité des prises en charge.

Les Services Mobiles d’Urgence et de Réanimation (SMUR)

428 SMUR couvrent le territoire et assurent près de 800 000 interventions par an. Ces SMUR représentent 700 équipes terrestres et 42 HéliSMUR Leur activité va de moins de 10 interventions annuelles à plus de 16 000. 26 SMUR sont implantés dans un établissement ne disposant pas d’une Structure des Urgences (SU).

Les Structures des Urgences (SU)

Aujourd’hui, 655 établissements de santé publics ou privés assurent la prise en charge 24h sur 24 h et 7 jours sur 7 (24/7) de soins urgents et non programmés au sein de SU. Une très grande majorité appartient au service public hospitalier. Leur activité va de moins de 10 000 à plus de 75 000 passages annuels.




Urgences : les 20 propositions de SAMU-Urgences de France

1. Définir, à l’échelle nationale, des territoires de santé d’urgence au sein desquels la réponse à « l’urgence santé » est organisée et cohérente.

2. Mettre en place des plates-formes de régulation médicale SAMU-Santé regroupant tous les acteurs de la réponse médicale à une demande de soins urgents. Cette plate-forme est située dans un établissement de santé.

3. Assurer l’articulation et l’interconnexion entre les plates-formes SAMU-Santé.

4. Attribuer le numéro de téléphone national « 113 » à la plate-forme SAMU-Santé.

5. Evaluer la pertinence de l’implantation actuelle des SMUR terrestres et s’assurer de l’adéquation de la composition de leur équipe avec les texte réglementaires.

6. Continuer à développer la réponse « avant-coureur du SMUR » dans les territoires à plus de 30 minutes d’une SMUR

7. Mettre en place un maillage territorial à deux niveaux des HéliSMUR et équiper les établissements sièges de structure d’urgence d’une zone de poser obligatoire.

8. Formaliser un « contrat de mission santé » pour les hélicoptères d’état souhaitant participer à l’Aide Médicale Urgente. Des urgences selon un cahier des charges précis.

9. Labelliser les structures des urgences selon un cahier des charges précis.

10. Identifier les établissements de santé disposant d’un plateau technique d’urgence selon les critères SUdF (proximité, appui, recours).

11. Contractualiser les liens entre les structures de médecine d’urgence d’un même territoire de santé.

12. Créer le concept de Pérennité des Soins (Pds)

13. Mettre en place dès maintenant le DES de médecins d’urgence.

14. Garantir les moyens de formation continue des professionnels des structures de médecine d’urgence, notamment par les Centres d’Enseignement des Soins d’Urgence.

15. Faire évoluer les statuts des médecins hospitaliers pour autoriser un exercice territorial.

16. Créer des équipes d’urgentistes de territoire sur la base de projets médicaux partagés.

17. Formaliser les transferts de tâches des urgentistes vers les IDE des urgences hospitalières dans le cadre d’un exercice en pratique avancée.

18. Décharger les urgentistes des tâches ne relevant pas de leurs missions médicales en particulier pur la gestion des lits d’aval.

19. Assurer des effectifs médicaux et non médicaux des structures de médecins d’urgence en cohérence avec leurs activités.

20. Assurer un financement pérenne des structures de médecins d’urgence en adéquation avec leurs organisations et leurs activités.