Claude Le Pen : « Une réponse floue à un vrai problème »

371 – Pour l’économiste de la santé, avant de parler d’efficience du parcours de soins, il faudrait déjà donner une définition précise de ce que recouvre ce terme.

lepenLa Stratégie Nationale de Santé met en avant les parcours de soins. Que pensez-vous de ce mode d’organisation ?

Claude Le Pen : C’est une manière mal définie d’aborder le vrai problème du manque de coordination de notre système de santé, un mot magique sensé régler tous les problèmes. J’avoue être assez sceptique. Car enfin, qu’entend-on exactement par « parcours de soins » ? S’agit-il d’une filière de soins avec le médecin traitant en « gate keeper » à la façon anglaise ? Faut-il l’entendre comme un continuum ville/hôpital ou un protocole au sens que lui donne la HAS ? Ou encore, s’agit-il d’une logistique de communication organisée par le médecin traitant avec un dossier médical partagé ? A l’heure actuelle, on ne sait pas ce que le ministère entend exactement par « parcours de soins ». Ce qui est sûr, c’est qu’on ne part pas de rien et que sur le terrain, des professionnels de santé ont l’habitude de travailler ensemble. Il s’agirait donc de passer de relations informelles à une organisation structurée avec l’arrière-pensée d’un gain à tirer d’une formalisation du parcours de soins.

Vous ne semblez pas convaincu. Pour l’économiste de la santé que vous êtes, le parcours de soins ne peut-il pas être, en effet, source d’efficience pour notre système de santé ?

C. L P. : Je n’en suis pas convaincu et d’ailleurs, rien ne permet de l’affirmer. Sur le plan financier d’abord, formaliser le parcours de soins signifie passer d’un travail de coordination effectué actuellement gratuitement par les professionnels de santé à un financement de ce travail et donc dépenser plus. Nous n’avons aucune preuve manifeste qu’on ferait des économies avec les parcours de soins. Ensuite, sur le plan de la qualité, on suppose qu’elle serait supérieure dans un parcours coordonné. Mais si gain qualitatif il y a, il reste à démontrer où se trouve le déficit qualitatif dans l’organisation informelle actuelle. Quelles preuves indiscutables a-t-on que les patients chroniques sont mal traités aujourd’hui ? Aucune.

Il existe déjà pourtant des expérimentations qui peuvent apporter des enseignements ?

C. L P. : Il s’agit d’expériences issues du terrain, plus ou moins reproductibles plutôt que de solutions pérennes, modélisables, reproductibles. Quant aux expériences passées, elles n’ont pas été réellement évaluées. Cette absence d’évaluation des expériences passées, leur aspect très local et l’absence de définition précise de ce qu’on entend vraiment par parcours de soins me laissent extrêmement dubitatif. Et je crains qu’on ne reproduise avec les parcours de soins ce qui s’est passé dans les années 90 avec les réseaux de soins : faute d’une réelle évaluation, on n’en a tiré aucune leçon, on n’a pu ni les généraliser ni les stopper et on les laisse mourir. Notre système de soins manque peut-être de coordination, mais la politique de santé aussi !

Catherine Sanfourche