
Propos receuillis par Nathalie Zenou. Le Cardiogue n°460 – Novembre-Décembre 2024
Dr Diévart, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le CNCF ?
L’histoire est simple. A la sortie de l’encadrement universitaire, et cela ne leur est pas spécifique, de nombreux cardiologues à l’esprit entrepreneur et volontaire, ont estimé qu’ils devaient continuer à être formés et à s’informer sur les nombreuses et constantes évolutions de leur profession.
Cependant, la formation post-universitaire officielle n’existait et n’existe toujours pas, et celle produite par les CHU ne peut à elle seule suffire, notamment parce qu’elle a comme mission prioritaire de développer et propager par tous les moyens et sous toutes leurs formes l’étude et les recherches scientifiques et qu’elle n’est pas parfaitement adaptée à la pratique libérale.
Ils ont donc créé des amicales locales ou régionales pour partager leurs expériences et accéder à des experts de leurs choix sur les sujets de leurs choix. En milieu des années 1980, quelques pionniers ont eu l’idée puis la volonté de fédérer les amicales le souhaitant sous une bannière nationale et s’est ainsi que fut créé le CNCF dans l’objectif de continuer au niveau national ce que faisaient déjà bien au niveau local les amicales de formation médicale.
Quelles sont ses missions ?
D’emblée, le CNCF a considéré que ses missions étaient la formation médicale post-universitaire et l’information médicale avec comme valeur primordiale, qu’elles soient délivrées sous forme pratique et conviviale. Il a donc développé des moyens spécifiques pour remplir ces missions : congrès, ateliers, réunions, journal faxé, brochures, couverture des congrès internationaux puis, avec l’arrivée du numérique, vidéos courtes, veille bibliographique…
En parallèle, il a permis la réalisation de nombreuses enquêtes et de quelques études tout en en connaissant la difficulté car les structures libérales sont peu ou mal adaptées pour cette pratique. Ceci rend encore plus grand le mérite des études abouties dont la dernière importante, l’étude AFTER, a un intérêt scientifique important.
Le CNCF peut être considéré comme une société savante de cardiologie par sa mission de diffusion et de partage de la science et par la réalisation de telles études.
Comment fonctionne-t-il ?
Constitué comme une fédération d’amicales, il fonctionne selon les modalités d’une association 1901 avec un conseil d’administration où sont élus par vote, les représentants des amicales (au prorata du nombre de leurs membres) qui souhaitent faire partie de ce conseil d’administration.
Ce dernier élit un président dont le mandat est de trois ans et qui a plusieurs fonctions et notamment pérenniser le CNCF, le faire grandir, orienter ses choix, gérer les affaires courantes et désigner un bureau, un organigramme avec des fonctions spécifiques et donc de coordonner une équipe œuvrant dans un même sens au profit d’une formation médicale post-universitaire de qualité, pratique et conviviale.
Quels sont les grands dossiers du CNCF ?
Les dossiers sont en fait les défis liés à l’époque.
L’arrivée du numérique de consommation pluri-quotidienne, hachée, brève et répétée, crée une nouvelle façon de « consommer » de l’information médicale et le CNCF doit s’y adapter.
Le regard des plus jeunes sur la manière de gérer son temps personnel et son temps de travail évolue et le CNCF doit s’y adapter.
La réglementation et les moyens des partenaires commerciaux constituent de nouvelles contraintes majeures et le CNCF doit s’y adapter.
La manière d’exercer la médecine, notamment vers un salariat dans de grandes structures privées ou en matière de cumul emploi-retraite, modifie le concept de cardiologie libérale et le CNCF doit s’y adapter.
L’énumération pourrait continuer car, en fait, l’analyse de notre environnement (et je ne parle pas ici de la transition climatique), si elle est précise et régulière, rend compte des nombreux défis posés à l’exercice et à la formation cardiologiques, auxquels le CNCF doit s’adapter, constituant autant de chantiers à débuter ou à suivre de près.
Quelles sont les relations entre le SNC et le CNCF ?
J’oserai dire consanguines tellement elles sont devenues fortes, mais il est plus politiquement correct de dire complémentaires. Une des missions prioritaires du SNC est de défendre par tous les moyens appropriés les intérêts professionnels, matériels et moraux de la cardiologie au service des patients. Sa tâche est lourde et peu nombreux sont ceux qui connaissent le nombre de réunions, de déplacements, de comités de réflexions et autres que gèrent ses membres les plus actifs.
A titre indicatif, tous les mardis de 8h00 à 8h30, a lieu une réunion du comité de rédaction de CardioHebdo mais aussi de la revue Le Cardiologue et dont font partie, parce qu’ils sont aussi des membres actifs du SNC, trois membres du conseil d’administration du CNCF.
Le premier mardi de chaque mois en fin d’après-midi a lieu la réunion du CNP-CV dont le président en exercice est Marc Villacèque et dont font partie la SFC, le CNCF, le CNCH et le SNC pour faire le point sur de très nombreux projets communs à l’ensemble de la cardiologie et sur les demandes nombreuses et variées des tutelles. Le SNC et le CNCF en étant des membres actifs du CNP-CV sont donc des interlocuteurs privilégiés et complémentaires des tutelles.
Lorsque l’on prend conscience que le SNC défend les intérêts moraux des cardiologues, on comprend que le CNCF partage la même vision car, comment défendre les intérêts moraux sans promouvoir la formation et l’information médicales post-universitaires, mission au cœur de l’existence du CNCF ?
Les évolutions de la science et les outils développés en cardiologie, qu’ils soient diagnostiques ou thérapeutiques, influencent et influenceront la pratique cardiologique, et comment ne pas s’unir pour comprendre ce que sera cette pratique et en promouvoir les aspects innovants et vertueux ?
C’est ainsi par exemple que les ateliers du printemps du CNCF qui existent depuis plus de 25 ans mutent pour devenir les Ateliers de la pratique et du numérique et qu’ils sont dorénavant réalisés en partenariat avec le SNC : le numérique modifie et va modifier la pratique, en comprendre les tenants et aboutissants est fondamental et doit conjuguer information, formation et adaptation, et comment être fidèle à ces missions si le CNCF et le SNC n’unissent pas leurs forces et compétences ?
Vous êtes le nouveau président du CNCF : pouvez-vous vous présenter ?
Je suis cardiologue, profondément cardiologue et cela s’est imposé à moi, sans que j’aie à choisir, c’était une évidence qui a été une chance, car très tôt, j’ai su que je serai cardiologue et j’ai eu la chance de le devenir et si cela n’avait pas été le cas, je n’avais pas de plan B. J’ai fait un internat à Lille, un clinicat à Paris puis je me suis installé en libéral à Dunkerque pour pratiquer la cardiologie interventionnelle coronaire. J’ai la chance exceptionnelle d’avoir une famille, femme et enfants, et des amis proches qui rendent ma vie sereine et c’est le plus important. Voilà pour la partie si j’ose dire privée.
Et je vais peut-être faire assaut de « fausse modestie » si je réponds que « qui je suis importe peu et que ma petite personne importe peu », mais c’est ce que je pense. Les titres potentiels et ce qui a peut-être été fait sont derrière, ce qui compte c’est ce qui est en cours et ce qu’il reste à faire. Ainsi, je suis mû par la réflexion, l’analyse et de plus en plus par l’action dont l’objectif est de contribuer à mettre avec ma modeste part, à la disposition de la cardiologie, des organisations, des structures et des outils de réflexion pouvant l’aider à répondre à sa mission profonde qui est de bien soigner et pour cela d’être formé.
Quels sont les défis à relever pour la cardiologie libérale en général et pour le CNCF en particulier ?
Comme dit plus avant, les défis sont importants et ne sont pas propres à la cardiologie libérale et ces défis ont été pour partie exposés plus avant. Les vrais défis en fait sont généraux et sont immenses et majeurs, quasi-existensiels.
Le premier défi majeur est de bien comprendre les fondements de la science car seule la science permet d’approcher la vérité, ou tout au moins d’approcher de l’image la plus proche de la réalité. Lorsqu’on constate l’ampleur de ce qui est dénommé désinformation, et l’épidémie de COVID-19 en a été l’exemple, de même que la campagne présidentielle américaine en est un autre exemple qui rappelle les sombres années du début du XXe siècle au centre de l’Europe, on ne peut qu’être inquiet pour la maintenance d’un haut niveau d’esprit scientifique et critique
Je ne sais pas comment lutter contre cela, mais je préfèrerai toujours un livre d’analyse d’un problème et une action réfléchie et coordonnée plutôt qu’une information lapidaire véhiculée sur un réseau social dont la légitimité de celui qui l’a produite ne tient qu’à sa visibilité et sa diffusion par une manipulation par des algorithmes à visée commerciale ou politique.
La nécessité de comprendre les fondements de la science et de la réflexion commune, avec ses contre-pouvoirs, rend aussi compte qu’un des plus grands défis à venir est d’éviter un potentiel basculement des démocraties vers des régimes autoritaires, claniques et xénophobes, toutes valeurs opposées à la médecine.
Le deuxième défi est environnemental et sociétal : de toute évidence la transition climatique, le poids de la dette, le coût de la santé, notamment le coût de l’innovation, qu’elle soit diagnostique ou thérapeutique, rendent compte des difficultés auxquelles vont être exposés nos sociétés et nos systèmes de soins. Il va falloir réfléchir à comment faire mieux avec moins, toujours mieux soigner et au moindre coût écologique mais avec moins de moyens et en faisant attention aux fausses bonnes idées. Les petits pas du SNC et du CNCF mis en commun formeront peut-être des petits ruisseaux qui aideront à avancer vers des solutions efficaces.
Une idée par exemple : il a été postulé qu’un médecin hospitalier devait avoir trois fonctions, la recherche, le soin et l’enseignement. Depuis, une nouvelle fonction s’est ajoutée, le management d’équipes et de projets avec leurs lourdeurs administratives et chacune de ces fonctions peut occuper à elle seule tout le temps de travail d’un médecin. De même, le cardiologue libéral doit être formé à la science cardiologique, à l’utilisation d’outils techniques perfectionnés mais aussi à la gestion saine d’un cabinet, au management d’une équipe et de projets, à l’analyse de l’évolution de son environnement et de sa pratique.
En un mot, le soin n’est pas et n’est plus l’alpha et l’oméga de la profession de cardiologue. Alors pourquoi, la seule fonction qui est valorisée et rémunérée est-elle le soin ? Et pourquoi le reste doit être appris et fait sur le temps qui reste ? Ne faut-il pas changer de modèle si l’on veut que le cardiologue adapte sa pratique vers « mieux soigner avec moins de moyens » ?
Je pense que ce ne sont pas les contraintes et les injonctions qui permettront d’avancer efficacement dans cette voie, mais la compréhension des enjeux et donc la formation, et probablement la prise en compte du temps passé à celles-ci au-delà du soin qui pourraient être une clef d’une évolution favorable.
La réflexion globale doit être faite de petits pas mais aussi parfois doit conduire à promouvoir des changements de modèles.
Quel est votre projet pour le CNCF et quelles seront vos priorités ?
On l’aura compris, la priorité c’est analyser et s’adapter.