Comment prévenir les accidents de relais des anticoagulants en péri-opératoire?

288 – Malheureusement, la période péri-opératoire d’interventions non cardiaques est l’occasion d’une déstabilisation supplémentaire de cet équilibre précaire, devenant alors une cause fréquente de plaintes judiciaires, avec des indemnisations souvent supérieures à 150.000 €. Il convient donc de s’interroger sur les circonstances favorisantes de ces accidents et d’avancer des mesures susceptibles d’en limiter la fréquence et la gravité.

Origines et caractéristiques des accidents péri-opératoires

La crainte d’une hémorragie cataclysmique sous anticoagulants et de son risque corollaire de contamination virale par transfusion a ostensiblement influencé le comportement des médecins. Cette crainte leur a fait également oublier un principe pourtant simple de l’activation réactionnelle de la coagulation consécutive à tout geste invasif. On a ainsi assisté à des stratégies d’arrêts systématiques d’anticoagulants même pour des chirurgies peu invasives ou des reprises soit timides, soit trop tardives de l’anticoagulation.

Bien que la cardiologie soit une spécialité bien codifiée, force est de constater que la gestion des anticoagulants en péri-opératoire est bien pauvre en études prospectives randomisées. Les stratégies en cours reposent encore assez souvent sur des pratiques ancestrales guidées uniquement par l’intuition de nos pères ! Grâce à l’arrivée de nouvelles molécules, on peut se réjouir d’assister aujourd’hui à une remise en question de ces pratiques et à l’élaboration de stratégies innovantes.

Contrairement aux idées reçues, les accidents liés aux anticoagulants en péri-opératoire sont plutôt thrombo-emboliques (à type d’accidents vasculaires cérébraux) qu’hémorragiques.

Sur le plan chronologique, il est bien rare d’être confronté à ces accidents thromboemboliques en pré-opératoire, probablement parce que le patient bénéficie de l’effet résiduel de l’anticoagulant arrêté quelques jours avant l’intervention. L’accident survient en général dans les jours suivant l’intervention, voire même assez souvent après le retour à domicile.

Si un certain nombre d’accidents semblent inéluctables, on constate qu’une majorité résulte surtout d’une coordination insuffisante entre les différents acteurs médicaux.

Responsabilités en fonction des spécialités

Les chirurgiens et les anesthésistes _ Par une mauvaise connaissance des exigences thérapeutiques des pathologies cardiologiques sous jacentes (et l’absence de consultation cardiologique), ils sont très fréquemment mis en cause pour des schémas d’anticoagulation inadaptés. Ã cela s’ajoute dans certaines structures, une mauvaise coordination des praticiens, où chacun attend de l’autre la gestion de l’anticoagulant et la rédaction de l’ordonnance de sortie. De façon récurrente, des patients sortent sans relais héparinique ou avec une HBPM à dose préventive jusqu’à obtention d’un INR correct, ou même sans aucun anticoagulant du tout !

Par exemple, un ophtalmologue a été condamné pour avoir différé une date opératoire (alors qu’il était grippé), sans demander à sa patiente de reprendre son traitement anticoagulant qui avait déjà été interrompu depuis trois jours, entraînant un AVC massif.

Les généralistes _ Ils interviennent généralement au décours du geste chirurgical. La proximité du geste les fait hésiter sur l’intensité ou même la reprise des anticoagulants. Lorsqu’ils sont face à une prescription hospitalière incohérente, il peut leur être reproché de ne pas reprendre contact avec le chirurgien ou l’anesthésiste pour obtenir une explication et réajuster le traitement.

Les cardiologues _ Lorsqu’un patient est victime d’une hémorragie postopératoire, la responsabilité du cardiologue peut être recherchée sur l’indication même de l’anticoagulation au long cours. Mais c’est habituellement le protocole proposé qui fait l’objet de réclamations : durée de l’interruption des AVK, type de substitution (doses, molécules), monitorage de l’anticoagulation.

En cas d’accidents lors d’une utilisation d’HBPM, les avocats des plaignants (n’ayant que le dictionnaire VIDAL comme source médicale !) basent souvent leurs critiques sur l’absence indiscutable d’autorisation de mise sur le marché de ces molécules dans ces indications. Malheureusement, il n’est pas rare qu’ils aient l’écoute des experts non cardiologues ou d’experts cardiologues déconnectés de la pratique médicale courante! Il existe cependant un certain nombre de recommandations nord-américaines reconnaissant leur utilisation. En l’absence de recommandations françaises, il convient donc d’être particulièrement prudent en respectant scrupuleusement les règles de prescriptions. Ainsi, il est préférable de les utiliser, à dose curative, en deux injections quotidiennes (permettant un meilleur contrôle), plutôt que les HBPM de longue durée. Chez les sujets âgés, insuffisants rénaux, obèses ou cachectiques, les HBPM sont d’utilisation très délicate et nécessitent habituellement une évaluation de l’activité anti-Xa. Chez les patients à haut risque thrombotique (valves mécaniques en position mitrale, en fibrillation, ou antécédents d’accidents cérébraux), il est sans doute préférable d’adopter une stratégie traditionnelle avec, idéalement, un relais complet en hospitalisation.

L’expérience prouve que la majorité des accidents thrombo-emboliques sous HBPM ont eu lieu en raison d’une mauvaise utilisation (dose préventive, une injection, dose inadaptée au poids, absence de contrôle de l’activité anti-Xa chez des personnes à risque).

Mesures préventives cardiologiques _ 1. Exiger une consultation à distance

Pour se prononcer, les cardiologues doivent d’abord connaître la nature et l’importance du geste envisagé. En tenant compte de la pathologie cardiologique sousjacente, ils doivent sensibiliser à la fois le patient et le chirurgien aux risques inhérents aux modifications de l’anticoagulation durant cette période. Dans certaines situations (chirurgie de cataracte, soins dentaires ou dermatologiques), ils peuvent suggérer au chirurgien d’intervenir sans interruption ou avec une réduction transitoire des anticoagulants.

Informés de cette donnée, le chirurgien et son patient choisiront ou non de maintenir l’indication opératoire.

2. Evaluer les risques thrombo-emboliques et hémorragiques de la pathologie cardiovasculaire et de l’intervention

En effet, le niveau d’anticoagulation et l’exigence d’une substitution ne seront pas les mêmes pour un patient ayant présenté une fibrillation auriculaire réduite, que pour un porteur de valve mécanique mitrale. Cela conditionne également le choix de la molécule d’héparine retenue et son mode d’administration (discontinue ou seringue électrique). Il ne faut pas oublier non plus le risque thrombo-embolique veineux propre à chaque chirurgie.

3. Définition et diffusion d’un protocole précis

En se basant sur les recommandations des sociétés savantes, celui-ci doit fixer l’INR cible, les règles du relais (avec superposition des anticoagulants jusqu’à obtention de l’INR correct) et les modalités de surveillance. Celui-ci doit idéalement être diffusé à tous les praticiens en charge du patient et expliqué au patient, pour qu’il sache vers qui il doit s’orienter à chaque étape.

En conclusion, par l’évaluation du risque thrombo-embolique lié à la maladie et une connaissance accrue des anticoagulants, les cardiologues ont donc un rôle important dans l’organisation de la gestion des anticoagulants en péri-opératoire. Outre l’information sur les risques liés à l’interruption transitoire du traitement, il est nécessaire qu’ils établissent les modalités pratiques de cette phase de transition délicate, qui dans la pratique n’est pas gérée par eux mais par leurs confrères chirurgiens, anesthésistes et généralistes.

Cédric Gaultier

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