Défaut d’information : un motif de condamnation en cardiologie ?

315 – Information aux patients : une obligation légale Cela est d’abord une obligation ordinale, puisque le code de déontologie (article 35) rappelle que « le médecin doit à la personne… une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il propose ».

D’une jurisprudence croissante est née la loi « Kouchner » (2002), qui précise dans l’article L1111-2 : « en cas de litige, il appartient au professionnel… d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé…Cette preuve peut être rapportée par tout moyen ».

L’information doit être délivrée aux patients et/ou à leurs représentants légaux : parents, tuteurs ou à la personne de confiance.

Contenu de l’information

En cas d’accident, les patients ou leurs conseils (avocats, médecins de recours) se focalisent trop souvent sur l’information des risques liés aux explorations et aux traitements. Alors que pour être complète et loyale, l’information doit aussi porter sur les risques spontanés de la maladie en cas de refus des soins proposés. S’il est souvent difficile d’évoquer ce risque iatrogène, celui-ci est plus facile à faire comprendre et à faire accepter si le risque de la maladie expose à une réduction des fonctions physiologiques ou engageant le pronostic vital à court ou moyen terme, comme cela est le cas souvent en cardiologie.

Les textes attendent des médecins qu’ils informent sur les « risques fréquents et/ou graves ». Bref, il faut presque informer de tout !

Traçabilité de l’information

Dans la mesure où c’est aux médecins de prouver qu’ils ont informé leurs patients, il convient de réfléchir sur les moyens que chacun veut utiliser pour satisfaire à cette obligation.

L’erreur à ne pas commettre est de se bagarrer pour faire signer des documents d’information, sans accompagnement.

La meilleure façon de prévenir les plaintes consiste à avoir un dialogue riche et loyal avec ses patients, concernant les risques potentiels des gestes invasifs envisagés. Il est assez illusoire de vouloir faire apprendre la liste des complications d’une technique au cours d’une consultation. En revanche, il faut être capable de sensibiliser le patient sur un niveau de gravité d’une exploration ou un traitement. Il faut éviter de vouloir banaliser l’acte. Il est préférable d’avancer graduellement en expliquant l’ensemble des étapes de sécurité nécessaire à la réalisation de l’acte. Ainsi, en expliquant d’abord qu’il doit être hospitalisé, puis doit subir un prélèvement biologique, puis voir un anesthésiste, permet d’aborder les différentes complications possibles, en apportant les explications sur les différentes mesures de prévention, ce qui permettra de le rassurer.

La richesse du dialogue avec le patient constitue probablement le meilleur moyen de prévention des plaintes. Malgré cette réciprocité, il ne faut pas oublier que le patient peut décéder ou se trouver dans l’impossibilité de s’exprimer du fait de sa complication. Dépourvu du témoignage sincère de son patient, le médecin se retrouvera seul, confronté à une famille quérulente. Souvent pour ne pas inquiéter leur entourage, les patients ont tendance à taire les discussions qu’ils ont pu avoir avec leur médecin, voir même à garder secret l’organisation d’actes invasifs ou d’hospitalisations. Ces cas de figures permettent de comprendre le bien-fondé d’une démarche systématique de traçabilité.

C’est un faisceau d’arguments qui permettra de faire retenir une présomption d’information.

La première étape est de donner, dans la mesure du possible, un délai de réflexion avant la réalisation de l’acte, quitte éventuellement à consacrer une consultation dédiée à l’information. Ensuite, il faut retranscrire sur le dossier médical tous les éléments d’information qui ont été spécifiés durant les consultations : « explications données sur les risques durant la consultation » ou « remise du document d’information de la SFC » et relever les faits qui témoignent d’une prise en compte des risques spécifiques par le patient : « anxieux », « veut réfléchir », « venu avec une liste de questions, ou un magazine santé ou une page internet ».

Ces éléments peuvent néanmoins être contestés par le plaignant et son statut de victime jouera en défaveur du médecin.

Il est donc préférable d’utiliser des moyens moins contestables. La rédaction d’un courrier au correspondant généraliste ou au praticien qui doit effectuer l’acte invasif, mentionnant l’information des risques (avec des détails) est un bon moyen. La signature du document spécifique d’information de la SFC offre la meilleure des garanties de traçabilité, faisant office d’ « accusé de réception ». Cette signature a évidement peu de sens si le patient ne sait pas lire et qu’il n’est pas accompagné d’une personne susceptible de lui faire la lecture et la traduction (étrangers).

Conséquence d’un défaut d’information en cardiologie

Si le défaut d’information est repris comme un refrain par les avocats dans presque tous les dossiers en responsabilité médicale, il ne débouche pas automatiquement à une condamnation. Il est d’ailleurs assez surprenant de se souvenir que, dans l’affaire étant à l’origine d’un premier arrêt de la Cour de Cassation (25 février 1997) qui impose désormais au médecin de prouver qu’il a informé son patient, le plaignant a finalement été débouté de sa demande d’indemnisation pour défaut d’information (perforation lors d’une polypectomie). Même si le défaut d’information était patent, la Cour de Cassation (20 juin 2000) estimait « qu’informé du risque de perforation M. Hédreul (dont le père était mort d’un cancer du côlon et qui souhaitait se débarrasser de troubles intestinaux pénibles et de craintes pour l’avenir) n’aurait refusé ni l’examen ni l’exérèse du polype, de sorte qu’il ne justifiait d’aucun préjudice indemnisable » !

Ainsi, il faut comprendre qu’à chaque fois qu’un patient n’a pas été informé d’un accident occasionné par un acte médical, le tribunal cherchera à comprendre quels étaient le risque évolutif de la maladie sous jacente, la pertinence de l’acte proposé, la gravité et la fréquence de la complication, mais aussi s’il existe des alternatives acceptables à l’acte proposé. Les juges seront également attentifs à la personnalité de la victime. C’est en étudiant ces différents paramètres, qu’ils détermineront la perte de chance du patient à se soustraire à l’acte proposé, s’il avait reçu l’information adéquate.

Tous les actes invasifs de cardiologie peuvent faire l’objet de réclamations pour défaut d’information. C’est bien entendu la situation clinique qui permettra de déterminer la perte de chance. Si on prend l’exemple d’un accident en rapport avec une coronarographie, les alternatives ne sont pas les mêmes si l’examen a lieu pour un syndrome coronarien aigu ou pour le bilan d’une douleur atypique. Ã la phase aiguë, l’absence d’alternative à l’acte et l’urgence absolue, rendent caduque les demandes d’indemnisations pour défaut d’information. Dans le cadre d’un bilan de douleur atypique, c’est finalement la discussion sur le bien fondé de l’indication plus que le problème de l’information qui peut engager la responsabilité du praticien. Car si la douleur est atypique, mais que le patient rassemble plusieurs facteurs de risque et qu’un test invasif est positif, le refus de l’examen prive le patient et le cardiologue de la possibilité de confirmer la pathologie coronarienne et des perspectives de revascularisation. Même en cas de refus d’une éventuelle revascularisation avant même la coronarographie, l’absence de confirmation de la maladie rendrait malaisée l’instauration à l’aveugle d’un traitement médicamenteux en raison de son potentiel iatrogène, d’autant plus qu’il sera poursuivi pendant des décennies.

Face à un trouble conductif patent, il reste peu de places à une éventuelle revendication d’une perte de chance de pouvoir se soustraire à l’implantation d’un pace-maker.

Conclusion

Outre l’humanisme que l’on attend de lui, le cardiologue a une obligation d’information vis-à-vis de ses patients et doit veiller à assurer une traçabilité de sa délivrance.

En raison de la gravité des maladies sousjacentes, l’information du patient ne devrait pas poser de difficultés au cardiologue qui dispose de suffisamment d’arguments pour convaincre ses patients du bien-fondé des actes qu’il propose. Le défaut d’information occasionne une perte de chance modérée de pouvoir éviter l’acte et donc des indemnisations souvent partielles. Pour autant, lorsque les patients sont victimes d’accidents, l’absence d’information préalable à l’acte est ressentie comme une frustration supplémentaire qui devient alors un moteur pour se lancer dans une démarche contentieuse, préjudiciable pour tous.

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