Espérance de vie : le paradoxe français

362-363 – Catherine Sanfourche – Les Français ont une des espérances de vie à la naissance les plus élevées du monde mais font montre d’un pessimisme certain quant à leur espérance de vie en bonne santé.

 Il n’y a pas qu’au regard de la culture que la France constitue une exception. Dans le domaine de la santé publique, la France affiche aussi une particularité. Ainsi, l’Hexagone affiche une espérance de vie à la naissance parmi les plus élevées du monde, surtout chez les femmes : à 65 ans, avec un « reste à vivre » de 23,4 années, les Françaises ont la plus forte espérance de vie de l’Europe. En revanche, si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire en « l’absence de limitations ou d’incapacités majeures dues à un problème de santé », la France est loin des premières places du palmarès. Selon une récente étude d’Eurostat, l’espérance de vie en bonne santé des Français à 65 ans est de 9,9 ans pour les femmes et de 9,7 ans pour les hommes. Des chiffres, certes, supérieurs à la moyenne des 27 pays de l’Union européenne qui est de 8,6 ans pour les deux sexes, mais qui placent la France très loin derrière les pays nordiques (15,9 ans en Norvège, 15,2 ans en Suède, 13,7 ans en Islande et 13 ans au Danemark) mais aussi après la Suisse (12,8 ans), le Royaume-Uni (11,9 ans), le Luxembourg (11,8 ans), l’Irlande (11,1 ans) ou la Belgique (10,2 ans). La France devance cependant l’Allemagne (7,3 ans) et l’Italie (7 ans).

Mais quand l’espérance de vie à la naissance repose sur des données démographiques objectives, l’espérance de vie en bonne santé provient, elle, de données déclaratives obtenues par sondage auprès d’un échantillon d’Européens. Autant dire que les résultats doivent être pris avec circonspection. Ainsi, cette approche déclarative révèle une caractéristique commune à tous les pays européens : la perception de l’espérance de vie s’améliore au fur et à mesure que l’on vieillit et que l’on constate qu’on est, pour beaucoup, en bonne santé. A 50 ans, les Françaises se créditent de 19,5 années de vie en bonne santé – soit jusqu’à l’âge moyen de 69,5 ans – mais à 65 ans, elles estiment avoir encore 9,9 années à vivre en bonne santé, ce qui recule l’âge moyen à 74,9 ans.

Paradoxe

Le grand écart français

Quant à l’interprétation que l’on peut faire de ce grand écart français entre l’espérance de vie à la naissance et l’espérance de vie en bonne santé, elle est sans doute multiple. Le pessimisme des Français en est une : dans le classement issu de l’étude d’un universitaire anglais, Adrian White, qui a établi une carte mondiale du bonheur d’après cinq critères (santé, richesse, éducation, identité nationale et beauté des paysages), la France n’est pas dans le « top ten » où se trouvent par contre les pays nordiques, Danemark en tête. On peut aussi supposer que la pauvreté des politiques françaises de prévention renvoie nos concitoyens à une angoisse de la maladie et de la dépendance inéluctables.

 

Le cas des femmes

Si l’égalité est loin d’être acquise dans de nombreuses sphères de la vie sociale, dans celle de la santé, les femmes devancent les hommes ! Du moins en ce qui concerne leur espérance de vie, sensiblement plus élevée : en 2012, elle est de 84,8 ans (une des plus élevées d’Europe) contre 78,4 ans pour les hommes. D’une façon générale, les femmes ont des comportements plus favorables pour leur santé, des comportements plus tempérants et une plus grande proximité avec le système de soins. Quelques bémols sont cependant à apporter avec le rapprochement des comportements masculin et féminin dans de nombreux domaines. Certes, la consommation d’alcool à risque est deux à trois fois moins fréquente chez les femmes que chez les hommes et la proportion de fumeuses quotidiennes est également inférieure à celles de fumeurs quotidiens. Mais, tandis que la prévalence du tabagisme a été divisée par deux en 40 ans pour les hommes, elle est stable pour les femmes. Et si le taux de mortalité pour des pathologies liées au tabagisme diminue (- 20 %) pour les hommes, il augmente fortement pour les femmes (+ 100 %) depuis 1990. 

L’autre ombre au tableau de l’espérance de vie féminine réside dans le fait que les femmes vivent – certes plus longtemps – davantage d’années avec des incapacités et, circonstance aggravante, elles vivent fréquemment seules ces années pénibles.