États généraux un peu trop… généralistes : la confusion s’installe, le doute s’instille

« Si quelqu’un sait où nous allons, qu’il me le dise »… Commentaire (très) désabusé signé Dinorino Cabrera, président du SML et réputé pour sa fidélité inoxydable à l’esprit de réforme impulsé par Philippe Douste- Blazy en 2004-2005. Moins radical, Michel Chassang mesure ses propos mais pas ses inquiétudes quand il commente en termes polis mais fermes les conclusions attendues des Etats Généraux : « Certaines dispositions (…) reviendraient à enclencher un renversement profond du système de santé actuel en s’attaquant aux fondements de la médecine libérale ». Explicitement visées les mesures, pas très libérales en effet, consistant à étendre aux zones surdotées en médecins des clauses (alternatives au paiement à l’acte dans les fameuses « Maisons de santé ») exclusivement acceptables, à l’entendre, en zones sousmédicalises. Même si la ministre ne l’a pas explicitement reformulé dans son discours, la menace majeure apparaît, au yeux de la CSMF, de généraliser à l’ensemble du territoire les contrats individuels aujourd’hui prévus à l’arsenal législatif quand Michel Chassang, lui, voudrait les cantonner aux régions en déficit de médecins.

La menace est réelle. Du moins et à ce jour pour les généralistes, introduite, « dans son dos », par divers autres participants aux EGOS (États Généraux de l’Organisation de la Santé) : MG-France et la FMF avec le concours apparemment tacite du Conseil de l’Ordre. En termes plus triviaux, il y a « de l’eau dans le gaz » entre le Gouvernement et les syndicats qui ont porté la « réforme de la réforme-Juppé ». Et l’agenda de la rupture, mis en oeuvre par Nicolas Sarkozy, s’avère également anxiogène pour ceux qui se prévalaient encore d’être ses meilleurs alliés au lendemain de l’élection présidentielle.

Certains attendaient beaucoup, tandis que d’autres feignaient l’indifférence, de ces États Généraux préparés dans la coulisse par des réunions de « concertation » où l’essentiel était de tenir sa place. Pendant deux mois, cette élaboration a été caractérisée par deux particularités : _ 1. un ordre du jour carrément « flou », certes centré sur la médecine de premier recours mais paradoxalement interdit… aux spécialités cliniques et aux paramédicaux, exclus du premier tour des débats… Quand bien même la coordination entre tous ces acteurs était-elle affichée comme prioritaire. Dire que ces EGOS ont été « généralo-centrés » est un euphémisme ! Autre stigmate de cet ordre du jour à géométrie variable : on n’y a même pas parlé des dépassements tarifaires sur lesquels Nicolas Sarkozy attendait des propositions fermes ; _ 2. une participation soigneusement choisie, placée sous le signe de la diversité – consommateurs et élus locaux – et de l’ « ouverture »… aux opposants de la Convention de 2004. Et comme cela était largement prévisible, dans ces conditions, les EGOS ont donc empiété sur le terrain conventionnel, « démonétisant » au passage les modestes avantages que la Convention avait consenti, par l’avenant n° 20, aux vocations désireuses de s’exprimer dans les déserts médicaux.

De fait, c’est bien, en fin de compte, la capacité de la négociation contractuelle – et des partenaires sociaux qui la conduisent – à apporter des réponses fiables et pérennes aux difficultés du système de santé qui a été mise à mal par ces États Généraux un peu trop généralistes. Sous les applaudissements des formations qui soutenaient cet argument depuis des années et qui avaient, sur cette analyse, tricoté leur succès électoral en 2006 dans les urnes des URML.

FMF, MG-France et Espace Généraliste peuvent savourer leur triomphe rétrospectif mais se retrouvent simultanément confrontés à un problème de « passage à l’acte ». Ces trois formations d’ex-contestataires ont signé en fin d’année passée un avenant de circonstance – sur l’indemnisation de la permanence des soins des samedi et ponts fériés – dont il semble bien que la jurisprudence les transforme en… signataires de plein droit de l’ensemble de la convention ! Avec place réservée à la table des prochaines négociations qui doivent traiter de la maîtrise, du C à 23 €, de la CCAM des actes cliniques ou du secteur promotionnel. Quelques « plats de résistance » en fait dont on a déjà compris qu’ils n’étaient pas forcément à leur goût. Le Dr Cabrera les presse de se déterminer… mais sans convaincre. Les anciens réfractaires se contentent, pour l’heure, de savourer la cour que leur fait un gouvernement qui aimerait bien les voir prendre place sur la photo conventionnelle.

En temps normal, on dit que l’immobilisme profite aux structures en place, mais il n’est pas sûr cette fois que le Gouvernement puisse s’en accommoder longtemps car il a besoin de résultats tangibles au plan économique. Et la maîtrise des dépenses de santé y participe. Or on a l’impression d’une sorte de face à face d’ex-belligérants aussi peu prompts l’un que l’autre à signer un prochain armistice et que le Gouvernement attend le lendemain des élections municipales pour siffler la fin de partie.

« Drôle de guerre » disaient les soldats de 1940, « Drôle de paix » peuvent se dire les syndicats de médecins en 2008. Ou plutôt « Veillée d’armes ». En tout cas, un authentique sentiment de « fin de cycle »…