FMC 436 – pathologies cardiovasculaires chez la femme

Particularités des pathologies cardiovasculaires et neurovasculaires chez la femme, aujourd’hui

Coordination : Frédéric Fossati (Lille)

Le Cardiologue n° 436 – Novembre 2020

Editorial – Les femmes, ces grandes oubliées des maladies cardiovasculaires…

Dr Frédéric Fossati – Lille

 

• Adapter la prévention cardiovasculaire à la population féminine en ciblant des périodes clés de leur vie (contraception, grossesse et ménopause) ;

• améliorer l’information des femmes concernant les particularités de leurs symptômes cardiovasculaires ;

• sensibiliser les médecins à la santé cardiovasculaire des femmes ;

• mettre en œuvre des modes de prise en charge spécialisée et transversale entre filières gynécologique et cardiologique en lien avec le médecin généraliste ;

• identifier les femmes à risque de maladies cardiovasculaires en leur proposant des prises adaptées en fonction de leur âge et les intégrer dans la mise en œuvre de programmes de recherche clinique en santé cardiovasculaire.

Tels étaient les objectifs que l’on pouvait retrouver dans le Livre Blanc de la Fédération Française de Cardiologie en 2014 en faveur d’une stratégie nationale de prévention, de recherche, de prise en charge et d’accompagnement des personnes touchées ou menacées par une maladie cardiovasculaire.
Si le message semble être passé, beaucoup trop de femmes subissent encore le poids d’une succession de pertes de chance : retard au dépistage, retard au diagnostic devant des symptômes atypiques, prise en charge incomplète, non prise en compte du stress psychosocial parmi les facteurs de risque majeurs. La ménopause fait partie de ces phases de vie qui nécessite une attention particulière en raison du changement de leur statut hormonal et doit être le moment privilégié pour évaluer leur risque cardiovasculaire : c’est ainsi que l’idée d’un parcours pluri-professionnel de dépistage et de prise en charge dont les principaux éléments sont rappelés dans l’article du Pr C. Mounier-Vehier, a fait progressivement son chemin.
Dans le même ordre d’idée, l’accident ischémique transitoire (AIT) de la femme jeune représente souvent une difficulté diagnostique devant la diversité des symptômes parfois communs avec l’aura migraineuse, ce d’autant plus que la définition de l’AIT a évolué au cours de ces dernières années. Dès lors, le recours à l’IRM permet de trancher dans ces situations cliniques délicates. A côté des facteurs de risque classiques (tabac, hypercholestérolémie, HTA, diabète), d’autres méritent une attention particulière : le terrain migraineux, l’existence d’un foramen ovale perméable et le niveau d’imprégnation hormonale.
Enfin, les spécificités électrocardiographiques et les troubles rythmiques chez la femme, bien réels mais sous-estimés là encore, font l’objet d’une belle mise au point par Cl. Kouakam alors qu’il existe une abondante littérature à ce sujet…
Nous espérons que ce numéro spécial vous permettra de mieux appréhender les particularités des maladies cardiovasculaires de la femme.
Bonne lecture.

La consultation cardiovasculaire de la ménopause : développons les parcours cardio-gynécologiques !

Claire Mounier-Vehier. Lille – Geneviève Plu-Bureau. Paris

 

Les maladies cardiovasculaires ne sont plus aujourd’hui des maladies réservées aux hommes. avec plus de 75 000 décès par an en france, elles sont la première cause de mortalité chez les femmes, ce qui reste méconnu. [1] Elles les touchent de plus en plus jeunes, bien avant la ménopause. Les femmes meurent aussi 6 fois plus d’une maladie cardiovasculaire que d’un cancer du sein, même s’il ne faut pas opposer les 2 maladies. Les maladies cardiovasculaires de la femme sont aujourd’hui une urgence absolue, un combat sociétal (BEH, Santé publique France 2019). Or, 80 % des accidents cardiovasculaires sont évitables par une prévention active. Cette alerte épidémiologique s’explique par le mode de vie délétère des femmes et par leur méconnaissance des spécificités hormonales du risque cardiovasculaire (RCV), qui est sous-estimé et sous-traité.

 

Si la femme partage les facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV) traditionnels avec l’homme, leur fréquence et leur impact diffèrent selon le sexe. [2,3] Plus de 80 % des femmes ont au moins deux FRCV après 45 ans. [4] Certains facteurs de risque sont plus délétères chez la femme comme l’HTA, le tabac, le diabète, la sédentarité ou encore le stress psychosocial. Ils sont aussi moins bien contrôlés, comparativement aux hommes. [5] 

Les femmes sont aussi exposées à des facteurs de risque hormonaux (contraception, grossesse et ménopause) ou à des situations émergeantes à risque (migraine avec aura, endométriose, règles irrégulières, syndrome des ovaires polykystiques, insuffisance ovarienne prématurée, maladies auto-immunes…). [6]

A l’inverse, les mesures d’hygiène de vie (activité physique régulière, pas de tabac, alimentation saine, gestion du stress) sont extrêmement efficaces en prévention primaire et secondaire chez la femme. [7] Le gynécologue et le médecin généraliste ont un rôle clé, en soins primaires, dans le dépistage de ces femmes à risque, pour les adresser au cardiologue pour un bilan personnalisé. [8-10]

Il est nécessaire d’évaluer le plus précisément possible le risque CV d’une femme pour optimiser sa prise en charge préventive. Cela s’avère en pratique difficile car les scores de risque classiques (SCORE, Framingham…) ne tiennent pas compte des spécificités féminines, sous estimant le risque réel. [6] Jusqu’alors, seule la stratification américaine du RCV permettait une prise en charge plus ciblée du RCV chez la femme. [3]

Tout récemment, à l’initiative de la Société Française d’HTA, filiale de la Société Française de Cardiologie, un consensus d’experts Français (« HTA, hormones et femmes », téléchargeable sur le site sfhta et Agir pour le cœur de femmes), a réfléchi à une nouvelle stratification du RCV, adaptée aux Françaises (Méthode GRADE ; Accord Professionnel) (tableau 1). Cette stratification permet une évaluation semi quantitative du risque cardiovasculaire.

 

Tableau 1. Stratification spécifique du risque cardiovasculaire de la femme (Consensus HTA, hormones et femmes).

Catégorie de risque à 10 ans Critères

Risque CV élevé à très élevé

(au moins un des éléments suivants)

• Maladie coronaire ou cérébrovasculaire
• Artériopathie oblitérante des membres inférieurs ; artériopathie des artères rénales ou des artères digestives ; anévrysme de l’aorte abdominale

• Fibrillation atriale
• Plaque d’athérome significative documentée (sténose ≥ 50 % )
• Insuffisance rénale modérée (CKD-eDFG : 30-50 mL/min/1,73 m2) ou sévère (CKD-eDFG < 30 mL/min/1,73 m2); et/ou ratio albumine/créatinine urinaire > 30 mg/g
• Diabète, avec ou sans atteinte d’organe cible
• Hypercholestérolémie sévère familiale (> 310 mg/dl)
• HTA de grade 3 (PA ≥ 180/110 mmHg) ou avec hypertrophie ventriculaire gauche
• Risque cardiovasculaire selon le SCORE ≥ 5 %

Risque CV à préciser par un avis cardiovasculaire

(au moins un des éléments suivants)

Facteurs de risque majeurs

Tabagisme actif ou arrêt < 3 ans* +++
• HTA grade 1 ou 2 non traitée, ou traitée et non contrôlée
• Dyslipidémie traitée ou non traitée
• Antécédent familial de maladie cardiovasculaire au 1er degré < 55 ans chez l’homme et < 65 ans chez la femme
• Antécédent familial  d’AVC au 1er degré < 45 ans
• Obésité abdominale (circonférence abdominale ≥ 88 cm)

Autres facteurs ou situations à risque
dont certains spécifiques chez la femme**
• Antécédents d’HTA de la grossesse (HTA gravidique, pré-éclampsie, Hellp syndrome) et/ou de diabète gestationnel**
• Migraine avec aura**
• Ménopause (surtout si < 40 ans) **
• Syndrome métabolique
• Athérosclérose infraclinique (plaques d’athérome) de découverte fortuite non significative < 50 %
• Maladie systémique auto-immune
• Maladie inflammatoire chronique
• Sédentarité
• Désadaptation cardiovasculaire à l’effort
Risque CV faible à modéré • HTA grade 1 ou grade 2 traitée et contrôlée, sans autre facteur de risque cardiovasculaire
• Risque cardiovasculaire selon le SCORE < 5 %

Le tabagisme est le 1er facteur de risque majeur d’accident coronaire chez la femme de moins de 55 ans.

La femme est en situation optimale de santé CV si elle n’a aucun facteur ou situation à risque et une hygiène de vie parfaite.

* Mosca L, et al. Recommandations AHA sur le risque cardiovasculaire de la femme 2011 ; Buschnell et al. Recommandations AHA sur l’AVC de la femme 2014.
** Stratification du risque cardiovasculaire HAS 2017 ; Stratification du risque cardiovasculaire de l’hypertendu ESH/ESC 2018 ; Recommandations sur la prévention CV ESC 2016 ; Recommandations de la Société Endocrinienne sur la Ménopause 2015.

 

Son élaboration a tenu compte des recommandations de la Haute Autorité de Santé utilisant le score de risque SCORE ; [27] de la stratification du RCV de la femme de l’American Heart Association (AHA), [4] reprise récemment par Angela Maas en Europe ; [15] des recommandations sur la prévention cardiovasculaire de la Société Européenne de Cardiologie utilisant le score SCORE ; [6] de la réactualisation de la stratification ESC-ESH 2018 du RCV du patient hypertendu ; [25] et des données récentes sur les facteurs de risque émergents chez la femme. [3,15] La stratification française du risque CV féminin différencie bien les FRCV majeurs et les situations à risque émergeantes, spécifiques de la femme. [2,3,6,11] Elle doit permettre de guider le praticien dans la prise en charge CV de ses patientes. Elle l’aide aussi dans la prise de décision d’une prescription du traitement hormonal de la ménopause (THM), chez une femme symptomatique, âgée de moins de 60 ans dont la ménopause date de moins de 10 ans. [12,13]

A une époque où la prévention est devenue une priorité de santé publique, nous devons aussi nous impliquer dans le développement d’un maillage territorial de parcours coordonnés cardio-gynécologiques, [6,9,10] recommandé par la SFHTA dans son consensus. Une expérimentation se met en place dans les Hauts-de-France avec les Unions Régionales des Professionnels de Santé, l’Agence Régionale de Santé et le CHU de Lille pour valider la pertinence d’une consultation longue de dépistage du risque CV, en soins primaires, au moment de la ménopause, associée à une expertise cardiovasculaire ciblée chez la femme à risque indéterminé ou élevé. 

Il est aussi indispensable de diffuser au plus près des femmes les messages clés de prévention pour qu’elles puissent demander une consultation de dépistage, tout en étant plus vigilantes sur leurs symptômes d’alerte CV, souvent atypiques. C’est tout l’enjeu du nouveau fond de dotation « Agir pour le Cœur des Femmes » cofondé en 2020 par Claire Mounier-Véhier et Thierry Drilhon, chef d’entreprise et administrateur d’entreprises, qui ont associé leurs expertises médicales, scientifiques, économiques et sociétales pour relever le défi d’une prévention féminine au service de la cause des maladies cardiovasculaires (www.agirpourlecoeurdesfemmes.com). A vocation internationale, « Agir pour le Cœur des Femmes » mobilise l’ensemble des acteurs de la santé, les dirigeants d’entreprises et les acteurs de la vie civile sur l’importance de la médecine préventive, tout particulièrement pour les maladies cardiovasculaires chez les femmes. Cinq priorités stratégiques sont déployées autour des 3 A du Cœur « Alerter, Accompagner, Agir » :

Mener des campagnes de sensibilisation et d’information auprès du grand public pour aider les femmes de tout âge à acquérir dans la durée des réflexes de prévention avec une prise de conscience des symptômes et une capacité à s’alerter lorsque c’est nécessaire.

Intensifier l’information et la formation des professionnels de santé sur les pathologies liées au cœur et aux artères des femmes pour améliorer la prévention cardiovasculaire.

Développer un maillage territorial d’établissements de santé publics et privés mettant en œuvre le parcours de soins « Cœur, artères et femmes » associant cardiologues, gynécologues, obstétriciens, sages-femmes, médecins généralistes, pharmaciens et professionnels paramédicaux à l’image des Women Heart Centers développés aux Etats-Unis par l’American Heart Association.

Systématiser le dépistage et l’évaluation du risque CV aux 3 phases-clés hormonales de la vie des femmes : première contraception, grossesse et ménopause. Et tout particulièrement expérimenter une consultation de dépistage des facteurs de risque CV chez la femme de 50 ans avec le soutien des acteurs de la Santé Publique.

Stimuler et financer la recherche scientifique dédiée aux femmes, avec des équipes labellisées « Cœur de Femmes » pour prendre en compte les spécificités féminines dans les programmes de recherche, contribuant à une médecine du genre.

« Agir pour le Cœur des Femmes » compte sur la communauté des cardiologues pour inverser la tendance de cette alerte rouge CV des femmes, en partenariat avec les collèges et sociétés savantes. Agir sur le risque CV féminin n’est pas lié à un « effet de mode » ni le fait d’actions féministes. Il s’agit bien d’une grande cause médicale destinée à lutter plus efficacement contre les préjugés auxquels sont encore exposées les Françaises. Cette urgence épidémiologique n’est plus une fatalité. Nous devons continuer à œuvrer positivement, en mettant en commun nos savoir-faire, continuer à impliquer les femmes dans une prévention citoyenne et à les rendre actrices de « terrain ». La ménopause est une étape charnière de la prévention et du dépistage du risque CV, à ne pas négliger.

 

Références bibliographiques

 

[1] Aouba A, Eb M, Rey G, et al. Données sur la mortalité en France: principales causes de décès en 2008 et évolutions depuis 2000. Bull Epidémiol Hebd. 2011;22:249-55.
[2] Piepoli MF, Hoes AW, Agewall S, Albus C, Brotons C, Catapano AL, et al. 2016 European Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Euro Heart J. 2016; 37, 2315-81.
[3] Mosca L, Benjamin EJ, Berra K, Bezanson JL, Dolor RJ, Lloyd-Jones DM, et al. Effectiveness-Based Guidelines for the Prevention of Cardiovascular Disease in Women—2011 Update A Guideline From the American Heart Association. J Am Coll Cardiol. 2011;57(12):1404‑23.
[4] EUROASPIRE II Euro Heart Survey Programme. European Heart Journal 2001; 22: 554-72.
[5] Kotseva K, De Bacquer D, De Backer G, Rydén L, Jennings C, Gyberg V , et al, On Behalf Of The Euroaspire Investigators. Lifestyle and risk factor management in people at high risk of cardiovascular disease. Eur J Prev Cardiol. 2016; 23(18): 2007-18.
[6] Maas A.H.E.M. Manual of gynecardiology. Female-specific cardiology. Editions Springer. 2017.
[7] Yusuf S, et al. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet 2004; 364 (9438): 937-52.
[8] Maas AH, van der Schouw YT, Regitz-Zagrosek V et al. Red alert for women’s heart: the urgent need for more research and knowledge on cardiovascular disease in women. Eur Heart J. 2011; 32(11): 1362-8.
[9] Brown HL, Warner JJ, Gianos E, Gulati M, Hill AJ, Hollier LM, Rosen SE, Rosser ML, Wenger NK; American Heart Association and the American College of Obstetricians and Gynecologists. Promoting Risk Identification and Reduction of Cardiovascular Disease in Women Through Collaboration With Obstetricians and Gynecologists: A Presidential Advisory From the American Heart Association and the American College of Obstetricians and Gynecologists. Circulation. 2018 Jun 12; 137(24): e843-52.
[10] Collins P, Rosano G, Casey C et al. Management of cardiovascular risk in the peri-menopausal woman: a consensus statement of European cardiologists and gynaecologists. Eur Heart J. 2007;28(16):2028-40.
[11] Haute Autorité de Santé – prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte – has-sante.fr.
[12] 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Williams B, Mancia G, Spiering W, Agabiti Rosei E, Azizi M, Burnier M, Clement DL, Coca A, de Simone G, Dominiczak A, Kahan T, Mahfoud F, Redon J, Ruilope L, Zanchetti A, Kerins M, Kjeldsen SE, Kreutz R, Laurent S, Lip GYH, McManus R, Narkiewicz K, Ruschitzka F, Schmieder RE, Shlyakhto E, Tsioufis C, Aboyans V, Desormais I; ESC Scientific Document Group. Eur Heart J. 2018 Sep 1; 39(33): 3021-104.
[13] Baber RJ, Panay N, Fenton A; IMS Writing Group. 2016 IMS Recommendations on women’s midlife health and menopause hormone therapy. Climacteric. 2016 ; 19(2): 109-50.
[14] Haute Autorité de santé (HAS). Commission de la Transparence. Réévaluation des traitements hormonaux de la ménopause. Rapport d’évaluation du 28/5/2014. has-sante.fr.

Les points forts du consensus « HTA, Hormones et femmes »

Claire Mounier-Vehier. Lille – Geneviève Plu-Bureau. Paris

 

Voir le site de la société française d’hypertension artérielle

 

Les experts recommandent de dépister l’hypertension artérielle au moment de la ménopause, à chaque consultation médicale car celle-ci est une véritable porte d’entrée sur le risque cardiovasculaire féminin, en s’appuyant sur les mesures ambulatoires en dehors du cabinet médical.

a) il est recommandé de dépister systématiquement l’HTA chez la femme, à chaque consultation médicale et obligatoirement au moment de la prescription d’une contraception ou d’un traitement hormonal de ménopause (Grade B – Classe 1). L’HTA, en consultation, est définie par une pression artérielle ³ 140/90 mmHg ;

b) en cas d’HTA légère à modérée dépistée en consultation (PAS comprise entre 140 et 179 mmHg et/ou PAD comprise entre 90 et 109 mmHg), il est recommandé de confirmer l’HTA par des mesures en dehors du cabinet médical soit par automesure tensionnelle (AMT), soit par mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) sur 24 heures (Grade B – Classe 1).

 

Le 2e temps essentiel est de pouvoir stratifier le risque CV à la ménopause qui permettra d’orienter la femme vers le cardiologue pour préciser ou réévaluer le niveau de risque avec des implications thérapeutiques cardio-gynécologiques (voir tableau 1 texte précédent – La consultation cardiovasculaire de la ménopause) :

a) il est recommandé d’évaluer le niveau de risque cardiovasculaire en prenant en compte : la consommation de tabac, l’indice de masse corporelle, la circonférence abdominale, la présence d’un diabète, la glycémie à jeun, la présence d’une dyslipidémie (bilan d’exploration d’une anomalie lipidique), l’existence d’antécédents cardiovasculaires familiaux précoces, l’existence d’une altération de la fonction rénale (créatininémie avec évaluation du débit de filtration glomérulaire), la détection d’une protéinurie avec l’étude du ratio urinaire albumine/créatinine (Grade B – Classe 1) ; il est recommandé d’évaluer par l’interrogatoire la sédentarité et le stress psycho-social  (Grade C – Classe 1) ; 

b) il est recommandé de rechercher des antécédents personnels de migraines avec aura étant donné l’augmentation associée du risque d’accident vasculaire cérébral ischémique,  particulièrement majoré par l’utilisation de certains traitements hormonaux (Grade B – Classe 1) ;

c) il est recommandé de rechercher les antécédents d’HTA de la grossesse (HTA gravidique, pré-éclampsie, HELLP syndrome), de retard de croissance intra utérin, ou de diabète gestationnel (Grade B – Classe 1) ;

d) il est suggéré de dépister un syndrome d’apnée du sommeil devant des signes cliniques évocateurs à l’interrogatoire (Grade C – Classe 2) ;

e) il est recommandé de rechercher les symptômes suspects de la maladie coronaire de la femme (douleurs thoraciques de repos ou d’effort ; fatigabilité ou dyspnée à l’effort d’aggravation progressive ; signes digestifs tels que épigastralgies ou nausées ; palpitations de repos ou d’effort) devant conduire à un dépistage ciblé par le cardiologue (Grade C – Classe 1) ;

f) il est recommandé de dépister l’artériopathie des membres inférieurs, d’expression clinique fréquemment atypique chez la femme, par l’interrogatoire, la palpation des pouls périphériques, et la mesure de l’index de pression artérielle systolique à la cheville (IPS pathologique quand < 0,9 ou > 1,3). Une vigilance particulière sera portée aux femmes fumeuses ou diabétiques (Grade B – Classe 1).

 

Le 3e temps est d’évaluer la gêne occasionnée par la ménopause, ce d’autant que la gravité des symptômes climatériques est associée à un sur-risque métabolique et cardiovasculaire.

Le cardiologue doit se renseigner sur l’ancienneté de la ménopause (< ou non à 10 ans). Il doit dépister les symptômes climatériques et savoir discuter avec sa patiente de la balance bénéfice risque du THM, aujourd’hui prescrit uniquement par voie transdermique (tableau et figure ci-dessous). Le cardiologue doit pouvoir conseiller le gynécologue ou le médecin traitant de la « non contre-indication » du THM. Le cardiologue vérifiera que le suivi gynécologique est à jour, ceci dans une vraie chaine de prévention féminine cardio-gynécologique.

 

Tableau. Syndrome climatérique de la ménopause (Consensus HTA, hormones et femmes). Le SCM est défini par la présence d’un ou plusieurs symptômes cliniques suivants.

• Bouffées vasomotrices nocturnes et/ou diurnes
• Sueurs nocturnes et/ou diurnes
• Douleurs articulaires
• Troubles génito-urinaires
• Troubles de l’humeur : anxiété, dépression ou tendance dépressive, irritabilité, pertes d’attention, pertes de mémoire
• Troubles du sommeil
• Baisse de la libido
• Asthénie
• Frilosité

Recommandations IMS, Climacteric 2016 ; Recommandations Nice BMJ 2015 ;
Recommandations Endocrine Society. J clin endocrinol metabol 2015.

 

Figure. Algorithme d’aide à la prescription du traitement hormonal de ménopause (THM) chez la femme hypertendue avec symptômes climatériques, selon la catégorie de risque cardiovasculaire (CV). (Consensus HTA, hormones et femmes).

 

Le 4e temps est d’accompagner sa patiente dans le cercle vertueux de l’hygiène de vie préventive, pour renforcer l’efficacité de la prise en charge pharmacologique, et éviter l’escalade thérapeutique. Associer la femme dans cette démarche est indispensable dans l’alliance thérapeutique.

a) il est recommandé de proposer d’associer les mesures suivantes : un sevrage tabagique (Grade A – Classe 1) qui doit être aidé et suivi ; une alimentation pauvre en sel avec un objectif à 6 g/j de sel, riche en fibres, en légumes et acides gras polyinsaturés (Grade A – Classe 1) ; une limitation de la consommation d’alcool qui ne doit pas dépasser 1 unité/j (1 unité =125  ml de vin ou 250 ml de bière ou équivalent) avec moins de 8 unités par semaine et des journées sans consommation d’alcool (Grade A – Classe 1) ; en évitant le binge drinking (Grade C – Classe 3) ; une pratique régulière d’activité physique correspondant à 150 min/semaine à intensité modérée (respiration compatible avec une conversation) ou 75 min/semaine à intensité élevée (respiration incompatible avec une conversation) (Grade A – Classe 1) ; maintenir ou atteindre un IMC < 25 kg/m² (Grade A – Classe 1) ;

b) il est recommandé de rechercher et de prendre en compte les freins à la mise en œuvre des mesures d’amélioration de l’hygiène de vie, parmi lesquels on peut citer le statut socio-économique défavorisé, l’isolement, le stress au travail et la dépression (Accord professionnel).

Le parcours de soins cardio-gynécologique a une place légitime pour améliorer et agir concrètement sur la santé globale de la femme hypertendue au moment de cette période charnière de la ménopause. Au-delà du soin, ces parcours coordonnés permettent d’améliorer et d’harmoniser les pratiques professionnelles en partageant des savoir-faire, en s’appuyant sur des dossiers médicaux partagés et sur des courriers dédiés, prenant en compte les antécédents gynéco-obstétricaux. Tenir compte des spécificités hormonales du risque cardiovasculaire, savoir prescrire à bon escient les traitements hormonaux, optimiser le contrôle des facteurs de risque classiques chez la femme ménopausée sont des gages d’une prévention efficace. Ces parcours de soins permettent aussi de remettre certaines femmes, en particulier les précaires, dans un suivi structuré gynécologique.

Accident ischémique transitoire chez la femme jeune : difficultés diagnostiques et facteurs de risque spécifiques

Marie Girot. Lille

 

Un accident ischémique transitoire (ait) est une urgence vasculaire au même titre qu’un accident ischémique constitué avec un déficit neurologique patent. La prise en charge doit être donc immédiate et réalisée en milieu spécialisé. Le but en est de confirmer le diagnostic, d’en préciser l’étiologie et de mettre en route le plus rapidement possible le traitement afin de diminuer le risque d’infarctus cérébral de 80 %. [1]

 

Malheureusement, on estime qu’entre 30 et 40 % des patients avec des déficits neurologiques mineurs ou régressifs sont pris en charge dans un délai supérieur à 24 heures quel que soit le sexe, ce retard étant significativement augmenté pour les femmes et les patientes jeunes sans profil vasculaire préexistant. [2,3,4,5,6] Il n’est donc pas exceptionnel que ce diagnostic soit évoqué à distance en consultation par le médecin traitant et le bilan débuté en ambulatoire avec l’aide d’un cardiologue. L’enjeu pour les patientes jeunes en âge de procréer est évident : ne pas méconnaitre le diagnostic en banalisant les signes fugaces et atypiques et a contrario ne pas porter par excès un diagnostic qui aura des conséquences thérapeutiques et psychologiques lourdes.

Le diagnostic d’AIT est difficile du fait de la diversité des symptômes et des diagnostics différentiels, de son caractère souvent rétrospectif et de la difficulté d’accès à l’IRM cérébrale, examen de référence pour s’affranchir de toute trace d’ischémie, y compris chez les patients asymptomatiques. Cette difficulté diagnostique n’est certes pas spécifique au genre mais, là aussi, elle est plus prégnante chez la femme du fait de la plus grande fréquence des signes atypiques et des diagnostics différentiels au premier rang desquels on trouve l’aura migraineuse. Difficulté d’autant plus grande que parmi les facteurs de risque spécifiques dans cette tranche d’âge, il y a, outre le terrain hormonal, la même maladie migraineuse dans sa forme avec aura.

 

Données épidémiologiques

L’incidence des AIT est difficile à préciser du fait des difficultés diagnostiques, de la variabilité des critères utilisés et de l’absence d’études épidémiologiques qui leur soient spécifiquement consacrées. On estime qu’environ 40 000 personnes présentent en France un AIT chaque année avec un âge médian de 66 ans. [7] Mais qu’en est-il de la population de moins de 50 ans, âge en deçà duquel on peut retenir le diagnostic d’événement neurovasculaire chez un sujet jeune ?

Nous avons uniquement à notre disposition les chiffres d’incidence des infarctus cérébraux retrouvés dans le registre d’Helsinki [8] qui a analysé plus de 1 000 infarctus cérébraux (IC) chez des sujets de moins de 50 ans : il montre que le risque absolu est faible avant 40 ans mais l’incidence est plus élevée chez la jeune femme de moins de 30 ans, les périodes à risque étant liées à l’influence hormonale : introduction de la contraception et grossesse.

 

Figure 1. Incidence annuelle / 100 000 habitants d’infarctus cérébral chez les hommes et les femmes de moins de 50 ans[8]

 

L’AIT, un diagnostic difficile

Un problème de définition 

La définition de l’AIT a évolué au cours des dernières années, notamment en raison du développement de l’IRM cérébrale comme technique d’évaluation de référence. La définition initiale, épidémiologique, qui reposait sur la résolution des symptômes en moins de 24 heures ne correspondait pas à la réalité physiopathologique. Un AIT se définit désormais comme un épisode bref de dysfonction neurologique due à une ischémie focale cérébrale ou rétinienne, dont les symptômes cliniques durent moins d’une heure, sans preuve d’infarctus. [9] Lorsqu’il y a la trace d’un infarctus en IRM, on parle d’accident ischémique mineur ; la prise en charge reste la même, mais le risque de récidive à court terme est plus important.[1]

L’IRM est l’examen le plus sensible pour dépister une lésion ischémique, y compris chez les patients dont la symptomatologie a régressé. En effet, jusqu’à 50 % des patients avec des signes transitoires ont des traces visibles d’ischémie sur les séquences dédiées.[1] L’IRM est particulièrement utile quand les signes neurologiques sont atypiques et font évoquer un AIT sans conviction clinique ; a contrario l’IRM va rassurer le clinicien si devant des signes focaux prolongés (> 1heure) aucune lésion n’est détectée (figure 2).

 

Figure 2. IRM. Séquence de diffusion mettant en évidence de petites lésions ischémiques corticales dans le territoire de l’artère cérébrale moyenne droite.

 

Quels sont les signes cliniques évocateurs d’un AIT ?

Les signes transitoires évocateurs d’un AIT cérébral ou rétinien sont rapportés dans le tableau 1 avec leur degré de probabilité. [1] Lorsqu’ils sont focaux et typiques, le diagnostic reste aisé pour le clinicien qui évoque d’emblée un AIT ; en revanche, quand il s’agit de signes neurologiques atypiques, non focaux ou isolés, il est plus difficile de trancher et on parle volontiers d’AIT possible, voire peu probable. Ces signes sont moins fréquemment en lien avec des lésions ischémiques mais on ne peut l’exclure. Des études récentes soulignent qu’une proportion non négligeable (23 %) d’AIT possibles ou peu probables peuvent avoir des lésions en IRM.[10,11]

On estime que près d’un tiers des AIT/ AIC mineur ne sont pas correctement diagnostiqués que ce soit par excès ou par défaut.[12,13] La faible concordance diagnostique entre médecins témoigne de cette difficulté .[14] Le recours à l’IRM est nécessaire au moindre doute car elle aide souvent à trancher notamment dans les cas d’AIT possibles ou peu probables.[14]

 

Tableau 1. Symptômes évocateurs d’AIT.

 

AIT CERTAIN• Déficit neurologique focal ou rétinien durant de quelques secondes à quelques minutes mais habituellement résolutif < 1heure
• Déficit moteur unilatéral  touchant la face et/ou les membres
• Déficit sensitif unilatéral  touchant la face et/ou les membres
• Déficit visuel a type d’hémianopsie latérale homonyme ou cécité monoculaire
• Troubles du langage : aphasie ou dysarthrie
AIT POSSIBLE*• Instabilité, trouble de l’équilibre
• Diplopie
• Vertige
• Dysphagie
AIT PEU PROBABLE**• Amnésie
• Confusion
• Incoordination des membres
• Déficit sensitif partiel (sensation anormale ou déficit ne touchant qu’un membre ou uniquement la face)
• Déficit visuel inhabituel (déficit visuel bilatéral isolé ou phénomène visuel positif bilatéral)
• Troubles de la conscience transitoire
• Céphalées
• Phosphènes, phénomènes visuels positifs, hallucinations visuelles complexes

* Quand deux de ces symptômes sont associés ils sont évocateurs d’AIT probable, quand ils sont isolés, ils sont évocateurs d’AIT possible.
**Symptômes isolés atypiques ou symptômes non focaux ou possiblement focaux mais dont le mode d’installation, la topographie et l’évolution des signes restent atypiques (diagnostic différentiel aura migraineuse ou manifestation épileptique).

 

Spécificité chez la femme

Elles consultent moins fréquemment que les hommes aux urgences quand elles ont des signes neurologiques focaux évocateurs d’AVC et cet écart est encore plus marqué pour les AIT comme le montrent Ramirez et al dans leur étude ayant porté sur plus de 2 400 patients (figure 3)[15]

 

Figure 3. Taux de réponse adaptée selon le genre aux différents signes évocateurs d’accident vasculaire cérébral et d’AIT.

En ce qui concerne la présentation clinique, les données de la littérature sont pauvres et contradictoires. Ainsi dans leur étude prospective menée chez plus de 450 patients des deux sexes, Lisabeth et al [3] relatent une fréquence plus élevée de signes atypiques tels qu’une désorientation ou une confusion chez la femme alors qu’une autre étude [4] ne retrouve pas de différence significative entre les deux sexes en termes de présentation clinique, la majorité des patients décrivant à la fois des signes focaux et non focaux. En revanche, dans cette dernière étude [4] les femmes ont moins de lésions visibles à l’IRM, se voient porter plus fréquemment un autre diagnostic que celui d’AIT. Cependant dans la mesure où le risque de récurrence à 3 mois est identique à celui des hommes, l’on peut supposer que le fait d’être une femme expose à un risque plus élevé d’erreur diagnostique et à une tendance à banaliser les signes surtout quand l’imagerie est rassurante.

 

Un piège diagnostique chez la femme jeune : l’aura migraineuse

Chez la femme jeune, le principal écueil de la prise en charge de l’AIT est la migraine avec aura (MA) qui est à la fois un diagnostic différentiel et un facteur de risque témoignant d’une vulnérabilité vasculaire. On estime qu’environ 1,8 % des alertes « thrombolyse » concernent des patients chez qui le diagnostic final sera celui de MA. [17] La prévalence de la MA dans la population générale est de 3-6 % avec un sex-ratio en faveur des femmes (3F/2H). [18] Dans 90 % des cas, cette pathologie débute avant 40 ans mais un début tardif après 45 ans est possible en particulier pour les auras visuelles isolées.

Les critères diagnostiques cliniques de l’aura sont détaillés dans la classification ICHD-3 [19] (tableau 2). L’aura la plus fréquente est visuelle, caractérisée par des symptômes positifs comme des taches, lignes, points lumineux, brillants (scotome scintillant). Les manifestations visuelles purement déficitaires ne sont cependant pas exceptionnelles, à type de vision floue ou d’amputation du champ visuel. Il peut y avoir des auras sensitives là aussi avec classiquement des phénomènes positifs à type de fourmillements, picotements au niveau du bras, de la bouche voire de la langue, des auras phasiques avec un authentique manque du mot qui mime un AIT. Les 3 types d’aura peuvent s’enchainer mais chacune d’elles doit durer moins d’une heure. Ce diagnostic peut être validé au deuxième épisode selon ICHD-3.

 

Tableau 2. Critères diagnostiques ICHD-3 de la migraine avec aura.

A Au moins 2 crises répondant aux critères B et C
B Aura comprenant des troubles visuels, sensitifs et/ou de la parole ou du langage, tous entièrement réversibles, mais pas de symptôme moteur, basilaire ou rétinien
C

Au moins 3 des 6 caractéristiques :

• Au moins un symptôme de l’aura se développe progressivement en > 5 minutes

• Deux ou plusieurs symptômes de l’aura surviennent successivement

• Chaque symptôme de l’aura dure 5-60 minutes

• Au moins un symptôme de l’aura est unilatéral

• Au moins un symptôme est positif

• L’aura est accompagnée ou suivie dans les 60 minutes par une céphalée

D N’est pas mieux expliqué par un autre diagnostic de l’ICHD-3 et un AIT a été exclu

ICHD : international classification of headache disorders

 

La céphalée s’installe le plus souvent lors de la disparition des troubles neurologiques ou après un intervalle libre qui ne dépasse pas une heure.

Une présentation clinique particulière mérite d’être citée : celle de l’aura sans céphalée associée [19] ; il s’agit d’un diagnostic d’exception à valider par une expertise neurologique. Par ailleurs il faut rappeler que la survenue d’une première crise de migraine avec aura n‘est pas exceptionnelle pendant la grossesse, une période où la femme connaît un risque plus élevé de complications vasculaires. [20] Une imagerie cérébrale doit être réalisée au moindre doute clinique (premier épisode ou aura prolongée). Dans le tableau 3 sont répertoriés les « drapeaux rouges » cliniques justifiant une expertise neurologique.

 

Tableau 3. Drapeaux rouges devant patiente suspecte d’aura migraineuse.

• Aura prolongée > 60 minutes
• 1er épisode d’aura
• Installation brutale
• Installation de manière concomitante de plusieurs signes focaux
• Absence de céphalée
• Survenue à un âge tardif (> 40 ans) sans terrain migraineux identifié à l’interrogatoire

 

Les facteurs de risque vasculaire (FRV) chez la femme jeune

En l’absence de données spécifiques aux AIT, nous devons nous référer aux données concernant les infarctus cérébraux du sujet jeune (IC). [8] Les femmes présentent moins souvent des FRV classiques même si leur fréquence est plus élevée que celle constatée dans la population du même âge indemne de complications neuro-vasculaires. Dans la littérature, on retient habituellement après un IC du sujet jeune [21] les chiffres de prévalence de 4-11 % pour l’HTA, de 12-21 % pour l’hypercholestérolémie, de 4-7 % pour le diabète, de 5-16 % pour le tabagisme et de 4-9 % pour l’obésité. Le fait qu’une majorité des patientes n’aient pas de FRV induit probablement un biais de prise en charge en sous estimant la probabilité de faire une ischémie cérébrale. Signalons que le score à valeur pronostique (évaluation du risque de récidive) type ABCD2 [22] qui a été validé sur des populations plus âgées avec FRV est peu applicable à l’échelle individuelle chez le sujet jeune.

Parmi les FRV moins documentés dans les études ou les situations spécifiques à la femme jeune, méritent attention : le terrain migraineux, la présence d’un foramen ovale et l’imprégnation hormonale.

La maladie migraineuse avec aura est un facteur de risque indépendant d’infarctus cérébral, d’angor et d’infarctus du myocarde. [23]

En effet, une patiente migraineuse avec aura a un risque multiplié par deux de faire un infarctus cérébral ; ce risque est multiplié par 10 quand s’y associe une contraception par œstroprogestatif (COP) et par 30 quand s’y ajoute un tabagisme actif. [24] Les études épidémiologiques confirment cette vulnérabilité accrue sur le plan vasculaire avec la découverte plus fréquente d’anomalies de la substance blanche ou d’infarctus cérébraux. [23,24]

Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont complexes et multifactoriels : dysfonction endothéliale, prédisposition génétique, influence hormonale et hypercoagulabilité. Ces patientes doivent donc éviter de cumuler les FRV. Il convient donc de conseiller un mode de vie sain, de dépister une HTA qu’elles sont plus à même de développer [26] et de contre-indiquer la COP.

Concernant l’influence hormonale, si la COP expose la femme à un risque absolu faible (incidence à 4/100 000hab/an) le risque relatif est multiplié par 4 pour une pilule OP fortement dosée et multiplié par 2 pour les faiblement dosées en œstrogènes. [27] La période du troisième trimestre de la grossesse et les 6 premières semaines du post-partum exposent la femme à un sur-risque d’infarctus cérébral (X3-9), bien que le risque absolu là aussi reste faible. [28]

Dans la cohorte [8] d’AIC du sujet jeune, il semble que la découverte d’un foramen ovale perméable (FOP) soit plus fréquente chez les femmes que chez les hommes. La présence d’un FOP est considérée comme un FRV (OR = 2,9) dans les infarctus cryptogéniques des patients de moins de 55 ans. Les recommandations de la Société Française de NeuroVasculaire sur la base des résultats de 6 essais randomisés préconisent la fermeture des FOP « à risque » chez ces patients. Quid des patients ayant fait un AIT ? Ils n’ont pas été inclus dans ces études ; il n’est donc pas recommandé aujourd’hui de leur proposer une fermeture du FOP, mais au cas par cas l’analyse du terrain et de l’imputabilité du FOP dans la survenue de l’événement peut amener neurologue et cardiologue à la discuter (tableau 4).

 

Tableau 4. Discussion entre neurologue et cardiologue selon les analyses dans la survenue des événements.

Critères cliniques • AIT certain ou très probable
• Datant de moins de 6 mois
• Chez patiente < 60 ans
+ éléments à prendre en compte dans la réflexion • Terrain compatible
• Peu de FRV et absence d’autres étiologies (investigations exhaustives)
• IRM : Pas de leucopathie (pas de terrain vasculaire) ; Séquelles d’infarctus silencieux de topographie corticales
Critères morphologiques
FOP à « haut risque »
• FOP + ASIA
• FOP avec shunt ou ouverture importantes

 

Conclusion

Parce que les données épidémiologiques récentes sont en faveur d’une augmentation de la proportion des infarctus cérébraux chez les sujets jeunes, il apparaît urgent de mieux comprendre l’importance et la spécificité des FRV spécifiques aux femmes, souvent grandes oubliées des études cliniques et thérapeutiques. Devant une suspicion d’AIT, leurs parcours de soins est semé d’embûches : recours moindre à l’urgence, plus grande fréquence des signes atypiques et des diagnostics différentiels. Une grande vigilance doit être accordée à l’évaluation d’une patiente migraineuse avec aura, cette pathologie témoignant d’une vulnérabilité vasculaire. Au terme du bilan d’AIT, les deux étiologies spécifiques les plus fréquentes sont les dissections cervicales (20 %) et les causes cardio-emboliques (15 %). Néanmoins il ne faut pas perdre de vue que le bilan étiologique sera négatif dans près de 40 % des cas et devra être renouvelé au moindre doute clinique avec une vigilance toute particulière pour dépister les FRV.

 

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Spécificités de l’électrocardiogramme et des troubles du rythme chez la femme

Claude Kouakam. Lille

 

Les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas uniquement liées au formatage par les stéréotypes de genre. Quelques spécificités électrocardiographiques existent mais sont sous-estimées, notamment au niveau des paramètres traduisant la phase de la repolarisation ventriculaire. Elles sont importantes à connaitre car elles peuvent poser des problèmes diagnostiques avec des pathologies cardiaques à risque. On sait également que les femmes et les hommes diffèrent devant la survenue de plusieurs types d’arythmies cardiaques. Ainsi, la prévalence de la fibrillation atriale ou du syndrome de Brugada est plus élevée chez les hommes, tandis que les femmes sont plus susceptibles de développer des torsades de pointe.

 

Ces différences pourraient n’être que le reflet de l’existence de disparités entre les sexes au niveau de l’activité électrique cardiaque normale. Plusieurs études cliniques et expérimentales ont ainsi permis d’émettre l’hypothèse que les androgènes pourraient contribuer à expliquer les spécificités observées au niveau des paramètres de repolarisation ventriculaire de la femme. Toutefois, leur influence sur les autres paramètres électrocardiographiques a, à ce jour, été peu investiguée.

 

1. Electrocardiogramme de repos et d’effort

Qui aurait pu croire que l’électrocardiogramme (ECG), inventé par Augustus Waller au XVIIIe siècle et transposé en clinique par Willem Einthoven qui reçut le prix Nobel de médecine en 1924 demeurerait un siècle plus tard un instrument incontournable de la médecine ? Que ce soit une douleur thoracique évocatrice d’un angor ou d’un infarctus, une dyspnée ou des palpitations, l’ECG reste bien souvent le premier examen réalisé après l’interrogatoire et l’examen clinique.

Certaines singularités existent au niveau des paramètres de l’ECG de la femme par rapport à celui de l’homme et doivent être prises en compte pour sa bonne interprétation.

 

Electrocardiogramme de repos

Intervalle QT et QT corrigé en fonction de la fréquence cardiaque (QTc)

C’est Bazett qui, dès 1920, a été le premier à décrire que la fréquence cardiaque était plus élevée et le QT plus long chez la femme. [1] De nombreuses études sont venues confirmer ces différences par la suite, et ont permis d’en identifier d’autres qui pour la plupart ne concernent que la phase de repolarisation ventriculaire. [2-4] Le QT est fréquence-dépendante car, au cours d’une accélération du rythme cardiaque, dépolarisation et repolarisation sont plus rapides afin d’augmenter leur efficacité propre, conséquence de quoi l’intervalle QT diminue pour des fréquences croissantes. Ainsi, pour une fréquence cardiaque ramenée à 60 cycles/min, sa valeur normale est ≤ à 440 ms chez l’homme et ≤ à 450 ms chez la femme. Son allongement peut être congénital, acquis, ou sporadique.

La différence du QTc humain (~10 ms) n’est pas présente à la naissance ou durant l’enfance, et apparait à la puberté, au moment où les taux d’hormones sexuelles augmentent significativement (figure 1). [5-7] Il a donc été avancé que l’influence des stéroïdes sexuels (testostérone, œstrogène et progestérone) pourraient contribuer à expliquer les différences observées au niveau de la repolarisation ventriculaire entre les femmes et les hommes.

 

Figure 1. Distribution de la fréquence cardiaque, de l’intervalle QT et QT corrigé en fonction de l’âge et du sexe (en rouge les femmes et en bleu les hommes). D’après Rautaharju PM et al.[7]

 

Un QTc > 460 ms chez l’homme, et > 470 ms chez la femme est considéré comme pathologique et doit faire évoquer un syndrome du QT long. [8,9] Des valeurs comprises entre 440-460 ms chez l’homme et 450-470 ms chez la femme doivent être considérées comme « borderline ».

Le syndrome du QT long touche essentiellement le sujet jeune. Sa prévalence selon les études varie entre 1/2 000 et 1/5 000 individu. Une prédominance féminine est observée dans toutes les études de grandes cohortes, environ 2/3 des patients présentant un QT long sont des femmes. [9] Les causes de cette inégalité sont peu connues. Les femmes auraient une réserve de repolarisation moins importante que les hommes, elles disposent de moins de potassium dans la cellule retardant ainsi la repolarisation. Une composante hormonale est également avancée puisqu’avant la puberté on ne constate pas de différence entre les intervalles QT des deux sexes. [2,7,10]

 

Autres spécificités de la repolarisation féminine (associée à une repolarisation précoce)

Une variante normale de la repolarisation caractérisée par un sus-décalage du segment ST < 1 mm et des ondes T amples (≤ 13 mm) dans les dérivations précordiales (en particulier V2), est décrite chez environ 20 % des femmes de tout âge. Le point J est légèrement ascensionné (< 1 mm) et le segment ST modérément ascendant (figure 2). [11,13]

 

Figure 2. Variante de repolarisation sur l’ECG féminin.

Source : e-cardiogram.com

 

D’autres particularités distinguent la repolarisation féminine de la repolarisation masculine : l’angle entre le segment ST et l’onde T est moins aigu (< 20°), la forme de l’onde T semble différente entre les deux sexes (la première moitié de l’onde T a une pente plus aiguë chez l’homme tandis que la deuxième moitié de l’onde T [terminal T wave interval] est plus courte chez la femme, ce qui témoigne d’une plus faible dispersion transmurale de la repolarisation ventriculaire). [14,15] 

En revanche, il existe peu de données en ce qui concerne les différences sexuelles dans les durées de l’onde P, de l’intervalle PR ou du QRS,[16-18] et ces données semblent parfois contradictoires.

 

Electrocardiogramme d’effort

La maladie coronarienne, première cause de mortalité dans le monde occidental, se manifeste souvent par de l’angine de poitrine (respectivement premier et deuxième mode de présentation clinique chez la femme et chez l’homme) avec une incidence annuelle de 2 % dans la population générale. 

Toutefois, la symptomatologie chez les femmes est trompeuse. Les symptômes de l’infarctus sont plus volontiers atypiques. Nausée, céphalée ou douleurs dans le dos peuvent remplacer la classique « douleur en étau dans la poitrine irradiant vers la mâchoire ou le bras gauche ». Devant l’importance de l’angor d’effort comme symptôme d’alerte de la maladie coronarienne, l’épreuve d’effort s’est imposée et demeure un examen de choix. Il fournit des informations aussi bien diagnostiques que pronostiques. Les critères de positivité se basent essentiellement sur les modifications de l’ECG et les symptômes à l’effort. 

Le sous-décalage de type descendant ou horizontal du segment ST est la plus fréquente des modifications ECG (80-90 %), et c’est sur lui que sont basées la plupart des études et recommandations pour évaluer les performances diagnostiques du test. On le considère comme discriminant lorsqu’il est ≥ 1 mm de 0,06 à 0,08 secondes après le point J. [19] Sa valeur prédictive augmente avec l’importance du sous-décalage du segment ST.

La littérature accorde au test d’effort standard, lorsqu’il est maximal et que les critères de positivité ECG sont remplis, une spécificité de 77 % et une sensibilité de 72 % chez les hommes. Chez les femmes, la sensibilité et la spécificité se révèlent sensiblement inférieures (61 % et 70 %, respectivement).[20,21] Ceci correspond à un rapport de vraisemblance de 3 chez les hommes et 2 chez les femmes. L’influence d’une plus grande dispersion de l’intervalle QT à l’effort, [22] associée à l’impact de l’activité hormonale et du traitement hormonal substitutif est avancée pour expliquer ces différences. [23]

 

2. Troubles du rythme

Il existe une abondante littérature et un consensus d’experts récent sur les différences entre femmes et hommes vis-à-vis des arythmies. [24-27] De telles différences étaient déjà bien connues pour l’incidence et la prise en charge de la cardiopathie ischémique. L’influence significative du sexe sur la présentation clinique, l’épidémiologie, la physiopathologie, la nature même et la fréquence de nombreux troubles du rythme sont dorénavant bien admises, mais les données sont cependant parfois contradictoires. Le sexe peut également influer sur leur prise en charge, les résultats et les risques liés au traitement, mais pour ce dernier point les différences s’estompent progressivement avec le temps. [27]

Les mécanismes à l’origine de ces différences sont très peu compris mais plusieurs hypothèses ont été avancées. Les différences hormonales (estrogènes, testostérone), sociales, culturelles, génétiques, et morphologiques (taille) pourraient expliquer les différences liées au sexe. [25-27] Les disparités homme-femme observées dans les paramètres ECG [2-4] sont également susceptibles d’affecter l’apparition des diverses arythmies cardiaques et pourraient ainsi contribuer à expliquer ces différences, de même que le rôle du système nerveux autonome, [25,28] ou les deux.

 

Différences électrophysiologiques au niveau de l’activité électrique cardiaque

Les propriétés électrophysiologiques intrinsèques des cellules cardiaques semblent différentes entre les femmes et les hommes que ce soit au niveau des myocytes auriculaires et ventriculaires, que du tissu nodal (figure 3). [27] Les femmes ont une plus grande automaticité du nœud sinusal, avec une durée du cycle sinusal plus courte (fréquence cardiaque plus rapide) et un temps de récupération sinusale corrigé plus court. Leur vitesse de conduction est également différente au niveau du nœud auriculo-ventriculaire (NAV), comme en témoignent des intervalles PR et AH, une période réfractaire effective du NAV et une durée du cycle de Wenckebach plus courte que ceux des hommes. L’intervalle HV et la durée du QRS sont aussi plus courts chez les femmes. Ces différences fonctionnelles du NAV et du His-Purkinje persistent après blocage autonomique. Le mécanisme exact des différences sexuelles dans la conduction AV est inconnu.

 

Figure 3. Différences des propriétés électrophysiologiques cardiaques entre hommes (M) et femmes (F).

– AH : intervalle AH (ms) ;
– ERP : période réfractaire effective (ms) ;
– HV : intervalle HV (ms) ;
– QRSD : durée QRS (ms) ;
– QTc : intervalle QT corrigé (ms) ;
– PWD : durée de l’onde P (ms) ;
– SLC : cycle sinusal (ms) ;
– SNRT : temps de récupération sinusal (ms) ;
– WCL : cycle de Wenckebach (ms).

D’après Linde C et al. [27]

 

Les différences sexuelles en électrophysiologie auriculaire sont moins nettes. Les données humaines sont incohérentes et les études sur les animaux sont rares. Les hommes semblent avoir une durée de l’onde P et une période réfractaire plus longues. Les différences entre sexes dans les paramètres de la repolarisation ventriculaire sont celles qui ont été le plus largement étudiées. Comme nous l’avons déjà souligné, les femmes ont un intervalle QT et QT corrigé (QTc) plus long, indépendamment de la modulation du système nerveux autonome, et une durée de période réfractaire effective ventriculaire également plus longue que les hommes.

 

Cœur de femme et arythmie : quelles spécificités ?

Les tachycardies sinusales inappropriées sont plus fréquentes chez les femmes qui ont une fréquence cardiaque plus élevée au repos (3-5 bpm), et un plus faible niveau d’exercice.

Les femmes et les hommes diffèrent également devant la survenue de plusieurs types d’arythmies cardiaques. Ainsi la prévalence de la fibrillation atriale, celle du syndrome de Brugada ou du syndrome de Wolff-Parkinson-White (présence de voie accessoire de conduction auriculo-ventriculaire) sont plus élevées chez l’homme, tandis que les femmes sont plus susceptibles de développer des torsades de pointe (on rappelle qu’environ 2/3 des patients présentant un QT long sont de sexe féminin), et 2 fois plus de tachycardies jonctionnelles par réentrée intra-nodale que les hommes (figure 4). [24-27]

 

Figure 4. Différences entre hommes (M) et femmes (F)
dans la susceptibilité aux arythmies supraventriculaires.

– Accessory pathway : voie accessoire ;
– AF : fibrillation atriale ;
– AT : tachycardie atriale ;
– AVNRT : tachycardie par réentrée intra-nodale ;
– AVRT : tachycardie par rythme réciproque ;
– Pulmonary veins : veines pulmonaires.

D’après Linde C et al. [27]

 

De même, certains types de tachycardies ventriculaires en salves (repetitive monomorphic ventricular tachycardia des auteurs anglo-saxons), surviennent en majorité chez des femmes de 20 à 40 ans. Elles se présentent sous la forme d’une extrasystolie ventriculaire monomorphe, infundibulaire droite (plus rarement gauche) avec des salves non soutenues (parfois soutenues) incessantes. [29] De prédominance diurne, la dépendance adrénergique est souvent démontrée. Décrite par Gallavardin pour la première fois en 1920, elle est probablement due à un mécanisme d’automaticité déclenchée utilisant l’AMP cyclique comme médiateur, et associée à une hypersensibilité aux catécholamines. A l’ECG, l’arythmie présente dans la majorité des cas un aspect de retard gauche avec axe vertical, traduisant une origine infundibulaire droite (figure 5). [29] 

 

Figure 5. Extrasystoles et salves de tachycardie ventriculaire non soutenue sur cœur sain, d’origine infundibulaire droite, enregistrées chez une jeune femme de 32 ans qui consulte pour lipothymies et palpitations.

 

Le pronostic est bénin, l’abstention est de mise en l’absence de tout symptôme. Les bêtabloquants s’avèrent souvent efficaces, de même que le vérapamil. Dans les formes très symptomatiques et réfractaires au traitement pharmacologique, une ablation par radiofréquence peut être proposée. [30] Bien que la majorité des ESV proviennent du ventricule droit, certaines naissent de l’infundibulum du ventricule gauche ou au niveau des sinus de Valsalva ; l’aspect morphologique de l’arythmie est alors différent, avec un aspect de retard droit ou intermédiaire en V1 et V2.

Les facteurs déclencheurs de ces tachycardies ventriculaires idiopathiques et des torsades de pointes semblent spécifiques au sexe dans le sens où les changements hormonaux jouent un rôle important dans leurs survenues chez la femme (figure 6). [25,31] Il en est de même des tachycardies supraventriculaires dont la périodicité, plus fréquente dans la phase lutéale, varie avec le cycle menstruel et semble inversement corrélée aux niveaux d’œstrogène.

 

Figure 6. Variations électrophysiologiques lors du cycle ovarien féminin et susceptibilité aux arythmies. 

– APD : durée du potentiel d’action ;
– IK+ : courant potassique rectifiant entrant ;
– SVT : tachycardie supra-ventriculaire ;
– Ventricular EP : électrophysiologie ventriculaire. 

 

La mort subite cardiaque est moins fréquente chez les femmes à tout âge et survient en moyenne dix ans plus tard que chez les hommes, [32] ce qui est également le cas pour tous les autres types d’arythmies (figure 7). Cette différence peut être liée à l’apparition plus tardive de la maladie coronarienne chez la femme, et explique sans doute l’utilisation moins fréquente du défibrillateur automatique implantable et de la resynchronisation cardiaque même si les différences se corrigent avec le temps. [27] 

 

Figure 7. Nombre de prises en charge pour troubles du rythme ou de la conduction cardiaque pour 1 000 femmes par tranche d’âge par l’Assurance-maladie en France en 2017.

Source ameli.fr

 

En effet, les femmes semblent moins souvent bénéficier de ce type de traitement, alors qu’elles peuvent en tirer bénéfice au moins autant, sinon plus que les hommes. L’étude MADIT-CRT avait ainsi démontré qu’en plus de l’étiologie non-ischémique de la cardiopathie, du caractère typiquement gauche du bloc de branche et d’une largeur de QRS de plus de 150 ms, le sexe féminin était un paramètre indépendant prédicteur d’une réponse positive à la resynchronisation bi-ventriculaire. [33] 

 

Arythmie et grossesse

La grossesse peut aggraver des troubles du rythme préexistants ou provoquer de novo une arythmie. En effet, la grossesse est associée à une tachycardie sinusale d’environ 10 battements supplémentaires par minute, avec pour conséquence un raccourcissement des périodes réfractaires et une accélération des vitesses de conduction.

De plus pendant la grossesse, il y a une augmentation de près de 50 % du volume sanguin, et donc du volume télédiastolique. D’une façon générale, la grossesse est associée à une augmentation des catécholamines circulantes et les arythmies observées sont souvent bénignes et préexistantes, de type catécholergique, supraventriculaires, rarement ventriculaires.

Les bradycardies sont rares car la grossesse provoque une tachycardie sinusale. Les troubles conductifs organiques sont exceptionnels chez la femme jeune. En général, les troubles conductifs congénitaux sont détectés avant la grossesse et traités. En revanche, les malaises vagaux sont fréquents et aggravés par la grossesse, car il y a une diminution de la pression artérielle.

 

3. Conclusion

Les spécificités de l’électrocardiogramme de la femme concernent principalement les paramètres de la repolarisation ventriculaire. Les torsades de pointe et les tachycardies ventriculaires idiopathiques sont également plus fréquentes chez la femme. L’influence des stéroïdes sexuels est avancée. La mort subite est moins fréquente à tout âge et survient en moyenne dix ans plus tard que chez les hommes. Les différences de prise en charge des arythmies avec les hommes tendent à s’estomper.

 

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