Infections nosocomiales en cardiologie

285 – La jurisprudence

Une infection est considérée comme « nosocomiale » si elle apparaît après un délai de 48 heures après l’admission. De cette définition simpliste, les tribunaux ont alors lourdement et arbitrairement condamnés « in solidum » praticiens et établissements de soins, en instaurant le principe de l’obligation de sécurité-résultat, alors que seules 30 % des infections sont évitables. Il a fallu de nombreuses batailles d’experts pour faire évoluer la jurisprudence et enfin aboutir à un texte de loi plus juste pour les médecins. En effet, la loi Kouchner (2002) fait désormais uniquement reposer la responsabilité sur les établissements. En revanche, celle des praticiens est engagée s’ils ont commis une faute (asepsie, antibioprophylaxie…), ce que ne manquent pas de rechercher activement les établissements qui souhaitent partager la facture ! Par ailleurs, il est fait obligation à chaque établissement de disposer d’un Comité de Lutte contre les Infections Nosocomiales (CLIN), mais aussi de signaler les infections nosocomiales à la DDASS.

Situations cardiologiques à risque et mesures préventives

L’implantation de pacemakers est de loin l’activité cardiologique la plus risquée en fréquence (taux d’infection allant de 0,13 à 19 %) avec une mortalité élevée (13 à 33 % dans les endocardites). Cela s’explique possiblement par le recours à une incision plus large et le positionnement extra-vasculaire du matériel prothétique (boîtier), réduisant l’efficacité des défenses immunitaires et la pénétration des antibiotiques. L’âge avancé des populations concernées et les hématomes fréquents chez les patients sous anticoagulants (AC/FA) sont autant de facteurs aggravants. S’apparentant à une activité chirurgicale, les étapes de la préparation cutanée sont analysées méticuleusement en expertise : douche antiseptique (veille et matin de l’intervention), rasage proscrit, tonte réalisée le matin même et non pas la veille (si elle est choisie, car elle n’est pas obligatoire), choix de l’antiseptique et ses modalités d’application. Même en l’absence d’étude randomisée, le principe d’une antibioprophylaxie est acquis par la communauté cardiologique, elle doit donc être prescrite (par écrit). Bien entendu, l’usage unique est la règle dans la très grande majorité des cas. Sur le plan juridique, il est impératif de pouvoir prouver que les moyens de lutte ont bien été mis en jeu. La rédaction de protocoles précis (datés, signés) constitue une aide précieuse, répartissant les tâches de chaque intervenant (médecins, anesthésistes, infirmières, aides-soignants). Un feuillet pré-imprimé, inclus dans le dossier patient, peut lister chaque étape (cochée et signée par chaque intervenant) ; il offre ainsi une garantie complémentaire contre les plaintes.

Les praticiens doivent être particulièrement vigilants dans les situations de gestion de complications (tamponnade, repositionnement, extériorisation…). En effet, en période d’urgence ou de stress, l’expérience montre que l’antibioprophylaxie ou la préparation cutanée peuvent être oubliées ou non mentionnées sur le dossier, alors que le risque infectieux est plus important.

En raison d’un loisir (chasse, golf…), certains patients sont réticents à une implantation du boîtier du même coté que leur bras dominant. Il est alors important de rester ferme lorsque l’on considère qu’il existe un risque médical particulier à satisfaire ce choix (infectieux, anatomique…). En effet, un cardiologue s’est vu poursuivi pour avoir accepté de réimplanter en homolatéral (chez un chasseur) un boîtier qui s’extériorisait, aboutissant à un choc septique fatal sur endocardite.

Concernant les interventions coronariennes, les infections de stents sont anecdotiques (cinq cas rapportés !). En revanche, le risque concerne plutôt le point de ponction, et essentiellement l’abord fémoral. Il convient d’appliquer les mêmes règles de préparation cutanée que celles des pacemakers. Si les systèmes de fermeture percutanée offrent une réduction du risque d’hématome, ils augmentent de façon corollaire le risque infectieux (1,9 %), probablement par le positionnement extra-vasculaire de matériel et sa communication avec l’extérieur par un pertuis. Il convient donc de tenir compte du rapport bénéfices/risques lors de son utilisation et de renforcer toutes les mesures d’asepsie.

Bien qu’il ne soit pas possible d’établir de statistiques, un certain nombre de contaminations de prothèses de hanche a été relevé au décours d’infection de point de ponction, invitant à la prudence chez ces patients, notamment sur le choix de la voie d’abord et sur l’emploi de fermeture percutanée. Au cas par cas, outre une asepsie renforcée, il peut se discuter une antibioprophylaxie surtout chez les patients diabétiques et/ou poly-artériels.

Exceptionnellement, les échographistes peuvent être mis en cause à l’occasion d’échographies oesophagiennes (médiastinite par perforation oesophagienne). Avant de conclure à un accident aléatoire, l’expert analyse l’expérience de l’opérateur, les difficultés de l’examen et si une pathologie oesophagienne a bien été éliminée avant l’examen. La responsabilité du praticien sera écartée après vérification de la qualité de l’information (dont les consignes de surveillance permettant un dépistage précoce) et de la gestion de la complication.

Concernant la prophylaxie des endocardites, il existe un partage de responsabilité entre le cardiologue et le praticien responsable de l’acte contaminant (dentiste, gastro-entérologue…). Le premier doit au patient un devoir de conseil, alors que le second doit vérifier l’absence de notion de cardiopathie à risque. Pour limiter le risque d’oubli, il convient de systématiser l’information du patient requérant une prophylaxie, à chaque fois que l’occasion le suggère : découverte de la valvulopathie, échographie, après remplacement valvulaire… Une affiche dans la salle d’attente, la remise de brochures et de la carte de prophylaxie de la Fédération Française de Cardiologie seront autant de moyens à utiliser, sans oublier de mettre une annotation dans l’observation et un courrier au médecin traitant (traçabilité). Les prescriptions d’antibiotiques se feront conformément à la dernière conférence de consensus de 2002 (www.infectiologie.com). Quel que soit le contexte, il est important d’évoquer avec le patient le risque infectieux de tout acte instrumental et de lui préciser toutes les mesures prises pour le prévenir (hygiène, désinfection cutanée, antibiotiques…). Outre l’importance juridique de remplir son devoir d’information, une explication de ce risque permet surtout une pédagogie sur l’infection qui est le plus souvent endogène (donc liée au patient lui-même !), et que les moyens de lutte ne sont jamais efficaces à 100 % (résistance des germes).

En conclusion, l’infection nosocomiale est rare en cardiologie, mais ses conséquences sont en revanche dramatiques, donc coûteuses en cas d’indemnisation. L’objectif est donc d’établir des protocoles de prévention des infections nosocomiales, en s’assurant parallèlement de la parfaite traçabilité des mesures effectuées chez le patient, puis d’identifier les personnes à haut risque d’infection, pour dépister l’infection le plus précocement. L’information du patient permet au médecin de remplir son obligation légale, tout en faisant mieux comprendre au patient la physiopathologie des infections nosocomiales et donc probablement de réduire le risque de plaintes intempestives.

I N F O F L A S H

|Un cardiologue vient d’être condamné pour ne pas avoir déclenché une enquête familiale après la découverte d’un QT long congénital. Cela a privé le frère de son patient d’un traitement par bêtabloquant, qui aurait permis d’éviter une syncope dont il décèdera. Le médecin se doit de convaincre son patient, porteur d’une maladie héréditaire, d’avertir les membres de sa famille, afin qu’ils consultent. Il doit être capable de prouver la délivrance de ce conseil (dossier, courrier au médecin traitant). En revanche, le médecin ne peut en aucun cas s’adresser directement à ces personnes. Si le patient dépisté ne souhaite pas avertir lui-même les personnes potentiellement atteintes, une nouvelle disposition législative permettra de proposer de façon anonyme une consultation à ces personnes (loi du 6 août 2004).|