La CsC qui valait trois millions : histoire de l’erreur d’une caisse

327 – Tout commence par une erreur du SNIR. En avril 2009, le Dr U…, cardiologue, reçoit son SNIR de 2008. Il constate avec étonnement que le total annuel indiqué de ses honoraires est de 3 554 000 € !

Il adresse immédiatement une réclamation au service concerné, ainsi qu’au RSI de l’Ile-de-France, d’où semble provenir l’erreur.

Vous l’avez bien cherché…

Il reçoit le 23 juin suivant, c’est-à-dire quand même deux mois après sa réclamation, une réponse de la CPAM lui accordant une déduction de 6 237 €, ce qui est loin du compte. Cette lettre est assortie d’un couplet au ton moralisateur sur la nécessité de privilégier les feuilles de soins électroniques qui seraient plus fiables (les cardiologues qui se voient amputer systématiquement du forfait de 18 € le règlement des honoraires en FSE de leurs patients en CMU apprécieront), et laissant entendre que, si notre collègue a été victime d’une erreur, il l’a bien cherché… Il s’ensuit une nouvelle série de lettres recommandées, et une entrevue à la caisse, pour aboutir à l’envoi par celle-ci le 10 septembre d’un duplicata du SNIR, avec toujours la même erreur !

Après nouveaux échanges épistolaires, le Dr U… reçoit enfin du RSI un courrier daté du 6 octobre, reconnaissant qu’un acte du 25 juin 2008 avait été enregistré pour un montant de 3 040 861 €, au lieu des 61 € réglés par le patient!

Deux remarques

– Si l’on peut admettre que l’erreur est humaine, on peut être surpris que l’administration ne se soit pas étonnée d’un SNIR d’un tel montant, et surtout d’une CsC à plus de trois millions d’euros. – Il aura fallu plus de cinq mois d’échanges de lettres recommandées et d’entrevues, et donc de temps perdu pour ce cardiologue, pour que la caisse reconnaisse son erreur. Cette affaire aurait pu avoir des conséquences fiscales. La coïncidence des dates laisse penser qu’elle a fait office de facteur déclenchant dans la mise en oeuvre d’une enquête sur les dépassements d’honoraires du Dr U…, qui exerce en secteur 2, comme nous allons le voir maintenant.

Alerte sur les dépassements

Début juillet 2009, le Dr U… reçoit un courrier de sa caisse l’informant que ses honoraires seraient « à des niveaux significativement supérieurs aux données courantes tant par rapport au pourcentage d’actes réalisés qu’au montant moyen pour une activité comparable dans le département ».

Il lui est signalé que le directeur de la caisse est susceptible de prononcer une pénalité.

Notre collègue répond qu’il admet que le niveau de ses honoraires est sûrement supérieur à ce qui est demandé dans certaines communes avoisinantes, mais qu’il est identique à celui de ses confrères qui exercent dans les mêmes conditions que lui, et avec la même notoriété.

Sans réponse de la caisse, il demande à rencontrer le directeur de la gestion du risque, avec qui il s’entretient en septembre.

Il lui est répondu qu’il est mis sous surveillance.

Aucun autre événement ne s’est produit depuis.

C’est à la lumière de critères légaux (encadré ci-dessous) que le directeur de la CPAM peut être amené à décider du caractère qu’il estime abusif des dépassements d’honoraires. Les quatre premiers sont anciens et classiques. Le cinquième a été ajouté par le décret du 30 décembre 2008 relatif aux pénalités financières.

|LE TACT ET LA MESURE : CRITERES LEGAUX |Les critères d’appréciation sont définis par l’article R. 147-6 du code de la Sécurité Sociale qui en donne la liste : – situation fi nancière de l’assuré, – notoriété du praticien, – complexité de l’acte et temps qui y est consacré, – service rendu au patient, – pourcentage d’actes avec dépassement et montant moyen de dépassements pratiqués, pour une activité comparable, par les professionnels de santé exerçant dans le même département.|

Ce dernier critère relève de l’analyse statistique « brute », sans appréhender la réalité de la pratique du médecin concerné. C’est le seul qui a été pris en compte pour notre collègue. Il est à craindre que ce soit la seule méthode que retiendront les caisses, comme elles le font déjà, par exemple, pour les arrêts de travail ou les prescriptions, sans tenir compte des conditions d’exercice.

Le directeur de la CPAM peut estimer que des dépassements sont abusifs.

Conséquences. _ Les suites possibles sont précisées également dans l’article R. 147-6 du code de la Sécurité Sociale. Le directeur adresse une mise en garde au médecin concerné avec double au conseil départemental de l’Ordre.

Il peut y avoir alors une double procédure : – L’Ordre peut engager une action disciplinaire – Le directeur de la CPAM peut lui-même prononcer une pénalité financière.

Un décret d’application de la loi HPST a renforcé le montant de la sanction qui peut atteindre 100 à 200 % de la valeur des dépassements estimés abusifs.

En cas de récidive dans un délai de trois ans, il peut être prononcé une interdiction du droit aux dépassements pendant une période de cinq ans.

Commentaires

A notre connaissance, aucun cardiologue à ce jour n’a fait l’objet de telles pénalités.

Il faut dire que 20 % seulement des cardiologues exercent en secteur 2. Quand le directeur de la CPAM écrit au Dr U… que ses dépassements peuvent faire obstacle à la possibilité pour tous les assurés sociaux d’accéder à des soins de qualité, il s’agit d’une affirmation qui ne reflète pas la réalité.

En outre, les statistiques des caisses le montrent chaque année, les dépassements d’honoraires des cardiologues en secteur 2 sont en général modestes, les plus faibles de toutes les spécialités, pour des durées de consultation un peu plus longues, comme le montre la dernière étude de la Drees.

Les cardiologues ne devraient donc théoriquement pas être concernés par ces sanctions, mais il faut tenir compte du climat actuel, systématiquement hostile de façon quasi dogmatique au secteur 2, quelle que soit la façon dont il est exercé.