La lente marche de l’ETP

334 – Bien avant son inscription dans la loi HPST, l’éducation thérapeutique du patient a suscité de nombreuses initiatives. Un décret paru cet été fixe les règles de sa mise en œuvre. D’autres textes sont attendus. Moins que son financement qui pose le plus problème, et pour lequel aucune solution vraiment satisfaisante n’est en vue. 

Le 20 mai dernier, l’UFCV a organisé une journée dédiée à l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) qui a permis de se rendre compte de la variété des expériences menées dans ce domaine par les cardiologues (voir article ci-dessous). A ce moment, les rapports demandés par la ministre de la Santé au député Denis Jacquat sur le financement de l’ETP, et à Christian Saout, président du CISS, au Pr Bernard Charbonnel, médecin endocrinologue (Nantes), et au Pr Dominique Bertrand, médecin de Santé Publique (Paris 7 – Denis Diderot), déjà auteurs du rapport de 2008 sur l’ETP, un rapport complémentaire sur l’accompagnement thérapeutique n’avaient pas encore été remis. Les deux rapports ont été remis fin juin. Concernant l’accompagnement thérapeutique, les auteurs préconisent de garder le texte législatif en vigueur et proposent une typologie des actions d’accompagnement des patients reposant sur une catégorisation par nature d’acteurs. Ils proposent un assouplissement du dispositif concernant la régulation des actions d’accompagnement. « On voit mal pourquoi elles ne peuvent pas être élaborées et mises en œuvre par leur promoteur même s’il s’agit d’une entreprise proposant des prestations en lien avec la santé », estiment-ils. Pour éviter les dérives marchandes, éthiques ou sectaires, les auteurs du rapport s’en remettent d’une part à un cahier des charges qui devra être équilibré, et d’autre part, ils préconisent qu’un décret d’application prévoit « un régime d’enregistrement de ces actions de façon à ce que la puissance publique ait une idée plus exacte de ce qui se fait sous couvert d’action d’accompagnement », et puisse décider « ce qu’elle choisira ensuite de soutenir financièrement ». 

Un financement possible de l’ETP par des entreprises privées

Le rapport suggère de confier à la HAS la gouvernance de l’ensemble des activités d’ETP, et propose la création en son sein d’une commission chargée d’« émettre des recommandations » dans le domaine de l’ETP ». Les auteurs sont favorables à un financement par les ARS, et envisagent comme possible que des entreprises privées de santé financent l’ETP, ce qu’interdit la loi HPST, « en passant probablement par le truchement d’un organisme placé entre elles et l’action d’accompagnement afin de respecter les limites ».

Quant au rapport de Denis Jacquat, il rejette la création d’un fonds unique et conseille un financement par l’Assurance Maladie en lui demandant de dégager de nouvelles marges de manœuvre, un plus grand recours à l’industrie pharmaceutique dans le respect des interdits que la loi pose, à savoir l’absence de relation directe entre le patient et les laboratoires, et la mise à contribution des assurances complémentaires. Le rapport Jacquat estime le besoin de financement annuel de l’ETP entre 50 millions d’euros et 375 millions d’euros, selon que l’on finance l’ETP à destination des nouveaux patients souffrant de maladies chroniques, ou la moitié des actuels patients atteints d’ALD.

Douloureux problème que celui du financement de l’ETP, qui est revenu comme un leitmotiv lors de la journée du 20 mai, dans la bouche de tous les intervenants : se lancer dans l’ETP, c’est effectuer un parcours du combattant, qui prend beaucoup de temps et d’énergie, pour trouver des fonds, et craindre de ne pas voir son financement renouvelé l’année suivante. Le réseau Rivarance en sait quelque chose qui vient de se voir signifier son préavis de non-renouvellement du financement FIQCS après l’évaluation de 2009.

Intervenant à la journée UFCV, Christian Saout soulignait qu’en dehors des ressources existantes, « il n’y a rien pour le développement de l’ETP », et que « dans le cadre de ressources contraintes, il ne reste que les sommes existantes et non mobilisées pour autre chose ». « En même temps, concluait-il, il n’y probablement pas nécessité de montants très importants, car il serait raisonnable de faire du développement de l’ETP un mouvement lent et progressif, mais sûr, accompagné par un organe de concertation ad hoc ».

 

Le décret sur l’ETP est paru

Début août est paru au Journal Officiel le décret prévoyant les conditions d’autorisation des programmes d’ETP par les ARS. Pour être autorisés, ces programmes doivent être conformes au cahier des charges national, fixé par arrêté, et respecter les compétences requises pour dispenser cette activité, définies par décret et précisées par arrêté. 
Les programmes d’ETP doivent être mis en œuvre par une équipe pluridisciplinaire qui comprend au moins un médecin. Les associations de malades agréées par le ministère de la santé peuvent aussi coordonner ces programmes ou y intervenir.
Ces programmes sont généralement structurés en trois étapes : un diagnostic ou bilan éducatif pour analyser les besoins des patients et établir des objectifs éducatifs personnalisés ; les séances d’éducation proprement dite qui peuvent prendre des modalités différentes ; enfin une évaluation de l’atteinte des objectifs éducatifs.
Le guide méthodologique publié par la HAS sert de référentiel quand aux modalités de mise en œuvre de tels programmes, à l’hôpital comme en ville.
Les promoteurs de programmes d’ETP déjà mis en œuvre avant la publication du décret ont jusqu’au 1er janvier 2011 pour obtenir leur autorisation des ARS.

 

Expériences

L’ETP mobilise les cardiologues

Les expériences présentées au cours de la journée de l’UFCV témoignent de la mobilisation des cardiologues pour le développement de l’ETP.

 

Rivarance

« Améliorer la prise en charge des maladies cardiovasculaire en développant la prévention, la réadaptation et un meilleur suivi du patient cardiaque par la coordination des soins entre l’hôpital et la médecine de ville », tel est l’objectif de ce réseau de santé cardiovasculaire du secteur n° 6 de Bretagne. Il compte 148 adhérents, dont 51 médecins généralistes, 10 pharmaciens, 40 infirmières, 14 cardiologues, 11 autres spécialistes, 5 diététiciennes et 3 associations : le centre Educoeur (éducation et réadaptation cardiovasculaire), Prévarance (dépistage et prise en charge des patients à haut risque CV) et Pipop (prise en charge des enfants et adolescents obèses). C’est à travers Prévarance que le réseau a abordé l’ETP, dans la population du canton de Dinan (25 000 habitants). Le recrutement des patients s’est fait entre novembre 2006 et fin 2007, et l’action a pris fin en décembre 2008. Les patients (hommes entre 50 et 54 ans et femmes entre 60 et 64 ans) ont été recrutés surtout par les médecins généralistes. Les patients à haut risque CV étaient conviés à un suivre un projet thérapeutique comprenant un prise en charge médicale, en lien avec les spécialistes, et de l’éducation thérapeutique faite par les professionnels de santé libéraux au cours d’entretiens individuels. Sur 685 patients dépistés (soit 73 % des patients éligibles), 171 étaient à haut risque CV. Parmi eux, 93 ont accepté le programme, mais 63 l’ont suivi. L’évaluation a montré qu’ils étaient mieux équilibrés pour leur HTA et leur dyslipidémie par un meilleur traitement. En revanche, le programme n’a pas eu d’effet significatif sur leur mode de vie (tabagisme, alcool, activité physique, surpoids).

 

METIS

METIS (Monitoring éducatif télémédical de l’insuffisance cardiaque et des syndromes coronariens aigus) concerne quatre établissements (Saint-Antoine, Sarcelles, Institut Cœur Effort Santé, Cl. Bizet). Après une hospitalisation ou une réadaptation pour SCA ou IC, les patients sont inclus dans le dispositif par une infirmière dédiée. Leur suivi est assuré via la plate-forme téléphonique UFCV-Téléopérateur IDE ETP. Les cas légers font l’objet d’un appel par trimestre, les cas modérés d’un appel par mois, et les cas les plus lourds de deux à quatre appels par mois. Lors de ces entretiens téléphoniques, le statut clinique, les signes d’alertes, l’éducation (connaissance, observance…), et les objectifs éducatifs sont évoqués. Les informations sont transmises par téléphone, fax, email ou courrier aux patients et à tous les acteurs de santé qui les entourent. En trois ans, METIS aura inclus 500 patients.

 

Educapic

C’est en 1995, à l’occasion d’un programme régional de santé, que la Picardie s’est mobilisée contre les maladies cardiovasculaires, en raison d’une surmortalité de 10 % par rapport à la moyenne nationale. Parmi les initiatives retenues par l’ARH, la création de 8 pôles de prévention et d’éducation du patient basés au sein des hôpitaux pivots de la région, reste l’action la plus démonstrative et pérenne. Dans chacun des pôles, une équipe pluridisciplinaire sensibilisée ou formée à l’ETP reçoit les patients à haut risque cardiovasculaire, avant ou après l’accident CV, et leur propose un programme éducatif personnalisé, comprenant des entretiens individuels ou collectifs (ateliers), un suivi et une évaluation. Dès leur création, ils ont échangés entre eux leur expérience et leurs pratiques et se sont fédérés en réseau régional de prévention et d’éducation du patient.

 

SETBoRD

Le Service d’éducation thérapeutique Bordeaux rive droite (SETBoRD) est un atelier d’éducation thérapeutique destiné aux patients à risque cardiovasculaire créé en décembre 2008 par cinq professionnels de santé (trois généralistes, une infirmière et un cardiologue) qui se sont formés à l’éducation thérapeutique. A ce jour, l’association a inclus environ 150 patients, issus de leurs clientèles respectives ou adressés par d’autres professionnels, régulièrement informés de l’assiduité de leurs patients, de leurs projets et de leurs attentes. Le programme proposé comporte quatre étapes : une consultation individuelle de diagnostic éducatif de 45 minutes, une première séance en groupe de 15 à 18 personnes sur les facteurs de risque et leurs conséquences cardiovasculaires, une deuxième séance, en groupe, axée sur les traitements, et une session d’évaluation six mois après la fin de ce parcours. Les premiers résultats portant sur l’année 2009 sont encourageants, mais les promoteurs de SETBoRD insistent sur la nécessité de sensibiliser les médecins généralistes à l’ETP, pour qu’ils y incite davantage leurs patients concernés.

 

Regards/Nouvelles cliniques nantaises

C’est en 2009 que l’association Regards de cardiologues libéraux a créé au sein des Nouvelles cliniques nantaises une équipe d’ETP qui comprend trois infirmières de cardiologie, trois kinés, deux diététiciennes, un psychologue, un cardiologue, un pneumologue diplômé en ETP, un endocrinologue, une secrétaire et une coordinatrice. La structure propose aux patients post S.C.A une sesion d’une semaine qui se déroule suivant quatre axes : l’axe psycho relationnel (vécu de la maladie et de ses conséquences), l’axe médical (connaissance de la maladie, facteurs de risque et traitements), l’axe physique (activités physique et balnéothérapie) et l’axe diététique (équilibre alimentaire). Cette session alterne entretiens individuels et séances collectives. En fin, un programme personnalisé d’ET est élaboré. Dix sessions ont eu lieu depuis septembre 2009. En l’absence de suivi à un an pour l’instant, les promoteurs du projet ne peuvent que constater la satisfaction de 100 % des patients et de 92 % des professionnels.

 

ETIC

Créée en 2007, l’association ETIC (Education thérapeutique dans l’insuffisance cardiaque) à la clinique Saint-Gatien de Tours est une équipe formée à l’ET dans l’insuffisance cardiaque qui comprend le cardiologue traitant, un kiné, une infirmière et une diététicienne. Les séances ont lieu par petit groupe de trois à cinq personnes réunissant les patients et leurs conjoints, qui s’entretiennent avec chacun des intervenants de l’équipe. L’objectif est d’autonomiser le patient au maximum. A ce jour, 138 patients ont suivi ce programme d’ETP, et 67 d’entre eux fait l’objet d’une évaluation à un an, dont le résultat le plus significatif est qu’au total 813 jours d’hospitalisation ont été évités pour ces patients ayant suivi le programme d’ETP.

 

CETBA

Le Centre d’éducation thérapeutique Bordeaux Aquitaine s’est créé il y a 15 ans avec pour objectifs, de devenir un centre référent en matière d’éducation thérapeutique en Aquitaine pour les maladies chroniques. Depuis 2007, plus de 160 professionnels de santé ont été formés dans le cadre du FNPEIS. Pour l’ETP dans la structure, le CETBA dispose d’une équipe de 13 éducateurs thérapeutiques ayant conservés par ailleurs leur activité professionnelle au sein de leur cabinet ou de leur service. Prés de 680 patients ont participé à un programme éducatif soit plus de 2000 évènements éducatifs à ce jour. Dans le domaine de la cardiologie, des ateliers d’ETP et outils ont été créés notamment pour : stress et risque CV, activité physique et risque CV, alimentation et risque CV, connaissance de la maladie, activité physique, etc. Au niveau régional, le CETBA tend à devenir ainsi une unité transversale d’éducation thérapeutique pilotée et coordonnée par des professionnels de santé, dont un comité d’experts qui valident le contenu des connaissances médicales pour les pathologies abordées, et un comité d’ET qui valide outils et programmes éducatifs.

 

ETP en cabinet 

Comment faire de l’éducation thérapeutique dans un cabinet de cardiologie libérale ? La solution, le Dr Patrick Arnold, cardiologue à Mulhouse, l’a trouvée : la délégation de tâche ! En l’occurrence à sa femme, déléguée médicale victime d’un plan social, et qui s’est formée à l’ETP. Un premier programme d’ETP sur le traitement AVK a déjà été réalisé, et l’autre sur l’HTA et l’automesure est en cours. Après un entretien individuel de 1h à 1h30, un contrat d’éducation est établi, des objectifs sont fixés pour acquérir des compétences d’auto-soins. L’évaluation pédagogique est planifiée, un pré-test permettant de définir les manques. Ensuite, le contrat d’ET est mis en œuvre sous forme de formations théoriques et pratiques sur mesure d’une à plusieurs heures. Après évaluation des acquis et des manques, le suivi éducatif est mis en œuvre, et les éventuelles reprises éducatives planifiées.

 

L’ETP de la MSA évaluée

Le Laboratoire de pédagogie de la santé de Bobigny a évalué le programme national d’ETP cardiovasculaire de la MSA, qui s’est déroulé entre 2006 et 2008. Cette évaluation a porté sur 786 patients volontaires d’un âge moyen de 67 ans. Le recrutement des patients s’est fait majoritairement par les médecins traitants. L’animation des ateliers était déléguée à des professionnels de santé libéraux (médecins et infirmières) formés par l’Ipcem. Ces ateliers ont consisté en trois séances de trois heures. L’évaluation a montré que les patients après ETP ont acquis des connaissances, renforcé leur confiance dans ces connaissances, et ont modifié leur comportement dans le sens d’une meilleure prise en charge de leur pathologie. Des améliorations sur le plan biologique sont constatées.

 

MEDITAS-Cardio

MEDITAS (Mesures d’éducation thérapeutiques appliquées au stress en cardiologie) est un programme d’ETP en cardiologie libérale centré sur la prise en charge psychologique en prévention primaire et secondaire mis en place dans le bassin de Thionville par des cardiologues libéraux, le département de psychologie de la santé de l’Université de Metz, un groupe de psychologues et psychothérapeutes, les clubs Cœur et santé, ainsi que des médecins généralistes. Le programme comprend la phase d’éducation thérapeutique en groupe, une phase d’éducation individuelle à la gestion du stress en 5 séances protocolisées, un an de suivi et une évaluation. Sur 100 patients inclus dans le projet pilote, seuls quatre en sont sortis. Le résultat a été positif au point que les patients souhaitent la poursuite du processus, avec des « piqûres de rappel », la possibilité d’échange avec un groupe de parole et la formation de « patients experts ». n

 

L’ETP officielle

Parus au Journal officiel du 4 août dernier, quatre textes précisent les conditions d’autorisation des programmes d’ETP et les compétences requises pour les dispenser. Un programme doit être mise en œuvre par au moins deux professionnels de santé de professions différentes, dont un médecin. L’autorisation donnée par l’ARS l’est pour une période de quatre ans, renouvelable. Un intervenant au moins doit justifier de compétences en éducation thérapeutique. Les compétences requises sont celles de l’OMS : compétences relationnelles, compétences pédagogiques et d’animation, méthodologiques et organisationnelles, compétences biomédicales et de soins. L’arrêté fixant le cahier des charges d’un programme d’ETP précise que « le programme concerne, sauf exception répondant à un besoin particulier à expliciter, une ou plusieurs ALD, ainsi que l’asthme et les maladies rares, ou plusieurs problème de santé considérés comme prioritaires au niveau régional ». 

Une auto-évaluation du programme est prévue, ainsi qu’une évaluation quadriennale « sur des critères de jugement définis a priori ».