La loi HPST en cacherait-elle une autre ?

L’année 2010 a vu la parution de nombreux textes d’application de la loi HPST, parmi lesquels plusieurs concernaient les établissements hospitaliers dans leur nouvelle « gouvernance ». Pour autant, le fonctionnement interne des hôpitaux s’en trouve-t-il transformé ? Pas sûr. Ou du moins pas encore, comme le souligne Francis Fellinger, chef de service de cardiologie à l’hôpital d’Haguenau (Bas- Rhin), et président de la conférence nationale des présidents de CME des centres hospitaliers. « La loi HPST est une loi très complexe, et sa mise en place ne l’est pas moins. » Si la création des agences régionales de santé (ARS) marque, selon lui, « une avancée majeure » dans la réforme de notre système de santé et répond à une demande du monde hospitalier, si leur mise en place « à marche forcée » représente « une gageure », il constate aussi qu’à ce jour « les hospitaliers n’ont pas encore trouvé le point d’équilibre dans leurs relations avec “ces grosses machines administratives” ». Quant à l’organisation interne des établissements, malgré la publication de l’essentiel des textes s’y rapportant, Francis Fellinger constate qu’elle n’a encore guère évolué : « Les directoires sont en place, mais les gens continuent de fonctionner comme avant. Les pôles sont confortés par la loi, mais les relations avec les directions restent inchangées, du moins en l’attente des contrats de pôle à venir ». Quant aux CME, dont beaucoup ont estimé que les textes d’application les concernant réduisaient considérablement le pouvoir des médecins à l’hôpital, Francis Fellinger considère, lui, que « leur positionnement est maintenu », et que leurs présidents ont acquis un statut et un pouvoir « confortés » par la loi HPST. Rien dans les textes n’enlève aux CME un pouvoir qui n’était d’ailleurs pas davantage inscrit dans les précédents textes. De même, on a beaucoup commenté le pouvoir octroyé au directeur d’hôpital, mais il est susceptible d’être destitué tous les mercredis en conseil des ministres ! On observe donc un décalage important entre la réalité des textes et le ressenti des médecins sur le terrain, où un gros effort de pédagogie est à faire.

Mais aux yeux de Francis Fellinger, la « légalisation de la télémédecine avec la sécurité juridique et le financement qui vont en découler, de même celle des coopérations interprofessionnelles, qui vont permettre de déléguer certaines tâches à d’autres professionnels, sont beaucoup plus importantes que les problèmes de gouvernance ». « Particulièrement pour nous, cardiologues, ces deux points de la loi marquent une rupture positive », juge-t-il.

Au total, pour Francis Fellinger, la loi HPST n’est pas « la catastrophe décriée » même si elle pèche par « un excès de complexité et d’ambition ralentissant sa mise en oeuvre ». Et pour ce qui est de la gouvernance, il estime que « c’est l’ordonnance Mattei-Xavier Bertrand qui a vraiment changé les choses », et constate : « En fin de compte, les hôpitaux qui fonctionnent bien sont ceux qui reposent sur le triptyque alliant une stratégie territoriale claire, un travail effectif sur la qualité des soins, et un couple directeur-médecins qui fonctionne. »

Bien différente est l’opinion de Rachel Bocher. Pour la présidente de l’Intersyndicale des praticiens hospitaliers, il n’y a rien à sauver de la loi HPST : « La réforme de la gouvernance n’est pas celle attendue par les professionnels, qui n’ont d’ailleurs pas été consultés, la copie du DPC est entièrement à revoir, les ARS sont des grandes boîtes dans lesquelles les gens se demandent ce qu’ils font et ce qu’ils ont à faire. La loi HPST marque le retour en force de l’État dans le contrôle du système, et cette étatisation met à bas toute notion de responsabilisation des professionnels qui se sentent des pions dans une hiérarchie très pyramidale. Pour autant, d’inspiration très libérale, cette loi met à mal le service public et dessine un hôpital-entreprise loin de tout enjeu de solidarité, et qui laisse de côté aussi bien les patients que les professionnels de santé. Ce n’est pas la grande réforme qui fait entrer l’hôpital dans le XXIe siècle. »

Selon elle, le seul résultat tangible de la loi HPST aujourd’hui est « un désinvestissement des professionnels de santé, mais aussi des directeurs, largement désabusés eux aussi, et qui marque le désaveu de la réforme ». « L’hôpital sera un enjeu majeur des élections présidentielles de 2012 », estime Rachel Bocher, qui ne doute pas que, dans cette optique, on s’achemine vers une version 2 de la loi HPST à laquelle travaille la mission sénatoriale Fourcade. Reçue il y a quelques semaines par Xavier Bertrand, la présidente de l’INPH dit avoir rencontré un ministre convaincu du malaise du monde hospitalier et de la nécessité d’y remédier.

Reste à savoir, si V2 de la loi HPST il y a, dans quelles proportions elle reniera la version originale.

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