La Tombe du Plongeur de Paestum ou l’immersion dans la Magna Grecia

En 1959, Charles Martin Robertson (1911-2004) historien de l’art et archéologue britannique déplorait qu’il faille se contenter des vases grecs et des tombes étrusques pour imaginer les fresques disparues de l’ancienne Grèce, au risque d’une vision quelque peu erronée. C’est dire l’importance de la découverte archéologique faite 9 ans plus tard, en juin 1968, dans une petite nécropole proche de Paestum en Campanie, car il s’agissait d’une tombe « à caisson » (215 x 100 x 80 cm), de la période grecque archaïque (470 av. J-C) ; les parois latérales montraient des scènes de banquet et la dalle de couverture un jeune homme nu en train de plonger, d’où la dénomination de Tombe du Plongeur. 

La Magna Grecia

Au VIIIe et VIIe siècles av. J-C, des colons grecs, après que leur chef (oikistes) ait consulté la pythie du temple d’Apollon de Delphes, fondèrent de nouvelles cités sur les côtes de l’Italie méridionale, la Magna Grecia avec des cités-mères dont la prospérité deviendra proverbiale, qu’il s’agisse des « ors de Tarente » en référence au talent de ses orfèvres ou de la volupté de la « vie de Sybarite ». Le géographe Strabon (v. 64 av. J-C – 21 ap. J-C), d’origine grecque, mais rattaché à la période romaine, relate que des Grecs de Sybaris fondèrent secondairement, vers 675 av. J-C, Poseidonia dénommée plus tard Paestum situé au sud du fleuve Sele, au centre du golfe actuel de Salerne bordant cette partie de la mer Méditerranée, la mer Tyrrhénienne du grec turrênós signifiant «étrusque».

La Tombe du Plongeur

La nécropole se situait à l’écart de la cité comme ceci est la règle dans la culture indo-européenne. Les peintures sont réalisées selon une technique semblable à la fresque qui semble avoir été introduite dans l’art crétois lors des premiers siècles du second millénaire av. J-C, probablement empruntée à l’Egypte. Conformément aux canons égyptiens, la chair des hommes est représentée en brun ou rouge alors que celle des femmes est en blanc. La fresque est peinte sur une mince couche de chaux étendue sur la plaque de roche calcaire (travertin) polie d’origine locale. Un travail préparatoire a consisté à faire des traits (ductus) à la pointe fine pour définir des zones avant de peindre à main levée avec une rapidité d’exécution justifiée par le principe même de la peinture a fresco.

Deux artisans sont intervenus comme en témoignent les différences de mains, qu’ils aient effectué le travail avant ou après l’insertion dans la fosse. Son exiguïté expliquerait les traces de doigts et de coude. Le laps de temps entre les peintures et le positionnement de la tombe fut très bref, évoquant un travail de commande ; on a retrouvé des traces de cordage et de feuillage témoignant du fait que l’enduit était encore frais quant eu lieu l’inhumation.

Le corps (découvert à l’état pulvérulent) était entouré de deux vases piriformes (aryballes) utilisés pour stocker de l’huile en tant que solvant des parfums, l’alcool étant inconnu, et un vase de forme allongé (lécythe) destiné aussi à contenir de l’huile d’olive parfumée ; l’étroitesse de son col et de l’embouchure permet de limiter l’écoulement de l’huile et d’en faciliter l’application.

Ces vases, surtout les lécythes, étaient utilisés comme offrandes funéraires et déposés dans des tombes. On les retrouve, dans le cas présent, à côté de fragments métalliques et de carapaces de tortue. Il faut imaginer le défunt allongé sur le dos sur un petit lit funéraire, le corps recouvert d’un suaire blanc et parfumé, couvert d’amulettes avec une obole dans la bouche pour payer Charon, le nocher des Enfers, afin qu’il lui fasse traverser le Styx, fleuve séparant le monde terrestre des Enfers.

La fresque montre un banquet ou plus précisément la fin du repas ou symposion signifiant littéralement « boire ensemble », qui joue alors un rôle social important, comme plus tard chez les Romains où le banquet est une « cérémonie de civilité » permettant de cultiver l’art de la conversation. On se réunit alors le plus souvent dans une salle (andron) réservée aux hommes, au sein d’une demeure privée, et dotée de lits (klinai) situés le long des murs et dédiés aux banquets car on ne mange assis que lors des repas ordinaires. Les convives, représentés de profil et coiffés de « couronnes » de rameaux d’olivier, boivent et discourent sur un sujet par analogie avec le Banquet de Platon (v. 428/427-v.347/346 av. J-C) qui relate que « les convives étaient étendus sur des lits (…), lorsqu’ils eurent fini de souper, on fit des libations, on chanta en l’honneur du dieu et après avoir fait ce qu’on a coutume de faire (1), on se préoccupa de boire ».

Il s’agit d’un moment propice aux plaisirs du vin, de la musique et du chant mais aussi aux épanchements amoureux entre hommes où l’on distingue l’être aimé (éromène) et l’amant plus âgé (éraste) reconnaissable à une pilosité faciale plus avancée. Il s’agit « d’une sorte de fête à la fois intellectuelle, alcoolique et érotique » qui correspond plus à l’initiation sexuelle ritualisée et codifiée de la société grecque archaïque qu’au sens contemporain de l’homosexualité.

Les parois latérales montrent un éphèbe échanson qui décide des quantités de vin qui seront versées aux convives vers lesquels il se dirige en portant un pichet à vin (oenochoé) qu’il vient de remplir à partir d’un grand vase à deux anses (cratère), situé sur un guéridon, et dans lequel il a mélangé le vin à de l’eau puisqu’on buvait alors, comme plus tard chez les Romains, le vin coupé d’eau.

Il s’agissait en effet de vins rouges capiteux ou blanc liquoreux ayant un haut degré d’alcool et aromatisés par des épices, du thym ou du miel et souvent « résinés » dès lors que le vin était conservé dans des jarres enduite de résine, le tonneau étant une invention gauloise du IIe siècle de notre ère.

Sur la paroi opposée s’avance un homme barbu couvert d’un manteau et s’appuyant sur un bâton noueux ; il est précédé d’un éphèbe nu portant négligemment une chlamyde bleue réservée aux hommes et qui salue de la main gauche le convive le plus proche de lui ; ce dernier lui tend une coupe à boire évasée et peu profonde ou kylix dont on peignait l’intérieur.

Devant l’éphèbe s’avance une jeune femme pâle (seul personnage féminin) de petite taille, habillée d’une tunique blanche (chiton) et qualifiée d’aulète c’est-à-dire jouant d’une double flûte ou aulos également très prisée des Etrusques. La paroi latérale située au nord montre cinq convives couchés sur des lits devant des guéridons où poser les coupes.

On distingue, outre l’éraste situé à gauche et vers lequel s’avancent les trois personnages précédemment décrits, deux couples d’hommes : à droite le couple se livre à des cajoleries, le plus jeune fardé comme une femme et tenant un instrument apparenté à la lyre (barbitos), tout en étant observés avec concupiscence et ironie par l’homme situé au centre et qui se désintéresse, au moins momentanément, de son compagnon qui joue au kottabos (2).

La paroi latérale située au sud montre également cinq convives allongés sur des klinai ; un homme seul à gauche tenant une lyre de la main droite et un œuf (offrande funéraire fréquente symbolisant la vie après la mort) dans la main gauche pendant que le couple de droite joue de la flûte et de la lyre et que les deux convives du centre semblent jouer au kottabos.

La dalle de couverture montre, dans un espace délimité par une ligne dotée de fleurs stylisées dans les angles et, entre deux oliviers ou tamaris, un jeune homme nu plongeant vers une masse d’eau ondulée et convexe symbolisant l’Océan (Okéanos), le Titan, fils du ciel (Ouranos) et de la terre (Gaïa). Pour les anciens Grecs, Océan était un fleuve immense qui entourait la Terre en donnant la vie à la mer, aux sources et aux rivières. L’homme a plongé d’un ensemble de trois colonnes à rapprocher des Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) symbolisant à la fois la limite du monde connu des Grecs et celle entre la vie et la mort. n

(1) Libations en chantant à plusieurs voix des chants religieux rythmés et solennels (péan) ou sous forme d’hymnes (humnos) en s’accompagnant d’une lyre, en couvrant la tête des convives d’une couronne de rubans et en versant du vin sur le sol en offrande aux dieux

(2) Jeu originaire de Sicile et consistant à atteindre un but déterminé avec un jet de vin projeté par la main ou la bouche ; dans la variante la plus simple, il s’agissait de faire couler de petites coupes métalliques flottant à la surface d’un vase rempli d’eau ; on cherchait à atteindre le but mais aussi à la faire avec élégance en sachant que le son que rendait la coupe percutée était supposée refléter le niveau de passion de l’être aimé réalisant ainsi une sorte d’ « oracle d’amour »…

Bibliographie

1/ Amouretti M-C, Ruze F. Le monde grec antique. Hachette Supérieur 1995

2/ Braudel F. La Méditerranée. L’espace et l’histoire. Flammarion 1996

3/ Del Verme L. Paestum. Le parc archéologique, le musée/le sanctuaire d’Héra argiva. Arte’m 2013

4/
Dusouchet G. Des héros très portés sur la boisson in La Méditerranée d’Ulysse. Géo Hors-série 2004 p38-40

5/ Guzzo P-G. Magna Grecia. Les colonies grecques dans l’Italie antique. Découverte Gallimard 1996

6/ Mohen J-P. L’Art et la Science. L’esprit des chefs-d’œuvre. Découvertes Gallimard 1996

7/ Mossé C. La Grèce ancienne. Points Histoire. Le Seuil 2008

8/
Platon. Le Banquet. in Le Monde de la Philosophie, traduction, notes et bibliographies par Luc Brisson ; préface par Roger-Pol Droit. Flammarion 2008

9/ Pontrandolfo A, Rouveret A, Cipriani M. Les tombes peintes de Paestum. Pandemos 2008

10/ Richter W. Les jeux des Grecs et des Romains. Le Promeneur 2000

11/ Robertson M. La peinture grecque. Skira 1959

12/ Sartre M. L’homosexualité dans la Grèce ancienne in La Grèce ancienne Ed. du Seuil Histoire 2008

13/ Veyne P. La vie privée dans l’Empire romain. Points Seuil 2015

14/ Veyne P. Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes. Le seuil 1983