L’argent, la mort et les systèmes politiques

A un mois d’intervalle sont parus deux livres aux histoires très différentes mais aux thèmes principaux identiques : l’argent, la mort et les systèmes politiques. Et pour cause, le premier traite de la prise du pouvoir en Arabie Saoudite par Mohamed ben Salmane, alors que son père est roi et qu’il était le deuxième sur la liste des héritiers, et l’autre traite de la crise des opioïdes aux Etats-Unis et de la démarche d’un journaliste ayant contribué à la mettre en lumière et à faire en sorte que quelques-uns de ses responsables puissent passer en justice. 

Ces deux livres contrastent cependant car le premier est d’une lecture facile et prenante et l’histoire est assez binaire – sa simplicité soutient le regard que l’on pourrait avoir sur les dictatures – et le second est plus complexe puisqu’il relate les nombreuses procédures de plaignants mais aussi de journalistes, les conflits d’intérêts de procureurs qui, aux Etats-Unis, sont élus avec des soutiens financiers, l’utilisation des subtilités de la Loi par les cabinets d’avocats… et rend de ce fait bien compte que l’exercice de l’Etat de Droit est chose complexe.

DE LA SIMPLICITÉ DE LA DICTATURE…

Pour ceux qui regardent les parutions de l’éditeur «  Jardin des livres », il peut paraitre surprenant qu’il fasse côtoyer dans son catalogue des livres soutenant des thèses complotistes sur la Covid-19 ou sur l’origine des religions et un livre qui décrit sans concession l’ascension de Mohammed Ben Salmane, surnommé MBS, vers le pouvoir suprême en Arabie Saoudite et ce, alors que son père Salmane Ben Abdelaziz, fils d’Ibn Saoud, est encore roi. Toutefois, à rebours de la littérature complotiste, de dernier livre, écrit par deux journalistes du Wall Street Journal, est un condensé de géopolitique et l’illustration parfaite de ce qu’est une autocratie car, progressivement, MBS a su se mettre en position de prendre les décisions essentielles concernant la politique du royaume et écarter tant le prétendant au trône le devançant, Mohammed Ben Nayef, que l’essentiel de l’opposition. 

Côté clair, MBS affiche une volonté de transformer l’économie de rente pétrolière de son pays en une économie moderne, tournée vers les nouvelles technologies et le tourisme et pour cela, il crée de novo une zone urbaine dite intelligente (projet NEOM), tente de favoriser les investissements étrangers à grande échelle, fait acheter pour 450 millions de dollars le Salvador Mundi attribué à Léonard de Vinci, tente de créer pour 15 milliards de dollars une immense zone culturelle (projet AlUla)…

Côté gris, alors qu’il pense attirer les investissements, c’est son argent qui est recherché par les multiples sociétés et agents troubles qui gravitent dans son entourage au point de se rendre compte que la relation qu’il entretient avec les Etats-Unis n’est que transactionnelle, il ne peut faire entrer en bourse à New York, mais uniquement à Ryad, Aramco la compagnie pétrolière du royaume, car cela justifierait une tenue de ses comptes conforme aux règles internationales…

Côté obscur, sans concertation ou considération sur les équilibres régionaux, il décide des premiers bombardements sur le Yémen et séquestre pour le faire démissionner le premier ministre du Liban, Saad Hariri, libano-saoudien dont la famille a fait fortune en Arabie Saoudite. Il élimine ses principaux opposants en les emprisonnant en une nuit dans un hôtel de luxe afin qu’ils rendent l’argent prétendument issu de la corruption. Alors qu’il va prendre la décision de permettre aux femmes de conduire une voiture, il fait emprisonner une opposante dont c’était une revendication au prétexte qu’une telle décision doit venir d’en haut, du prince bienveillant vers ses sujets et non pas donner l’impression qu’elle est une réponse du prince à une protestation du peuple. Pour sa suite rapprochée de 10 personnes, il finance des vacances de luxe d’un mois à 50 millions de dollars en privatisant une île des Maldives et en faisant venir 150 « mannequins » dont on vérifie à l’arrivée qu’elles n’ont pas de maladies vénériennes, etc., sans oublier tous les détails sordides concernant l’assassinat à l’Ambassade d’Arabie Saoudite à Istanbul, du journaliste d’opposition Jamal Kashoggi qui finira découpé à la scie à os sur place… et bien d’autres choses encore.

Il est prince et avoue lui-même que son modèle est Machiavel et son livre « Le Prince ». Suite à l’assassinat de Kashoggi, certains ont modifié le sens de son acronyme MBS en Mister Bone Saw (Monsieur tronçonneuse) : est-ce à dire qu’il a su imposer l’image de son maître ?

… À LA COMPLEXITÉ DE LA DÉMOCRATIE

De façon un peu surprenante, la crise des opioïdes qui sévit aux Etats-Unis est assez mal connue en France. Pourtant, en dix ans, elle a été responsable de plus de 500 000 décès par surdose et a contribué à faire reculer l’espérance de vie. Sa raison ? La surconsommation de comprimés d’oxycodone et d’hydrocodone destinés à soulager les douleurs mais entrainant rapidement une dépendance telle qu’elle provoque une addiction majeure et ce, alors que le principal laboratoire commercialisant ces produits, Purdue Pharma, en a fait une promotion inverse, indiquant qu’il n’y avait pas de dépendance.

Outre les décès, des milliers de familles ont été brisées quand un de leurs membres est devenu dépendant, pour ne pas dire drogué, et notamment des familles des classes moyennes, car ce sont celles qui ont pu avoir accès à ces médicaments avant que la dépendance n’entraine chômage et délinquance.

Outre Purdue, au cœur du problème, il y a un réseau de médecins prescripteurs voire sur-prescripteurs, voire corrompus, délivrant des ordonnances contre argent liquide ou faveurs sexuelles, des pharmaciens peu regardants sur l’origine des prescriptions de même que ne l’étaient pas les grossistes-répartiteurs sur les quantités astronomiques de comprimés approvisionnant les pharmacies (780 millions de comprimés en 6 ans dans un Etat de 1,8 millions d’habitants par exemple), ou l’ordre des pharmaciens ou l’agence de régulation des produits pharmaceutiques.

En face, outre les familles touchées il y a la mise  mal des finances des Etats chargés de réparer les dégâts : traitement de la dépendance, soins médicaux, placements en famille d’accueil, administration pénitentiaire, enquêtes, poursuites pénales, transfert des corps suite aux surdoses, autopsies.

Progressivement se mettront en route les procédures de l’Etat de Droit, de la Justice, de le Presse qui dénoncera le scandale sanitaire et ses acteurs, les procès intentés par les familles ou les procureurs des Etats au nom de leurs populations et ce, contre les divers maillons de cette chaine que certains ont qualifié de cartel légal de la drogue aux Etats-Unis. Le livre du journaliste Eric Eyre nous fait découvrir les premières démarches – gagnantes mais au prix de quelles complexités juridiques – celles impliquant l’Etat de Virginie contre les grossistes-répartiteurs. Le livre fait toutefois l’impasse sur d’autres poursuites gagnantes, celles menées contre Purdue Pharma qui ont abouti à de nombreuses et phénoménales amendes et ont déclaré trois de ses dirigeants criminellement coupables, tout en permettant à la compagnie de continuer à commercialiser ses produits en en ayant adapté l’étiquetage.

Par contraste, lorsque les responsables de l’assassinant de Jamal Kashoggi seront connus et que MBS aura été envisagé comme étant son commanditaire, ce dernier après maints versions finira par reconnaître que des saoudiens aient pu faillir, puis il sera communiqué que ces saoudiens ont été jugé dans leur pays, sans qu’aucune donnée relative à ces procès et aux sanctions effectives ne soient connus. C’est simple, il suffit d’affirmer que cela a eu lieu pour que ceci apparaisse vrai.

EN SAVOIR PLUS…

Mohammed Ben Salmanedu pétrole et du sang

  • Auteurs : Bradley Hope et Justin Scheck
  • Éditeur : Jardin des Livres
  • Parution : Novembre 2021
  • Pagination : 408 pages
  • Format broché : 24,00 euros

Mort à Mud Lick

  • Auteur : Eric Eyre
  • Editeur : Globe
  • Parution : Octobre 2021
  • Pagination : 320 pages
  • Format broché : 22,00 euros