Le monastère de Ki

347 – Christian Ziccarelli – Tout proche du Tibet et du Ladakh, il est le plus grand monastère bouddhiste tibétain de cette grandiose vallée, dominée par des pics de plus de 6 000 m aux neiges éternelles. En fait cette région faisait partie du Tibet occidental. Les villages accrochés à flanc de montage en ont gardé, encore aujourd’hui, toutes les caractéristiques architecturales.

Le monastère est une véritable ville où chacun a un rôle et des attributions. Traditionnellement chaque famille tibétaine s’enorgueillissait d’avoir un fils ou une fille dévoué(e) à la doctrine, d’autant que le couvent garantissait au moins une écuelle de tsampa (farine d’orge) par jour ! Les pauvres servaient d’assistants à ceux qui avaient eu la chance de pouvoir faire des études.

Le bouddhisme tibétain ou bouddhisme lamaïque naquit au Tibet, mais se répandit dans tout le Haut Himalaya et dans les régions voisines du Haut Plateau tibétain. Le bouddhisme arriva au Tibet au VIIe siècle, sous l’influence de Songtsen Gampo (mort en 650). A l’époque la religion la plus populaire était le Bön, une sorte de chamanisme, pratiquée encore aujourd’hui par une minorité. Plusieurs écoles de sensibilité différentes ont émergé au cours des siècles, sous l’influence de grand maîtres. Padmasambhava, connu sous le Guru Rimpoché (755-804) un sage indien appelé à la cour du roi, est l’objet d’une grande vénération par l’école des Nying-ma-pa (secte de bonnet rouge, les anciens) et considéré comme un second Bouddha. Atiça, après avoir reçu l’enseignement de Naropa, arriva au Tibet en 1040 où il mourût en 1064. Il restaura l’ordre monastique et établit des différences entre les écoles du bouddhisme lamaïque. Brog-mi fonda l’école des Sa-kya-pa dont les monastères sont particulièrement actifs au Tibet. Tson-gkha-pa fonda en 1409 l’école des Ge-lugs-pa (les vertueux, les bonnets jaunes) aujourd’hui courant majoritaire. « La caractéristique la plus étrange du bouddhisme tibétain, qui lui a valu le surnom de lamaïsme et qui le distingue nettement des autres traditions, est son système de lamas réincarnés : les hauts dignitaires religieux sont chargés de retrouver les réincarnations des lamas importants – il y en a plus d’un millier dans tout l’Himalaya – afin de les réinstaller à la tête de leurs monastères. » (1) Dans le bouddhisme lamaïque la pratique des rites occupe une place importante. Le sens du mot « rite » varie selon les textes auxquels on le rattache comme les textes du Vinaya. Cette diversité entraîne donc pour ce mot une multitude de significations. Le Bouddhisme tantrique, connu sous le nom de mantrayana (voie des invocations) et de vajrayana (voie du diamant ou de la foudre) en est une. Il est une manifestation particulière de l’âme indienne, de son art et de sa religion. D’une approche difficile, tant il est multiple de par ses pratiques et croyances, toutes orientées vers la pratique méditative, une culture de l’extase centrée sur une vision sexuée du cosmos. Un de ses rituels le plus connu est celui de la fabrication du mandala qui permet à l’individu de se transcender soi-même et de transcender le monde. Il s’inspire de recueils de textes, les tantras décrivant une foule de divinités et prescrivant les invocations magiques, et les sutras regroupant tous les sermons et discours de Sakyamuni. Leur fonction consiste à indiquer une autre voie pour atteindre la « bouddhéité », la libération finale, le nirvana.

Sa construction répond _ à une hiérarchie typique sur trois niveaux

Comme tous les monastères tibétains il est précédé par le mur de man (drivé de mantra « Om mani padme hum » ([Om mani padme hum : Cette mantra gravée sur chacune des pierres du mur de mane (à contourner par la gauche) est une offrande personnelle. Elle représente la compassion et la grâce de tous les bouddhas et bodhisattvas et invoque plus particulièrement la bénédiction d’Avalokiteshvara, le Bouddha de la Compassion. Avalokitésvara est une manifestation du Bouddha et son mantra est considéré comme l’essence de la compassion du Bouddha pour tous les êtres.)] gravé sur chaque pierre et composant un mur), les chortens (forme tibétaine du stupa bouddhique) et les moulins à prières, cylindres que tourne chaque fidèle en entrant dans le monastère.

Le duskhang (hall d’assemblée) couvert de thangkas([Thangka : est une peinture religieuse sur toile de dimension variable depuis les thangkas portatives que l’on peut enrouler et dérouler grâce à deux baguettes, jusqu’aux thangkas monumentales que l’on déroule le long d’un rocher ou d’un mur. Elles représentent le plus souvent un yantra (symbole diagrammatique : cosmogramme, mandala…), une ou des divinités et sont destinées à la méditation )], est le lieu de la puja (prière psalmodiée pendant des heures interrompue par la cérémonie du thé au beurre de yak salé et rance) où se rassemble la Sangha (communauté monastique, le troisième joyau précieux du bouddhisme après Bouddha, le maître, et Darhma, la doctrine). Les fidèles déposent sur une table leurs offrandes, notamment les torma (gâteaux sacrificiels) à base de farine et de beurre. Au fond de la salle trônent des sculptures en bois ou en bronze représentant les divinités et, sur un autel, la drilbu (clochette), le dorje (foudre diamant) et le kartrika (couperet). Dans les gonkhangs (temple des protecteurs) sont conservés les éléments du mobilier liturgique : tambours, masques, tentures et bannières le plus souvent suspendus, cornes et dagues rituelles, etc. Plusieurs lhakhangs ou chapelles sont dédiées à une divinité.

Une bibliothèque double contient des livres de grande valeur artistique, datant de plusieurs siècles. Toutes les salles sont recouvertes de fresques obéissant à des règles canoniques fixes, représentant gardiens et divinités. Elles sont éclairées par des petites ouvertures de fenêtres d’où l’importance des lampes au beurre de yak, le plus souvent remplacées aujourd’hui par des lampes à huile. Enfin les cuisines, des pièces d’entrepôts et les cellules des moines sont réparties sur les différents niveaux.

Il n’est pas rare dans l’une des cours d’assister à une disputation, l’art du débat. Une confrontation où deux participants s’affrontent, sous l’oeil du maître et qui peut durer des heures. Le plus faible acculé, reconnaissant alors la supériorité de son adversaire, se prosterne à ses pieds en signe de respect.

La fête annuelle du monastère est l’occasion d’un grand rassemblement. Les villageois, se parant de leurs plus beaux atours, viennent assister aux danses traditionnelles rythmées par les longues vibrations graves et profondes des dung-chen (cornes de bois de 4 m de long, toujours utilisées au minimum par deux). ■