Le monde tel qu’il est devenu et pourquoi il est devenu tel

A trois mois d’écart sont parus deux livres très différents mais très complémentaires. Le premier, qui a rapidement atteint les meilleures ventes, décrit la France telle qu’elle est aujourd’hui, mais aussi comment elle a changé en 40 ans, il s’agit de « La France sous nos yeux ».
Le deuxième décrit les causes économiques supposées de cet état des lieux, il s’agit de « Les guerres économiques sont des guerres des classes » dont le sous-titre est explicite : « Comment la montée des inégalités fausse l’économie mondiale et menace la paix internationale ». Souhaitons que cet ouvrage ne soit pas visionnaire et qu’il ne décrive pas le mécanisme à l’origine d’un futur conflit mondial.

LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

C’est un livre d’image que l’on feuillette en lisant « La France sous nos yeux », celui de la France telle qu’elle est en 2022 et celui de la façon dont elle s’est modifiée en 40 ans. Si l’analyse est géographique et économique, elle est surtout sociologique et nous avons tous vu cette évolution.

Il y a la désertification des centres-villes, les auteurs soulignant l’arrivée relativement récente du mot centre-ville dans le langage, comme si cela n’allait plus de soi. A cet égard, pour ceux qui connaissent la ville de Tonnerre, son exemple rapporté dans l’ouvrage est saisissant.

Il y a eu la diversification de l’offre commerciale vers, soit des produits pas chers (Kebab, Tacos, Gifi, Dacia, Hard-discount…), soit une élévation du prix de certains produits de base vers des offres « premium » telles les bières de brasseur ou les campings 5 étoiles par exemple.

Il y a eu l’installation des entrepôts Amazon à proximité des grands axes autoroutiers nord-sud…, reflet du basculement des métiers du primaire en déshérence vers le tertiaire, et essentiellement vers la logistique et… le tourisme. C’est-à-dire vers la désirabilité d’un passé réinventé sur fond de fausses traditions sublimées pour le tourisme interne et externe. Et bien d’autres choses encore… dont, notamment, l’influence des modes de vie sur le vote, que ce soit celui des centre-ville « boboïsés » ou des milieux ruraux.

Le constat que font les auteurs de l’image que donne la France aujourd’hui, s’il nous touche directement car il s’agit de notre histoire quotidienne, peut aussi être fait dans de très nombreux pays occidentaux, ceux dont l’économie a dominé le monde depuis 200 à 300 ans.

LES GUERRES ÉCONOMIQUES

Disons-le d’emblée, le livre de Matthew C. Klein (journaliste économique nord-américain) et de Michael Pettis (économiste et professeur de management à Pékin) parle d’économie et il est parfois difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas versés dans cette science multiparamétrique qui, dès lors, peut paraître complexe dans divers paragraphes.

Pourtant, il ne faut pas s’arrêter sur quelques termes et raisonnements parfois difficiles à comprendre car ce livre a deux grands mérites. 

Le premier est de raconter l’histoire économique de la Chine, de l’Allemagne et des Etats-Unis, et d’insérer rapidement ces histoires régionales dans l’histoire économique globale. Les chapitres concernant ces trois pays sont riches d’enseignements sur les interdépendances entre histoire, mentalités, flux économiques et évolutions de leurs sociétés puis évolution des autres pays. Tant l’Allemagne – qui pour certains fait figure de modèle – que la Chine, y sont décrites sévèrement mais probablement avec une vision proche de la réalité. 

Ainsi, pour l’Allemagne, « Une fois les impôts, les avantages sociaux et l’inflation déduits, le revenu moyen des ménages en 2013 était légèrement inférieur au revenu moyen des ménages en 1999 ». Ainsi, pour la Chine, pays se disant communiste « le système financier favorisait un transfert massif et soutenu des capitaux de la population vers les grands industriels, les entreprises spécialisées dans les travaux d’infrastructures, les promoteurs immobiliers ainsi que les autorités provinciales et communales ».

Le deuxième avantage est de montrer ce qu’est l’économie mondiale ou globale faisant que les décisions économiques prises dans un pays retentissent rapidement sur l’économie et les modes de vie des autres pays et influencent de ce fait leurs évolutions. Un exemple simple parmi d’autres : la diminution des revenus en Allemagne a contribué à augmenter le prix de l’immobilier en Espagne, et vous comprendrez pourquoi en lisant ce livre. En effet, pour ses auteurs « La répartition du pouvoir d’achat au sein d’une société a un impact sur les relations économiques de cette société avec le reste du monde ».

Afin de mieux comprendre l’économie mondiale, on trouve entre autre dans ce livre l’histoire des conteneurs ou plutôt comment ce progrès logistique qui a mis quelques décennies à s’imposer a littéralement modifié le monde, permettant un transport plus sûr et moins onéreux des marchandises et ouvrant vraiment la voie à la mondialisation. On y découvre aussi comment ce progrès a complètement modifié la structure des ports et leurs organisations, notamment en matière d’emploi. On y rappelle aussi les grands mécanismes de l’évasion fiscale et les conséquences que cela a sur les dettes nationales, l’histoire du crédit, les transferts d’actifs d’un pays à l’autre… Toutes notions essentielles pour comprendre le monde d’aujourd’hui

UNE THÈSE SUR L’ÉCONOMIE MONDIALE : L’ÉCONOMIE OUVERTE ET SES CONSÉQUENCES

Mais, la thèse principale du livre est – alors que le bon sens fait envisager qu’une guerre commerciale est un conflit entre plusieurs pays qui défendent certaines de leurs industries et l’emploi – de fait un conflit qui oppose banquiers et détenteurs d’actifs financiers à des ménages de la classe moyenne, c’est-à-dire, un conflit entre les très riches et les autres. 

Pour les auteurs, l’origine des guerres commerciales est une conséquence des décisions prises par les hommes politiques et les chefs d’entreprise, principalement en Chine, Europe et Etats-Unis, et ayant pour conséquences un accroissement des inégalités au profit des 0,1 % les plus riches et aux détriments des classes populaires et moyennes : en d’autres termes, les auteurs soutiennent la thèse que les conflits commerciaux actuels sont le fait des gouvernements, y compris chinois, qui défendent les intérêts des élites aux dépens des travailleurs.

Et l’histoire est principalement le fait que les États-Unis, dans une frénésie de consommation et d’investissements rentables, ont absorbé le surplus de production et d’épargne du reste du monde avec comme corollaire, la désindustrialisation et les crises financières. L’ouverture des Etats-Unis au commerce et à la finance internationales a ainsi permis aux riches d’Europe, de Chine et des autres grandes économies excédentaires de faire pression sur leurs travailleurs et leurs retraités dans la mesure où ils sont sûrs de pouvoir toujours vendre leurs marchandises, engranger des profits et investir leur épargne dans des actifs sécurisés.

Il en a résulté une montée des inégalités, un surplus de biens manufacturés, des pertes d’emplois et un accroissement de l’endettement. Et un risque notable de conflit qui ne sera pas que commercial.

EN SYNTHÈSE

« Les prix bas ? Les pauvres en ont besoin, les riches en raffolent… » c’est de fait la synthèse de ces deux ouvrages telle que fournie par l’adage rapporté dans « La France sous nos yeux » et qui est enseigné dans des écoles de commerce américaines, et dont l’explication est contenue dans « Les guerres économiques… ». En d’autres termes, peu importe la pauvreté car un pauvre peut et aime consommer, il suffit d’adapter le prix et l’offre à son niveau de vie (magasins discounts…). L’investissement en capital sera faible, le coût de production et de transport du produit sera faible, la qualité du produit sera faible, la marge sera faible, mais les ventes tellement nombreuses que l’investissement sera rentable, notamment si la solvabilité du pauvre est favorisée par les aides publiques, et qu’il reste possible de faire transiter les profits par des paradis fiscaux permettant d’échapper à l’impôt.

EN SAVOIR PLUS…

La France sous nos yeux

  • Auteurs : Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely
  • Éditeur : Seuil
  • Parution : octobre 2021
  • Pagination : 481 pages
  • Format broché : 23,00 euros
  • Format Kindle : 17,00 euros

Les guerres commerciales sont des guerres de classes

  • Auteur : Matthew C. Klein et Michael Pettis
  • Editeur : Dunod
  • Parution :  janvier 2022
  • Pagination : 288 pages
  • Format broché : 26,00 euros
  • Format Kindle : 18,00 euros