Le naufrage des civilisations

Je suis né en bonne santé dans une civilisation mourante et tout au long de mon existence, j’ai eu le sentiment de survivre sans mérite ni culpabilité…

C’est par ce bel incipit, qui d’ailleurs nous en rappelle un autre tout aussi savoureux (« je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers »), que nous entamons notre périple dans le dernier ouvrage d’Amin Maalouf.

Qui a lu, entre autres, « Léon l’Africain », « Les Echelles du Levant », ou surtout l’excellent « Rocher de Tanios », prix Goncourt 1993, sait tout ce qu’Amin Maalouf apporte à la littérature. 

Sa carrière d’écrivain en tous points remarquable lui a valu d’être reçu à l’Académie française en 2011 au fauteuil de Claude Levi-Strauss ; il a publié, outre les romans sus-cités et bien d’autres, des ouvrages historiques comme « Origines » ou « Les Croisades vues par les Arabes » ainsi que des essais comme « Les identités meurtrières » ou « Le Dérèglement du monde ».

Ses livres sont traduits dans une cinquantaine de langues.

Avec le naufrage des civilisations, l’auteur veut nous amener à partager ses analyses d’un monde qu’il estime, et on le comprend, en grand péril ; Amin Maalouf est digne de confiance tant il semble avoir la prescience des grands bouleversements de l’Histoire ; il s’inquiétait il y a vingt ans de la montée des « identités meurtrières », il nous alertait il y a dix ans sur « Le dérèglement du monde ».

Aujourd’hui il nous explique pourquoi toutes les aires de civilisation sont menacées de naufrage.

Depuis plus d’un demi-siècle, l’auteur observe le monde et le parcourt ; Il était à Saïgon à la fin de la guerre du Vietnam, à Téhéran lors de l’avènement de la République islamique.

Dans ce livre puissant et ample, il fait œuvre de penseur et de spectateur engagé, racontant parfois des événements majeurs dont il s’est trouvé l’un des rares témoins oculaires.

« C’est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde » écrit-il tristement avant d’évoquer l’extinction du Levant tolérant et les secousses sismiques du monde arabo-musulman, dont les répliques ont affecté, de proche en proche, la planète entière.

Il émet l’hypothèse d’un grand retournement qui aurait métamorphosé les sociétés humaines et dont nous serions aujourd’hui les héritiers hagards.

Pour autant, l’auteur se défend de prêcher le découragement, et reste persuadé qu’un sursaut demeure possible, pour éviter au paquebot des hommes de continuer, tel le Titanic, à naviguer vers sa perte.

A moins que, finalement, comme l’écrivait Constantin Cavafy dans l’un de ses Poèmes, cités ici par Amin Maalouf « Ce que réserve l’avenir, seuls les dieux le connaissent, les hommes sages ne perçoivent de l’avenir que ce qui est imminent » !

Cet ouvrage qui a reçu le prix Aujourd’hui 2019 est vraiment magnifique.

 

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