Le régime de Poutine – Aussi édifiant que terrifiant

Le 24 février 2022, avec la guerre d’agression génocidaire contre l’Ukraine, une partie du monde s’est décillée quant à la nature du régime de Vladimir Poutine. Plusieurs livres existaient déjà sur ce qu’est devenue la Russie post-soviétique, mais depuis l’invasion de l’Ukraine, de nombreux sont parus, de moins en moins complaisants, de moins en moins superficiels ou « politiquement corrects » et qui permettent dorénavant de parfaitement comprendre Poutine et le système qu’il représente. Deux livres récents font en quelque sorte la synthèse de nombreux autres et sont sans concession. Ils rappellent une histoire cruelle, celles des régimes nazis et soviétiques totalitaires. A lire absolument…

LE LIVRE NOIR DE VLADIMIR POUTINE

UN NOUVEAU TOTALITARISME

Ayant pu accéder entre 1992 et 1994 aux archives du Parti Communiste russe à Moscou, Stéphane Courtois avait déjà coordonné un Livre noir, celui du communisme. Il est donc un parfait connaisseur et analyste des régimes totalitaires. Il coordonne ce nouveau Livre noir, consacré à Vladimir Poutine, avec Galia Ackerman et ne manque pas de faire le parallèle entre le système instauré par Poutine et celui créé par Lénine et Staline. Car comme le dit un des auteurs : « Le poutinisme a hérité du stalinisme son sadisme systémique ».

« Le régime poutinien est né de l’osmose des forces organisées qui ont survécu à l’effondrement de l’URSS : les services spéciaux et la pègre. Sa politique étrangère est façonnée par cette double influence… Dès la première année de sa présidence, en bon officier du KGB, Poutine chercha à mettre la Russie en position de recruter les élites occidentales, de faire chanter les pays étrangers et éventuellement de les racketter. »

Ce qui en ressort est que la Russie est actuellement aux mains d’un clan qui souhaite façonner les esprits pour anéantir toute résistance à ses projets. 

Il contrôle les médias, l’église orthodoxe russe, la justice, les services secrets et les parlements qui ne sont que des chambres d’enregistrement des décisions de Vladimir Poutine. Mais aussi les principales industries pourvoyeuses de devises comme les sociétés pétrolières et du gaz. 

Ce clan peut tout à la fois se définir comme tchékiste, impérialiste, mafieux et prédateur et son capo di tutti capi est Poutine auquel tous doivent allégeance. Dans le cas contraire, la justice aux ordres les mettra en camp de travail, s’ils ne rencontrent pas un poison radioactif ou quelques balles, y compris s’ils séjournent à l’étranger. Et peu importe que l’Etat russe soit reconnu coupable du crime par les pays tiers, il échappera à la justice et aura fait comprendre à ceux qui ne font pas allégeance au capo que « le crime est le message ».

Pourquoi échappe-t-il à la justice ? Parce qu’il est souverain, parce qu’il téléguide ses opérations et en protège les acteurs, et parce qu’il pense que les démocraties sont par définition peureuses, lâches et corrompues. Et le système Poutine sait de quoi il parle car la corruption et le racket à l’échelle internationale sont deux de ses armes de choix. 

Ainsi, par exemple, les gazoducs comme les deux Nord Stream ont été conçus comme des armes géopolitiques ayant plusieurs objectifs : créer une dépendance énergétique des pays européens et donc posséder un instrument de chantage, assurer un flux de devises pour le pays, corrompre les élites occidentales, découpler l’Union européenne en faisant de l’Allemagne un pays dépendant de l’énergie russe et donc aux intérêts séparés de ceux de la France.

UN RÉGIME CRIMINEL, UNE VISION CRIMINELLE DE LA SOCIÉTÉ

LQue ce soit sur son territoire, en Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie ou en Ukraine, les crimes de la Russie de Poutine relèvent de quatre catégories légalement définies : crime de guerre, crime contre l’humanité, crime de génocide et crime d’agression, également connu comme crime contre la paix.

« Ce que Poutine cherche à établir en tant qu’ancien malfrat pétersbourgeois, c’est l’extension du domaine du crime. Il se moque d’établir un contrôle durable ou un “Reich de mille ans” ; sa volonté est d’abord de montrer que, au rebours des prétentions du monde civilisé de tenter d’instituer un monde autant que possible régi par le droit et le respect de la personne humaine, il peut sans opposition majeure transformer le monde en un règne du non-droit, où tout est possible et dès lors permis. Il se trouve ainsi à la tête d’un régime entièrement et essentiellement criminel qui n’est même plus soutenu par la fiction d’un monde meilleur où le prolétariat régnerait en maître. Certes, il peut se servir de la haine de l’Occident qu’entretiennent certains dictateurs qui y voient une entrave à l’accomplissement de leurs méfaits. Mais son projet va encore au-delà de celui de la destruction du monde libre. Il est celui du règne sans partage du monde du crime ». 

EN SAVOIR PLUS…

Le livre noir de Vladimir Poutine

    • Auteur : Collectif sous la direction de Galia Ackerman et Stéphane Courtois
    • Éditeur : Perrin – Robert Laffont
    • Parution : Novembre 2022
    • Pagination : 464 pages
    • Format broché : 24,90 euros
    • Format numérique : 16,99 euros

POUTINE OU L’OBSESSION DE LA PUISSANCE

UN ÉTAT MAFIEUX

Françoise Thom, historienne et agrégée de russe, a écrit quelques chapitres du Livre noir, mais dans son livre paru un mois auparavant, elle expose plus précisément l’emprise de la mafia sur la société et la culture russes, et ce, depuis l’existence de l’Union soviétique.

Dès le premier chapitre, elle rappelle que les services de sécurité soviétique (le KGB) veillaient à anéantir toute dissidence, conduisant les survivants du système à rejoindre le Goulag. Celui-ci était tellement peuplé qu’il était en fait régi par la pègre. 

Et l’interconnexion entre ces divers mondes à fait dire à l’époque par Soljénitsyne dans l’Archipel du Goulag : « Qui des tchékistes et des truands a rééduqué l’autre ? » Ce qui fait par ailleurs écrire à l’auteur « L’organisation spontanée du tissu social en clans, dans tous les domaines d’activité, du syndic d’immeubles aux groupes pétroliers, explique que dans une telle société, il est pratiquement impossible de défaire le nœud entre criminalité organisée, structures de force (police, services spéciaux, armée, Parquet) et bureaucratie ».

UNE VISION MAFIEUSE

Et Françoise Thom de poursuivre : « Poutine, qui a été formé par la pègre et le KGB, est incapable de penser en termes politiques. Il ne tient compte ni de la société, ni de l’opinion qui, à ses yeux, sont totalement manipulables par les élites. Il ne comprend pas ce qu’est un Etat, ni un empire, car le droit est absent de ses catégories mentales. Sa logique de chef de bande éclipse tout. Sa vision de la scène internationale est celle d’une jungle où s’affronte des mâles dominants. Sa vision de l’empire est celle d’un espace exclusif de pillage et de prédations. Il ne reconnaît qu’un seul crime : faire défection et passer sous le contrôle d’un mâle dominant rival ».

ALORS ?

On pourrait croire ces propos exagérés, mais en fait ils sont étayés par de nombreux exemples produits dans ces deux livres et plusieurs autres récents. Ils forment la vision qui semble la mieux adaptée à la situation russe et à une évolution du monde qui rappelle celle des années folles où une partie de l’Europe « s’amusait » pendant que deux totalitarismes s’installaient qui allaient conduire à la deuxième guerre mondiale, celle-ci étant permise par le pacte Molotov-Ribbentrop ou pacte germano-soviétique de 1939 unissant les intérêts à court terme de ces deux totalitarismes.

Aussi est-il utile de reprendre la conclusion de Françoise Thom concernant Poutine et l’époque actuelle : « Comme Hitler, il a misé sur la faiblesse des démocraties, sans comprendre que celles-ci, habituées au consensus et aux manières civilisées, mettent du temps à se rendre compte qu’elles ont un ennemi, mais que, quand elles ont réalisé le péril dans lequel elles se trouvent, elles finissent toujours par trouver les ressources et l’énergie pour faire face au danger ».

EN SAVOIR PLUS…

Poutine ou l’obsession de la puissance

    • Auteur : Françoise Thom
    • Éditeur : Editions du Rocher
    • Parution : Octobre 2022
    • Pagination : 248 pages
    • Format broché : 17,90 euros
    • Format numérique : 16,99 euros
    • Format poche : 7,90 euros