L’Ecole de Crozant et les Eaux Semblantes [2]

Une pléiade d’artistes paysagistes ont cherché entre 1850-1950 l’inspiration le long de la vallée de la Creuse et de ses affluents. Ils confrontèrent leur talent à un paysage complexe, dans un laps de temps assez court sur une aire géographique très restreinte, avant que la mise en eau (1926) du barrage hydro-électrique d’Eguzon ne vienne submerger, en partie, les gorges pittoresques.

Fernand Maillaud (1862-1948)

Fernand Maillaud, originaire de l’Indre, est « plus paysan que peintre ». Après des années de galère à Paris, il fait partie des peintres impressionnistes et symbolistes avec Maurice Denis (1870-1943) Paul Sérusier (1864-1927) et Gauguin avec lequel il ne sympathise pas ; son goût de l’indépendance l’incite à poursuivre une carrière en solitaire et il finit par accéder à la notoriété. 

De 1894 à 1902, il passe plusieurs étés à Fresselines où il voit souvent Maurice Rollinat. Son adage favori était « je peins comme je prie, avec ferveur » et il est celui pour qui « la poésie des chemins creux serait incomplète sans la notion utilitaire » ; c’est ainsi qu’il peint les jours de marchés et les foires à bestiaux, les laboureurs, le cornemuseux et les maîtres sonneurs. 

En 1897, il installe son atelier à Paris, au n°3 de la rue de l’Estrapade, la maison où vécut Diderot. Il y finira sa vie après des séjours en Provence et en Afrique du Nord, et après une carrière « jalonnée d’honneurs et de charrettes à bœufs » en recevant la Légion d’honneur « comme on reçoit un bouquet de fleurs ».

Autres peintres

La place manque pour être exhaustif ; citons Léon Detroy (1857-1955) qui découvre la vallée de la Creuse vers 1885, bien avant Guillaumin ; à peine arrivé, il rencontre Maurice Rollinat qui lui dédicacera son livre Paysages et Paysans en 1899 ; en retour le peintre ajoutera parfois la silhouette du poète dans ses vues de Fresselines. 

C’est en solitaire et peu soucieux d’être reconnu que « l’ermite de Gargilesse » y restera soixante ans, fréquentant en alternance Gargilesse, Crozant et Fresselines en « ayant eu toutes les chances, la longévité, la peinture et la Creuse ». Il fera connaître Crozant à Henri Charrier (1859-1950) qui, peintre académique ignorant le monde paysan, peuplera la Creuse de personnages allégoriques et d’apparitions symboliques. 

Paul Madeline (1863-1920) découvre la Creuse en 1894 avec Maurice Rollinat et Léon Detroy. Il est « le dandy de l’arrière-saison » qui se consacre entièrement à la peinture dont il peut vivre à partir de 1902 et vient plusieurs mois par an dans la Creuse, habituellement à l’automne. 

Il s’inspire de la palette et de la technique de Guillaumin qui initie aussi Eugène Alluaud (1866-1947) issu d’une famille de porcelainier de la Haute Vienne et qui est céramiste mais aussi peintre de telle sorte que sa vie se partage « entre l’huile et le kaolin » alternant des séjours à Limoges et à Crozant qu’il découvre en 1887. II y fera construire une maison où il s’installe chaque été à partir de 1905. 

Il se lie d’amitié avec Maurice Rollinat dont il va « peindre la poésie avec la technique de Guillaumin ». Clémentine Ballot (1879-1964) est « la version féminine du paysagisme creusois d’Armand Guillaumin » dont elle fait la connaissance en 1906. A la Piscine de Roubaix (Musée d’Art et d’Industrie de Roubaix), est visible une « Vue des ruines de Crozant » par Henri Pailler (1876-1954) qui fut l’élève de Léon Bonnat (1833-1922). 

On y verra aussi Emile-Othon Friesz (1879-1949) qui viendra voir de près Guillaumin en 1901 et qui « joue les fauves dans les bruyères » préludant au Fauvisme qui « brise le joug de l’impressionnisme » et Francis
Picabia (1879-1953) dont « la fougue indomptable l’amène aux frontières d’un royaume vertigineux : l’abstraction ». 

C’est après la guerre, alors que la Creuse avait retrouvé toute sa solitude, qu’il reviendra à Gaston Thiery (1922-2013) de reprendre le flambeau de la grande tradition du pleinairisme en ayant été convaincu dès 1940 par Léon Detroy de s’installer définitivement à Fresselines en 1948 où il pourra « peindre au village et vendre à Paris »

Le terme « impressionnisme » nait sous la plume du critique Louis Leroy commentant avec dérision, dans la revue satirique « Le Charivari » du 25 avril 1874, le tableau de Claude Monet montrant une vue du Havre noyée dans un brouillard bleuté au dessus duquel se lève un soleil orange se reflétant dans la mer et qui fut dénommé « Impression, soleil levant » (1872). 

Les peintres impressionnistes choisissent souvent leurs sujets dans les paysages et c’est dans ce contexte que se situe, entre 1883 et 1903, autour du poète Maurice Rollinat, héritier littéraire de George Sand, la période la plus créative de l’histoire des peintres de la Vallée de la Creuse. L’Ecole de Crozant regroupe alors des peintres paysagistes qui travaillent sur les rives des deux Creuse et de ses affluents. Claude Monet y effectua un court séjour au printemps 1889 mais c’est à un autre impressionniste, Armand Guillaumin, que fut dévolu le rôle de faire le lien entre la vallée de la Creuse et les aspirations nouvelles de nombreux artistes qui suivront pendant environ un siècle (1850-1950). 

Les peintres postimpressionistes profiteront de ce paysage d’exception qui finira en partie submergé par la mise en eau, en 1926, du barrage d’Eguzon qui changea radicalement les proportions de la rivière. L’athmosphère poétique n’a cependant pas totalement disparu et il suffit d’y aller pour s’en convaincre.

Detroy
Boucles de la Creuse – Léon Detroy
Madeline
Moulin de la Folie – Paul Madeline
Le Bloc – Claude Monet
Alluaud
Le pont au-dessus de la Creuse – Eugène Alluaud
Monety
Soleil levant sur la Petite Creuse – Claude Monet
Références bibliographique
  • Atkins, Robert. Petit Lexique de l’Art Moderne 1848-1945 Abbeville. 1997
  • Brion, Marcel. Les peintres en leur temps. Ed. Philippe Lebaud. 1994
  • Brodskaïa, Nathalia.. Impressionnisme et post-impressionnisme. GEOART 2015
  • Clark, Kenneth. L’Art du paysage. Arléa. 2010
  • Ferrer, Jean-Marc. La photographie dans la Vallée de la Creuse au temps de l’impressionnisme (1875-1920) Les Ardents Editeurs. 2013
  • Laneyrie-Dagen, Nadeije. Le métier d’artiste ; dans l’intimité des ateliers. Larousse 2012
  • Les peintres du Bas-Berry 1800-1950 Exposition Châteauroux – Les Cordeliers 1982
  • Rameix, Christophe. Impressionnisme et postimpressionnisme dans la Vallée de la Creuse. The Crozant School. Ed. Christian Pirot. 2012
  • Rameix, Christophe. L’Ecole de Crozant. Les peintres de la Creuse et de Gargilesse 1850-1950 Ed. Lucien Souny 1991
  • Sand, George. Promenades autour d’un village. Ed. Christian Pirot 1992
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