« Les paroles s’envolent, les écrits restent » ou « l’impérieuse nécessité de la traçabilité »

313 – Pourtant, en cas de litige, le médecin aura toujours de grandes difficultés à se justifier en l’absence de trace écrite, face à un patient ou sa famille en colère. Sa seule bonne foi suffit rarement.

Les carences en matière de traçabilité seront illustrées par l’exposé de situations médico-légales typiques et malheureusement récurrentes.

Établissement d’un diagnostic

La détermination d’un diagnostic passe par la collecte d’informations provenant de l’interrogatoire, de l’examen clinique et d’explorations complémentaires. L’inscription directe d’un diagnostic sans détail sémiologique sur le dossier représente une faiblesse pour le médecin si son diagnostic est contesté ultérieurement devant la survenue d’une complication. Dans un cas d’une mort subite survenant trois jours après une consultation, il sera plus facile de convaincre l’expert des tribunaux du caractère atypique d’une douleur et de l’absence justifiée d’exploration si le dossier évoque une « douleur punctiforme sans rapport avec l’effort, durant quelques secondes, sans irradiation ni signe d’accompagnement et reproduite par la palpation d’un point électif ». Si le dossier rapporte uniquement « une douleur atypique », l’expert sera tenté de retenir l’erreur diagnostique. De la même manière, en cas d’accident lié à la réalisation d’une exploration invasive (coronarographie), la description précise des symptômes typiques d’angor instable sera déterminante pour la validation de l’indication de l’examen.

Organisation de la prise en charge

Si un patient décède ou présente un infarctus du myocarde, ou provoque des blessures à des tiers à l’occasion d’une syncope (automobile, accident du travail…) après une consultation cardiologique, l’expert sera amené à s’intéresser de près à la stratégie retenue par le médecin et aux consignes données. Il ne faut surtout pas se contenter de consignes orales, ni de demandes sans donner un délai pour leur exécution. Face à une suspicion d’angor, un cardiologue avait prescrit une épreuve d’effort sans donner de délai. Le patient ne prendra pas de rendezvous immédiatement et présentera un mois plus tard un arrêt cardiaque récupéré avec encéphalopathie anoxique. Il sera reproché au médecin de ne pas avoir fixé de délai pour la réalisation du test, ni donné de consignes de rappel en fonction de l’évolutivité des symptômes. C’est bien souvent les patients les plus indisciplinés qui sont victimes de complications. Le médecin, pour se prémunir de reproches ultérieurs, doit clairement noter dans son dossier, mais surtout dans sa demande, le délai qu’il donne pour l’exécution de l’exploration. Il en est de même pour les demandes d’hospitalisation.

Face aux patients récalcitrants, il ne faut pas accepter trop rapidement leur refus. Par l’obligation de moyen qui pèse sur le médecin, il faut donc chercher à convaincre à tout prix. S’ils s’obstinent, il n’est pas inutile de leur délivrer un courrier de demande d’exploration ou d’hospitalisation pour marquer votre détermination dans la stratégie adoptée, en gardant un double dans le dossier. Le patient prend alors ses responsabilités, en connaissance de cause.

Face à un refus obstiné, il faut alors demander au patient de bien vouloir rédiger une attestation de refus de soins, dans laquelle il reconnaît avoir été informé des risques encourus. S’il refuse de signer, il est impératif de mettre une mention explicite dans son dossier et mettre en oeuvre les moyens (en respectant le secret médical) pour prouver la proposition de soins (lettre aux confrères traitants, ou au patient lui-même). Bien entendu, à l’avenir, et en dehors du contexte d’urgence, il faudra signifier au patient que l’on ne souhaite plus le suivre, si l’on pense que cette situation risque de se renouveler. C’est un des droits reconnus aux médecins par le code de déontologie médicale, à condition de respecter les formes.

Information des patients

Si les médecins savent qu’ils ont une obligation d’information vis-à-vis de leurs patients, ils ne doivent pas oublier qu’il leur revient également de prouver qu’ils ont délivré cette information. Il n’y a pas de règle absolue pour prouver cette démarche. Si une procédure est engagée à la suite d’un accident médical, il ne faut pas avoir la naïveté de croire que tous les patients reconnaîtront avoir été informés. D’abord parce que le choc de l’accident peut avoir entraîné une amnésie antérograde. De plus, la réceptivité des patients au message médical reste très fluctuante. Le contexte même de la procédure fait que les patients, ou leur entourage, ont tout intérêt à nier cette information. Enfin, en cas de décès, les ayants droit à l’origine de la procédure n’ont habituellement pas assisté aux consultations. Les médecins doivent utiliser tous moyens adaptés à la situation pour démontrer leur démarche d’information des patients. Pour être remarquable des patients et comprise par eux, elle doit impérativement débuter par une explication orale. Ensuite, le médecin doit en faire mention dans son dossier personnel puis dans ses courriers aux confrères ou au patient.

Enfin, afin d’être le plus exhaustif, pourquoi ne pas remettre les documents rédigés par la Société Française de Cardiologie (téléchargeable sur le site : www.sfcardio.fr). Faut-il faire signer ces documents par les patients ? Beaucoup y sont opposés et crient haut et fort que « ce document signé n’a pas de valeur légale » ! Quoiqu’en disent ces pourfendeurs, l’apposition d’une signature par un adulte lettré constitue indiscutablement un accusé de réception du document donné. Une fois signé, les patients revendiquent rarement le défaut d’information ! En revanche, sans signature, les plaignants et leurs avocats auront tout le loisir de dire qu’ils n’ont jamais reçu le document et qu’ils n’ont pas été informés !

Défaut de conseil

C’est un domaine encore méconnu des médecins. Les conséquences juridiques du défaut dépendent d’une part du bien fondé scientifique du conseil, mais surtout de la possibilité de mesurer l’effet du conseil. Il sera par exemple difficile de déterminer la perte de chance imputable à un cardiologue, si un patient lui reproche de ne pas lui avoir indiqué d’avoir une activité physique quotidienne ayant pour conséquence un nouvel infarctus dix ans plus tard. En revanche, la perte de chance sera plus facile à évoquer si un patient, ayant une séquelle d’infarctus avec dysfonction ventriculaire et des troubles du rythme ventriculaires mal contrôlés, est responsable d’un accident automobile et qu’il est prouvé que le cardiologue n’avait pas clairement contre indiqué la conduite automobile. Il peut alors être judicieux de signifier systématiquement aux patients ces conseils sur leurs ordonnances : « arrêt du tabac », « conduite automobile contre-indiquée »…

Quel support ?

Aucune règle n’impose le dossier manuscrit plus que l’informatique. Chaque méthode a ses partisans. L’avantage de l’informatique est d’abord le caractère structuré du dossier, permettant peut-être une systématisation de l’interrogatoire et une aide au formatage des données. Ensuite, elle limite le volume physique de stockage nécessaire. Enfin, il est possible de faire une sauvegarde en deux lieux (un au cabinet sur le disque dur de l’ordinateur et un second à distance (société d’hébergement de données ou stockage sur un disque dur externe au domicile du praticien)). Le dossier papier n’offre pas cette possibilité et expose à la perte matérielle du dossier en cas d’incendie, vol ou autre sinistre. Le stockage des dossiers des cliniques peut poser des problèmes surtout lorsqu’une réclamation survient après la fermeture de l’établissement.

Conclusions

Toutes les étapes de la prise en charge médicale sont susceptibles de faire l’objet de critiques. La meilleure défense du cardiologue repose sur une traçabilité systématique du recueil des données, mais également des consignes, informations, conseils et traitements donnés par le médecin. Le recours à un dossier informatisé permet d’aider à l’exécution de cette exigence. Il faut néanmoins organiser une sauvegarde et l’accessibilité du support plusieurs années après l’acte litigieux. Ã défaut d’un support informatique, un duplicata ou une photocopie des pièces sensibles est hautement souhaitable (ordonnances, lettres, refus de soins…) en plus d’une observation médicale prolixe.