Les pharmaciens veulent pouvoir « consulter » derrière le comptoir

Mais qui connaît la MTRL ou les ACM ? La modestie de ces deux mutuelles – 75.000 personnes couvertes pour l’une, essentiellement dans les rangs des personnels communaux de Rhône-Alpes dont ceux de la ville de Lyon et un nombre inconnu pour la société de bancassurance qui se cherche un créneau en santé – explique sans doute l’inconséquence du contrat que toutes deux viennent de nouer avec deux organisations de pharmaciens, l’UNPF et l’USPO. Il s’agit rien moins que de rémunérer – au tarif de 21 €, 22 bientôt et en tout cas le même tarif qu’un généraliste, la consultation de prévention du… pharmacien d’officine.

Le bras de fer des assureurs complémentaires et des pharmaciens n’a jamais atteint les sommets des contentieux opposant les premiers aux chirurgiens-dentistes, mais ils ont pris un tour aigu lorsque Santéclair, plate-forme de service commune aux AGF et au tandem MAAF-MMA, a proposé aux organisations d’officinaux la signature d’un protocole fondé sur le remboursement d’un « panier de soins » non couvert par l’Assurance Maladie obligatoire. Troubles digestifs ou ORL mineurs, sevrage tabagique, pathologies du voyage, etc., constituaient autant de « paniers » remboursés par la mutuelle à des tarifs imposés par l’assureur au pharmacien. En fait des tarifs « négociés », dont certains pharmaciens considèrent qu’ils sont « corrects », mais dont la majorité considèrent qu’ils sont abusifs sur des prix réputés libres dès lors que les médicaments concernés ne sont plus admis au remboursement…

L’accord liant les organisations officinales et les mutuelles MTRL et Assurances du Crédit Mutuel porte sur deux dispositions originales : d’une part le remboursement plafonné à 50 € par an des dépenses d’homéopathie et d’autre part la prise en charge d’une consultation pharmaceutique personnalisée pompeusement baptisée « bilan de prévention » au terme de laquelle le pharmacien aura bien fait le tour des éventuelles allergies, résultat d’analyse, hygiène de vie, carnet de vaccination, IMC…, glycémie capillaire, tension, souffle… Avec à la clé, un « conseil » de consulter son médecin traitant ou éventuellement « un plan de soins pharmaceutiques » où le potard serait prescripteur et prescrit…

Venant d’une profession qui a tant fait – et avec un certain bon sens – pour la fin du statut de « propharmacien », y compris là où il avait quelque utilité, l’initiative fait sourire jaune… Plus important aux yeux du président de l’Union Nationale des Pharmacies de France qui s’est confié à la revue « Le Moniteur » : les deux assureurs parient sur « la valeur ajoutée du pharmacien et la qualité du service ». Sans barguigner le prix de cette qualité, le même tarif que le généraliste. Celui qui passe pour le leader des grosses pharmacies nous apprend au passage qu’il avait éconduit un autre assureur qui lui proposait déjà la même chose au tarif d’un « demi-C »… « Sommes-nous des demi-professionnels de santé ? » s’interroge- t-il, faussement humilié…

Mais l’article ne nous apprend rien des éventuelles clauses de confidentialité de cette consultation dont on imagine pourtant mal qu’elle ait lieu… au comptoir. D’ordinaire assez prompt à dénoncer les dérives de la profession, en tout cas derrière le comptoir, là où sont rangées les spécialités éthiques, le Conseil de l’Ordre est provisoirement muet. Alors qu’il joue un rôle moteur, pour ne citer que cet exemple probant, dans la formation des officinaux à la pédagogie publique du défibrillateur automatique externe !

Cet épisode illustre, après d’autres, l’urgence d’une négociation cohérente des professions de santé dans leur diversité avec la… multitude des assureurs complémentaires eux-mêmes en concurrence. Ã laisser s’épanouir ainsi l’imagination des acteurs, le risque est permanent de devoir stigmatiser régulièrement ce type de dérive éthique.