Lettre à un « cher confrère » inconnu du CHU

Cher confrère _ Je peux vous nommer ainsi, car c’est de cette facon que débute votre lettre : « cher confrère ».

Puisque vous me l’adressez à moi qui suis médecin, je suppose que vous l’êtes également. Cependant, à ma grande surprise, je n’ai trouvé sur votre missive ni votre nom, ni votre qualité, ni votre numéro de téléphone, ni votre signature. Votre papier à en tête ne mentionne en fait aucun nom de médecin. Il y a juste la référence à un service de chirurgie du CHU, sans adresse postale, et un numéro de fax sur lequel je reviendrai.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, on peut donc recevoir une lettre anonyme d’un cher confrère.

L’objet de ce courrier était la demande d’un bilan cardiologique pré-opératoire.

Le porteur de cette lettre, comme tant d’autres, car ce n’est pas la première que j’ai reçue, lui, n’était pas anonyme. Il devait se faire opérer prochainement et j’en déduis que vous êtes chirurgien ou anesthésiste. On lui avait demandé de prendre rendez-vous rapidement auprès d’un cardiologue avant son intervention, sans lui recommander, d’ailleurs, d’en informer au préalable son médecin traitant.

Vous terminez en me demandant de faxer mes conclusions au numéro précédemment évoqué.

Cela me gêne beaucoup.

En effet, l’Ordre nous a, à juste titre, plusieurs fois alerté sur le risque pour le respect du secret médical, des envois par fax qui ne devraient se faire que pour des interlocuteurs bien identifiés et, de préférence, quand on est assuré, parce qu’on les connaît, que la disposition des lieux ou` se trouve le récepteur, permet d’assurer la confidentialité (par exemple, envoi d’une lettre d’un cardiologue à son collègue de garde à sa clinique).

Pour ma part, je me refuse à répondre à ce type de demande, ceci à plus forte raison quand le nom et la qualité de son auteur ne sont pas indiqués.

Je préfère que ma lettre soit remise rapidement aux patients eux-mêmes par mon secrétariat, mais cela ne se passe pas toujours de façon sereine. En effet, vous devez avoir des secrétaires très persuasives, car les patients donnent parfois l’impression d’avoir été conditionnés pour exiger un fax et manifestent souvent leur incompréhension, ce qui peut rendre la fin de consultation parfois un peu difficile.

Vous écrivez que « compte tenu des antécédents, une échographie cardiaque est nécessaire », ceci, en l’occurrence, pour quelqu’un qui n’avait aucun antécédent cardiaque. En fait, cette demande est faite sans avis médical préalable, comme le confirment les patients, et comme en atteste d’ailleurs votre document qui précise que la consultation d’anesthésie sera faite ultérieurement. Cela signifie que l’échocardiogramme est demandé systématiquement, quel que soit l’état du malade.

Cette attitude me pose problème à plusieurs égards :

En tant que médecin habilité à évaluer les pratiques, j’ai été formé à la HAS au respect des recommandations. Or, la recommandation de la Société Francaise de Cardiologie sur l’échocardiographie, qui est le document de référence, ne prévoit pas d’échocardiogramme systématique en cas de bilan pré-opératoire, l’indication étant éventuellement portée sur les antécédents cardiologiques, ou les données de l’examen clinique.

Peut-être y a-t-il parfois des indications spécifiques aux types d’anesthésie ou de chirurgie, que j’ignore, mais l’anonymat de votre document ne me permet pas de vous interroger, comme cela m’arrive de le faire avec les anesthésistes et les chirurgiens d’autres établissements et de connaître vos motivations et ce que vous attendez de cet examen.

En tant que médecin conventionné, je suis partisan de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé et de l’indication juste des examens complémentaires, qui n’est pas compatible avec le systématisme non motivé.

Par ailleurs, dans votre démarche, l’esprit de la convention, qui définit le parcours de soins, n’est pas respecté, car le médecin traitant est tenu à l’écart. Cela est dommageable pour la qualité des soins puisque le malade consulte alors le cardiologue sans aucune des informations d’ordre médical que le médecin généraliste ne manque jamais de fournir habituellement.

En tant que responsable du Syndicat National des Médecins Spécialistes du Coeur et des Vaisseaux, je suis préoccupé par l’inflation du nombre d’échocardiogrammes que cette pratique d’examens systématiques peut induire, avec les conséquences que l’on imagine dans nos rapports avec l’Assurance Maladie, alors que les cardiologues n’en sont pas demandeurs.

Vous avez compris, cher confrère, que je ne suis pas habitué au mode de communication entre médecins que vous avez choisi et à la pratique médicale qui en résulte.

J’aurais évidemment préféré vous faire ces réflexions directement, mais votre anonymat ne me le permet pas. Peut-être le hasard fera-t-il que vous lirez cet article et que nous pourrons avoir alors un dialogue que j’espère constructif.