359-360 – L’information du patient fait partie des devoirs déontologiques du médecin. Encadrée par la loi, l’obligation d’être compris paraît logique, mais cette notion est parfois subjective et souvent difficile à apprécier en pratique courante.
Cas clinique (fictif, mais rédigé à partir de faits de la pratique quotidienne)
M. X. est âgé de 70 ans. Il est traité depuis une dizaine d’années pour hypertension artérielle. Sur l’insistance de son médecin traitant, qui le lui recommande depuis très longtemps, il finit par accepter de consulter le Dr Y., cardiologue.
A l’interrogatoire, on recueille avec difficulté la notion depuis quelques semaines de vagues palpitations, peu gênantes d’après M. X. car, dit-il, il n’est pas du genre à se plaindre pour rien.
L’HTA est bien contrôlée par une trithérapie. L’ECG objective des extra-systoles auriculaires isolées, une onde P bifide et un bloc incomplet gauche.
Conformément aux recommandations (HAS mai 2012), il y a une indication d’échocardiogramme (symptôme cardiaque inexpliqué, anomalie ECG). L’examen est pratiqué ultérieurement. Pendant sa réalisation, le Dr Y. constate de très nombreuses extrasystoles supra-ventriculaires, avec des salves de quatre à cinq complexes. Un holter est donc programmé.
Lors du débranchement de l’enregistreur, le Dr Y. informe M. X. qu’il lira l’enregistrement le soir même et qu’il rédigera un compte-rendu détaillé pour son médecin traitant qu’il devra reconsulter. M. X. préfère que la lettre soit envoyée chez lui, pour qu’il la remette lui-même à son médecin en allant le consulter dès qu’il l’aura reçue.
La lecture du holter objectivera de nombreux épisodes de fibrillation auriculaire, le plus long durant 14 heures.
Le Dr Y. conseille donc dans sa lettre un traitement adapté, et notamment un anticoagulant (score CHA2DS2VASc égal à 2), et un suivi cardiologique très précis est proposé.
M. X., qui dispose d’une ordonnance renouvelable pour son HTA, et qui ne se sent pas trop gêné, ne reconsulte pas.
Trois mois plus tard, il est hospitalisé pour un accident vasculaire cérébral dont l’origine embolique est hautement probable. Cet AVC aurait évidemment pu être évité si le traitement conseillé par le Dr Y. avait été suivi.
Le cardiologue, dont la démarche diagnostique et les propositions thérapeutiques étaient tout à fait conformes aux recommandations actuelles, pourrait-il être inquiété sur le plan médico-légal ?
Probablement si l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour de Cassation.
Arrêt du 16 janvier 2013 de la Cour de Cassation
Un patient avait déposé une plainte contre deux radiologues qu’il avait vus en 2003 puis 2004, les accusant de ne pas avoir diagnostiqué une fracture de matériel d’ostéosynthèse.
Un expert atteste que « les clichés sont d’excellente qualité radiologique, correspondant aux normes habituelles des clichés numérisés. » Il ajoute que « le compte-rendu radiologique comporte les différents éléments obligatoires ayant valeur médico-légale, et l’interprétation des différents clichés ». Il précise enfin que la fracture avait été parfaitement diagnostiquée lors des deux examens radiologiques, les comptes-rendus mentionnant l’existence d’une « solution de continuité » sur le matériel d’ostéosynthèse. L’expert conclue que « que cette interprétation, cette formulation était tout à fait correcte, exacte et correspondait aux termes utilisés tant par les radiologues que par les chirurgiens ou les médecins d’une façon générale ».
Il termine en expliquant « que ce compte-rendu parfaitement juste et précis est destiné, bien sûr au patient lui-même, mais essentiellement au médecin ou au chirurgien correspondant, et que, dans de telles situations, la transmission des informations et les explications se font plus souvent directement entre le patient et son médecin traitant ou son chirurgien, à partir des éléments apportés par le radiologue (clichés et comptes-rendus) ».
Au vu de cette expertise, la Cour d’Appel de Rouen a débouté le plaignant. Sa décision a été cassée par la Cour de Cassation. La Cour de Cassation s’appuie sur deux articles du code de la santé publique :
L’article L.1111-2 : « l’information des personnes sur leur état de santé incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables et que seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser ».
L’article R.4127-35 : « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose, et que, tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension »
Les arguments suivants étaient invoqués :
Les radiologues avaient utilisé le terme « solution de continuité », « bien que, comme l’a fait valoir le patient, dans ses conclusions, ce terme, pour un profane, soit confus et puisse au contraire signifier une absence de rupture, en l’espèce du matériel d’ostéosynthèse ».
« que l’intelligibilité de l’information doit s’apprécier in concreto compte tenu du niveau d’instruction du patient ; »
« qu’en retenant seulement, in abstracto, que le terme « solution de continuité », voulait dire « fracture, rupture tant dans le langage courant qu’en langage médical » sans s’interroger sur le caractère compréhensible ou non de cette expression pour un travailleur manuel, la Cour d’Appel a violé les articles 1147 du Code civil, L. 1111-2, R. 4127-34 et R. 4127-35 du Code de la santé publique ;
« qu’en effet, ayant affaire à un profane, travailleur manuel de surcroît, il incombait aux deux médecins radiologues de veiller à la compréhension de leurs informations par le patient, en employant le terme simple et intelligible de fracture, pour expliquer “la solution de continuité” ».
Remerciements à Thierry Casagrande, directeur juridique d’Analys Santé, pour sa relecture.
Commentaire
Vus sous l’angle médical, les arguments admis par la Cour de Cassation sont surprenants car les critiques portent sur la rédaction du compte-rendu des radiographies, le vocabulaire employé par les radiologues étant estimé incompréhensible par un travailleur manuel.
C’est la remarque que nous font d’ailleurs parfois nos patients quand ils nous reprochent qu’ils ne comprennent pas nos courriers. Il faut rappeler que l’objet d’un courrier médical est d’être lu et compris par des médecins, et que le vocabulaire employé répond à un objectif de précision et de bonne compréhension pour le confrère à qui il est adressé, et qui a la formation nécessaire pour l’interpréter correctement.
On pourrait dire d’ailleurs qu’il en est de même du langage juridique.
Néanmoins, d’une façon plus générale, cet arrêt pose la question de l’information du patient par le spécialiste consultant, dans le cadre du parcours de soins.
Information du patient par le spécialiste consultant
Dans le cas clinique évoqué plus haut, le cardiologue a rempli son rôle de médecin spécialiste correspondant tel qu’il est énoncé dans la convention : « Le médecin correspondant, sollicité pour cet avis ponctuel de consultant, adresse au médecin traitant ses conclusions et propositions thérapeutiques. Il s’engage à ne pas donner au patient de soins continus et à laisser au médecin traitant la charge de surveiller l’application de ses prescriptions ».
Néanmoins, le Code de la santé publique, sur lequel s’est appuyée la Cour de Cassation, est plus exigeant puisqu’il notifie que l’information « incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences ».
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades précise que « cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel ».
Dans les faits, le cardiologue fournit toujours une information complète au terme de ses examens. Le problème peut se poser lorsque, comme ici, il ne peut pas donner les résultats immédiatement pour des raisons pratiques, ou lorsqu’il doit prendre des décisions, communiquées par courrier au médecin traitant après réception de résultats d’examens qu’il n’a pas réalisés lui-même (exemples : IRM, scintigraphie myocardique, etc.).
Faut-il dans ce cas reconvoquer le patient pour une consultation d’annonce ? Cela semble la solution la plus sûre, dans ce type de situation pour respecter l’obligation d’information.
Cela paraît également une démarche de bonne pratique, afin d’éviter, comme dans l’exemple cité, des dysfonctionnements dans la chaîne de soins. La consultation d’annonce d’une mauvaise nouvelle a d’ailleurs fait l’objet d’une recommandation par la HAS (février 2008). Il y est mentionné qu’il s’agit d’un processus pouvant être long et souvent partagé par plusieurs professionnels de santé, en l‘occurrence ici, le cardiologue et le médecin traitant.
L’information du patient fait partie des devoirs déontologiques du médecin. Elle est encadrée par la loi, et précisée régulièrement par la jurisprudence.
L’obligation d’être compris paraît logique, mais cette notion est parfois subjective, et souvent difficile à apprécier en pratique courante. Il est recommandé de consigner dans la lettre au médecin traitant les explications transmises au patient, ce qui favorise la cohérence de l’information, mais peut être aussi un élément de preuve, en cas de contestation.