L’observance : difficile à observer, urgent de l’améliorer

354 – S’il est difficile de mesurer avec précision l’observance des patients, on sait cependant que ses scores sont loin d’être olympiques… Son amélioration repose essentiellement sur la bonne connaissance de sa maladie par le patient et la communication avec le médecin. C’est pourquoi l’observance est un des sujets majeurs de l’éducation thérapeutique du patient. L’UFCV le sait bien qui lancera à l’automne prochain un vaste programme d’observance thérapeutique, « Mon cœur et moi ».

Des patients « observants », c’est le rêve de tous les médecins. Mais comme l’on dit familièrement « Faut pas rêver ! » : tous les malades n’obéissent pas strictement à l’ordonnance médicale… On définit généralement l’observance comme la concordance entre le comportement d’un patient et les prescriptions médicamenteuses, mais aussi hygiéniques et diététiques qui lui ont été faites. Mais cette concordance n’est pas toujours totale. Dès lors, où se situe la frontière entre l’observance et la non-observance. Il est généralement admis que les patients bons observants prennent au moins 80 % de leur traitement tandis que les mauvais en prennent moins de 50 %. On voit que dans les deux cas la fourchette est large entre 100 % et 80 % , comme entre 50 % et 0 %… 

Des mesures de l’observance aléatoires

C’est que la mesure de l’observance est chose très complexe, les paramètres pouvant interférer dans le bon suivi d’une prescription étant très nombreux et d’ordre psychologique, pharmacologiques ou socioculturels. Aucune méthode de mesure valide et objective n’existe : il est aisé de comprendre l’infaisabilité de celle qui serait la plus fiable, la mesure directe du taux sanguin d’un médicament. Ne reste qu’une série de mesures indirectes permettant de cerner le problème plus que le quantifier avec précision. L’entretien clinique et l’autodéclaration du patient ne sont pas sans présenter de biais, notamment celui de la surestimation par le patient de son observance. Le décalage entre les dates de renouvellement de l’ordonnance et la durée de prescription est une piste, comme le repérage sur l’ordonnance des dates réelles de délivrance par le pharmacien. La « visite » des pharmacies familiales et la « délation » de l’entourage peuvent être éclairantes sur le niveau d’observance. Des moyens plus modernes comme les dispensateurs électroniques de médicaments se révèlent peu pertinents en pratique courante, malgré le recours à la technologie : ouvrir le pilulier électronique n’implique pas forcément la prise du médicament… Pour imparfaits qu’ils soient, tous ces moyens ont été utilisés dans diverses études dont les résultats colligés permettent d’évaluer grossièrement la prévalence de l’observance. Ainsi, on situe l’observance des malades souffrant d’une maladie chronique entre 30 % et 50 %. Une étude publiée dans le Concours médical en 1992 (J.-P. Olier, « Observance thérapeutique au cours des états dépressifs ») a montré que l’observance est moindre dans les maladies psychiatriques. En cardiologie, les résultats de l’étude EUROASPIRE (1) ont montré qu’après avoir présenté un événement coronaire, 28 % des patients continuent de fumer, que 49 % gardent un bilan cholestérol anormal, que 34 % ont une surcharge pondérale et que 48 % n’ont pas une PA équilibrée. Une étude (2) a aussi montré que la monoprise améliore l’observance chez les patients atteints de HTA, que l’oubli de la prise du soir est trois fois plus fréquent que l’oubli de la prise du matin et que le taux d’observance est de 73 % pour deux prises, mais s’élève à 92 % avec une seule prise. Aux Etats-Unis, 5,3 % des hospitalisations seraient dues à une mauvaise observance. Les firmes pharmaceutiques américaines estiment les pertes annuelles dues à la mauvaise observance des traitements à 20 milliards de dollars. Ce qui a motivé lesdites firmes à développer outre-Atlantique des programmes d’« aide à l’observance ». Des initiatives que les laboratoires souhaiteraient initier en France, ce qui ne leur est pas autorisé pour l’heure. Les textes sur l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) ne leur laisse qu’une place très réduite et très encadrée. 

L’ETP : un outil pertinent

L’ETP est pourtant sans doute l’outil le plus pertinent pour améliorer l’observance des patients. Les praticiens en font souvent dans leur cabinet, sans le savoir, comme Monsieur Jourdain fait de la prose, ou en le sachant. Mais ils savent aussi que cette communication avec le patient est chronophage et qu’elle n’est pas financièrement prise en compte dans le tarif de la consultation… Quant à l’ETP organisée, si les textes la régissant existent, son financement est plus aléatoire et loin de répondre aux besoins. Heureusement, des groupes pharmaceutiques s’engagent pour financer des programmes d’ETP. L’UFCV proposera bientôt le programme d’observance thérapeutique « Mon cœur et moi » (voir entretien avec Patrick Assyag plus loin).

 

Entretien Jacques Blacher

« La transmission de l’information médicalisée est le secret de l’observance »

Chef de service de cardiologie à l’Hôtel Dieu (Paris), le Pr Jacques Blacher s’intéresse de près au phénomène de l’observance dans le domaine de spécialité qui est le sien, l’HTA. Mais selon lui, les facteurs déterminants dans la prise régulière du traitement par le patient sont transposables aux autres spécialités. A partir de quel seuil peut-on parler d’inobservance et a-t-on identifié des facteurs déterminants dans l’observance ?

Jacques Blacher : On estime que l’observance est bonne si le patient prend au moins 80 % de son traitement. En dessous de ce pourcentage, il n’y a pas observance du traitement. Mais l’observance ou l’inobservance sont complexes à quantifier précisément. Quelques études scientifiques – mais peut transposables à la clinique quotidienne – ont montré que l’observance état médiocre parmi les patients souffrant d’HTA, puisque 50 % arrêtent leur traitement au bout d’un an. L’emploi d’un pilulier électronique qui émet un « bip » chaque fois que le patient l’ouvre est un des « petits » moyens à notre disposition pour tenter de cerner le phénomène de l’observance. Avec des limites : le fait que le patient ouvre son pilulier ne signifie pas forcément qu’il prend son médicament… De même, l’interrogatoire du patient ne donne pas des résultats fiables. Si vous dites à un patient « Vous prenez bien votre traitement », il vous répondra « oui ». On obtient sans doute une réponse plus proche de la vérité en posant une question plus ouverte, du type « Combien de fois avez-vous oublié de prendre votre traitement ? ». Avec l’ensemble de ces « petits » moyens, on peut parvenir à avoir une idée de l’observance chez les patients atteints de HTA. Mais cela reste difficile. Et la présence ou non de symptômes dans les maladies chroniques ne marque pas une grande différence : des patients chroniques avec symptômes peuvent ne pas prendre leur traitement. Des psychologues qui se sont intéressés au phénomène ont montré que l’observance est étroitement liée aux caractéristiques du patient, du médecin et de la prescription. Ils ont ainsi mis en évidence que lorsque le patient ne connaît pas sa maladie, son observance du traitement est réduite. Bien évidemment, les handicaps sensoriels, la vieillesse et les troubles mentaux sont des facteurs réducteurs de l’observance. Comme le sont les effets dévastateurs de ce que peut dire l’entourage – en positif ou en négatif –, les interférences des médias et tout ce que peuvent dire les acteurs autour du patient : infirmières, pharmaciens, médecin traitant, etc. De même, la lecture des notices des médicaments qui doivent obligatoirement contenir tous les effets secondaires possibles peut influencer négativement les personnes angoissées.

Quelle est l’influence des comportements du prescripteur ?

J. B. : Elle est très importante et il faut la souligner, car on peut agir dessus. Ainsi, l’imprécision du médecin dans le diagnostic qu’il donne au malade est dommageable. Si l’on met en avant les certitudes sur ce diagnostic et que l’on fixe des objectifs, on a plus de chance que le patient prenne son traitement. Il faut aussi savoir négocier avec le patient et ne pas être trop paternaliste : au bout du compte, c’est lui qui décide de prendre son traitement ou non. Il est préférable de dire « Je vous propose ce traitement » que « Je vous ordonne ce traitement » – à cet égard, le terme d’ordon nance n’est pas neutre… Quant à la rédaction de l’ordonnance justement, elle doit être simple, précise, écrite lisiblement, opter pour une monoprise plutôt que pour des prises multiples, et ne pas être trop onéreuse, le facteur prix étant très important pour certaines personnes. Il faut expliquer au patient qu’il existe des génériques que le pharmacien peut lui proposer. Et surtout, il ne faut pas cacher les effets secondaires au patient ; il faut lui en parler et lui dire qu’il peut revenir si certains d’entre eux se manifestent. D’ailleurs, dans tous les cas, on aura intérêt à lui expliquer qu’on ne peut être absolument certain du résultat et qu’on évaluera dans le temps les effets du traitement.

Il ressort de vos propos que la communication est déterminante pour l’observance dont le patient fera preuve ?

J. B. : Le secret de l’observance réside dans la transmission de l’information médicalisée. Pour convaincre le patient qu’il y a plus de bénéfices que d’inconvénients à prendre son traitement, il est nécessaire de lui transmettre les données qui nous ont nous-mêmes convaincus de l’efficacité du médicament. On aura donc tout intérêt à lui expliquer que des essais thérapeutiques ont montré que la prise du traitement réduit les risques d’AVC, etc. Autrement dit, il faut faire de l’éducation thérapeutique du patient, qui nécessite de la compétence et du temps, mais là, c’est une autre question… Mais ce qui est certain, c’est que l’observance dépend étroitement de la relation de confiance entre le patient et le médecin, et que cette relation n’est pas acquise, elle se gagne !    

 

Entretien Patrick Assyag

« Mon cœur et moi » : le programme de l’UFCV

Le Dr Patrick Assyag détaille pour Le Cardiologue le programme d’observance thérapeutique « Mon cœur et moi » conçu par l’UFCV, dont il est membre du conseil scientifique. Ce programme, qui démarrera en novembre prochain après un phase test, pourrait toucher 1 500 patients ayant été victimes d’un syndrome coronaire aigu depuis moins d’un an.  Qu’est-ce qui a motivé le programme « Mon cœur et moi » ? Patrick Assyag : Le phénomène d’observance thérapeutique constitue un défi majeur dans le cadre du syndrome coronaire aigu. On sait que 70 % des patients vont présenter une récidive d’événements cardiovasculaires fatale ou non fatale dans les douze mois suivant un syndrome coronaire aigu. On sait aussi que 30 % arrêtent partiellement ou totalement de prendre leur traitement dans les quatre semaines suivant leur sortie de l’hôpital, tandis que 12 % arrêtent tous les traitements conduisant ainsi à une augmentation significative de la mortalité à un an. Si la prise en charge du syndrome coronaire aigu a été nettement améliorée ces dernières années par les innovations technologiques et médicamenteuses, elle pourrait être cependant améliorée par une meilleure observance. C’est la raison pour laquelle l’UFCV, en partenariat avec la société CRM et AstraZeneca, a souhaité proposer le programme d’observance thérapeutique «  Mon cœur et moi » chez les patients au décours d’un syndrome coronaire aigu. Ce programme a été validé par un comité scientifique composé à parité de cardiologues libéraux et hospitaliers. Un test d’évaluation sera réalisé dans le courant du mois de septembre auprès d’un panel de cardiologues et de patients pour un démarrage du programme début novembre. 

Quel est le contenu de ce programme et comment se déroulera-t-il ?

P. A. : Le programme se déroulera sur une année. Il comprend une phase active de six semaines. A chacune de ces six semaines correspond un thème « Observance/Inobservance », « La maladie et sa compréhension », « Le médicament : mieux le comprendre », « Vos facteurs de risque », « Vous et les professionnels de santé », « Vous et les autres ». Une évaluation sera faite avant et après le programme par le cardiologue au moyen d’un questionnaire rempli par le patient sur les facteurs de risques. Le programme sera personnalisé en fonction des facteurs de risque de chaque patient et visera à évaluer les risques de mauvaise observance et à les corriger. La phase au long cours consistera en un accompagnement des patients, hebdomadaire d’abord, puis mensuel, pour une meilleure observance. Enfin, la phase bilan fera le point complet à 6 mois et à un an pour mesurer l’adhérence du patient au programme et les comportements. 

Sur quels critères les patients seront-ils inclus dans ce programme et combien seront-ils à y participer ?

P. A. : Seront inclus tous les patients dont la date de survenue du syndrome coronaire aigu sera inférieure à un an, et possédant un ordinateur et un accès à internet. C’est d’ailleurs là un petit biais introduit dans la sélection. Pour ce qui est du nombre de patients inclus, il n’est pas encore fixé. Mais sachant que nous comptons sur la participation d’environ cent cinquante cardiologues libéraux et que chacun d’entre eux pourrait proposer ce programme à une dizaine de patients, le nombre total de patients pourrait avoisiner 1 500. 

On voit le bénéfice du programme pour les patients, mais qu’en sera-t-il pour les cardiologues ?

P. A. : Ce programme a également pour objectif d’accompagner les professionnels de santé dans une approche multifactorielle où ils se verront attribuer un espace personnalisé enrichi de multiples informations sur l’observance thérapeutique ainsi que les nouvelles recommandations et publications. D’autre part, ils seront régulièrement informés de l’évolution du programme d’observance de leur patient.

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