Morgon Côte du Py 2017

Je bats ma coulpe, pour avoir trop longtemps négligé les crus au nord du Beaujolais produisant des cuvées de haut niveau à la buvabilité magnifique et à l’agréable rapport qualité/prix, sans doute étais-je rebuté par la mode des Beaujolais nouveaux fabriqués sur mesure pour (et par) le marketing.

C’est indiscutablement à Morgon que l’on trouve le plus grand nombre de vignerons talentueux, parce qu’ils bénéficient d’un terroir remarquable, probablement le meilleur du Beaujolais : la Côte du Py, mais aussi parce que plusieurs d’entre eux font partie de l’école «nature» de Marcel Lapierre qui a su donner une incontestable impulsion qualitative aux vins du secteur.

« étoile montante » de Morgon…

Après Daniel Bouland (à lire), j’ai été impressionné par une « étoile montante » de Morgon : Mee (prononcé Mi) Godard qui atteint la quarantaine. Rien ne la prédestinait à être vigneronne. D’origine coréenne (d’où son prénom), adoptée à 9 mois par une famille lyonnaise qui lui donna le goût de la cuisine, sa première passion, elle effectua des études brillantes : DEUG de biologie, maîtrise de biochimie option vin aux USA dans l’Oregon. Revenue en France, elle passe en 2005, le diplôme national d’œnologue à Montpellier. Après plusieurs années « galères », sans emploi stable, où elle hésite à s’engager dans une carrière commerciale orientée vers le vin, elle décide de se lancer dans la viticulture, pour produire son propre vin, et c’est vers le Beaujolais, lieu de ses premiers stages, qu’elle se dirige en priorité pour des raisons financières évidentes, mais aussi pour la beauté de ses paysages de collines vallonnées rappelant la Toscane. Début 2013, assez vite, elle a la chance  de tomber sur un beau domaine situé à Morgon au vignoble bien entretenu, dont le métayer partait en retraite sans successeur. Cette propriété de 5 ha (qu’elle complétera ultérieurement par 1,2 ha à Moulin-à-Vent) comprend 3 des meilleurs climats de Morgon : Corcelette, Grand Cras, et la célèbre Côte du Py. Paradoxe inhérent au vin, les arômes incomparables des jus de ce terroir naissent sur une terre argileuse pauvre appelée roche pourrie ou pierre bleue, car imprégnée d’oxyde de fer et de manganèse provenant de la désagrégation du schiste sous-jacent.

Dans ses vignes en coteaux orientés sud-ouest, Mee Godard abat un travail colossal, seulement aidée pour la taille par un prestataire. La viticulture, quoi qu’encore traditionnelle, est clairement orientée vers le bio  : tailles longues soigneuses, ébourgeonnage, effeuillage, vignes non palissées, terres griffées 1 rang sur 2, traitements uniquement au cuivre et au soufre, engrais organiques, le tout pour obtenir des raisins de qualité vendangés manuellement, transportés en petites caissettes, triés à la réception au chai.

… à la recherche de l’émotion

La vinification vise à produire des vins de garde par une macération de 20 jours sur 70 à 100 % de vendanges non égrappées. Mee Godard fait partie des réfractaires n’utilisant pas la méthode beaujolaise carbonique ou semi-carbonique en cuve fermée qui, selon elle, neutralise le terroir et gomme les tanins, mais une vinification en cuve ouverte à la bourguignonne avec pigeages et remontages pour une extraction durant 2 à 3 semaines en cuve béton. La fermentation débute sur un pied de cuve de levures indigènes. L’élevage s’effectue 10 mois en foudre ou demi-muid, puis 1 mois en cuve. Mise en bouteille, sans filtration.

Habillé d’une robe brillante tirant sur le grenat et le violine, ce Morgon Côte du Py 2017 de Mee Godard délivre d’emblée un bouquet intense et flamboyant de fruits noirs : mûre, cerise bigarreau, de quetsche, d’épices  : poivre blanc, réglisse. La roche « pourrie » du terroir s’exprime au nez par des notes d’humus, de graphite. Le jus est suave avec une fraîcheur minérale et une finesse typique de la Côte du Py. La pulpe envahit le palais de la texture soyeuse des tanins. La bouche est ainsi magnifique d’équilibre entre tension et densité, dynamique, presque vibrante. La longue finale saline et sapide confirme la fraîcheur et la minéralité du vin. Celui-ci est promis à une longue garde, mais l’intensité des arômes fruités peut, dès maintenant, le faire adorer par les impatients.

Comme tous les crus du Beaujolais, ce magnifique jeune Morgon accompagnera parfaitement toutes les cochonnailles : saucisson, terrines, jambon cru ou persillé, de même que les classiques de la cuisine lyonnaise : tablier de sapeur, gras double, andouillettes grillées, tête de veau gribiche, dont la sauce vinaigrée est arrondie par le vin. Un accord particulièrement convaincant est réalisé avec des pieds de porc à la Sainte-Menehould. L’association du gélatineux du plat (comme le gras double) et de la texture élégante du vin s’avère parfaitement harmonieuse. Mais la richesse et le côté bourguignon du Côte du Py permettent bien d’autres accords gourmands, d’abord avec les volailles : tourte de caille aux cèpes, poule au pot, pintade au chou, mais aussi avec des plats bourguignons : poitrine de veau farcie, lapin à la moutarde, bœuf bourguignon (surtout si la sauce est réalisée avec un vieux morgon de 10 ans).

Après 5 ou 6 ans de cave, ce Morgon, prenant des notes tertiaires giboyeuses, épousera avec délice des gibiers à plumes : col-vert aux épices, perdreau à la normande, faisane truffée.

A mon avis, Mee Godard n’est plus l’étoile montante du Beaujolais, mais déjà une magicienne qui tire du gamay des vins époustouflants fuyant le gouleyant, cherchant le fruit, la structure, en fait l’émotion.

Domaine Mee Godard. 69910 Villié-Morgon