364 – Catherine Sanfourche – Dans les déclarations ministérielles, il n’est question que de décloisonnement et de complémentarité entre hospitalisation publique et hospitalisation privée. Pourtant, sur le terrain, la réorganisation de l’offre de soins se fait souvent en faveur de l’hôpital public. Les cliniques, qui ont effectué – et continuent d’effectuer – une restructuration sans précédent, ont changé de visage et représentent aujourd’hui 34 % de l’activité hospitalière. Elles revendiquent les mêmes missions que l’hôpital public et les moyens de les assurer.
« Madame la ministre, sommes-nous si mauvais élèves ? » C’est ainsi que l’hospitalisation privée interpellait Marisol Touraine en juin dernier, par l’intermédiaire d’une pleine page de publicité dans Le Monde et titrée « Les cliniques privées privées de ministre », et dont le visuel montrait un chirurgien coiffé d’un bonnet d’âne et au coin… Le texte du président de la branche médecin-chirurgie-obstétrique de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP-MCO), Lamine Gharbi, déplorait le « boycott » de l’hospitalisation privée par Marisol Touraine qui, un an après son arrivée au ministère de la santé, n’avait pas visité une seule clinique et n’avait honoré de sa présence ni le congrès de la FHP, ni la cérémonie de remise des trophées de l’hospitalisation privée. « Et ce n’est pas faute de vous avoir invitée. Vous avez refusé de venir voir sur le terrain les réalités de nos métiers et de nos missions ». « Nos 200 000 professionnels – dont 156 000 infirmiers, sages-femmes, aides-soignants, administratifs, hôteliers et 45 000 médecins libéraux et salariés – qui œuvrent avec excellence, dévouement et efficience pour la santé des Français n’ont-ils pas droit eux aussi à votre considération ? », interrogeait-il, avant de regretter « le dogmatisme d’une ministre qui échoue sur le terrain du dialogue hospitalier en ignorant un secteur entier qui représente 27 % de l’offre de soins et 33 % de l’activité en France ». Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France a dénoncé cette initiative, pointé les « arguments fallacieux » utilisés à l’égard du secteur hospitalier public et réaffirmé que « les cliniques ne font pas le même métier parce qu’elles sont dans une logique économique de sélection de leurs activités et qu’elles n’ont pas les mêmes contraintes que le service public ».
Une antienne qui a commencé avec le développement des cliniques privées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec la création de la Sécurité Sociale. Ne pouvant fixer librement leurs tarifs, elles ont alors développé une stratégie de volume. C’est d’ailleurs pour cela qu’en 1970, puis en 1991, 1992 et 1996, des textes ont été votés qui visaient à encadrer la croissance des cliniques et à contrôler leur volume d’activité. Ces contraintes ajoutées aux coûts des plateaux techniques qu’a imposés le progrès médical ont entraîné une restructuration de l’hospitalisation privée sans précédent et qui a fait de nombreux « morts » : ces quinze dernières années, environ cinq cents établissements ont disparu. Entre 1992 et 2000, tandis que le secteur public enregistrait une réduction de 7 % du nombre de ses établissements pour les activités MCO, 16 % des cliniques privées ont disparu pour les mêmes activités. Un important mouvement de concentration s’est amorcé qui se poursuit aujourd’hui.
Acquisitions, fusions et regroupements se sont multipliés et continuent de se multiplier, souvent avec l’intervention d’investisseurs privés. Dans son rapport annuel 2012 sur l’hôpital, l’IGAS évoque cette croissance des groupes-cliniques. « Au total, la quarantaine de groupes de cliniques (dont cinq groupes nationaux et une vingtaine de groupes régionaux) rassemble aujourd’hui un peu plus de 600 des 1 050 cliniques, c’est-à-dire 58 % des entités juridiques mais 68 % des capacités du secteur, en raison de la taille moyenne plus importante des ces établissements », indique l’IGAS. Quand les cliniques comptaient 70 à 80 lits dans les années 1970, elles en comptent aujourd’hui plusieurs centaines.
Une situation fragile
Pour autant, la situation des cliniques n’est pas sans nuage, et dans son rapport sur « l’évaluation de la place et du rôle des cliniques privées dans l’offre de soins », l’IGAS décrit « un secteur relativement fragile dont la rentabilité économique stagne ou diminue légèrement, dans un contexte d’intensification de la concurrence avec le secteur hospitalier public ». Les cliniques disposant de portefeuilles d’activités plus spécialisés que ceux des établissements des autres secteurs sont de ce fait plus exposées aux variations tarifaires. L’IGAS observe cependant que « les plus grandes d’entre elles développent des stratégies de diversification vers des disciplines traditionnellement plus représentées à l’hôpital public afin de mieux atteindre les volumes d’activité recherchés et de se protéger de ces variations tarifaires ».
Par ailleurs, le rapport de l’IGAS souligne les « difficultés » rencontrées par le régulateur, national ou régional, pour favoriser le retour à l’équilibre des hôpitaux publics et poursuivre la recomposition de l’offre de soins, tout en observant une certaine neutralité entre les deux secteurs et en mobilisant des instruments de planification et de régulation qui soient « incontestables ». Les cliniques qui se voient en ce moment supprimer des activités au profit de l’hôpital public et savent ce qu’il en est de la neutralité de la tutelle, apprécieront l’euphémisme du mot « difficultés ».
Des gages de la ministre de la Santé au secteur privé
La publicité dans Le Monde n’a pas été sans effet, puisqu’en juillet dernier, Marisol Touraine a visité un hôpital privé à Trappes, dans les Yvelines. Lors d’une entrevue avec les responsables de la FHP en marge de cette visite, la ministre a donné quelques gages au secteur privé, qui réclame un traitement équitable entre les secteur hospitaliers.
« Il faut réfléchir en termes de territoire et d’offre de soins, a déclaré Marisol Touraine. Il faut garantir une prise en charge de l’ensemble de la population, indifféremment, entre hôpital public et hôpital privé. » Les cliniques ne réclament pas autre chose. Mais sur le terrain, certaines décisions de la tutelle au détriment du secteur privé font penser que l’équité n’est pas pour tout de suite.
L’hospitalisation privée en chiffres
25 % de l’offre hospitalière
• 1 097 établissements
• 114 000 lits et places
• 130 structures d’urgences
• 3 600 lits de soins intensifs
34 % de l’activité hospitalière
• 8,8 millions de patients accueillis
• 6 millions de séjours MCO
• 220 000 naissances
• 2 millions de séances d’hémodialyse
• 2,3 millions de patients accueillis aux urgences
• 36 % des séjours MCO
• 54 % de la chirurgie
• 66 % de la chirurgie ambulatoire
• 24 % de l’obstétrique
• 31 % des séances de chimiothérapie
• 46 % des séjours de chirurgie carcinologique
• 31 % des soins de suite et de réadaptation
• 17,3 % des journées de psychiatrie
• 14,5 % des journées d’hospitalisation à domicile
Qualité des soins
• 95 % des établissements certifiés, aucune non-certification
Dynamisme de l’emploi
• 42 000 praticiens exercent dans l’hospitalisation privée, dont 89 % de médecins libéraux :
+ 17 % de médecins salariés depuis 2007 et près de 220 internes accueillis depuis 2011
Au total, le secteur emploie plus de 154 000 salariés (dont 78 % de personnel soignant)
• 54 000 infirmiers
• 32 000 aides-soignants
• 3 000 sages-femmes
• 1 900 masseurs-kinésithérapeutes)