Non à la loi de santé [4]

Paris, le 16 décembre 2014.

Chère consœur,

Cher confrère,

Chers amis,

Quatrième épisode de notre feuilleton, où nous verrons que notre ministre a des velléités révolutionnaires : elle veut ressusciter les officiers de santé en ignorant manifestement que les soucis de santé publique à la fin du XVIIIe siècle et la prise en charge de patients âgés aux pathologies complexes n’ont que peu de rapports. Aujourd’hui, cette prise en charge impose une vraie coordination ambulatoire autour du corps médical.

Martelons-le avec force : le médecin n’est pas un professionnel de santé comme les autres !

Bonne lecture.

Amicalement.

 

Docteur Eric Perchicot, Président.

Docteur Frédéric Fossati, Secrétaire Général.

 

Le projet de loi de santé déstructure le métier de médecin

 

Actuellement

Le médecin traitant assure le suivi complet de son patient, aussi bien pour les soins courants (petites affections du quotidien, vaccinations…), que pour les pathologies lourdes et chroniques souvent, dans ce cas, en coordination avec les spécialistes consultants.

Il élabore sa stratégie diagnostique et thérapeutique en fonction de son expérience et des diverses recommandations qu’il adapte à la situation particulière du patient.

Cette pratique permet une prise en charge globale et personnalisée du malade.

Elle est remise en cause par le projet de loi qui permettra à d’autres professionnels de santé de réaliser des actes jusqu’à présent dévolus aux médecins et par un risque d’encadrement des pratiques.

Exercice en pratique avancée

Autorisations d’activités d’évaluation clinique, de diagnostic et de prescription thérapeutique données aux auxiliaires médicaux (Art. 30) :

« L’exercice en pratique avancée permet aux auxiliaires médicaux… certaines des activités suivantes :

  1. d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ;
  2. d’évaluation clinique, de diagnostic, des actes techniques et des surveillances cliniques et paracliniques ;
  3. de prescription de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, des prescriptions d’examens complémentaires et des renouvellements ou adaptation de prescriptions médicales. »

Dans ce but, il est créé un « diplôme de formation en pratique avancée ».

Vaccinations faite par les pharmaciens. (Art. 32) :

« Les pharmaciens d’officine peuvent pratiquer les vaccinations »

Délivrance de substituts nicotiniques (Art. 33) :

Les substituts nicotiniques peuvent être prescrits par :« 1° Les médecins, y compris les médecins du travail aux travailleurs ;« 2° Les sages-femmes en application de larticle L. 4151-4 ;« 3° Les infirmiers ou les infirmières en application de larticle L. 4311-1 ».

Commentaires

Les métiers de médecin, pharmacien et infirmier sont actuellement bien définis. Ces professionnels doivent travailler en concertation, et c’est cette concertation qu’il faut contribuer à améliorer (l’échec récent de la négociation sur la rémunération des équipes, en grande partie pour des raisons budgétaires, montre que les tutelles n’ont pas la volonté de s’engager dans cette voie). Le projet de loi préfère brouiller les cartes, avec le risque de complication des relations entre ces professions.

Il n’explique pas en quoi la prise en charge des patients serait ainsi améliorée.

On n’a pas tiré la leçon du fiasco de la campagne de vaccinations contre la grippe A où, déjà, une ministre avait voulu faire vacciner en écartant les généralistes.

Dilution de la fonction de médecin

Il est remarquable de constater que dans l’ensemble du projet, la profession de médecin n’est pas spécifiquement mentionnée. Le terme « médecin » n’est écrit qu’à l’occasion de la citation de textes plus anciens que la loi corrige.

On lui substitue des expressions telles que « acteurs de santé », « professionnels de santé », « acteurs de territoires participants à la mise en œuvre des actions » (art. 12).

Il est proposé de corriger le CSP (art.L.431-2) en ajoutant après les mots «professionnels de santé » la mention d’une nouvelle profession appelée «  acteurs de la prévention et de la promotion de la santé ».

Cette utilisation d’un vocabulaire particulier n’est pas anodine et tout se passe comme si l’on cherchait à noyer le métier de médecin, dont la fonction n’apparaît pas clairement dans le texte, dans un vaste ensemble médico-social, sans tenir compte des spécificités ni des responsabilités particulières de notre profession.

Encadrement de la pratique par la HAS

Art. 35 : La HAS est chargée « d’élaborer ou mettre à jour des fiches sur le bon usage de certains médicaments permettant notamment de définir leur place dans la stratégie thérapeutique ».

« Elle élabore ou valide également, dans des conditions définies par décret, un guide des stratégies diagnostiques et thérapeutiques les plus efficientes ainsi que des listes de médicaments à utiliser préférentiellement, à destination des professionnels de santé ».

Commentaires

De tels guides peuvent incontestablement améliorer la pratique s’ils sont considérés, comme les recommandations des sociétés scientifiques, c’est-à-dire comme une aide, et non pas comme une obligation, auquel cas on risquerait d’aboutir à une pratique médicale d’État. Or, Il faut savoir, que, déjà maintenant, sur le plan médico-légal, il est très risqué de s’écarter d’une recommandation de la HAS.

Le problème est que l’on constate parfois des divergences par rapport aux recommandations européennes (exemple récent : indication des anticoagulants directs), ce qui complique la décision médicale.

Par ailleurs, une telle proposition est très ambitieuse, car elle suppose des mises à jour quasiment annuelles si l’on ne veut pas figer la pratique. En aura-t-on les moyens ?

Nous encourageons tous les cardiologues à lire le projet de loi. Quel que soit l’article qu’il découvrira, tout praticien de terrain aura du mal à reconnaître la médecine telle qu’il la pratique et sera fortement préoccupé pour son avenir.

Dr Vincent Guillot

16 décembre 2014.

image_pdfimage_print