Ordonnances : des risques pour le patient et son médecin !

301 – Contexte de la prescription

La première règle à laquelle tout médecin doit se conformer est de rédiger des ordonnances qu’en connaissance optimale de son patient et donc idéalement après une consultation ou à la fin d’une hospitalisation. Dans cette logique, lorsque un médecin est sollicité par des amis, celui-ci doit exiger le formalisme minimum d’une consultation avant de prescrire.

Les ordonnances de sortie après une hospitalisation sont une source fréquente d’accidents et de plaintes. En effet, pour des questions d’organisation, les ordonnances sont parfois rédigées la veille de la sortie. Sous la pression des patients désirant sortir au plus vite, il peut arriver que les dernières adaptations du traitement (anticoagulation, tolérance hémodynamique ou allergie…) ne soient pas retranscrites sur l’ordonnance, avec les conséquences délétères que l’on peut imaginer.

En-tête du médecin et bénéficiaires des ordonnances

Comme nous le rappelait monsieur de la Palisse, les prescriptions rédigées sur une ordonnance doivent être destinées au bénéficiaire de l’ordonnance ! En effet, certains confrères ayant dérogé à cette règle élémentaire ont vu leur responsabilité mise en cause. Un généraliste, face à un patient connu pour une psychose hallucinatoire et qui refusait tout traitement, avait convenu avec l’épouse le stratagème suivant : il prescrivait un psychotrope sur l’ordonnance de son épouse, destiné à l’époux. Celle-ci versait quotidiennement dans l’alimentation de son mari psychotique, les gouttes du traitement, à son insu. Ã l’occasion d’une discorde familiale, le scénario a été révélé au patient par un tiers qui n’a pas manqué de poursuivre son épouse et le médecin.

Il faut bien entendu se garder, face à des patients n’ayant pas de couverture sociale, de faire les prescriptions sur l’ordonnance d’un proche, assuré social. En cas d’accident médical du patient sans couverture ou du proche, le médecin pourrait avoir des difficultés pour expliquer qu’il a soigné le patient sans couverture, ou bien dans le cas du proche de se justifier face à une ordonnance un peu longue (et sûrement incohérente !). Enfin, la sécurité sociale, souvent « partie » lors des procédures civiles, ne manquerait pas de demander une sanction face à ces malversations !

Lisibilité et posologie

La lisibilité est la pierre angulaire de la prévention des risques iatrogènes. La rédaction manuscrite présente l’avantage d’être commode en « tous terrains » : facile à remplir en visite ou quand l’ordinateur est éteint. Elle comporte en revanche un risque d’une compréhension parfaitement aléatoire à la fois du pharmacien, du patient ou de son entourage. Une écriture se rapprochant dangereusement de la ligne isoélectrique lue par une stagiaire en pharmacie a toute les chance de se solder par la remise d’une molécule à la place d’une autre.

Il va sans dire que la rédaction du dosage et de la posologie doivent bénéficier d’une attention soutenue. Quel cardiologue n’a jamais écrit concernant un anti-vitamine K : « 3/4, 3/4, 1/2 » en pensant en toute logique à une alternance de ces trois dosages sur trois jours. Cette logique n’a pas été celle d’un patient, qui a pris pendant plusieurs jours : 3/4 de comprimé le matin, le midi et 1/2 comprimé le soir, avec des conséquences qui ne se sont pas fait attendre et ayant abouti à la condamnation de son prescripteur pour négligence. Si l’informatique apporte un atout majeur dans la lisibilité et dans le formalisme des explications des prescriptions, elle n’est pas pour autant exempte de complications. Il suffit d’un clic distrait sur la ligne de dessous dans un menu déroulant ou dans une case voisine pour qu’une dose inadaptée du médicament choisi soit délivrée au patient.

Une relecture de l’ordonnance avec explication orale au patient constitue l’ultime barrage de prévention des accidents iatrogènes. Non seulement, le médecin peut découvrir la coquille dans sa prescription, mais il lève en plus les sources de malentendu ou d’incompréhension du patient sur ses écrits.

Durée de traitement et renouvellement

Ce qui est évident pour le cardiologue ne l’est pas autant pour son patient. Il convient donc de toujours expliquer que le traitement de toute cardiopathie est habituellement à vie, et que le patient doit par conséquent se soumettre à un suivi régulier, en coordination avec son généraliste et que toute ordonnance doit être perpétuellement renouvelée. Les accidents coronariens par arrêt du traitement à la fin de l’ordonnance ne sont pas exceptionnels. Pour se prémunir d’une éventuelle mauvaise foi de la part de son patient en cas d’accident, il n’est pas inutile de noter sur l’ordonnance de façon systématique « à renouveler » ou sur la première ordonnance « traitement à vie » pour lui faire comprendre la chronicité de sa maladie.

Lors du renouvellement, un certain nombre d’accident ont été répertoriés. L’existence de plusieurs prescripteurs (cardiologue, généraliste, diabétologue) est souvent source d’erreurs de compréhension de la part du patient.

Parmi elles, il est arrivé que le patient, se fiant à l’ordonnance du cardiologue et pensant que celle-ci faisait la synthèse de tous ses traitements, ait donc interrompu le traitement (non cardiologique) prescrit initialement par le généraliste.

La répartition des rôles de chacun doit être bien expliqué au patient

Premier scénario : le cardiologue peut faire ses recommandations au généraliste par courrier, et c’est ce dernier qui rédige l’ordonnance globale (cardiologique et non cardiologique). Bien évidement, le cardiologue doit directement faire les ordonnances si les modifications s’imposent d’urgence.

Deuxième scénario : le cardiologue rédige lui-même ses prescriptions, mais il doit veiller à la compréhension de son patient sur la poursuite des autres traitements.

à la suite d’une épreuve d’effort de surveillance s’avérant positive, un cardiologue a donc décidé d’augmenter la dose de l’inhibiteur calcique bradycardisant. Sachant que son confrère généraliste était un fervent prescripteur de génériques et après une confirmation à mi-mot du patient sur le nom du générique, le cardiologue a donc rédigé l’ordonnance avec augmentation de dose du fameux inhibiteur calcique générique et a ajouté la mention suivante : « reste du traitement idem ». Malheureusement, dans le reste du traitement, il y avait l’inhibiteur calcique avec son nom commercial (non générique). Le patient a donc pris à la fois la molécule princeps et le générique entraînant un surdosage et un bloc conductif fatal. Une réécriture complète des ordonnances est donc préférable, surtout si les capacités intellectuelles ou linguistiques du patient sont limitées.

Si la prescription de génériques est nécessaire pour la maîtrise des coûts de la santé, elle exige cependant un certain nombre de précautions et de coordination entre le cardiologue, le généraliste et le pharmacien.

Pour lever tout risque de confusion, une rédaction des molécules sous leurs noms DCI ou la rédaction conjointe du nom commercial et DCI réduit ce risque. Bien entendu, la responsabilité des pharmaciens est également engagée sur ce plan. Toute substitution automatique et non expliquée au patient expose à un risque iatrogène. Ils ont un devoir important de contrôle et de conseil.

Les antivitamines K

En raison du risque iatrogène majeur de ce traitement, il est indispensable que le patient bénéficie d’une véritable leçon de la part du médecin lors de son introduction, avec des « injections de rappels » lors du suivi. La remise d’un carnet de suivi doit être associée à une parfaite explication de la gestion du suivi (fréquence des dosages, interlocuteurs…). Une mise en garde sur les risques de l’automédication ou des interactions est également nécessaire. Enfin, les risques d’une interruption, qu’elle soit décidée ou non par un médecin, doivent être expliqués au patient. En cas d’accidents par surdosage même non fautif, les avocats ne reculent jamais pour revendiquer un défaut d’information ! Pour cette raison, la mention sur le dossier d’une délivrance d’informations spécifiques et du carnet de suivi est utile sur le plan juridique.

Conclusion

L’ordonnance est l’aboutissement de la démarche intellectuelle du praticien vis-à-vis de son patient. C’est donc une pièce médico- légale capitale, raison pour laquelle les médecins doivent systématiquement en garder une copie (ou une sauvegarde informatique). De façon corollaire, toute erreur de prescription validée par la signature du médecin est comme scellée dans du marbre et laisse peu de place à la contestation !

Pour sa sérénité future, le cardiologue doit observer scrupuleusement les règles de prescription et faire abstraction du stress environnant. En prenant le temps d’expliquer sa prescription à son patient, cela lui permet de prévenir une incompréhension et surtout de dépister ses éventuelles erreurs de rédaction.