Quel exercice veulent les jeunes cardiologues ?

358 – En ce début d’année et après les mouvements de contestation de la fin 2012 qui ont vu défiler dans la rue les étudiants en médecine et les jeunes praticiens aux côtés de leurs aînés, Le Cardiologue fait le point sur les desiderata des jeunes cardiologues. 

Comment les aspirants cardiologues envisagent-ils leur futur exercice ? Globalement, la réponse à la question se trouve dans la dernière étude démographique du Conseil national de l’Ordre des médecins. la spécialité de cardiologie et maladies cardiovasculaires compte aujourd’hui, en France métropolitaine, 5 870 praticiens en activité régulière, dont 23 % sont des femmes. Globalement, 45,5 % des cardiologues exercent en libéral, 30,1 % sont salariés et 24,5 % ont une activité mixte. Mais si l’on examine la situation chez les jeunes cardiologues, les chiffres sont bien différents. L’atlas démographique 2012 de l’Ordre montre en effet que sur l’ensemble des jeunes médecins nouvellement inscrits au tableau ordinal, seuls 9,5 % ont choisi l’exercice libéral, plus des deux tiers (68,8 %) ayant opté pour le salariat. Ils sont peu nombreux à avoir un exercice mixte (1,2 %) et 20,5 % sont remplaçants. Mais la proportion des jeunes spécialistes de cardiologie et maladies vasculaires optant pour le libéral est encore plus faible : 4,23 % seulement l’ont choisi, encore moins que l’année précédente (4,7 %). Dans leur immense majorité (84,66 %), les jeunes cardiologues choisissent le statut de salarié et un peu plus de 1 % d’entre eux ont un exercice mixte.

Pour la profession et la population, cette disparition progressive de la cardiologie de ville est inquiétante : on imagine mal demain l’ensemble des pathologies cardiaques suivies dans les établissements hospitaliers. Pour tenter d’attirer les futurs praticiens vers la cardiologie de ville mal connue des internes, plusieurs université du Grand Ouest ont initié le « séjour de sensibilisation » en cabinet libéral. Les premiers résultats sont prometteurs : les candidats au séjour ont découvert une pratique plus intéressante que ce qu’ils pensaient (voir notre entretien avec Jean-Claude Daubert page 13). Que les cardiologues aspirant à la retraite ne se réjouissent pas trop vite, cela ne signifie pas qu’ils trouveront facilement une relève. Surtout s’ils exercent seuls. Car une chose est sûre : les jeunes médecins en général et les jeunes cardiologues en particulier, s’ils sont tentés par la pratique de ville ne la conçoivent en solitaire, comme leurs aînés, mais en groupe. A cet égard, les pouvoirs publics seraient avisés dans leur ardeur à promouvoir l’exercice regroupé de ne pas tout focaliser sur la médecine générale, mais de considérer qu’il est tout aussi important que la population puisse continuer de consulter en ville un certain nombre de spécialistes cliniques, en particulier des cardiologues. Enfin, on peut aussi légitimement penser que si la recherche et l’enseignement sortaient du monopole hospitalier et impliquaient les libéraux, l’attraction hospitalo-universitaire serait moins forte pour les jeunes médecins, ce qui permettrait un rééquilibrage bienvenu entre la ville et l’hôpital.

 

Clinique, recherche, enseignement : les trois atouts (attractifs) de l’hôpital

Catherine Szymanski est chef de clinique à l’hôpital d’Amiens. Elle a été présidente du Groupe des cardiologues en formation de la SFC (*). Sans nier les attraits de l’exercice libéral, elle souhaite pourtant travailler en CHU afin de pouvoir mener la triple activité de clinicienne, de chercheuse et d’enseignante. 

Après un externat à Lille, c’est à Amiens que Catherine Szymanski (33 ans) a effectué ses quatre années d’internat de cardiologie. C’est au cours de son internat que son goût et sa motivation pour la recherche l’ont conduite un an à Paris, un an à Boston, aux Etats-Unis, et un an à Liège, en Belgique. Elle est actuellement chef de clinique à l’hôpital d’Amiens. « J’ai fait un master et une thèse de science pendant mon internat; et actuellement, je considère que la recherche et l’enseignement sont aussi indispensables que la clinique pour moi et je souhaiterais vivement pouvoir travailler plus tard en CHU pour continuer cette triple activité ; néanmoins, je reste bien consciente que les places sont rares dans les hôpitaux universitaires ». Par rapport aux générations précédentes, le changement essentiel intervenu lui semble être la féminisation de la profession médicale. Une féminisation qui n’est pas neutre, puisque pour la grande majorité des femmes médecins, le fait d’être femme détermine grandement le choix d’une carrière. « On peut choisir l’hôpital et éventuellement la possibilité d’y travailler à temps partiel ou l’exercice libéral avec une certaine liberté d’organiser son temps en fonction de sa vie familiale. »

Une chose est certaine, Catherine Szymanski, comme aujourd’hui beaucoup de ses jeunes confrères, ne se voit pas s’installer seule en cabinet de ville. Elle reconnaît que « l’exercice libéral en cabinet de ville nécessite une très grande disponibilité. Aujourd’hui, les jeunes médecins, tout en étant très investis dans leur métier, ne veulent pas y consacrer toute leur vie, comme leurs aînés. Quand on interroge les internes, ceux-ci veulent soit rester à l’hôpital, soit ils ne savent pas quelle voie choisir. Mais quasiment aucun ne cite spontanément l’exercice libéral en cabinet de ville comme la voie à privilégier. On a un peu l’impression, à écouter les opinions de différents internes, que cela serait un choix par défaut, au cas où cela ne marcherait pas à l’hôpital ou en clinique. Outre l’impossibilité lorsqu’on exerce seul d’avoir à sa disposition les plateaux techniques adéquats pour des raisons financières, l’exercice solitaire fait un peu peur. On voit d’ailleurs bien aujourd’hui la difficulté des praticiens qui ont exercé seuls, à trouver un successeur lorsqu’ils prennent leur retraite. L’exercice en groupe ou en clinique, de manière collective et pluridisciplinaire offre un « confort » indéniable tant du point de vue financier que du point de vue de l’exercice médical. Exercer seul en cabinet de ville dissuade beaucoup d’entre nous à s’orienter vers un exercice et une prise de décision solitaire, sans la possibilité d’échanger avec des confrères. Au niveau technique, la pratique en cabinet reste aussi relativement limitée. Compte tenu de la lourdeur des investissements, en général, dans un cabinet de ville, on se limite souvent à l’ECG et à l’échographie cardiaque. Un cardiologue de CHU ou des structures privées de grande envergure avec des plateaux techniques conséquents va être compétent dans un domaine particulier et de hauts niveaux : l’échocardiographie, la rythmologie, la coronarographie, la cardiologie congénitale et pédiatrique. En cabinet, l’activité est plus souvent globale avec la nécessité d’adresser les patients aux correspondants hospitaliers dès qu’on se trouve un peu limité. Certes, l’exercice libéral donne une certaine liberté puisqu’on demeure son propre « patron », mais les contraintes ne sont pas négligeables tant financières (notamment les charges qui en découlent) que du point de vue de l’exercice médical.» n

(*) Créé en octobre 2007 par la Société Française de Cardiologie, le groupe des cardiologues en formation (GCF) a pour principal objectif de promouvoir des activités scientifiques et des actions pédagogiques directement menées par ses membres. Tous les internes du DES de cardiologie et maladies vasculaires, chefs de clinique et assistants de cardiologie peuvent en être membres. L’inscription se fait directement en ligne sur le site de la SFC.

 

Jean-Claude Daubert
« Des internes bretons sensibles à la cardiologie de ville »

Une première expérience de sensibilisation des internes de cardiologie à l’exercice en cabinet libéral a démarré au début de 2012 dans deux villes du Grand Ouest, Rennes et Nantes, et débutera cette année à Poitiers. Cardiologue au CHU de Rennes et président du Collège national des enseignants de cardiologie, Jean-Claude Daubert en est l’un des initiateurs et dresse un premier bilan de cette intitiative.

Pouvez-vous rappeler dans quel contexte a été décidé cette initiative et en quoi elle consiste ?

Jean-Claude Daubert : La cardiologie de cabinet a du mal à recruter. Les jeunes n’en ont pas une vision très positive. Contrairement à leurs aînés, qui effectuaient de nombreux remplacements, ils remplacent de moins en moins, n’étant d’ailleurs autorisés à le faire qu’en 3e année d’internat. De ce fait, ils connaissent mal cet exercice de la cardiologie. Le constat est déjà ancien et l’idée de pallier cette méconnaissance par des « séjours de sensibilisation » remonte à deux ans maintenant. Si les présidents du syndicat, Christian Aviérinos et Jean-François Thébaut, y ont été d’emblée favorables, elle a mis un peu plus de temps à s’imposer à leur conseil d’administration. Aujourd’hui, l’ensemble du syndicat est très demandeur.

Il s’agit de proposer aux internes d’effectuer un séjour de trois à cinq jours à temps plein dans un même cabinet – pas en clinique – et si possible sous la responsabilité d’un même cardiologue. Ils doivent être inscrits en DES de cardiologie, ce qui se fait en fin de 2e année. Ce séjour s’effectue en 3e année – au cours du 5e ou du 6e semestre – plutôt qu’en 4e, parce qu’il importe que cette rencontre avec la cardiologie de ville se fasse le plus tôt possible. Les cardiologues qui les accueillent le font volontairement. En Bretagne, une quinzaine se sont portés volontaires et ils sont une douzaine en Pays de Loire. Une convention est passée entre le directeur du CHU, le doyen de la faculté, le cardiologue libéral et l’interne. Le séjour est suivi d’un rapport rédigé par le cardiologue « accueillant » ainsi que d’un rapport de l’étudiant. Je précise qu’il ne s’agit en aucun cas d’un stage, mais bien d’un séjour de sensibilisation en cabinet libéral. Ce n’est pas un remplacement non plus, même si ce séjour peut ouvrir à cela ultérieurement.

Quel est le résultat de ce début d’expérience ?

J-C. D. : Très encourageant ! A Rennes, les cinq internes du DES ont été volontaires pour le séjour de sensibilisation, et à Nantes, quatre sur cinq étudiants concernés. Contrairement à ce qu’on pouvait penser, nos internes ne se sont pas précipités dans les grandes villes : en Bretagne, deux seulement ont effectué leur séjour à Rennes, tous les autres ont choisi de le faire dans des petites villes comme Auray ou Lorient. Les rapports des étudiants au coordonnateur sont extrêmement positifs, ils disent avoir vécu ce séjour comme une ouverture et la découverte d’une activité qu’ils jugent plus intéressante que ce qu’ils pensaient au départ, et pas seulement concernant la clinique, mais aussi l’organisation du cabinet libéral. Le bilan pour les internes est donc très positif. Croisés avec les rapports transmis par les cardiologues au président du syndicat régional –très positifs eux aussi- permet de conclure à la satisfaction de tous pour l’apport de cette expérience.

Cela est de bon augure pour la généralisation du séjour de sensibilisation. Est-elle à l’ordre du jour ?

J-C. D. : Le concept a été introduit dans le règlement intérieur national du DES, et c’est important. Il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une recommandation très forte. On ne peut pas l’imposer, il faut une volonté partagée de le mettre en œuvre. Mais aujourd’hui, tout le monde en est informé et je pense que cela va se diffuser petit à petit. Dans le Grand Ouest, après Poitiers, Brest, Angers et Tours devraient suivre, et dans l’Est, Nancy pense le mettre en place cette année. Par ailleurs, en Bretagne, d’autres spécialités l’envisagent, notamment la pneumologie et la pédiatrie. Je crois que l’expérience aura le soutien des ARS, très preneuses de ce genre de coopération entre la ville et l’hôpital.

 

Coralie Lecoq

« Il ne faut pas passer à côté de sa vie »

Coralie Lecoq, 25 ans, interne de 2e année de cardiologie à Tours, compte s’installer en libéral, mais en groupe et en gardant un pied à l’hôpital pour ce qui lui semble être l’équilibre idéal.

Comment envisagez-vous votre futur mode d’exercice, à l’hôpital ou en ville, en libéral ?

Coralie Lecoq : Je souhaite plutôt exercer en libéral, dans mon pays d’origine, à Marseille ou du moins dans la région PACA. Pour moi, c’est un choix de vie. En effet, j’ai des activités en dehors de la médecine – je pratique le sport de façon intensive- qui sont assez incompatibles avec l’hôpital. En libéral, j’aurai davantage la possibilité de gérer mon temps, mes horaires. L’hôpital est en sous-effectif, le résultat est que les heures travaillées hebdomadaires ont augmenté pour atteindre un niveau aberrant. Il ne faut pas passer à côté de sa vie ! Certains peuvent choisissent sans doute la carrière hospitalière pour la sécurité qu’elle représente ? Pour moi en fait, l’idéal serait d’avoir une activité mixte. Je souhaiterais exercer en cabinet de ville et garder une activité à l’hôpital public pour avoir accès aux plateaux techniques et ne pas être déconnectée de ce milieu. Je ne souhaite pas exercer en clinique privée, car ces établissements me semblent trop souvent avoir comme objectif de faire du chiffre.

En ville, opterez-vous pour l’exercice solo ou en groupe ?

C. L. : Je n’imagine pas d’exercer seule ! Je souhaite exercer au sein d’un groupe, soit un groupe de plusieurs cardiologues, soit un groupe pluridisciplinaire. Les deux sont sans doute intéressants, mais il me semble que la pluridisciplinarité est une bonne chose pour les patients et permet de ne pas rester entre spécialistes d’une même discipline. Les médecins entre eux ont tendance à ne parler que de médecine, et les cardiologues entre eux ne parlent que de cardiologie ! Moi, je veux être un bon cardiologue, mais ne pas perdre de vue les autres aspects médicaux. Je ne veux pas devenir la technicienne d’un seul organe car il me semble que l’on n’est plus vraiment un médecin dans ce cas. Pour moi, l’idéale serait la synthèse entre la cardiologie de ville, plus généraliste, et la cardiologie hospitalière, plus technique.

En quoi votre génération vous paraît-elle différente des précédentes dans la façon d’appréhender la profession ?

C. L. : Ils ont en général consacré leur vie à leur spécialité et ils sont souvent passé à côté de choses essentielles, leur vie privée, leur famille. Pour moi, il n’en est pas question. Ma mère est magistrat, et elle a réussi à concilier une vie professionnelle pourtant très prenante avec sa vie de famille, et j’avoue qu’elle est un modèle pour moi.

En quel secteur pensez-vous vous installer ? Que vous inspire le débat sur les dépassements d’honoraires ? Suivez-vous l’actualité professionnelle et pensez-vous vous engager syndicalement dans le futur ? 

C. L. : Je compte m’installer en secteur 2. Les abus de dépassements ne concernent en fait qu’une minorité de médecins. Je trouve le prix de la consultation chez un spécialiste qui a fait dix ans d’études plutôt dérisoire, comparé aux 50 euros ou plus que les gens acceptent de payer chez le coiffeur. Cela m’énerve beaucoup ! Comme m’énerve beaucoup de constater que les gens sont capables de faire des kilomètres pour aller faire les soldes, mais rechignent à en faire moins pour aller consulter un médecin. Je m’intéresse à l’actualité professionnelle et je serai sûrement syndiquée lorsque j’exercerai. A cet égard encore, je suivrai les conseils maternels !

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