Quelle carrière pour les femmes cardiologues ?

352 – Depuis quelques années, la féminisation de la médecine est un phénomène qui va croissant. Selon la dernière étude (*) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), au 1er janvier de cette année, on recensait 662 médecins actifs en France, dont 41 % de femmes. Les femmes médecins représentent 48, 6 % des salariés hospitaliers, 33 % des libéraux exclusif et 28 % des praticiens ayant un exercice mixte. 

La cardiologie ne se situe pas parmi les spécialités les plus féminisées. En 2001, elle était même lanterne rouge, avec une proportion de 15 % de femmes. Certes, le pourcentage de femmes cardiologues augmente d’année en année, mais à un rythme qui reste inférieur à la moyenne générale. En 2008, le taux de féminisation de la profession était de 19 %. A titre indicatif, cette année-là, les femmes représentaient déjà 39 % des médecins, toutes spécialités confondues. En 2012, les femmes cardiologues constituent 21,8 % de l’effectif de la spécialité cardiologie et maladies vasculaires qui s’établit à 6 613 praticiens. Un peu plus de la moitié des cardiologues (3 371) sont des libéraux exclusifs, et parmi eux, 17 % sont des femmes. Elles représentent 35 % des cardiologues hospitaliers, qui sont 1 772 au total, et 14 % des 1 341 praticiens qui ont un exercice mixte.
Une ventilation plus précise par secteur d’activité montre que les femmes cardiologues exercent surtout dans le secteur privé non lucratif (34,8 %), en centre de santé (31,5 %), à l’hôpital public (29,4 %), nettement moins dans le secteur privé lucratif (15 %). Leur pourcentage est important parmi les remplaçants en cabinet libéral (29,6 %) et dans le domaine de la prévention (29,4 %). Quand elles exercent en cabinet libéral, c’est un peu plus souvent en cabinet individuel (18,6 %) qu’en cabinet de groupe (16,8 %).

Il est intéressant de remarquer que sur les 375 spécialistes en chirurgie thoracique et cardiovasculaire, on compte seulement 8 % de femmes. Les témoignages que nous avons recueillis confirment qu’il est plus aisé pour les femmes de pratiquer la cardiologie « clinique » que la cardiologie interventionnelle et chirurgicale où la pression de l’urgence et les contraintes sont assez incompatibles avec une vie de famille qui repose (encore) essentiellement sur les femmes.
Même si la spécialité cardiologique n’est pas parmi les spécialités les plus féminisées, la ventilation par tranche d’âge indique clairement que ce retard devrait être rattrapé dans les années à venir, puisque les taux de féminisation les plus forts se rencontrent chez les plus jeunes. Si on ne compte que 9, 5 % de femmes chez les cardiologues entre 60 et 64 ans, il est presque deux fois plus élevé (18 %) entre 50 et 54 ans, il est de  31 % dans la tranche 40-44 ans, de 42 % entre 35 et 39 ans. Enfin, parmi les cardiologues de moins de 30 ans, les femmes sont majoritaires (51,4 %). On observe cette même tendance pour la chirurgie thoracique et cardiovasculaire où les plus importants pourcentages de femmes concernent les tranches d’âge 35-39 ans et 30-34 ans (respectivement 17,9 % et 16 %).

Les femmes sont donc de plus en plus nombreuses à choisir la spécialité de cardiologie. Pour autant, là comme dans à peu près tous les secteurs d’activité, elles se heurtent au fameux « plafond de verre » qui fait que peu d’entre elles accèdent à des postes de responsabilité. A cet égard, il est « exemplaire » que seules sept femmes aient le statut de PU-PH, soit 5 % seulement du corps des professeurs de cardiologie. Certes, la médecine n’échappe pas à un certain machisme ambiant. Mais la principale entrave des femmes dans l’accession à certains postes ou aux pratiques les plus contraignantes de la cardiologie (cardiologie interventionnelle, chirurgie cardiaque) reste leur souhait de concilier vie professionnelle et vie familiale. Dans les conditions actuelles de l’exercice médical, de l’organisation hospitalière et dans un contexte économique qui renforce la pression sur les personnels, les femmes ont souvent à choisir entre leur carrière et leur vie personnelle. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Marie-Chritine Malergue en témoigne, qui reconnaît n’avoir eu qu’un enfant pour pouvoir mener la vie professionnelle qu’elle souhaitait. Dans ce contexte, l’exercice libéral permet de concilier plus facilement l’exercice de la cardiologie et la vie de famille.

Parallèlement à la féminisation croissante de la profession, et sans doute liée à cette féminisation, la mentalité des jeunes médecins évolue : eux aussi veulent avoir une vie privée et voir grandir leurs enfants ! Martine Gillard le constate chez ses internes, et se réjouit de cette évolution, signe d’une parité en marche.

(*) Les médecins au 1er janvier 2012», DREES – Série Statistiques n° 167, février 2012.

 

L’avis de… Christian Ziccarelli président du SNSMCV

Où en est la féminisation du syndicalisme ?

Christian Ziccarelli : Elle est infime. Les femmes cardiologues sont de plus en plus nombreuses : sur environ 600 cardiologues de moins de 40 ans, 400 sont des femmes. Mais cette féminisation de la profession ne se retrouve pas dans nos instances. Au conseil d’administration du Syndicat, il n’y a que trois femmes aujourd’hui sur une quarantaine de membres. Et la proportion n’est guère plus importante à l’assemblée générale où il doit y avoir 90 % d’hommes. Le même constat s’impose à l’UFCV où deux femmes seulement siègent au CA. Ce manque d’implication des femmes est très regrettable.

Il s’explique comment, selon vous ?

C. Z. : Par le fait que les femmes cardiologues ont aussi des mères, et qu’en dehors de leur métier, leur priorité est la vie familiale, les enfants. Je vois bien que mon associée, entre son travail, ses journées de FMC et sa famille, n’a pas le temps de faire autre chose. Je suis personnellement très favorable à la présence des femmes dans nos institutions, mais il faut bien voir aussi que cela signifie des réunions nombreuses, téléphoniques ou présentielles, à Paris ou un peu partout en France, souvent durant les week-ends. Nous essayons d’élargir et de rajeunir le Syndicat, mais c’est difficile. Pas plus que les femmes, les jeunes cardiologues hommes ne tiennent pas non plus à s’investir dans le syndicalisme, essentiellement parce qu’ils ont la même aspiration que leurs collègues femmes à une vie privée. Nombreux sont les hommes qui regrettent de ne pas avoir vu grandir leurs enfants, tout entier accaparés par leur vie professionnelle.

 

 

Entretien Martine Gilard

« Quand on veut, on peut, mais c’est difficile »

PU-PH au CHU de Brest, Martine Gilard (56 ans) est une des (très) rares enseignantes de cardiologie en France. Elle le déplore, mais observe une évolution qui la rend optimiste quant à l’avenir des femmes en cardiologie.

 

Comment avez-vous choisi d’exercer la cardiologie à l’hôpital public ?

Martine Gilard : J’ai commencé mon internat de cardiologie à Brest en 1982 et j’ai été nommée cardiologue en 1986. J’ai deux spécialités, la radiologie et la cardiologie. Au départ, deux spécialités m’intéressaient, la pédiatrie et la cardiologie, et j’ai choisi la cardiologie parce que j’ai trouvé cette spécialité très variée, très vivante, en mouvement, avec des innovations importantes, et très efficace. Lorsque j’étais externe, je n’appréciais pas beaucoup l’ambiance hospitalière. J’ai pourtant choisi de faire carrière à l’hôpital public, d’abord parce qu’à l’hôpital on bénéficie de moyens importants et des innovations, ensuite parce que j’aime le partage et que l’enseignement m’attirait beaucoup. A cet égard, les hôpitaux, et particulièrement les CHU, sont des lieux privilégiés.

Selon vous, le fait d’être une femme constitue-t-il un obstacle à une carrière telle que la vôtre ?

M. G. : Ce n’est pas un obstacle au départ, mais dès qu’on veut progresser dans les échelons hiérarchiques, cela devient difficile, parce qu’on demande plus à une femme. Il faut s’adonner pleinement à son métier et c’est difficilement compatible avec une vie familiale. Personnellement, je me suis séparée assez rapidement de mon mari et je me suis retrouvée seule avec mon enfant. Cela a été difficile, mais quand on veut, on peut s’organiser pour mener de front sa carrière et sa vie de famille. Mais enfin, il faut bien constater que sur environ cent cinquante enseignants de cardiologie, nous ne sommes que sept femmes en France ! A la SFC, qui est en progression à l’égard de la féminisation, nous sommes trois femmes sur les neuf membres du bureau, mais c’est assez exceptionnel. Au sein de l’European society of cardiology, nous sommes deux femmes dans l’équivalent européen du GACI. Il n’est pas normal qu’il y ait si peu de femmes. Les femmes renoncent-elles par peur ou exerce-t-on une pression sur elles telle qu’elles n’osent pas aller de l’avant ? Il est évident qu’on ne dit jamais à un cardiologue homme qui veut faire une carrière hospitalière : « Tu ne verras pas tes enfants ! ». Mais aujourd’hui pourtant, j’entends des hommes me dire « Il faut que je parte pour récupérer mon gosse ».

Vous constatez donc une évolution ?

M. G. : Oui. Le partage des tâches, beaucoup plus important qu’avant entre les hommes et les femmes, fait qu’il y a davantage de femmes en cardiologie. Actuellement, sur mes sept internes, trois sont des femmes, et il n’y a aucune différence entre eux dans le travail qu’ils font. La vie évolue et les hommes aussi, et c’est très bien comme cela.

 

Entretien Marie-Christine Malergue

« Etre femme oblige à choisir entre carrière et vie familiale »

Pour Marie-Christine Malergue (63 ans), il est très difficile pour une femme de mener de front l’exercice de la cardiologie interventionnelle et une vie familiale. Le plus souvent, elle doit choisir entre la carrière et la vie privée. 

 

Quel est votre parcours et comment êtes-vous venue à la cardiologie ?

Marie-Christine Malergue : J’ai passé ma thèse en 1976. Initialement, je me destinais à la chirurgie, et j’ai d’ailleurs commencé mon internat dans cette discipline, un semestre décourageant. Un stage en cardiologie à Tenon, où à travers la coronarographie, j’ai entrevu toutes les possibilités à venir, a été déterminant. J’ai donc opté pour la cardiologie. Je suis partie un an au Canada où j’ai découvert l’échocardiographie, une technique qui n’était pas connue alors en France. Je suis rentrée avec ce bagage, et comme je suis une battante, je pense, modestement, avoir été un peu à l’origine de l’échocardiographie en France.
J’ai effectué mon clinicat à Bichat. Un patron m’a fait espérer un poste qu’il ne m’a jamais donné, et en 1982, j’ai ouvert un cabinet libéral d’échocardiographie. Simultanément, j’ai intégré  la clinique mutualiste de la Porte de Choisy – qui est devenu par la suite l’Institut Montsouris – pour y développer l’échocardiographie. J’y suis restée vingt ans, jusqu’à ce que je sois « débauchée » pour ouvrir un laboratoire d’échocardiographie à l’hôpital privé Jacques Cartier, à Massy, où j’exerce toujours, parallèlement à mon activité libérale en cabinet de ville.

Dans ce parcours, le fait d’être une femme a-t-il été un handicap ?

M.-C. M. : Franchement, cela n’a jamais été un problème pour moi. Aurais-je obtenu un poste à l’hôpital public si j’avais été un homme ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, j’ai fait une carrière qui me satisfait pleinement, assez comparable d’ailleurs à une carrière universitaire. J’ai eu la chance d’avoir des patrons qui m’ont fait confiance, qui m’ont écoutée et encouragée. Je me suis fait entendre tout aussi fort que si j’avais été universitaire, sans bénéficier cependant des moyens mis à la disposition des universitaires, j’ai tout fait toute seule.
En revanche, il est évident que le fait d’être femme oblige à choisir entre la carrière et la vie familiale. J’ai eu un enfant pendant mon clinicat, et mes petits camarades hommes ne m’ont pas fait particulièrement de cadeau pendant ma grossesse. Au passage, je rappelle que le congé maternité n’existait pas à l’époque dans les statuts, et je me suis battue pour l’obtention de quelques semaines de congé maternité pour les femmes ! J’ai été énormément aidée par mes parents, et je me suis interdit d’avoir un second enfant. Si j’avais eu plusieurs enfants, je n’aurais pas fait la carrière que j’ai faite, c’est certain. Et cela n’aurait pas été aussi simple si j’avais fait de la chirurgie cardiaque. Mais je me suis donné les moyens de faire ce que je voulais, de partir à l’étranger, de prôner une nouvelle technologie, d’aller de l’avant.
Mais c’est un choix que toutes les femmes ne sont pas prêtes à faire, ce que je comprends parfaitement. Le résultat, bien sûr, c’est que les femmes sont peu nombreuses en cardiologie interventionnelle. A Jacques Cartier, on compte les femmes sur les doigts d’une main ! En cardiologie, nous sommes deux, Marie-Claude Morice et moi…

Pensez-vous que les choses peuvent évoluer ?

M.-C. M. : Je suis plutôt pessimiste quant à une évolution. Soit on pratique en cabinet une activité pas ou peu soumise à l’urgence, soit on exerce dans une structure hospitalière, et là, c’est beaucoup plus compliqué. Particulièrement aujourd’hui dans les établissements hospitalier privé où la contrainte économique est énorme, et où il faut avoir une disponibilité totale, ne pas compter ses heures, il est très difficile à une jeune femme ayant des enfants de tenir. Et je vois mal comment la situation pourrait s’améliorer dans les conditions actuelles de l’exercice. Ou il faut un tempérament très fort, un courage formidable et être portée par une vraie passion. Geneviève Derumeaux, qui fait une carrière exceptionnelle et qui est mère de famille, est l’exception qui confirme la règle, elle qui a été également présidente de la SFC. Mais il faut souligner qu’elle était la deuxième femme à assumer cette fonction, vingt ans après Mireille Brochier ! Car les femmes se font rares aussi dans les instances professionnelles et les sociétés savantes : je suis la seule femme à avoir été présidente de la Société française d’échocardiographie de 1997 à 1999, et aujourd’hui encore, je suis le seul élément féminin de cette société savante…

 

Entretien Marie-Paul Augusseau

« L’exercice libéral correspond à mes choix de vie  »

Parce qu’elle souhaite concilier sa vie professionnelle avec sa vie familiale, Marie-Paul Augusseau (48 ans) a choisi d’exercer en libéral, et se dit pleinement satisfaite de ce choix. 

Pourquoi avez-vous choisi d’exercer en libéral ?

Marie-Paul Augusseau : J’exerce effectivement depuis 2001 à la clinique de La Présentation, dans une commune située au nord d’Orléans. J’ai été chef de clinique deux ans à Tours et deux ans à Paris. Un poste de praticien hospitalier ne m’était pas proposé à l’époque. J’ai donc fait deux années de remplacement en libéral avant de m’installer. Il faut dire que je baigne dans un milieu libéral, puisque mon père était médecin généraliste et que mon mari est pharmacien d’officine. Et puis, j’ai trois enfants, et l’exercice libéral facilite la conciliation de la vie professionnelle avec la vie familiale.

Comment vivez-vous le fait d’être femme dans votre vie professionnelle ?

M.-P. A. : C’est souvent vu comme un problème mais moi, je ne l’ai pas vécu comme cela. Certes, quand j’ai pensé à une carrière hospitalière au décours de mon clinicat, aucune opportunité ne s’est présentée à moi. Mais avec le recul, les postes à responsabilité sont peu accessibles aux femmes dans l’univers hospitalier. Aujourd’hui, je travaille comme j’en ai envie. Je suis associée depuis dix ans avec deux confrères, nous sommes en SCM, indépendants les uns des autres. J’organise mon planning comme je le souhaite, en toute liberté. Nous suivons nos patients de A à Z, et cela me plaît. J’apprécie l’interactivité que nous avons dans le travail, nos échanges. Nous ne vivons pas sur nos acquis et nous intervenons régulièrement à des FMC et participons à deux ou trois congrès annuellement. Dans ce sens et dans la continuité de ma formation hospitalière, j’ai poursuivi pendant plus d’une dizaine d’années  des vacations à l’HEGP en échographie et dernièrement en IRM que je pratique désormais en binôme un après-midi par semaine avec un confrère radiologue. J’ai des astreintes mais pas de gardes. En résumé, l’exercice libéral est un choix qui correspond à mes choix de vie, et la cardiologie que j’exerce me passionne. Le fait d’être une femme cardiologue ne me paraît pas exceptionnel, pas plus que pour les autres femmes qui travaillent. D’ailleurs, en médecine libérale en tout cas, les femmes sont de plus en plus nombreuses. Cette féminisation est une bonne chose, pas un problème. Elle entraîne un changement de mentalité chez les hommes, qui aspirent eux aussi à plus d’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, et nous évoluons dans ce sens. La médecine change pour tous ! Reste que certaines spécialités comme la chirurgie, la cardiologie interventionnelle ou l’obstétrique restent peu accessibles aux femmes, sauf à reconsidérer sa vie familiale.

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