Rétablir la confiance avec les libéraux, une priorité pour Agnès Buzyn

Sortie de Marisol Touraine, entrée d’Agnès Buzyn, nommée ministre des Solidarités et de la Santé le mercredi 17 mai. Celle qui tenait encore, le matin-même de sa nomination, une conférence de presse en tant que présidente de la Haute Autorité de Santé (HAS) va avoir la lourde tâche de recoudre la déchirure qui a été en s’accentuant entre l’ex-ministre de la Santé et les médecins libéraux. 

Selon un sondage réalisé par le Journal International de la Médecine, 86 % des professionnels de santé juge mauvais le bilan de Marisol Touraine et ils sont même 61 %  à le qualifier de « très mauvais ». C’est sans doute parmi ces derniers que doit se trouver la plus grande proportion de libéraux ! Dès le début de son mandat, les rapports se détériorent avec eux lorsque Marisol Touraine, conformément aux promesses du candidat François Hollande, s’attaque aux dépassements d’honoraires. Le Contrat d’Accès aux Soins (CAS) mis en place après d’âpres négociations est vécu par les intéressés comme une stigmatisation. Et ce ne sont pas les nouveaux contrats responsables plafonnant la prise en charge des dépassements instaurés plus tard qui amélioreront les choses, les libéraux les percevant comme une attaque contre le secteur 2.

Ce n’était qu’un préambule : 2015 avec l’entrée en scène de la loi de santé sera l’année définitive de la rupture. Ce texte de 227 articles dit de « modernisation de notre système de santé » et qui devait permettre d’amorcer le fameux « virage ambulatoire », leitmotiv du quinquennat, a concentré toute la colère des médecins libéraux. Ils y ont vu une bureaucratisation tous azimuts là alors qu’ils attendaient à de la simplification et de l’autonomie pour élaborer des projets de terrains. Mais surtout, le tiers-payant généralisé obligatoire aura été le point de crispation majeur.

Quant aux conditions de participation au service public hospitalier imposées à l’hospitalisation privée, elles ont été jugées discriminatoires et, de fait, elles le sont : interdire la pratique des dépassements d’honoraires aux établissements privés désireux de participer au service public quand on continue de les autoriser à l’hôpital public où de surcroît ils sont souvent les plus élevés – ce n’est pas traiter équitablement les acteurs du système de santé.

Commissions de conciliation, réécriture de certain articles n’y ont rien fait : les libéraux sont descendus dans la rue et ont fait grève. En vain. Le « dogmatisme » de Marisol Touraine qu’ont dénoncé les syndicats médicaux l’a emporté et la loi a été adoptée.

L’hospitalocentrisme de l’ex-ministre n’a pas pour autant satisfait les hospitaliers. Marisol Touraine quitte d’ailleurs l’avenue de Ségur accompagnée depuis la mi-avril d’une grève des internes qui refusent une réforme du 3e cycle des études médicales passée en force et qui demandent le report de son entrée en vigueur prévue pour la rentrée prochaine.

Les praticiens hospitaliers ont été souvent échaudés par la lenteur de l’adoption des décisions, qu’il s’agisse de la réhabilitation du pouvoir médical à l’hôpital, de leur statut, des mesures en faveur de l’attractivité de l’exercice hospitalier ou encore des alternatives à la T2A. Et s’ils ont plutôt favorablement accueilli la réforme des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT), ils n’ont pas apprécié sa mise en place à marche forcée.

Comme un bilan n’est jamais absolument négatif, on peut mettre au crédit de Marisol Touraine d’avoir tenu bon face aux partisans de la manière coercitive pour régler le problème des déserts médicaux. Affirmant que le conventionnement sélectif était contre-productif, la ministre a poursuivi dans la voie de l’incitation en créant de nouveaux dispositifs comme les Praticiens Territoriaux de Médecine Générale (PTMG), en accélérant le déploiement des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), passées de 150 à 1 000 pendant le quinquennat et dont l’augmentation était au programme de tous les candidats à l’élection présidentielle, celui d’Emmanuel Macron y compris. Elle a aussi favorisé la mise en place d’une prime de 50 000 euros pour les jeunes praticiens s’installant dans les zones sous-dotées. L’avenir dira si ces mesures seront efficaces.

Au chapitre de la santé publique, le compte n’y est pas non plus. Certes, Marisol Touraine a agi pour améliorer l’accès à l’IVG et à la contraception, autorisé l’expérimentation d’une salle d’injection à moindre risque.

Mais elle quitte le ministère sans avoir tranché sur l’épineuses question des obligations vaccinales et si elle a imposé le paquet de cigarettes neutre, dont l’efficacité est jugée limitée par beaucoup, elle n’a pas fait preuve du même autoritarisme qu’avec les libéraux pour imposer une baisse significative du tabac.

Qu’importe les quelques mesures positives, Marisol Touraine part avec une cote de popularité chez les médecins libéraux du même ordre que celle du Président de la République qui l’aura maintenue, contre vents et marées, cinq années entières dans ses fonctions.

On peut souhaiter bonne chance et bon courage à Agnès Buzyn : elle va devoir renouer le dialogue pour avancer sur des dossiers dont certains restent « urticants » pour les libéraux, comme celui du tiers-payant qui deviendrait généralisable et non plus obligatoire.

Emmanuel Macron avait dit vouloir un médecin comme ministre de la Santé. Il a tenu parole. C’est habile mais ne signifie pas pour autant une adhésion acquise des médecins libéraux qui ont appris a être très, très prudents. Et puis, Agnès Buzyn est une hospitalière, ce qui n’est pas forcément de très bonne augure pour la médecine de ville.