Rocky, marchand de CAPI

331 – CardioNews –  Au bal des hypocrites, Rocky tient évidemment sa place. Mais il convient, en l’espèce, de lui reconnaître que la comparaison avec le système anglais trouve rapidement ses limites dans l’exercice des comparaisons.

1/ Des deux côtés de la Manche, le statut du médicament est très différent. Pendant que notre pays les accepte pratiquement tous sur le marché, doté d’une note de 1 à 5 en fonction de leur « amélioration du service médical rendu » (ASMR) mais elle-même sans rapport avec le prix négocié par l’industriel ; les Britanniques ont sur le sujet une position plus pragmatique : ils adoptent ou rejettent une molécule candidate sur une base purement comptable de coût de l’année de vie gagnée… Partant, les prix des médicaments y sont libres dans le cadre contractuel du PPRS (Pharmaceutical Price Regulation Scheme) qui régule surtout … les profits annuels des laboratoires. Le boycott organisé d’un produit peut, du même fait, rester sans effet sur les profits de l’industriel.

2/ Les médecins, et singulièrement les généralistes, y exercent sous un statut radicalement différent du nôtre. Nul besoin, au Royaume-Uni, d’une convention individuellement signée par des prescripteurs, tous fonctionnaires. Les contrats d’intéressement, assimilable à nos CAPI, sont donc conclus avec des « trusts », regroupements de généralistes et les primes sont fléchées sur le fonctionnement collectif du groupe, sans effet sur les revenus individuels de ses membres déjà confortablement nantis. Ces deux points de contexte étant précisés, reste le problème éthique du CAPI. Celui qui pose, heureusement, débat. Or, contrairement à ce que soutenait Christian Saout à la même tribune selon lequel « 14 000 médecins (signataires du « french CAPI », Ndlr) ne peuvent se tromper en même temps », ceux-là l’ont fait sous la pression « amicale » de DAM venus leur expliquer que c’était là un moyen d’augmenter son revenu sans risque ni grand effort. Et en ce sens, les 14 000 signataires se trompent lourdement – ou, ce qui est plus grave, trompent leurs patients laissés dans l’ignorance de leur propre conflit d’intérêt : « ma prime contre ma liberté individuelle de prescription ». Le problème du CAPI, souligné ici même par le jeune philosophe Paul-Loup Weil-Dubuc, est de ceux qui méritent de mobiliser les avocats sincères de la médecine libérale : le doute ne peut en effet s’insérer dans le colloque singulier. Si le patient est fondé à s’interroger sur la question : « mon médecin me met-il ce médicament pour me soigner moi, ou sa prime de fin d’année »…. alors il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume du CAPI.

Le dilemme n’est pas différent de celui qu’ont connu il y a quelques années les pharmaciens, littéralement rétribués pour substituer les princeps par du générique. Du moins les potards avaient-ils l’argument (l’alibi ?) d’y être conviés dans un cadre conventionnel collectif, négocié et signé par leurs syndicats représentatifs, ce qui n’est pas le cas du CAPI. Si, comme il est probable, le CAPI fait son entrée dans la prochaine « boîte à outils » conventionnelle, ce ne pourra donc être qu’à titre collectif. Et sur des objectifs dûment négociés et signés par des syndicats représentatifs. Lesquels étaient (avec l’Ordre) à peu près unanimes à s’opposer au contrat individuel ! Le débat n’est pas clos ; et avec ou sans humour, Rocky aura au moins réussi à l’imposer dans la « feuille de route » et le calendrier des négociateurs. Impensable il y a quelques années encore ! On peut tirer son chapeau à l’artiste !

Jean-Pol Durand