Téléphone et médecine : les risques médico-légaux

295 – Les intermédiaires !

Une fois installé, le praticien se met à la disposition de la population. Il devient garant des appels qui se portent vers son cabinet. Dès lors, il doit veiller à ce que son patient puisse le joindre ou à défaut qu’une réponse appropriée puisse lui être délivrée. Habituellement, la secrétaire fait souvent office de « filtre ». C’est la raison pour laquelle le médecin doit veiller à la pertinence de son personnel. Pour cela, il doit le former en lui expliquant les règles de prudence et les particularités de sa spécialité. Le secrétariat doit impérativement s’interdire de prodiguer des avis médicaux. Il devra aussi être attentif aux doléances des patients et ne pas vouloir à tout prix « faire barrage ». Au moindre doute, le médecin doit être averti de l’appel de son patient.

Idéalement, un protocole de gestion des appels pourrait être rédigé. Pour que la secrétaire prenne conscience de ses responsabilités, il n’est pas inutile de lui faire signer ce protocole.

Ayant recours à un secrétariat « externalisé », il ne faut pas hésiter à définir un cahier des charges pour formaliser la réponse que l’on attend du personnel face aux différents cas de figures.

Le contenu de l’annonce du répondeur téléphonique doit aussi faire l’objet d’une réflexion. Les coordonnées du SAMU au minimum doivent être laissées. Dans les situations d’urgence, il ne faut pas inviter le patient à laisser un message, car celui-ci pourrait penser à tort que le praticien sera bientôt de retour et donc le laisser dans une situation d’attente alors qu’un appel au SAMU serait préférable.

Différents types d’appels et risques médico-légaux

Parmi les banales prises de rendez-vous, la secrétaire doit savoir ressentir le caractère pressant ou urgent d’une demande et avoir le réflexe de passer l’appel au médecin. Même débordé, le médecin doit prendre le temps nécessaire pour évaluer la gravité de la situation. Régulièrement, des médecins sont mis en cause pour ne pas avoir suffisamment écouté les demandes téléphoniques urgentes et ne pas avoir donné la recommandation adéquate.

S’il ne peut honorer rapidement une prise en charge, dans le cas d’une urgence, le praticien doit s’assurer qu’un relais va être pris par un confrère ou le SAMU. Face à un patient à l’évidence limité intellectuellement, il prendra la précaution de téléphoner directement au médecin vers lequel il envisage de l’envoyer ou au SAMU, pour organiser le relais (Art. 9 du code de Déontologie : tout médecin qui se trouve en présence d’un malade en péril, ou informé qu’un malade est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires).

En dehors de l’urgence, le conseil téléphonique à des patients qu’ils ne connaissent pas est un exercice périlleux. Plutôt que de s’aventurer dans des explications à un inconnu, dont on ne connaît pas les facultés intellectuelles, il vaut mieux lui recommander une consultation.

La situation est différente lorsque le médecin connaît son interlocuteur. Sous réserve d’avoir en mémoire la pathologie et le traitement en cours (ou d’avoir le dossier sous les yeux), un véritable dialogue orienté peut avoir lieu par téléphone. L’appel peut avoir pour objet une interrogation concernant l’apparition d’un nouveau symptôme, d’un effet indésirable ou l’adaptation d’un traitement (INR). Une fois de plus, si les consignes risquent d’être mal comprises ou si la demande est imprécise, il faut alors recommander une consultation, plutôt que de prendre le risque d’un malentendu. La fréquence élevée des appels pour adaptation des AVK et les risques potentiels d’une incompréhension doivent inviter à une rigueur systématique lors de la gestion de ces appels. Une éducation au cabinet lors de l’introduction du traitement (avec par exemple une feuille explicative) devrait permettre d’optimiser la gestion par téléphone et de limiter les accidents.

Pour pouvoir mieux se défendre en cas de plainte, on ne peut que conseiller de prendre l’habitude de garder une trace écrite de tout appel téléphonique potentiellement à risque, en notant l’heure de l’appel, le motif et la consigne donnée. Même si elle a des chances d’être discutée par les plaignants, elle sert d’aide-mémoire au praticien et donne de lui une image de rigueur professionnelle, toujours utile lors de l’expertise judiciaire.

Face à la crise démographique médicale, le concept de télémédecine devient un sujet à la mode. Pourtant, même si le Conseil de l’Ordre commence à vouloir dessiner les contours de cette médecine, force est de constater que, dans la pratique, les tribunaux restent toujours inflexibles vis-à-vis des praticiens qui ont émis une ordonnance, dès lors qu’ils n’ont pas examiné le patient.

Un psychiatre s’est vu récemment reprocher d’avoir adressé par courrier des renouvellements d’ordonnances avec pourtant un interrogatoire complet par téléphone. Qu’en serait-il pour un cardiologue ?

Appels entre confrères

En dehors des appels de patients, le cardiologue peut également être sollicité par ses confrères généralistes, anesthésistes ou autres spécialistes. Par ce biais, il peut être mis en cause par ricochets. Les exemples ne manquent pas ! Combien de fois par an un cardiologue est-il sollicité pour donner son avis pour l’interruption (ou la substitution) des anticoagulants ou des anti-agrégants en péri-opératoire ? Pour éviter les malentendus, il est préférable de proposer une consultation pour établir des recommandations strictes, en spécifiant l’indication des anticoagulants, les molécules de substitution que l’on propose, les doses et les étapes. Il est également important d’expliquer au patient que toute interruption, même avec substitution, comporte des risques, afin qu’il puisse en toute conscience prendre la décision de subir ou non son intervention chirurgicale (surtout si elle n’a pas un but vital). Cette démarche est d’autant plus nécessaire qu’il n’existe pas de réel consensus sur les modalités de substitution.

Cette information doit bien sûr être mentionnée dans le courrier au correspondant. C’est face à la gravité potentielle de ces situations qu’il est préférable d’éviter de se contenter de simples conseils téléphoniques. Personne ne doit être dupe ! Si un praticien est mis en cause en cas d’accident, il n’hésitera pas, pour se défendre, à faire mention de l’avis téléphonique qu’il avait sollicité auprès du cardiologue…

Astreintes à domicile

24 heures sur 24 heures et 365 jours par an, des cardiologues se relayent en astreinte. Si un patient devait être victime d’un retard de soins parce que le cardiologue d’astreinte n’était pas joignable, la responsabilité de ce dernier se verrait automatiquement mise en cause. Pour prévenir ce risque, le médecin d’astreinte doit s’assurer de la fiabilité de toutes les étapes du processus d’appel. Il doit tout d’abord vérifier que ses coordonnées exactes sont diffusées auprès de tous les services susceptibles de l’appeler (standard, USIC…). L’établissement de la liste d’astreinte doit avoir reçu la validation de tous les médecins inscrits. Celui qui finit son astreinte doit s’assurer que le suivant est disponible pour prendre le relais. Il doit bien entendu disposer d’une installation fiable car, à l’heure du dégroupage proposé par de nombreux opérateurs, les pannes ne sont pas exceptionnelles !

Si l’usage du portable a littéralement changé la vie des médecins d’astreinte, il n’en reste pas moins qu’ils restent tributaires du niveau de leur batterie et de la couverture du réseau de leur opérateur. Si certains vérifient anxieusement, toutes les trente secondes, le nombre de barrettes indiquant la qualité de réception de leur portable, d’autres ont la désagréable surprise de découvrir un message d’urgence trois heures après alors qu’ils faisaient une randonné en VTT !

Conclusion

Aussi anodin qu’il paraisse, un appel téléphonique expose à un risque médico-légal, justifiant d’une écoute attentive systématique et d’une traçabilité. Quel que soit le mode d’exercice, les praticiens doivent veiller à la fiabilité de leur accessibilité (matériel, personnel, réseau). Au moindre doute sur la compréhension de l’interlocuteur, il est préférable de proposer une consultation au cabinet pour éviter tout accident.

Cédric Gaultier

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