Transport aérien : la responsabilité du médecin en avion

333 – Air France transporte environ 36 millions de passagers par an et enregistre, sur la même période, un peu moins de 2 000 déclarations d’incidents médicaux (un incident pour 18 000 passagers). Souvent, il s’agit de malaises bénins mais on dénombre aussi des pathologies traumatiques survenues à cause de turbulences ou de chutes, des pathologies vasculaires, digestives, psychiatriques, des atteintes respiratoires et une dizaine de décès, soit un décès pour 3 600 000 passagers. Le personnel naviguant (hôtesses et stewards) détient le certificat de sécurité et de sauvetage et peut intervenir en premier recours. Air France embarque également un défibrillateur dans chacun de ses avions. _ Hôtesses et stewards sont formés à son utilisation. Enfin, dans 90 % des incidents médicaux en vol, un médecin passager intervient après l’appel lancé par le commandant de bord.

I. La responsabilité du médecin français _ passager : le contexte juridique

Plusieurs sources

1. La convention de Tokyo du 14 /09 /1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenus à bord des aéronefs. _ La Convention, signée par 138 Etats se justifie par la nécessité d’écarter un éventuel risque de vide juridique lorsqu’un avion vole au-dessus de la mer ou de territoires non explicitement affectés à un Etat. Elle définit les pouvoirs du commandant de bord en regard de tous les types d’incidents pouvant survenir à bord d’un avion.

|Art. 3. 1. L’Etat d’immatriculation de l’aéronef est compétent pour connaître des infractions commises et actes accomplis à bord. _ _ 2. Tout Etat contractant prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence, en sa qualité d’Etat d’immatriculation, aux fins de connaître des infractions commises à bord des aéronefs inscrits sur son registre d’immatriculation…|

2. Le code pénal français _ Outre l’article 223-6 qui sanctionne le délit de non-assistance à péril, le code pénal français prévoit de façon spécifi que un dispositif répressif à l’encontre d’auteurs de délits ou de crimes au cours d’un vol (art. 113-4 et 113-11).

|Art. 113-4. « La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France, ou à l’encontre de tels aéronefs, en quelque lieu qu’ils se trouvent… »| _ _

|Art. 113-11. « … La loi pénale française est applicable aux crimes et délits commis à bord ou à l’encontre des aéronefs non immatriculés en France : _ _ 1° Lorsque l’auteur ou la victime est de nationalité française ; _ _ 2° Lorsque l’appareil atterrit en France après le crime ou le délit ; _ _ 3° Lorsque l’aéronef a été donné en location sans équipage à une personne qui a le siège principal de son exploitation ou, à défaut, sa résidence permanente sur le territoire de la République… »|

3. Le code déontologie médicale _ Nous trouvons deux articles relatifs à la question de la prise en charge de l’incident médical au cours du vol, intégrés au code de la santé publique (4127-9 et 4127-70). L’article 4127-9 oblige tout médecin à porter assistance à une personne en péril ; l’article 4127-70 rappelle à chaque médecin l’omnivalence de son diplôme. Celle-ci lui permet, en cas d’urgence, de prodiguer ses soins même pour des pathologies ne relevant pas de son domaine de compétences.

|Art. 4127-9. « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. » _ _ Art. 4127-70. « Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. »|

II. Périmètre de la responsabilité _ du médecin français passager _ d’un avion de ligne

_ La responsabilité s’exerce dans les domaines civil, pénal et ordinal.

1. La responsabilité civile _ Il n’y a pas de contrat entre le malade et le médecin lorsque celui-ci intervient à la demande du commandant de bord. L’action revêt un caractère bénévole en utilisant les moyens à disposition par la compagnie (trousses de secours, liaison radio avec d’autres médecins au sol). Le médecin appelé devient préposé de la compagnie aérienne qui répond des fautes commises par ce préposé temporaire. De surcroît, certaines compagnies dont Air France couvrent directement la responsabilité civile du médecin passager bénévole si l’action est directement intentée contre lui. Toutefois, en certaines circonstances, le médecin passager n’a pas qualité de préposé de la compagnie et répond seul, ou par le biais de son assurance de ses actes : _ ■ s’il décide d’intervenir de son propre chef, sans y avoir été invité par le commandant de bord, _ ■ si, après son intervention à la demande du commandant de bord, il réclame des honoraires au patient.

2. Responsabilité pénale _ La responsabilité pénale du médecin passager est appelée lorsqu’en méconnaissance des préceptes de son art, il se rend coupable du délit de blessure ou d’homicide par imprudence, de mise en danger de la vie d’autrui ou de non-assistance à personne en péril. En vol, ce dernier délit naît si le médecin décline, sans raison valable ou force majeure, la demande lui étant faite de venir en aide au passager malade. La force majeure matérialise sa propre incapacité physique à intervenir ou le fait qu’il soigne au même moment un autre passager malade également en situation de détresse. Les choses sont très claires : la non-assistance à personne en péril consiste bien en une abstention volontaire d’intervenir après avoir été clairement sollicité. Et il faut préciser que l’obligation dévolue au médecin s’entend de la même façon lorsqu’il voyage avec une compagnie étrangère. Certains jugent parfois bon de conseiller aux praticiens confrontés à un appel de rester anonymes selon le précepte du « pas vu pas pris ». Il s’agit d’un très mauvais conseil, en rupture avec les règles de droit et la déontologie la plus élémentaire. C’est aussi une démarche risquée pour celui qui s’y prête. Si un autre passager le dénonce ou si, une fois l’avion posé, les autorités décident d’ouvrir une enquête, ce médecin discret encourra les foudres de la justice. Dès lors, où seront ses conseilleurs ?

3. La responsabilité ordinale _ Comme ceux du code pénal, les préceptes du code déontologie médicale s’appliquent partout dans le monde. Le devoir d’assistance au malade s’entend de la même façon sur terre ou dans les airs. Tout manquement en l’espèce expose son auteur à une sanction ordinale pouvant aller jusqu’à la radiation du tableau de l’Ordre. Le fait de ne pas s’estimer compétent en regard de la pathologie dont souffre le passager n’autorise pas pour autant un médecin à demeurer passif. Ce principe d’assistance même sans disposer du savoir nécessaire s’applique d’ailleurs à tout citoyen, donc a fortiori à un médecin.

Conclusion

_ Les médecins sont souvent demandeurs d’informations précises quant à leur responsabilité dans le cadre des voyages aériens. Beaucoup redoutent d’avoir à intervenir dans des conditions difficiles de bruit, d’exiguïté, de stress. Il faut les rassurer. Les poursuites intentées contre eux sont rarissimes. De plus, les compagnies aériennes assurent, pour les principales d’entre elles, leur responsabilité pour les soins qu’ils prodiguent bénévolement et à la demande du pilote. Citons néanmoins une affaire survenue aux Etats-Unis dans les années 1980. Après l’appel lancé par le commandant de bord, un médecin était intervenu auprès d’un passager malade. Jugeant inquiétant l’état de santé de ce passager, ce médecin avait obtenu du commandant que l’appareil soit dérouté. Par la suite, la compagnie n’en avait pas moins engagé des poursuites contre lui après que ses experts aient estimé que le malaise dont avait souffert le passager ne justifiait pas un déroutement. Mais répétons-le, il s’agit là d’un cas isolé. ■(gallery)