Un bon forfait vaut bien quelques morts

Par Marc Villacèque.
Président du Syndicat national des cardiologues.

Les modes de financement du système de santé sont de plus en plus complexes et inintelligibles. La nouvelle loi réformant le financement des urgences n’échappe pas à la règle. Le 29 décembre dernier, deux arrêtés ont été publiés précisant le nouveau forfait patient urgence (FPU) applicable au 1er janvier 2022. 

En résumé, pour les patients qui passent par les urgences et qui ne sont pas hospitalisés, tous les actes effectués par l’urgentiste, le biologiste et le radiologue sont maintenant rémunérés au forfait. Pour toutes les autres spécialités, une seule facturation d’un montant de 25 euros est possible quel que soit l’acte. Passons sur le fait que ces arrêtés soient sortis pendant les vacances et appliqués deux jours après leur parution au Journal Officiel ; ils ne stipulent à aucun endroit comment facturer l’échographie cardiaque ou vasculaire. Ces actes ne s’effectueront donc plus dans un service d’urgence, sauf si on prédit que le résultat de l’examen nécessitera une hospitalisation !!! 

Lors d’un entretien avec la DGOS, la solution préconisée pour que les actes puissent être abondés serait la conversion du passage aux urgences en unité d’hospitalisation de courte durée (UCHD) ; or, une hospitalisation en UHCD majore la prise en charge d’environ 150 € juste pour une échographie de 96,49 euros !!! Certains urgentistes ou établissements privés refusent cette possibilité.

Dorénavant, une alternative s’offre à vous…

• Soit vous hospitalisez le patient pour faire une échographie cardiaque quelle que soit la suspicion diagnostique (simple douleur thoracique, suspicion de phlébite…),

• soit vous ou l’urgentiste estimez, au doigt mouillé, que le patient peut se passer d’une échographie cardiaque urgente et vous l’adressez sur ses deux pieds à votre cabinet quelques jours après. Plus radical : vous renoncez à donner des avis aux urgences car, administrativement, les prises en charges deviennent trop complexes : on est là dans le cadre de l’urgence pour soigner de façon efficiente et non pour réfléchir si ce patient justifie une UHCD pour pouvoir bénéficier de l’ échographie que requiert la réflexion clinique.

Bref, en voulant simplifier une problématique réelle, les patients potentiellement cardiaques risquent de payer le prix fort ! Privées d’une prise en charge cardiologique rapide au lit du patient, les urgences seront amputées d’un avis cardiologique complet. Alors qu’on nous encourage sans cesse à imaginer des parcours pertinents, ici, dans l’environnement de l’urgence, où est donc la pertinence ? 

Nos décideurs, au prétexte que les échographies cardiaques aux urgences ne représentent que 11 000 actes/an, sans même essayer d’évaluer combien d’entre elles ont pu sauver des vies, ont décidé, loin de la réalité du terrain, qu’un bon forfait valait bien le risque de quelques morts.