Le HCAAM se penche sur la médecine spécialisée

Sous le titre « organiser la médecine spécialisée et le second recours : une pièce essentielle de la transformation de notre système de santé », le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) a récemment publié un avis qui fait suite à un premier sur le sujet du 22 juin 2017.
Ce premier avis analysait une situation qui se caractérisait par une proportion toujours plus importante de médecins spécialistes, une spécialisation croissante dessinant une offre de plus en plus fragmentée et des risques de difficulté d’accès aux soins spécialisés et de mauvaises répartitions géographiques de l’offre de médecine spécialisée dans un avenir proche. L’enjeu était donc de « disposer à l’horizon de 10 à 15 ans, d’une médecine spécialisée, en ville comme à l’hôpital, qui soit de qualité, graduée, efficiente et structurée, bien intégrée avec les autres éléments du système de soins ».
Le second avis du HCAAM prolonge le premier, notamment sur les modèles organisationnels à même de renforcer l’intégration territoriale des spécialistes et sur l’articulation de la médecine spécialisée avec les soins primaires et le niveau hospitalier, la réflexion portant sur la médecine spécialisée ambulatoire (hors médecine générale), y compris les consultations externes dans les hôpitaux publics.

«Il importe de constituer de nouvelles formes d’organisation », estime le HCAAM. Des nouvelles organisations qui tout d’abord « renforcent l’efficacité de la première ligne de proximité », pour cela, dans la constitution du réseau de proximité, « il est impératif que soit présente une offre de services spécialisés permettant d’assurer  la complétude de la première ligne de prise en charge et de faire jouer une logique de subsidiarité au bénéfice de la proximité », l’enjeu étant de « préserver quand elles existent les ressources locales ». L’intégration du second recours dans les prises en charge populationnelles aux côtés des acteurs des soins primaires « doit permettre le développement de la pluridisciplinarité et le renforcement des liens entre les spécialistes de recours et les équipes de soins primaires ». Le renforcement de ces liens bénéficiant tant aux spécialistes de recours qu’aux acteurs des soins primaires ; « la transmission d’informations tout comme l’organisation de réunions de concertation pluridisciplinaires ou de réunions de staffs ambulatoires (y compris à distance, type « RCP virtuelles ») auront une fonction formatrice d’amélioration des compétences », souligne le HCAAM.

Les organisations mises en œuvre par les spécialistes de recours « doivent s’articuler fonctionnellement aussi bien avec les équipes de soins primaires qu’avec les établissements et structures de soins les plus spécialisés pour offrir une réponse graduée aux besoins des patients ». Le premier niveau de prise en charge s’organise généralement autour du médecin traitant dans le cadre de l’équipe de soins primaires « avec, quand c’est nécessaire, l’avis ou l’intervention ponctuelle du spécialiste ». Le deuxième niveau correspond à « une prise en charge spécialisée de proximité » impliquant, avec les médecins traitants, dans le cadre d’interventions coordonnées, les spécialistes concernés dans des situations complexes allant souvent de pair avec une sévérité importante. Enfin, le troisième niveau correspond aux cas les plus sévères et « doit être assuré ou coordonné par des équipes positionnées dans des centres ou services très spécialisés, en lien avec le médecin traitant ».
Ces nouvelles organisations devraient aussi s’appuyer sur la pluriprofessionnalité et la pluridisciplinarité, développer les collaborations avec des assistants médicaux, des infirmières pour le suivi des pathologies chroniques et la réalisation de programmes d’ETP, organiser la délégation de tâches à des infirmières de pratique avancée, articuler le cas échéant les prises en charge médicale et sociale.

Il va sans dire que ces nouvelles formes d’organisation « appellent des modalités de rémunération renouvelées » et que, quelle que soit la forme que prend l’exercice regroupé, le financement doit comprendre, le financement de la structure (incluant le système d’information), la rémunération des services rendus, et pas forcément sous la forme exclusive du paiement à l’acte, et une rémunération à la qualité en fonction d’indicateurs de résultats.

Le HCAAM passe en revue les différents modèles alternatifs à l’exercice isolé possibles étant entendu qu’il ne s’agit pas systématiquement d’un préalable incontournable à l’intégration territoriale des spécialistes.

L’équipe de soins spécialisés

L’équipe de soins spécialisés regroupe des médecins spécialistes le plus souvent d’une même spécialité qui s’organisent sur un vaste territoire, pouvant correspondre à une ou plusieurs CPTS, avec une responsabilité axée sur la pathologie de leur spécialité (campagne de dépistage par exemple). Elle peut comporter aussi des paramédicaux, ses membres ont des statuts divers (libéral, salarié ou mixte) et ne se regroupent pas nécessairement physiquement. Ils partagent un système d’information ainsi que des outils de partage communs avec les soins primaires (agendas, messageries sécurisées). Le HCAAM souligne la simplicité de la mise en œuvre de ce modèle qui suppose pour les professionnels une simple modification de leur organisation pour travailler ensemble. « Une fois constituées, ces équipes, articulées avec les soins primaires et les établissements de santé, en particulier les filières des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT), permettent de faire travailler ensemble des médecins qui se considéraient comme concurrents et ainsi d’améliorer la continuité des soins, la pertinence des recours (en orientant les patients vers le spécialiste le plus qualifié) et la répartition des plateaux techniques » commente le HCAAM.

A côté de ce modèle de regroupement « virtuel », si l’on peut dire, d’autres modèles reposent sur un regroupement physique.

La maison de santé de spécialistes

Le HCAAM qualifie ce modèle de « forme plus aboutie du cabinet de groupe ». Il s’agit d’un regroupement de spécialistes exclusivement (sans soins primaires) qui se regroupent physiquement dans un même lieu. Dotées d’un projet médical et d’un système d’information commun et ayant un véritable exercice conjoint protocolisé, les maisons de santé de spécialistes peuvent être appropriées pour certaines disciplines ou certains territoires ayant des problèmes d’attractivité. 

Au chapitre des avantages, le HCAAM  souligne que ce modèle permet « de mieux gérer l’expertise spécifique », qu’il est « attractif pour les jeunes », qu’il « mutualise les investissements financiers en accueillant des collaborateurs paramédicaux, voire des infirmières de pratique avancée ». Il offre une « multiplicité de statuts » avec « une souplesse dans l’aménagement du travail tout en permettant d’élargir les plages horaires et d’assurer des soins non programmés ». Il permet aussi d’accueillir des consultations avancées de spécialités non présentes dans la structure. En revanche, le HCAAM estime que ce modèle « est porteur d’un risque de spécialisation excessive. Il peut conduire à une surconsommation, l’adressage au confrère pouvant être plus fréquent ». En outre « son impact sur l’accessibilité spatiale est ambigu : à nombre de professionnels donnés sur un territoire, les regrouper accroît généralement les distances d’accès, mais cet effet peut être compensé par une augmentation du nombre de professionnels sur le territoire, liée à l’attractivité de ce modèle ». Enfin, par rapport aux équipes de soins spécialisés, « l’investissement initial est plus lourd ».

La polyclinique

Grosse structure immobilière et technique qui associe des médecins généralistes, des médecins spécialistes, des paramédicaux et des plateaux techniques, la polyclinique est « une véritable alternative à une hospitalisation ambulatoire pouvant réaliser des gestes interventionnels, y compris avec anesthésie légère ». Le modèle permet une forte mutualisation des moyens et la possibilité d’y développer des services communs. Attractif pour les jeunes, il permet une multiplicité de statuts : Société d’Exercice Libéral (SEL), collaborateur ou salarié.

Mais ces structures « sont complexes et coûteuses à créer », souligne le HCAAM. Concentrant toute l’offre au même endroit, le modèle peut accentuer les inégalités d’accès aux soins. « Cet effet peut toutefois être compensé si l’attractivité du modèle permet d’augmenter le nombre de professionnels dans la zone concernée. » Selon le statut de l’établissement, le modèle peut être plus ou moins attractif pour les professionnels libéraux. Par ailleurs, la participation des praticiens hospitaliers à ces organisations suppose l’évolution de leur statut.

Quel que soit le modèle retenu, « l’innovation organisationnelle et le développement de formes d’exercice plus collectives sont nécessaires pour améliorer l’accès aux soins des patients et faciliter l’accès des médecins généralistes à l’expertise spécialisée », estime le HCAAM. En outre, elles permettent « de développer des services supplémentaires que des professionnels isolés ne peuvent pas mettre en place comme l’accompagnement thérapeutique, la Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) régulière ou la télémédecine ». Concernant la télémédecine, si elle peut élargir les possibilités d’accès aux généralistes comme aux spécialistes, le HCAAM souligne cependant qu’on ne saurait s’appuyer sur son développement « pour éluder l’objectif d’accès en présentiel de la population aux services médicaux ».

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