354 – C’était une priorité du programme de campagne de François Hollande et, sitôt en fonction, sa ministre de la Santé, Marisol Touraine, a réaffirmé l’urgence qu’il y a à régler le problème des dépassements d’honoraires. Une première réunion des partenaires conventionnels a eu lieu le 25 juillet dernier sur le sujet.
Le directeur de l’UNCAM, Frédéric van Roekeghem y a exposé ses objectifs, fixés par la ministre de la Santé : « mettre un terme aux dépassements abusifs » et « améliorer l’accès aux soins ». Et pour y parvenir, la méthode est toujours la même, c’est-à-dire un mélange pas toujours très subtil ni très équilibré d’incitation et de sanction. Côté incitation, le document de l’UNCAM remis aux représentants des médecins et des complémentaires santé faisait (encore !) mention d’une « revalorisation des tarifs opposables » et proposait un nouveau « contrat d’accès aux soins » conventionnel. Avec ce contrat, avatar de feu le secteur optionnel, l’UNCAM veut inciter les médecins du secteur 2 à s’engager à pratiquer des tarifs opposables ou avec un niveau de dépassement limité, notamment auprès des patients aux revenus modestes. En contrepartie de cet engagement, l’Assurance Maladie prendrait en charge une partie des cotisations sociales du praticien sur la part de l’activité réalisée aux tarifs opposables.
En juillet aussi, un calendrier a été établi fixant sept réunions hebdomadaires de négociation à la rentrée pour un accord fi nal lors de la dernière rencontre, le 17 octobre. Faute d’un tel accord, le gouvernement légifèrera à l’automne, à l’occasion de la loi de fi nancement de la Sécurité Sociale.
Sortir d’une notion floue et imprécise
La première de ces réunions, qui s’est tenue le 5 septembre dernier, n’augure pourtant pas d’un dénouement heureux… Ce qui était assez prévisible vu le sujet à l’ordre du jour : les sanctions en cas d’abus de dépassement d’honoraire… Il s’agit pour Frédéric van Roekeghem de sortir de la notion « floue et imprécise » de « tact et mesure »</em> sensée réguler jusqu’à ce jour les dépassements, et trouver un dispositif « plus efficace ». Serait ainsi introduite dans la convention médicale la notion de « pratique tarifaire excessive », notion qui serait définie à partir de trois critères « objectifs » : le taux de dépassements par rapport aux honoraires opposables pris en charge par l’Assurance Maladie, la fréquence du dépassement par rapport aux honoraires opposables et la variabilité des honoraires pratiqués, et le reste à charge du patient résultant du cumul des dépassements qui devra rester sous un certain seuil à définir. Le dispositif imaginé par l’Assurance Maladie prévoit toutefois de « tenir compte du volume d’activité du praticien, de son expertise et de sa compétence ».
En cas de <em>« pratique tarifaire excessive »</em>, le dispositif prévoit une gamme de sanctions allant de l’avertissement jusqu’au déconventionnement temporaire, en passant par une suspension temporaire du droit à dépassement permanent ou du secteur ou la suspension durant un, trois, six ou douze mois de la participation de l’Assurance Maladie à la prise en charge des avantages sociaux.
Un « niet » sans appel
Autant dire que le projet de l’UNCAM n’a pas soulevé l’enthousiasme des syndicats médicaux. C’est un euphémisme ! « La position du SML est nette et sans appel, c’est nier ! tranche son président, Christian Jeambrun. <em>Et nous avons l’appui de la FMF et du BLOC, qui sont sur la même longueur d’onde. Nous refusons le suivi des dépassements d’honoraires dans le système conventionnel. Nous proposons la création d’une commission régionale paritaire dans laquelle les libéraux seraient majoritaires. Cette commission examinerait les cas de dépassements litigieux et remettrait ses travaux à l’Ordre pour les suites à donner. Monsieur van Roekeghem nous dit que sur plus de 300 dossiers transmis à l’Ordre par l’Assurance Maladie, seuls 25 ont eu une suite.
Mais nous, les professionnels, nous ignorons tout du contenu de ces dossiers. » « Proposer que les caisses et les syndicats demandent à l’Ordre de s’occuper des dépassements abusifs n’a pas de sens et la ministre va nous rire au nez, commente Jean-François Rey, président des spécialistes confédérés (UMESPE). L’Ordre aurait pu s’en saisir pleinement, il n’avait qu’à le faire ! » Jean-François Rey n’approuve pas pour autant le dispositif proposé par Frédéric van Roekeghem. « L’UNCAM n’a pas commencé ces négociations par le bon bout et nous a présenté des mesures dignes des plus fins technocrates. C’est une usine à gaz ! Plus on met de critères, moins c’est clair. Mais plus c’est susceptible d’être utilisé par des directeurs de caisse hostiles aux libéraux à l’encontre de médecins pratiquant des dépassements raisonnables, en choisissant les critères qui les arrangeront. L’UNCAM doit revenir avec des propositions simples, lisibles, qui ne risquent pas d’instaurer une discrimination entre les hospitaliers et les libéraux. Certes, il faut sortir de cette notion vague du tact et de la mesure et définir ce qu’est un dépassement d’honoraires abusif. Pour moi, il y a abus quand les dépassements vont au-delà de cinq fois les tarifs opposables et concernent plus de 90 % de l’activité du praticien. Il faut arriver à cette définition, cela protègera l’immense majorité des médecins qui pratiquent des dépassements raisonnables. » Ou l’on voit que l’harmonie ne va pas simple à trouver entre les partenaires… Cela ne sera sans doute pas plus aisé concernant le « contrat d’accès aux soins ». « Pour être acceptable et incitatif, explique Jean-François Rey, ce contrat d’accès aux soins doit signifier une revalorisation du secteur 1, une limitation des dépassements à 100 % des tarifs opposables et un engagement des complémentaires à solvabiliser. » Le SML n’est pas favorable à un plafond en pourcentage. « Mais s’il doit y en avoir un, déclare Christian Jeambrun, nous demanderons qu’il ne soit pas le même pour tous, mais modulé en fonction des spécialités. »
■ Terra Nova prône un « Etat sanitaire fort » Très proche du Parti socialiste, le Think tank Terra Nova a mis en ligne cet été sur son site ses propositions sous le titre « Réinventons notre système de santé, au-delà de l’individualisme et du corporatisme ». Les médecins libéraux seront bien inspirés d’aller y voir de près, car ces propositions les concernent tout particulièrement. Se prononçant pour un « Etat sanitaire fort », Terra Nova explique que <em>« quitte à aller à rebours d’une idée répandue, notamment au sein de la profession médicale, une “étatisation” accrue de l’administration sanitaire est aujourd’hui indispensable ». Donc, pour « surmonter le découplage historique entre la santé publique, l’hospitalisation et la médecine de ville », et trouver une solution à la déplorable pluralité des gestionnaires, Terra Nova recommande de « transférer l’administration du secteur ambulatoire de l’Assurance Maladie vers l’Etat, tant à l’échelon national que régional ». Estimant « à bout de souffle » l’actuel système conventionnel, le Think Tank plaide pour que les ARS disposent « de leviers financiers propres »</em> dans le cadre d’une « politique de régionalisation plus poussée ». En toute logique, Terra Nova suggère donc la création d’une <em>« grande agence exécutive d’organisation des soins, placée sous la responsabilité du ministre de la Santé » et ayant la tutelle sur les ARS. Autrement dit, une Agence nationale de santé à côté de laquelle les diverses agences scientifiques seraient regroupées au sein d’une Food and Drug Administration (FDA) à la française.
Pour aller au-delà de la démocratie sanitaire et des conférences régionales de santé, le Think Tank suggère un « contrôle démocratique des politiques de santé » par l’instauration de « chambres régionales de santé », par exemple, rattachées aux conseils régionaux et associant l’ensemble des acteurs de santé. Terra Nova propose également une « procédure démocratique » pour définir le panier des soins remboursables et se prononce pour délimiter les champs d’intervention des organismes complémentaires d’Assurance Maladie.