Le Cardiologue – L’évaluation des pratiques professionnelles sera-t-elle opérationnelle au 1er juillet prochain comme l’organise la réforme de l’assurance maladie et comme le stipule le décret du 14 avril dernier ? _ Jean-François THÉBAUT – En principe oui. On peut penser que le dispositif démarrera effectivement à cette date par l’appel d’offre de la Haute Autorité en Santé (HAS) pour l’agrément des organismes habilités à pratiquer ces évaluations ; mais ces organismes, sauf à anticiper, ne seront pas en mesure d’assurer aux médecins le caractère validant des programmes proposés. En fait nous attendons que l’HAS, véritable maître d’ouvrage de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), publie deux cahiers des charges : celui des « méthodes et procédures » ; et celui opposable aux organismes candidats à l’agrément. Concernant le premier point, un gros travail a déjà été réalisé à l’époque de l’ANAES sous le nom de « grille AQPES » ; un groupe de travail procède donc à son actualisation. En outre l’HAS devra définir plus précisément une notion inscrite dans le décret qui parle en son article 1 du « degré suffisant (…) pour garantir le caractère complet de l’évaluation ». Autrement, dit « quel niveau d’engagement » pour chaque médecin ou pour être encore plus simple quel barème ? Il semble – en l’état de ce qu’on en sait – qu’on s’oriente par période quinquennale vers deux types de procédure : – une action « ponctuelle », du type de l’EPP, déjà pratiquée par les URML, ou encore la méthode STEP, ou bien sans doute le fait de se soumettre, en établissement, à la procédure de médicalisation de la certification ; – un programme « pérenne », impliquant par exemple la participation régulière, plusieurs fois par an, du médecin à un cercle de qualité – on parle aussi bien de « groupe de pairs » que de « cercle de progrès » – ou, pourquoi pas son engagement volontaire dans un programme d’AcBUS.
Les exigences communes à ces méthodes seront de faire explicitement référence à des recommandations scientifiquement validées intégrant des procédures d’actualisation et incluant un programme d’action d’amélioration des pratiques et si possible de mesure d’impact. Il faudrait que la participation à ces programmes soit formalisée avec l’organisme intervenant.
Le C. – On avait cru comprendre qu’un Accord de Bon Usage était plus un outil de maîtrise qu’un instrument d’évaluation de pratiques…
J.-F. T. – L’exemple de l’AcBUS, négocié par les gastro-entérologues pour les coloscopies, montre comment on peut à la fois s’engager vers une rationalisation, donc une maîtrise d’un acte dans cet exemple et vers une amélioration des dites pratiques. Ainsi cet accord a une composante collective opposable, sur les indications et la réalisation des coloscopies, et une composante volontaire individuelle sous forme de participation à un registre. En cardiologie, on peut imaginer le même type de dispositif dans l’AcBUS attendu sur la prescription d’anti-agrégants plaquettaires.
Ailleurs les groupes « de qualité » pourraient s’inspirer des staffs d’équipes hospitalières publiques ou privées qui complètent leurs échanges par la tenue d’un registre de morbi-mortalité. Les cardiologues interventionnels le font en Ile-de- France dans le registre CardioArhif. Les radiologues le font également, pour leur activité de mammographie en tenant un registre intitulé « Observatoire de la sénologie ». La méthodologie reste à définir mais supposerait l’engagement du médecin volontaire dans un groupe occupé, deux ou trois fois l’an, à une revue de dossiers sur un thème spécifique à sa discipline. Encore une fois, ce ne sont que des hypothèses, mais elles me paraissent recevables.
Le C. – Comment va s’articuler l’obligation d’EPP avec l’obligation de FMC ?
J.-F. T. – Elle se réalisera, à mon avis, à deux niveaux : au plan réglementaire et au niveau pédagogique. Il est bien évident que l’objectif essentiel de l’évaluation est de contribuer à l’amélioration de la qualité des soins en identifiant les besoins de formation, à tous niveaux, selon le principe de ce que les pédagogues appellent la « spirale vertueuse d’EWING » : formation, évaluation, identification de nouveaux besoins, etc. Au plan réglementaire et selon les travaux menés par les Conseils Nationaux de FMC, il est vraisemblable que l’évaluation comptera pour une part significative du barème dans la satisfaction de l’obligation de FMC, soit par exemple 100 crédits pour une obligation de 250 crédits pour 5 ans.
Le C. – « Crédits », le mot mérite explication. Est-ce à dire qu’on ne compte plus en « points » ?
J.-F. T. – Les CNFMC ont décidé de leur substituer le terme de « crédits » dès lors que le langage commun assimilait trop facilement « points » et « heures » mais la logique demeure celle qui avait été précédemment définie. Cela nous permettra de nous rapprocher des autres barèmes européens. Pour s’acquitter de son obligation, il faudrait panacher au moins trois méthodes dont obligatoirement l’évaluation dont nous venons de parler, la formation continue « présencielle » dispensée par des organismes agréés par le CNFMC correspondant, la formation individuelle dont la lecture active et les obligations liées à la nature de l’activité du médecin : celui qui participe à la FMI (maîtres de stage…) ou à la FMC, celui qui assume les responsabilités électives dans son établissement (CME, CLIN, hémovigilance…), celui qui s’investit dans des actions de santé publique ou dans un réseau de santé… Liste non exhaustive et sorte d’inventaire à la PRÉVERT dont la légitimité apparaît peu contestable.
Le C. – Le cardiologue adepte de la lecture individuelle pourra-t-il s’en contenter ?
J.-F. T. – Non, le CNFMC a voulu distinguer et sans doute valoriser la FMC « présencielle », supposant donc le déplacement attesté (sur signature) du médecin, par rapport à tous les autres outils de formation individuelle sur support écrit ou électronique (CD-Rom ou Internet) : la lecture ne pourrait rentrer que pour 50 crédits par période quinquennale dans la validation de l’obligation, idem pour l’E learning actuellement embryonnaire mais sûrement promis à un bel avenir.
Le C. – Ã quoi postulera l’UFCV : de l’agrément en tant qu’organisme de FMC ou d’évaluation des pratiques ?
J.-F. T. – Aux deux ! Mais en pleine collaboration avec les autres acteurs : les URML et les CME pour l’EPP, la Société Française de Cardiologie et le CNCF pour la FMC en s’appuyant sur les associations locales qui font et feront vivre réellement ces dispositifs sur le terrain. Ceci me paraît être assez logique dès lors qu’évaluation et FMC sont corollaires l’une de l’autre. Il paraîtrait absurde d’imaginer deux dispositifs différents et indépendants, un qui évalue sans proposer les méthodes d’amélioration corollaires et l’autre qui forme sans évaluation préalable des besoins ni des impacts ex post.
Le C. – …mais pas illogique au regard de la règle de séparation des pouvoirs qui veut que ceux qui écrivent la Loi ne sont pas ceux qui jugent de son application…
J.-F. T. – En l’occurrence l’UFCV ne postule pas au titre de gendarme. En matière d’évaluation et de formation continue, le rôle de contrôle incombera aux commissions ad hoc sises auprès des conseils régionaux de l’Ordre des médecins qui doivent se substituer aux feux CRFMC, les URML étant le guichet unique de l’organisation de l’EPP pour les libéraux. Si l’on veut que le dispositif soit crédible, il faut qu’il soit opérationnel ; et si l’on veut qu’il soit opérationnel, il faut impliquer les organismes professionnels existants… sauf à risquer un blocage de leur part. La double démarche FMC/EPP doit être professionnelle, gérée par la profession sous l’égide des instances désignées par la loi. Pour être agréé en évaluation, chaque organisme doit accepter le double principe d’une évaluation interne et externe, par la Haute Autorité ou par les URML pour les libéraux. Il est ainsi écrit dans le décret que si l’organisme ne fait pas appel à un médecin habilité pour ses procédures, l’URML doit envoyer un médecin habilité pour en vérifier le respect.
Le C. – Ultime question donc : à quelle date pourra s’impliquer un cardiologue intéressé par l’évaluation ?
J.-F. T. – Concernant la FMC, l’UFCV sera, je pense, du nombre des organismes agréés compte tenu de son expérience cumulée (agrément au FAF, à l’OGC et surtout reconnaissance réglementaire par l’arrêté de décembre 1997). Concernant l’agrément en tant qu’organisme d’évaluation, l’UFCV n’a pas attendu d’en connaître le cahier des charges pour s’y investir largement. Dès les années 2001-2002, nous nous sommes attelés à la production de référentiels avec le concours de l’ANAES, puis avons participé à l’expérimentation de l’EPP avec les URML, ensuite nous avons développé un outil décrit sous le nom de « test de cohérence », inspiré de la méthode nord-américaine du Script Concordance Test (Pr CHARLIN) ; depuis 2004 et avec le concours financier du FAQSV d’Ile-de- France, avec un comité paritaire d’experts libéraux et de la SFC, nous le validons par un programme d’étude et de recherche utilisant comme indicateur de qualité du service médical rendu, les comptes-rendus de synthèse de la consultation spécifique de cardiologie (CSC). Cette procédure mobilise 110 cardiologues répartis en trois groupes (un groupe témoin et deux groupes tests) dans cinq régions : Ile-de-France, PACA, Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne et Languedoc-Roussillon. Il nous restait à valider la pertinence de ce choix. C’est en cours depuis le 15 juin par la technique des patients standardisés – « client-mystère » plébiscitée dans le monde industriel – et gold standard nord américain de l’évaluation des pratiques : concrètement nous avons recruté des comédiens qui se rendent au cabinet de nos participants volontaires. L’Ordre, bien sûr informé et interrogé, a donné son accord. Attention, il ne s’agit pas de faire évaluer la pratique des cardiologues et de les piéger par des « faux malades » mais simplement de valider le pré-requis selon lequel la lettre de synthèse est bien le reflet fidèle de la qualité de l’acte. Les comédiens que nous avons spécialement formés à cela n’auront donc pour tâche que de remplir une grille anonyme sur le contenu de l’acte dont ils sont évidemment dans l’incapacité de juger la pertinence ou le déroulement. J’ajoute pour être complet que l’UFCV a, depuis le début, accompagné les efforts des URML dans leur propre entreprise, en fournissant des groupes de cardiologues qui ont essuyé les plâtres de l’EPP de groupe, ou en soutenant la candidature de cardiologues au cursus de « médecin habilité » ; il doit s’en compter une quinzaine aujourd’hui, à la disposition de toute la profession puisqu’il s’agit d’une habilitation nationale. Je ne sais pas quand, précisément, la cardiologie sera opérationnelle pour offrir l’évaluation des pratiques aux premiers candidats, mais je sais qu’elle sera dans les premières spécialités à le faire.
Propos recueillis par Jean-Pol Durand
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Les obligations légales et réglementaires
7 points acquis, 1 point manquant
Il y a un an, le Parlement débattait – dans une relative indifférence de l’opinion – de la loi portant réforme de l’assurance maladie. Depuis sa promulgation (13 août 2004), une convention a été signée permettant de relancer la politique conventionnelle, mais la loi prévoyait d’autres dispositions dont, pour le médecin, l’obligation de se soumettre à une évaluation individuelle des pratiques professionnelles. Comme souvent, le législateur s’était contenté d’édicter le principe (figurant désormais à l’article L. 4133-1-1 du Code de la santé publique), abandonnant au Gouvernement le soin de l’organiser par décret.
Et le décret ad hoc a été publié au J.O. du 18 avril dernier. Celui-là remplit trois pages du J.O., aux termes desquelles il faut retenir un postulat et sept points pratiques. Le postulat est le suivant : « L’évaluation des pratiques professionnelles, avec le perfectionnement des connaissances, fait partie intégrante de la formation médicale continue ». Et les points pratiques à retenir sont : -# l’évaluation des pratiques est une obligation quinquennale qui « court à compter du 1er juillet 2005 » (art. 3) ; -# le respect de cette obligation est validé par une commission placée auprès du conseil régional de l’Ordre, composée de trois membres désignés par chaque conseil national de FMC (libéraux, hospitaliers, salariés) et de trois membres désignés par le conseil régional de l’Ordre ; -# l’Union Régionale des Médecins Libéraux met, dans chaque région, à disposition des médecins « toutes les informations utiles à l’évaluation des pratiques professionnelles dans la région. Elle reçoit les demandes et communique les listes de l’ensemble des médecins habilités et organismes agréés »… ; -# les évaluations peuvent être réalisées « selon des modalités définies par la Haute Autorité de Santé après avis du Conseil National de la FMC, avec le concours de médecins habilités ou d’un organisme agréé » ; -# pour les médecins libéraux exerçant en établissement de santé privé, les évaluations sont organisées conjointement par l’URML et la CME ; -# des recommandations peuvent être formulées (par le médecin habilité ou l’organisme agréé) à l’issue de chaque évaluation et porter notamment sur le suivi d’actions de formation continue. Le médecin a un mois pour formuler ses observations ; -# lorsqu’au cours de l’évaluation sont constatés « des faits ou manquements mettant en jeu la sécurité des patients », l’organisme agréé le signale au médecin concerné ; il lui propose les « mesures correctrices » à mettre en oeuvre. En cas de rejet par le médecin, un « constat circonstancié » est transmis au conseil régional de l’Ordre.
… Le dispositif ne serait exhaustif que s’il comportait un chapitre sur le financement – qui paie quoi, sur quels fonds ? – question aujourd’hui sans réponse !|