331 – Alors que le règlement arbitral va entrer en fonction en attendant qu’une nouvelle convention soit négociée, et que la colère s’amplifie chez les médecins libéraux sur fond de guerre tarifaire, retour sur cinq ans de maîtrise médicalisée. Si ce dispositif n’a pas fourni toutes les économies escomptées, il a cependant donné des résultats qui se sont confirmés sur la durée.
La convention médicale 2005-2010 qui vient de s’achever a marqué une accentuation de la démarche de maîtrise médicalisée entamée en 1993. A partir de 2005, ont été fixés chaque année, par voie d’avenants conventionnels, des objectifs d’économies susceptibles d’être réalisées en s’appuyant sur la diffusion des bonnes pratiques médicales et du bon usage des soins. L’écart par rapport à la tendance d’évolution des dépenses permet d’estimer les économies réalisées. Les thèmes conventionnels de maîtrise médicalisée ont porté principalement ces cinq dernières années sur la prescription de médicaments, antibiotiques, statines, IEC-Sartans, AAP, IPP, notamment, les arrêts de travail, le respect de l’ordonnancier bi-zone pour les ALD, certains examens et analyses, ainsi que sur des engagements dans le domaine de la prévention (cancer du sein, vaccination antigrippale des personnes âgées, diabète…). Et l’incitation à prescrire en génériques s’est poursuivie.
Un marché de dupes
Quel bilan de cette maîtrise médicalisée peut-on tirer pour cette période 2005-2010 ? Comme l’on dit, cela dépend de quel point de vue on se place et de l’idée qu’on s’en fait ! Si l’on s’en tient à la comparaison entre les objectifs annuels de réalisation fixés et les taux d’atteinte de ces objectifs, on constate que les résultats sont toujours en deçà : 73 % en 2006, 61 % en 2007, 68 % en 2008 et 75 % en 2009. D’autant qu’à partir de 2008, l’objectif de réalisation doit être supérieur à 80 % des économies prévues au titre de la maîtrise médicalisée. Partant, pour la tutelle, « le compte n’y est pas », comme l’a dit la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, pour justifier la non-revalorisation des honoraires, du C notamment, dont le passage à 23 euros a pourtant été acté en 2007… Les médecins, eux, dénoncent un marché de dupes. Ils se sont engagés dans la maîtrise médicalisée, et si les objectifs annuels ne sont pas pleinement atteints, sur la durée, l’observation de certaines courbes montre un changement indéniable dans la pratique des médecins.
Parmi les « succès » de la maîtrise médicalisée, les génériques se taillent une bonne part. De 2002 à 2008, la part des génériques dans les médicaments remboursables est passée de 4 % à 11 %, et pour la seule année 2008, la CNAM estime à environ 200 millions le montant économisé au titre des génériques (100 millions d’euros d’effet lié à la hausse du taux moyen de pénétration entre 2007 et 2008, à répertoire constant et, 100 millions d’euros d’effet lié à l’extension du répertoire). Certes, la France est encore loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni où la part des génériques atteint respectivement 20 % et 24 % des médicaments remboursables, et peut encore progresser dans ce domaine. Mais cette source d’économies devrait pourtant trouver ses limites dans deux ou trois ans, comme l’explique l’économiste Claude Le Pen (voir plus bas).
Le bon usage des antibiotiques a lui aussi porté de beaux fruits, donnant des « résultats spectaculaires » entre 2002 et 2008, que ne remet pas en cause une inflexion à la hausse enregistrée début 2009.
9 Les premiers de la classe
Trois classes de médicaments concernées par la maîtrise médicalisée touchent plus particulièrement les cardiologues (schémas ci-contre). Après une inflexion très net des volumes en 2005-2006 par rapport à la tendance passée, les statines ont enregistré une reprise de leurs prescriptions en 2007, avec cependant un rythme de croissance plus modéré que dans la période antérieure. « Une reprise dont on doit plutôt se féliciter, estime Jean-François Thébaut. Le tassement observé antérieurement signifiait que des patients qui auraient dû être sous statines ne l’étaient pas. Et aujourd’hui encore, tous les patients qui devraient en avoir, n’en ont pas. Il est donc normal que les volumes ne baissent pas. Si les montants remboursés ont baissé, c’est du fait des génériques, et cette tendance devrait s’accentuer quand le Tahor sera génériqué en 2010-2011. » En 2009, pour une évolution tendancielle estimée à + 11,9 %, l’objectif de croissance était de + 6,5 %, et sera sans doute stabilisé à + 5 %.
Pour les IEC-sartans aussi, l’objectif pour 2009 est largement atteint avec une croissance de + 1,3 %, alors que l’objectif était fixé à + 2 %. « On veut privilégier les IEC génériqués par rapport aux sartans non génériqués, observe Jean-François Thébaut, mais aujourd’hui, certains sartans non génériqués sont moins chers que les IEC, et les sartans sont mieux tolérés par certains patients ». Quant aux AAP, qui a fait l’objet d’un accord de bon usage, après une première inflexion en 2008, ils enregistrent une nette baisse en 2009, avec un objectif + 5 % largement atteint + O %, un taux qui provient de la structure des prescriptions, le nombre de boîtes ne diminuant pas.
Bien sûr, il y a des résultats beaucoup moins bons. Certains domaines d’action n’aboutissent pas à des évolutions importantes, tel, par exemple, le respect des règles de l’ordonnancier bizone pour les patients souffrant d’une affection de longue durée. Ou encore dans le domaine de la prévention. Le taux de participation au dépistage du cancer du sein par mammographie est de 52 %, alors que les autorités de santé publique tablent sur un taux de 80 %. Le taux de vaccination antigrippale chez les personnes âgées plafonne à 67 % sans atteindre les 75 % retenus comme référence par les autorités de santé publique.
2,2 milliards d’économie
Oui, « le compte n’y est pas », mais les résultats de la maîtrise médicalisée de sont pas rien, puisque sur les cinq années de vie de la dernière convention, ce sont tout de même 2,2 milliards d’économies qui ont été réalisés. Et surtout, c’est une culture de la qualité qui s’installe chez les médecins. Un peu trop lentement au goût des pouvoirs publics et au regard du déficit de l’Assurance Maladie qui se creuse, ainsi que le soulignait le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) dans son rapport de septembre 2009 : « L’examen de l’évolution des formes de la maîtrise médicalisée montre l’importance qu’on a accordée à la confiance pour mettre en œuvre cette politique. On a fait le choix d’introduire la bonne pratique médicale en emportant la conviction individuelle des professionnels. C’est clairement l’option choisie notamment pour l’évaluation des pratiques professionnelles ou dans les actions de sensibilisation (on part du principe que le médecin qui connaît sa propre évaluation tend à améliorer sa pratique). La conséquence de ce choix est une extrême lenteur dans les résultats obtenus. Le risque qui s’ensuit est de susciter l’impatience du régulateur et la tentation de politique privilégiant le court terme ».
Sans doute faut-il voir dans l’actuelle intrusion de l’Etat dans le champs conventionnel une manifestation de cette « impatience » à voir la maîtrise médicalisée produire toutes les économies possibles, et vite. Mais outre que la maîtrise médicalisée ne saurait à elle seule combler le déficit structurel de la Sécurité Sociale, cela pourrait en détourner durablement les médecins libéraux, surtout si le compte n’y est jamais, et les revalorisations non plus.
Un AcBUS en exemple
Conclus par les partenaires conventionnels, les accords de bon usage de soins ou AcBUS qui vise à limiter la pratique d’un acte – en général très importante – par des critères strictement médicaux. Lors de la dernière réunion des partenaires conventionnels, l’Assurance Maladie a proposé que l’acte le plus fréquent en cardiologie, l’échographie cardiaque, qui croît de 5 % par an, fasse l’objet d’un tel accord, comme en ont conclu un les gastroentérologues en 2006, à la suite d’une recommandation de la HAS, sur la coloscopie après polypectomie, visant à la modération de cette pratique.
La recommandation dite qu’en cas d’exérèse complète, un premier contrôle endoscopique est recommandé à 3 ans, voire à 5 ans en cas d’adénome non avancé, en nombre inférieur à 3 et en l’absence d’antécédent familial de cancer colorectal. En cas d’exérèse incomplète, une nouvelle coloscopie à 3 mois est recommandée (accord professionnel). Une coloscopie n’a donc pas lieu d’être entre le quatrième et le vingt-quatrième mois suivant l’intervention. « Selon l’accord signé, le taux de patients bénéficiant d’une coloscopie dans cet intervalle ne doit pas dépasser 0,5 %, explique Thierry Helbert, président du Syndicat national des médecins spécialistes de l’appareil digestif (SYNMAD). En 2006, ce taux s’élevait à 4,9 % des 70 000 patients concernés. Mais les actions d’information et de formation menées par l’Assurance Maladie et les sociétés savantes ont porté leurs fruits, puisque ce taux a été ramené à 2,5 %. Une amélioration de 50 %, c’est un bon résultat. Il peut sans doute être amélioré, même si l’objectif de 0,5 % ne semble pas tenable. D’ailleurs, le référentiel risquant d’être modifié, ce taux pourrait être revu à la hausse. »
Concrètement, au moyen d’un code identifiant de cet acte, la Sécurité Sociale vérifie et repère les pratiques déviantes. Les praticiens « hors des clous » reçoivent une lettre de rappel de la recommandation ; ils peuvent être reçus par la CPL qui étudie avec eux les éléments susceptibles d’expliquer les écarts observés, leur rappelle le contenu de l’accord, et conviennent avec eux des modalités d’observation de l’évolution de leur pratique, la sanction n’intervenant que s’ils persistent dans le non-respect de la recommandation de bon usage.
« Le nombre de coloscopie a diminué, et surtout, elles sont mieux ciblées, commente Thierry Helber. L’AcBUS est un accord intelligent pour autant que le référentiel soit totalement médicalisé et ne réponde pas à des objectifs purement comptables. »
« La convention est-elle toujours l’outil adéquat ? »
Claude Le PenL’économiste de la santé regrette que l’étatisation du système de santé vide de sa substance la convention, alors même que les cinq années conventionnelles qui viennent de se clore ont enregistré un relatif ralentissement des dépenses.
Quel regard portez-vous sur la convention 2005-2010 ?
Claude Le Pen : En premier lieu, cette convention 2005-2010 a eu le mérite d’exister et de marquer un certain renouveau conventionnel après les grandes turbulences qui avaient précédé – conventions séparées, règlement conventionnel minimal pour les spécialistes… Ensuite, elle a remis à l’ordre du jour la maîtrise médicalisée, notamment sur les prescriptions, avec une logique selon laquelle les augmentations d’honoraires étaient gagées sur les économies de la prescription. Cette logique d’échange donnant/donnant apportait une certaine nouveauté. Cette logique n’a d’ailleurs pas complètement disparu du paysage avec son déplacement vers le dispositif du CAPI. Enfin, un autre élément nouveau a été important, c’est l’avenant 20 de mars 2007 concernant l’installation et le maintien dans les zones déficitaires. C’est le premier avenant conventionnel à soulever la question de l’installation et de la démographie médicale. Du point de vue économique, l’ensemble de la période 2005-10 a plutôt vu une augmentation assez faible des dépenses de santé, avec des ONDAM plutôt moins dépassés qu’auparavant. La maîtrise des dépenses s’est donc accompagnée d’un relatif ralentissement des dépenses.
Les médecins acceptent d’autant moins le non-respect du contrat donnant/donnant…
C. L.P. : Malheureusement, la convention a été durement impactée par la crise économique qui a creusé les déficits comme jamais. Du coût, la logique du donnant/donnant est remise en question parce qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses.
La prochaine convention pourrait-elle marquer, elle aussi, un renouveau ?
C. L.P. : C’est incertain. En ce qui concerne les sujets essentiels pour la médecine libérale aujourd’hui – honoraires, installation, délégation de tâches, etc. –, les solutions ne sont plus dans la sphère conventionnelle mais en dehors. Le CAPI n’est pas dans la convention, les ARS vont élaborer les SROS ambulatoires qui seront le principal outil pour réguler l’installation, et sur les trois niveaux de rémunération proposés par l’Assurance Maladie, le paiement à la performance, et le forfait ne sont pas non plus dans la convention pour l’instant. Il est dommage que cette construction se voit vidée de sa substance au profit d’une étatisation du système. La convention est un accord de droit privé, de plus en plus sous la surveillance de l’Etat certes, mais quand même, c’est un accord de droit privé entre deux acteurs indépendants. Est-ce toujours l’outil adéquat alors que la CNAM évolue vers une structure de droit public, que la DGOS remplace la DHOS et que les ARS unifient la ville et l’hôpital ? Et la crise conventionnelle avec le recours au règlement arbitral, qui n’est pas une négociation, ne fera qu’accélérer cette évolution. Le paradoxe de la convention 2005-10 est peut-être d’avoir, à la fois, marqué un certain renouveau et le chant du cygne de ce modèle à la française. C’est dommage et préoccupant.
Au bilan de la maîtrise médicalisée pour les cinq dernières années, le développement des génériques occupe une place de choix. Ce « succès » peut-il perdurer ?
C. L.P. : En termes de maîtrise des dépenses, oui, les génériques sont plutôt un succès, auquel la cardiologie, qui voit tous ses produits génériqués, a beaucoup contribué avec les statines et les IEC. Mais à qui attribuer ce succès ? Aux médecins, aux pharmaciens, ou aux patients qui ont accepté les génériques ? Ce succès est en tout cas une des raisons pour lesquelles aujourd’hui le poste médicament est celui qui croît le moins, derrière tous les autres. Et cela va continuer un peu avec encore, jusqu’en 2013, quelques très grosses molécules qui vont tomber dans le domaine public. Au-delà, il n’y aura plus que des produits plus petits, en termes de prescription, ou des médicaments de biotechnologie difficilement généricables. « L’âge d’or » des génériques va s’achever à l’horizon 2013-2014.