Analyse centrée sur les statines : rapport de la HAS sur l’efficacité et l’efficience des hypolipidémiants

331 – Les hypolipidémiants sont restés pendant très longtemps des médicaments évoluant strictement dans le domaine de la lipidologie. En 1994, avec l’étude 4S, les statines sont entrées par la grande porte dans la cardiologie. Depuis cette date, de très nombreux essais thérapeutiques ont été publiés et les indications des statines en pathologie cardiovasculaire se sont élargies. De manière parallèle, les coûts liés à la prescription des statines se sont envolés et l’Assurance Maladie a, en France, créé une série de mesures pour limiter cette croissance. En novembre 2009, la Haute Autorité de Santé a mis en consultation publique un rapport très intéressant sur les hypolipidémiants. Nous allons dans un premier temps en décrire les principales conclusions puis nous discuterons la portée de ce document lorsqu’il sera consulté par l’ensemble des médecins français.

Le rapport de la Haute Autorité de Santé

1. Le cadre général du rapport

Selon les termes mêmes de la HAS, ce rapport est une recommandation en santé publique qui vise à évaluer la place des statines dans le traitement de l’hypercholestérolémie et dans la prévention cardiovasculaire. Ce travail n’est pas une recommandation de bonnes pratiques cliniques. Cependant, le groupe de travail a émis le besoin de faire évoluer la recommandation de mars 2005 sur la prise en charge des lipides.

D’emblée, la HAS a mis la barre très haute dans la mesure où le critère d’efficacité clinique des traitements hypolipidémiants est, selon cette institution, la mortalité toutes causes. Dans un deuxième temps, la HAS a reconnu que l’évaluation du LDL-cholestérol selon les thérapeutiques pouvait être une approche secondaire intéressante. Ce travail a été l’occasion de la mise à plat de toute une série de données disponibles en France.

2. Analyse des données françaises

Les données épidémiologiques françaises, en particulier l’étude MONA LISA, montrent la très grande prévalence de l’hypercholestérolémie. Chez l’adulte, la prévalence de l’hypercholestérolémie a été évaluée à 37 %. Par ailleurs, l’étude de l’évolution de l’hypercholestérolémie en France à travers les différentes enquêtes représentatives a permis de montrer une amélioration de la situation avec une baisse de la prévalence de l’hypercholestérolémie et une baisse du LDL-cholestérol au cours des dix dernières années.

Si la prise en charge est meilleure dans les études les plus récentes, il n’en reste pas moins vrai que les sujets à haut risque restent insuffisamment traités. C’est ce qui a été démontré dans les études REALITY I et II et dans l’étude CEPHEUS. Dans cette dernière étude, 55 % des patients à haut risque ont un LDL-cholestérol supérieur à 1 g/l. En population générale, la situation est pire puisque seuls 27,7 % ont un taux de LDLcholestérol inférieur à 1 g/l.

3. Avis de la commission de la transparence pour les statines

L’analyse des avis émis par la commission de la transparence au sujet des statines montre clairement que la simvastatine et la pravastatine sont très bien évaluées par cette commission. La fl uvastatine, la rosuvastatine et l’atorvastatine ont une autorisation pour réduire l’hypercholestérolémie mais présentent des ASMR moins performantes par rapport à la simvastatine et à la pravastatine. En particulier, l’atorvastatine a une ASMR 1 en rapport avec l’étude CARDS et une ASMR 2 en rapport avec l’étude ASCOT.

4. Analyse des bases de données nationales françaises

Trois grandes bases de données ont été analysées dans ce rapport, la base EPPM/IMS, la base Thalès/ Cegedim et la base de données de l’Assurance Maladie appelée SNIIR-AM. En 2007, environ 19 millions d’actes de consultation ayant conduit à des prescriptions de statines ont été observés en France. Alors que 7 % des prescriptions de statines étaient réalisées par les cardiologues libéraux, c’est environ 93 % des prescriptions qui sont faites par les médecins généralistes. En initiation de traitement, l’atorvastatine représente 33 % des prescriptions puis vient la rosuvastatine (20 à 25 %), puis la prescription de pravastatine et de simvastatine (environ 18 %). En prévention primaire, ce sont l’atorvastatine et la rosuvastatine qui représentent plus de 55 % des prescriptions. En prévention secondaire, c’est l’atorvastatine qui est la première molécule prescrite. D’après la HAS, les AMM et les avis de la commission de la transparence ne sont pas suivis dans la pratique médicale courante.

5. Méta-analyses des statines en termes de mortalité toutes causes

Dans le cadre de ce rapport de la HAS, c’est probablement la réalisation d’une méta-analyse originale qui constitue la partie la plus importante de ce rapport. Bien qu’une analyse similaire ait été publiée dans le même temps dans le BMJ par Brugts, les spécialistes de la HAS ont réalisé une méta-analyse originale à partir de l’ensemble des études publiées. Les résultats font état d’un risque relatif à 0,90 pour la mortalité totale lorsque l’on prescrit des statines. Le test d’hétérogénéité qui a été réalisé ne permet pas de différencier les statines selon leur efficacité sur la mortalité totale. Dans le même temps, les statines occasionnent une baisse de 15 % de la mortalité cardiovasculaire, de 23 % des événements cardiovasculaires et de 19 % des accidents vasculaires cérébraux. Toutes ces baisses sont significatives. Dans l’interprétation de ce travail, la HAS admet qu’il existe un effet classe sur le critère de mortalité toutes causes et qu’il n’est pas possible de distinguer les différentes statines sur ce critère. Cette méta-analyse est donc un élément très fort du travail qui a été réalisé puisque au moins sur ce point, les experts sont d’accord pour affirmer un effet classe des différentes statines utilisées en pratique quotidienne.

6. Analyse médico-économique du rapport de la HAS

Un travail important a été réalisé pour apprécier les ratios coût/ efficacité des différentes statines. Le coût a été mis en regard de la réduction du LDL-cholestérol selon les statines. De la moins efficace à la plus efficace, on passe de la pravastatine 10 mg génériquée jusqu’à l’atorvastatine 80 mg. On retrouve dans l’analyse de la HAS des données classiques montrant une hétérogénéité des statines sur le LDL-cholestérol et une variation de prix liée à cet effet différent. Des conclusions sont tirées par les experts de ce rapport. Jusqu’à une baisse de 30 % du LDL-cholestérol, c’est la prescription de simvastatine génériquée de 10 mg qui est économiquement la plus pertinente puisqu’elle permet d’assurer une baisse de 27 % du LDL-cholestérol pour un coût annuel par point de baisse de LDL-cholestérol de 3,5 €. Entre 31 et 40 % de baisse du LDL-cholestérol, trois molécules sont compétitives ; il s’agit de la simvastatine génériquée à 20 mg, de la simvastatine génériquée à 40 mg et de la rosuvastatine 5 mg. Entre 41 et 50 % de baisse du LDL-cholestérol, c’est la rosuvastatine 10 mg qui offre le rapport coût/efficacité le plus faible pour 8 € par point de baisse du LDL-cholestérol. L’atorvastatine 40 mg et la rosuvastatine 20 mg permettent d’atteindre des objectifs supérieurs (48 à 49 %) pour un coût également supérieur (de l’ordre de 11 € par point de baisse du LDL-cholestérol). Pour une réduction supérieure à 50 %, c’est l’atorvastatine 80 mg qui présente le meilleur rapport coût/efficacité avec un coût de 10 € annuels par point de baisse du LDL-cholestérol.

7. Synthèse du rapport de la HAS

Dans la partie synthèse du rapport de la HAS, on retrouve les éléments qui ont été cités plus haut ainsi que deux phrases qui auront probablement des conséquences non négligeables. La première assertion a trait à l’effet classe dans le cadre des événements cardiovasculaires. Le rapport indique que les données disponibles semblent indiquer l’absence d’un effet classe sur le critère de la réduction de la survenue d’événements cardiovasculaires. Plus loin, on relève que les experts affirment que le critère biologique de la réduction du LDL-cholestérol a été accepté comme permettant d’appréhender l’efficacité des statines en morbidité cardiovasculaire. Dans une deuxième phrase lourde de conséquences, les experts affirment que le maintien de la prescription de la molécule princeps n’est jamais une stratégie rationnelle sur le plan économique quand sa forme générique existe. Cette dernière phrase est isolée dans la synthèse et n’a pas donné lieu à des commentaires supplémentaires.

Discussion

Le rapport de la HAS était très attendu dans la mesure où on retrouve dans ce rapport l’ensemble des données récentes ainsi qu’une vision critique de la prise en charge des malades. Certaines conclusions sont des avancées thérapeutiques certaines alors que d’autres interprétations sont plus difficiles à accepter. Personne ne remettra en cause le fait que l’hypercholestérolémie est un facteur de risque tellement fréquent qu’une certaine régulation de sa prise en charge doit être discutée. Il est probable que les hypercholestérolémies dans le cadre d’un faible risque cardiovasculaire soient à traiter en priorité avec des mesures hygiénodiététiques. Ceci est probablement une posture de santé publique car les analyses de l’étude JUPITER semblent montrer qu’à partir d’un certain âge, le risque cardiovasculaire est suffisamment grand à long terme pour justifier un traitement par statines. La gestion du bas risque cardiovasculaire est probablement plus un débat de société qu’un débat propre à la cardiologie. Le fait que la plupart des patients à haut risque ne soient pas aux objectifs thérapeutiques recommandés est reconnu comme une vérité dans ce rapport. Ceci autorise donc les cardiologues à intensifi er le traitement hypolipidémiant chez leurs patients dès lors que l’absence d’atteinte des objectifs est constatée. Ceci autorise probablement l’augmentation des doses de statines ou la prescription d’associations thérapeutiques hypolipidémiantes. Par ailleurs, le rapport reconnaît que des élévations majeures du LDL-cholestérol autorisent la prescription de médicaments puissants permettant une baisse conséquente du LDL-cholestérol et favorisant probablement ainsi une meilleure observance à long terme. La mortalité totale a été choisie comme critère d’évaluation principal dans ce rapport. Cette approche est hautement critiquable dans la mesure où on se situe dans le domaine de la prévention cardiovasculaire et non pas dans l’insuffisance cardiaque terminale ou l’insuffisance rénale avancée. Néanmoins, ce critère est objectif et il ne dessert pas les statines puisqu’un effet classe est montré pour ces hypolipidémiants dans cette indication. Néanmoins, il serait franchement malhonnête de ne pas reconnaître le fait que cette mortalité totale est favorablement infl uencée parce que les événements et la mortalité cardiovasculaire baissent dans toutes ces études. Le fait de ne pas être allé jusqu’à cette constatation nous paraît un manque de lucidité.

Le dernier problème est représenté par l’obsession maladive vis-à-vis des génériques. La HAS se trouve ainsi dans une situation intenable où la pravastatine a une ASMR de niveau 1 et où le coût n’est pas en rapport avec la baisse du LDL-cholestérol observée. On en vient donc à écarter cette magnifique molécule de la stratégie médico-économique alors que l’on aimerait la voir en première position. Ceci aurait dû faire réfl échir les experts de la HAS sur la pertinence des génériques dans une approche médico-économique de la gestion des malades. Même si la HAS ne veut pas reconnaître un effet classe pour la morbidité et la mortalité cardiovasculaire, les cardiologues ne sont pas dupes et l’ensemble de la bibliographie plaide en faveur d’un tel effet. Nous parions même que les cardiologues seraient prêts à jouer le jeu si on leur disait d’utiliser les statines les moins chères pour une baisse donnée du LDL-cholestérol. Une des simplifications de ce rapport aurait donc été de dire que le prix du princeps doit s’aligner sur le générique et que le cardiologue ne veut pas voir apparaître des génériques éventuellement plus chers que les molécules princeps. Ce débat vis-à-vis du prix nous dépasse et ce sont les patients qui nous rapportent des histoires invraisemblables sur le prix des génériques dans les pharmacies.

En conclusion

Le rapport de la HAS sur les statines est probablement une avancée importante dans le résumé des connaissances actuelles. Les statines sont des médicaments majeurs, essentiels à la pharmacopée du patient cardiovasculaire. Les indications thérapeutiques étant tellement larges, il est licite de se poser la question de la stratégie médico-économique. Quand on se perd dans une forêt, il faut faire simple, c’est-à-dire sortir une boussole et éteindre le GPS. A la lecture de ce rapport très intéressant, on s’aperçoit que faire simple, c’est vraiment trop compliqué ! ■

Pr Jean Ferrières – Service de cardiologie B et INSERM U558, CHU de Toulouse

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